CJCE, 2e ch., 23 septembre 2004, n° C-435/02
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Axel Springer AG
Défendeur :
Zeitungsverlag Niederrhein GmbH & Co. Essen KG, Weske
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président et rapporteur :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Puissochet, Schintgen, Mmes Macken, Colneric
LA COUR (deuxième chambre),
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur la validité de la directive 90-605-CEE du Conseil, du 8 novembre 1990, modifiant les directives 78-660-CEE et 83-349-CEE concernant respectivement les comptes annuels et les comptes consolidés, en ce qui concerne leur champ d'application (JO L 317, p. 60).
2 Ces demandes ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant la société Axel Springer AG (ci-après "Springer"), d'une part, à la société Zeitungsverlag Niederrhein GmbH & Co. Essen KG (ci-après "Zeitungsverlag") (C-435-02) et, d'autre part, à M. Weske, gérant de la société Radio Ennepe-Ruhr-Kreis mbH & Co. KG (ci-après "Radio Ennepe") (C-103-03), au sujet des demandes de Springer tendant à la consultation des comptes annuels de Zeitungsverlag et de Radio Ennepe.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 En vertu de l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 44, paragraphe 2, sous g), CE], le Conseil de l'Union européenne et la Commission des Communautés européennes œuvrent à la suppression des restrictions à la liberté d'établissement en coordonnant, dans la mesure nécessaire et en vue de les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l'article 58, second alinéa, du traité CE (devenu article 48, second alinéa, CE) pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers.
4 La directive 90-605 a pour objet de modifier le champ d'application notamment de la quatrième directive 78-660-CEE du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur l'article 54 paragraphe 3 sous g) du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (JO L 222, p. 11, ci-après la "quatrième directive sociétés").
5 La quatrième directive sociétés prescrit des mesures de coordination des dispositions nationales concernant les comptes annuels des sociétés de capitaux. Elle s'applique, pour l'Allemagne, aux formes de sociétés suivantes: l'Aktiengesellschaft (société anonyme), la Kommanditgesellschaft auf Aktien (société en commandite par actions) et la Gesellschaft mit beschränkter Haftung (société à responsabilité limitée).
6 Les articles 1er et 2 de la directive 90-605 étendent l'application des mesures de coordination prescrites par la quatrième directive sociétés à certaines formes de sociétés de personnes, dont, pour l'Allemagne, celle de la Kommanditgesellschaft (société en commandite simple), notamment lorsque tous les associés indéfiniment responsables de cette société sont des sociétés de capitaux constituées sous une des formes mentionnées au point précédent du présent arrêt.
7 Ainsi, la directive 90-605 étend, pour l'Allemagne, l'application des mesures de coordination prescrites par la quatrième directive sociétés notamment aux sociétés revêtant la forme d'une société en commandite simple dont tous les associés indéfiniment responsables sont constitués sous forme de société à responsabilité limitée (ci-après la "GmbH & Co. KG").
8 Cette forme de société est dès lors soumise, notamment, aux dispositions de l'article 47, paragraphe 1, de la quatrième directive sociétés, tel que modifié par l'article 38, paragraphe 3, de la septième directive 83-349-CEE du Conseil, du 13 juin 1983, fondée sur l'article 54 paragraphe 3 point g) du traité, concernant les comptes consolidés (JO L 193, p. 1), qui dispose:
"Les comptes annuels régulièrement approuvés et le rapport de gestion ainsi que le rapport établi par la personne chargée du contrôle des comptes font l'objet d'une publicité effectuée selon les modes prévus par la législation de chaque État membre conformément à l'article 3 de la directive 68-151-CEE.
Toutefois, la législation d'un État membre peut permettre que le rapport de gestion ne fasse pas l'objet de la publicité visée ci-dessus. Dans ce cas, le rapport de gestion est tenu à la disposition du public au siège de la société dans l'État membre concerné. Une copie intégrale ou partielle de ce rapport doit pouvoir être obtenue sur simple demande. Le prix réclamé pour cette copie ne peut excéder son coût administratif."
9 Aux termes de l'article 3, paragraphes 1 à 3, de la première directive 68-151-CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l'article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO L 65, p. 8, ci-après la "première directive sociétés"):
"1. Dans chaque État membre un dossier est ouvert auprès, soit d'un registre central, soit d'un registre du commerce ou registre des sociétés, pour chacune des sociétés qui y sont inscrites.
2. Tous les actes et toutes les indications qui sont soumis à publicité en vertu de l'article 2 sont versés au dossier ou transcrits au registre; l'objet des transcriptions au registre doit en tout cas apparaître dans le dossier.
3. Copie intégrale ou partielle de tout acte ou de toute indication visé à l'article 2 doit pouvoir être obtenue par correspondance sans que le coût de cette copie puisse être supérieur au coût administratif.
[...]"
10 L'article 2, paragraphe 1, sous f), de la première directive sociétés prévoit:
"Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la publicité obligatoire relative aux sociétés porte au moins sur les actes et indications suivants:
[...]
f) le bilan et le compte de profits et pertes de chaque exercice [...]"
La réglementation nationale
11 Par son arrêt du 22 avril 1999, Commission/Allemagne (C-272-97, Rec. p. I-2175), la Cour a jugé que la directive 90-605 n'avait pas été transposée en droit allemand dans le délai prescrit.
12 La législation allemande, en particulier le Handelsgesetzbuch (Code de commerce allemand, ci-après le "HGB"), a depuis lors été modifiée afin que, désormais, les mesures de coordination prescrites par la quatrième directive sociétés s'étendent notamment à la GmbH & Co. KG (article 264 bis du HGB).
13 Cette nouvelle législation prévoit en outre que des infractions aux obligations prescrites donnent lieu à des amendes administratives, s'élevant au minimum à 2 500 euro et au maximum à 25 000 euro, infligées par l'Amtsgericht (Allemagne), juridiction chargée de tenir le registre du commerce.
14 De telles amendes ne peuvent toutefois être infligées qu'à la suite de l'introduction d'une requête devant cette juridiction. Il n'est en revanche pas prévu de restriction quant à la qualité des personnes pouvant introduire une telle requête, de sorte que toute personne est habilitée à le faire (articles 335 bis et 335 ter du HGB).
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Par des requêtes introduites respectivement devant les Amtsgerichte territorialement compétents, Springer a demandé qu'il soit enjoint sous peine d'astreinte à Zeitungsverlag et Radio Ennepe, entreprises exerçant leur activité dans le domaine de la presse et de l'édition, pour la première, et dans celui de la radiodiffusion, pour la seconde, de produire leur comptes annuels, afin que Springer puisse les consulter.
16 Les juridictions saisies ont fait droit à ces requêtes par voie d'ordonnances prononçant les injonctions demandées et infligeant aux gestionnaires de ces sociétés, respectivement M. Glandt et M. Weske, une amende administrative de 5 000 euro à défaut du dépôt desdits documents dans les délais impartis.
17 Ces comptes annuels n'ayant pas été déposés dans les délais impartis, les amendes ont été infligées par des ordonnances ultérieures.
18 Zeitungsverlag et M. Glandt ainsi que M. Weske ont alors introduit des recours contre ces dernières ordonnances devant les juridictions de renvoi respectives.
