CJCE, 4e ch., 13 septembre 2007, n° C-458/05
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Jouini, Gönen, Bajric, Huber, Ortner, Karacatepe, Mühlberger, Bakii, Kranzler, Mörth, Schneeberger, Susteric, Wörnhör, Savci, Peter, Schmöger, Yaman, Preradovic, Mitter, Sorger, Schachenhofer, Weiss, Kaineder, Stajkovski, Vidovic
Défendeur :
Princess Personal Service GmbH (PPS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Lenaerts
Avocat général :
M. Bot
Juges :
M. Juhasz, Arestis, Malenovsky (rapporteur), von Danwitz
Avocats :
Mes Frischenschlager, Gallistl, Minichmayr
LA COUR, (quatrième chambre)
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 1er de la directive 2001-23-CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements (JO L 82, p. 16).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Jouini et 24 autres demandeurs à la société Princess Personal Service GmbH (PPS) (ci-après "PPS"), au sujet du versement de créances de salaire et de la constatation d'un transfert des relations de travail vers PPS aux fins du calcul de leurs créances.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 La directive 2001-23 codifie la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements (JO L 61, p. 26), telle que modifiée par la directive 98-50-CE du Conseil, du 29 juin 1998 (JO L 201, p. 88, ci-après la "directive 77-187").
4 Aux termes du huitième considérant de la directive 2001-23:
"La sécurité et la transparence juridiques ont requis une clarification de la notion de transfert à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice. Cette clarification n'a pas modifié le champ d'application de la directive 77-187-CEE telle qu'elle a été interprétée par la Cour de justice."
5 L'article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2001-23 dispose:
"a) La présente directive est applicable à tout transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'entreprise ou d'établissement à un autre employeur résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion.
b) Sous réserve du point a) et des dispositions suivantes du présent article, est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d'une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d'une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire."
6 Aux termes de l'article 2, paragraphe 2, de la directive 2001-23:
"La présente directive ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition du contrat ou de la relation de travail.
Cependant, les États membres ne sauraient exclure du champ d'application de la présente directive les contrats ou relations de travail uniquement du fait:
[...]
c) qu'il s'agit de relations de travail intérimaire au sens de l'article 1er, point 2, de la directive 91-383-CEE [du Conseil, du 25 juin 1991, complétant les mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire (JO L 206, p. 19)] et que l'entreprise, l'établissement ou la partie d'entreprise ou d'établissement transféré est l'entreprise de travail intérimaire qui est l'employeur ou fait partie de celle-ci."
7 Selon l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001-23:
"Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.
[...]"
8 La rédaction des dispositions susvisées des articles 1er, paragraphe 1, 2, paragraphe 2, et 3, paragraphe 1, de la directive 2001-23 est, en substance, identique à celle des dispositions des articles 1er, paragraphe 1, 2, paragraphe 2, et 3, paragraphe 1, de la directive 77-187.
La réglementation nationale
9 L'article 3 de la loi portant adaptation de la législation en matière de contrats de travail (Arbeitsvertragsrechts-Anpassungsgesetz, BGBl. 459-1993) dispose que lorsqu'une partie d'établissement est transférée à un autre chef d'entreprise, celui-ci acquiert la qualité d'employeur et est subrogé dans tous les droits et obligations découlant des relations de travail existant à la date du transfert.
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 L'entreprise de travail intérimaire Mayer & Co GmbH (ci-après "Mayer"), qui existait depuis 1976, était dirigée en dernier lieu par l'actuel directeur industriel de PPS, agissant en qualité de gérant. Celui-ci est marié à la directrice commerciale de PPS qui était également employée, à des activités de bureau, dans l'entreprise Mayer.
11 À la demande d'un des principaux clients de Mayer, cette employée a élaboré en 2001 un concept industriel pour lequel elle a reçu le soutien de son époux. Les difficultés financières de cette entreprise étaient déjà connues. Le concept développé ayant été approuvé par le client, les époux sont convenus avec celui-ci de le mettre en œuvre dans le cadre d'une nouvelle entreprise à créer, exerçant le même type d'activité économique, dans la mesure où des modifications structurelles étaient difficilement réalisables dans l'ancienne entreprise Mayer.
12 Cette nouvelle entreprise de travail intérimaire, PPS, a été créée au début de l'année 2002. Les époux y ont respectivement pris les fonctions de directeur industriel et de directrice commerciale. En raison des besoins du principal client susmentionné, ils ont donné instruction au directeur de la filiale de Mayer, compétent à cet effet, de proposer à 40 travailleurs mis à la disposition de ce principal client un transfert vers PPS dans les meilleurs délais, ce qui fut fait.
13 Cela n'a donné lieu à aucune modification de l'activité de ces travailleurs chez le client. En revanche, leurs relations de travail avec Mayer ont cessé le 30 novembre 2002 et celles avec PPS ont débuté le 1er décembre 2002. D'autres clients ont également été repris, étant entendu que le nombre des travailleurs concernés auprès de chaque client allait, selon les cas, de seulement trois ou quatre à neuf personnes. Un gérant de filiale et des conseillers à la clientèle ont également été repris par PPS. En tout, cette dernière a repris un tiers du personnel employé par Mayer avant sa mise en redressement judiciaire.
14 Les demandeurs au principal, qui ont été repris par PPS, ont réclamé à cette dernière le versement de créances de salaire ouvertes à l'encontre de Mayer qui ne les avait pas honorées et la constatation du transfert des relations de travail vers PPS pour le calcul de leurs créances. Il s'agit, notamment, des travailleurs intérimaires qui sont mis à la disposition des clients en tant qu'ouvriers, conducteurs de grue et monteurs. Ils ont fondé leurs prétentions sur le fait qu'il a été effectué un transfert d'établissement et que PPS devait donc garantir, en tant que "repreneur d'établissement", le paiement des anciennes créances et tenir compte des périodes d'activité antérieures.
15 PPS a rejeté ces demandes, faisant valoir qu'il n'y avait pas eu de transfert d'établissement et qu'elle n'avait conclu aucun contrat avec Mayer. Le transfert des demandeurs au principal dans son entreprise aurait été réalisé d'une manière habituelle dans le secteur des entreprises de travail intérimaire. Il n'aurait pas été possible d'identifier d'établissement ou de "partie d'établissement" repris par PPS.
16 Dans la mesure où le Landesgericht Wels, saisi en première instance, et l'Oberlandesgericht Linz, en appel, ont fait droit aux demandeurs au principal, PPS a introduit un recours en "Revision" devant l'Oberster Gerichtshof. Elle conteste, en particulier, la qualification de l'opération en cause en tant que "transfert d'établissement" par ces juridictions.
17 L'Oberster Gerichtshof relève que, selon la jurisprudence de la Cour, en principe, l'examen de l'existence d'un transfert d'établissement tient compte, au préalable, de l'existence ou non d'une entité économique organisée de manière stable au sens d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre. Ensuite, il y aurait lieu de vérifier si les conditions de transfert d'une telle entité au nouvel exploitant sont remplies, en prenant en considération l'ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l'opération en cause (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 1997, Süzen, C-13-95, Rec. p. I-1259, points 13 et 14).
18 Or, de l'avis de la juridiction de renvoi, le contrôle de l'existence d'un transfert d'établissement serait particulier, dans la présente affaire, étant donné qu'il concerne une entreprise de travail intérimaire. Elle souligne, en effet, que de telles entreprises ont, par définition, peu d'employés dans leur "propre exploitation" au sens d'une unité organisationnelle, les travailleurs étant justement placés auprès d'autres employeurs, les entreprises utilisatrices. Ces dernières intègrent les travailleurs concernés dans leur propre organisation en fonction de leurs besoins. La majorité des travailleurs des entreprises de travail intérimaire ne sont donc pas intégrés dans la propre exploitation de ces entreprises, mais dans celles d'autres employeurs.
19 La juridiction de renvoi s'interroge ainsi sur le point de savoir si l'approche développée pour d'autres entreprises, et qui tient très largement compte de l'existence d'une unité organisationnelle au sens d'un "établissement" ou d'une "partie d'établissement", peut également être transposée aux entreprises de travail intérimaire. Celles-ci se distinguent également fondamentalement des entreprises de nettoyage ou de surveillance en ce que les travailleurs mis à disposition ne sont pas engagés dans l'établissement de l'employeur pour un objet défini (tâche de nettoyage ou de surveillance) - qui pourrait servir à l'identification de la partie d'établissement -, mais bien dans des fonctions diverses selon l'appréciation de l'entreprise utilisatrice.
20 Dans ces conditions, l'Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Y a-t-il un transfert d'établissement, ou d'une partie d'établissement, au sens de l'article 1er de la directive [2001-23], lorsque, en l'absence d'une structure d'organisation identifiable dans la première entreprise de travail intérimaire, un employé de bureau, un directeur de filiale, des conseillers à la clientèle et le gérant sont transférés, dans le cadre d'une coopération entre deux entreprises de travail intérimaire, de la première entreprise vers la seconde, pour y exercer des activités comparables, et, qu'avec eux, environ un tiers des travailleurs placés en intérim ainsi que les clients chez qui ils sont placés (dans des proportions de placement en intérim allant de trois à cinquante travailleurs) sont partiellement ou totalement transférés, également dans le cadre de cette coopération entre les deux entreprises ?"
Sur la question préjudicielle
21 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001-23 doit être interprété en ce sens que cette dernière s'applique à une situation telle que celle en cause au principal, qui consiste en un transfert des employés entre deux entreprises de travail intérimaire.
22 Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive 2001-23 est applicable à tout transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'entreprise ou d'établissement à un autre employeur résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion.
23 Selon une jurisprudence constante, la directive 2001-23 vise à assurer la continuité des relations de travail existant dans le cadre d'une entité économique, indépendamment d'un changement du propriétaire. Le critère décisif pour établir l'existence d'un transfert au sens de cette directive est donc de savoir si l'entité en question garde son identité, ce qui résulte notamment de la poursuite effective de l'exploitation ou de sa reprise (voir, notamment, arrêts du 18 mars 1986, Spijkers, 24-85, Rec. p. 1119, points 11 et 12, ainsi que du 15 décembre 2005, Güney-Görres et Demir, C-232-04 et C-233-04, Rec. p. I-11237, point 31 et la jurisprudence citée).
24 Pour ce qui est de la condition relative à l'existence d'une cession conventionnelle, il ressort d'une jurisprudence bien établie que la portée de la disposition de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001-23 ne peut pas être appréciée sur la base de la seule interprétation textuelle (voir, à propos de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187, arrêts du 7 février 1985, Abels, 135-83, Rec. p. 469, points 11 à 13, et du 19 mai 1992, Redmond Stichting, C-29-91, Rec. p. I-3189, point 10). En raison des différences entre les versions linguistiques de la directive ainsi que des divergences entre les législations nationales sur la notion de cession conventionnelle, la Cour a donné de cette notion une interprétation suffisamment souple pour répondre à l'objectif de la directive qui est de protéger les salariés en cas de transfert de leur entreprise (arrêts Redmond Stichting, précité, point 11, et du 7 mars 1996, Merckx et Neuhuys, C-171-94 et C-172-94, Rec. p. I-1253, point 28).
25 Cette interprétation souple concerne également la forme de la "convention" par laquelle la cession se réalise. La notion de cession conventionnelle est ainsi susceptible de viser, selon les cas, un accord écrit ou verbal entre le cédant et le cessionnaire portant sur un changement de l'identité de la personne responsable de l'exploitation de l'entité économique concernée ou encore un accord tacite conclu entre eux qui résulterait d'éléments de coopération pratique traduisant une volonté commune de procéder à un tel changement.
26 Or, dans l'affaire au principal, il résulte de la décision de renvoi que la reprise des travailleurs concernés s'est effectuée dans le cadre d'une coopération entre Mayer et PPS, qui avaient toutes les deux, en substance, les mêmes dirigeants, ce qui a permis à PPS de démarrer une activité identique. Il ressort en outre du dossier que la coopération mutuelle a rendu possible l'exercice par PPS de cette activité au service des mêmes clients et en ayant largement recours aux travailleurs qui avaient auparavant travaillé pour Mayer. Dans ces circonstances, il paraît évident que cette coopération avait pour but et objet de transférer des éléments d'exploitation de Mayer vers PPS.
27 Dès lors, la notion de cession conventionnelle, telle qu'interprétée par la Cour, ne fait pas obstacle à la constatation d'un transfert d'entreprise entre Mayer et PPS, même si, comme l'a affirmé PPS lors de l'audience, les entreprises impliquées n'ont conclu aucun accord écrit ou verbal.
28 Dans des circonstances telles que celles de l'espèce au principal, il y a lieu d'établir si l'opération à qualifier porte sur toute l'entreprise ou seulement sur une partie de celle-ci, étant entendu que dans ce dernier cas il convient d'identifier la partie d'entreprise qui est concernée.
29 À cet égard, il s'avère qu'une reprise d'employés telle que celle en cause au principal ne peut correspondre à un transfert de l'entreprise entière. En effet, il ressort du dossier que PPS n'a repris qu'une certaine partie des employés chargés de la gestion administrative et un tiers des employés placés en intérim, et que Mayer continuait à exercer cette activité économique jusqu'à sa mise en redressement judicaire. Ensuite, dans le cadre de ce dernier, une entreprise concurrente de PPS a racheté Mayer sur l'actif de la faillite et a poursuivi l'activité économique de cette entreprise en ayant recours, en partie, aux employés et à d'autres éléments d'exploitation de celle-ci.
30 Ainsi, le transfert éventuel des moyens d'exploitation en cause au principal - c'est-à-dire la reprise des employés concernés - de Mayer vers PPS ne pouvait porter que sur une partie de cette entreprise.
31 Pour relever de la directive 2001-23, cette reprise doit porter sur une entité économique organisée de manière stable, dont l'activité ne se borne pas à l'exécution d'un ouvrage déterminé. La notion d'entité économique renvoie ainsi à un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre (arrêts du 10 décembre 1998, Hernández Vidal e.a., C-127-96, C-229-96 et C-74-97, Rec. p. I-8179, point 26, ainsi que Güney-Görres et Demir, précité, point 32), et qui est suffisamment structurée et autonome (arrêt Hernández Vidal e.a., précité, point 27).
32 Une telle entité ne doit pas nécessairement comporter d'éléments d'actifs, matériels ou immatériels, significatifs. En effet, dans certains secteurs économiques, ces éléments sont souvent réduits à leur plus simple expression et l'activité repose essentiellement sur la main-d'œuvre. Ainsi, un ensemble organisé de salariés qui sont spécialement et durablement affectés à une tâche commune peut, en l'absence d'autres facteurs de production, correspondre à une entité économique (arrêt Hernández Vidal e.a., précité, point 27).
33 Il en va d'autant plus ainsi dans le cas des entreprises de travail intérimaire compte tenu de l'article 2, paragraphe 2, deuxième alinéa, sous c), de la directive 2001-23. En effet, il ressort de cette disposition que les relations de travail avec de telles entreprises relèvent, en principe, de la directive 2001-23, ce qui implique qu'il convient de tenir compte de leurs spécificités lors de l'examen de l'opération de leur reprise. Or, de telles entreprises sont caractérisées, en règle générale, ainsi qu'il ressort de la décision de renvoi, par l'absence d'une organisation d'entreprise propre permettant d'identifier au sein d'une telle entreprise différentes entités économiques détachables en fonction de l'organisation du cédant.
34 Par conséquent, en l'absence d'une structure d'organisation identifiable auprès de l'entreprise de travail intérimaire en question, il convient de procéder à un examen tenant compte de ses spécificités au lieu d'une analyse qui viserait à établir l'existence d'une entité économique au regard de son organisation. Dans ce contexte, l'appréciation de l'existence d'une entité économique au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001-23 implique de vérifier si les éléments d'exploitation transférés par le cédant constituaient chez lui un ensemble opérationnel se suffisant à lui-même pour permettre la fourniture de prestations de services caractéristiques de l'activité économique de l'entreprise sans nécessiter le recours à d'autres éléments d'exploitation importants ou à d'autres parties de celle-ci.
35 À cet égard, il convient de souligner que l'activité des entreprises de travail intérimaire est caractérisée par la mise à disposition en intérim de travailleurs au service d'entreprises utilisatrices afin que ceux-ci y exercent des tâches diverses suivant les besoins et les consignes de ces dernières. La poursuite d'une telle activité nécessite notamment un savoir-faire, une structure administrative apte à organiser cette mise à disposition des travailleurs et un ensemble de travailleurs intérimaires susceptibles de s'intégrer dans les entreprises utilisatrices et d'exercer pour elles les tâches demandées. En revanche, d'autres éléments d'exploitation significatifs ne sont pas indispensables pour la poursuite de l'activité économique en cause.
36 Le fait, souligné par la juridiction de renvoi, que les travailleurs placés en intérim sont intégrés dans la structure organisationnelle du client au service duquel ils sont mis à disposition ne saurait, en tant que tel, empêcher de constater l'existence d'un transfert d'entité économique. En effet, ces travailleurs n'en demeurent pas moins des éléments essentiels sans lesquels l'accomplissement par l'entreprise de travail intérimaire de son activité économique serait par essence impossible. En outre, la circonstance qu'ils sont, ainsi que l'envisage d'ailleurs l'article 1er, point 2, de la directive 91-383, visé à l'article 2, paragraphe 2, second alinéa, sous c), de la directive 2001-23, liés au cédant par une relation de travail et que celui-ci les rémunère directement est de nature à confirmer leur rattachement à l'entreprise exploitée par ledit cédant et, partant, leur contribution à l'existence d'une entité économique au sein de ce dernier.
37 Il ressort de ce qui précède que le seul ensemble composé des employés chargés de la gestion, des travailleurs intérimaires et du savoir-faire peut poursuivre un objectif propre, à savoir la prestation des services consistant en la mise à disposition en intérim des travailleurs aux entreprises utilisatrices en contrepartie d'une rémunération, et qu'un tel ensemble peut constituer une entité économique qui est opérationnelle sans avoir recours à d'autres éléments d'exploitation importants ni à d'autres parties du cédant. Tel peut être notamment le cas en l'occurrence dans la mesure où l'ensemble était composé d'un employé de bureau, d'un directeur de filiale, de conseillers à la clientèle, d'un tiers des travailleurs intérimaires et de gérants possédant un savoir-faire, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
38 Par conséquent, il convient de répondre à la question posée que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001-23 doit être interprété en ce sens que cette dernière s'applique lorsqu'une partie du personnel d'administration et une partie des travailleurs intérimaires sont transférées vers une autre entreprise de travail intérimaire pour y exercer les mêmes activités au service de clients identiques, et, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que les éléments concernés par le transfert d'une entité économique sont en eux-mêmes suffisants pour permettre la poursuite de prestations caractéristiques de l'activité économique en cause sans avoir recours à d'autres éléments d'exploitation importants ni à d'autres parties de l'entreprise.
Sur les dépens
39 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre)
dit pour droit:
L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001-23-CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, doit être interprété en ce sens que cette dernière s'applique lorsqu'une partie du personnel d'administration et une partie des travailleurs intérimaires sont transférées vers une autre entreprise de travail intérimaire pour y exercer les mêmes activités au service de clients identiques, et, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que les éléments concernés par le transfert d'une entité économique sont en eux-mêmes suffisants pour permettre la poursuite de prestations caractéristiques de l'activité économique en cause sans avoir recours à d'autres éléments d'exploitation importants ni à d'autres parties de l'entreprise.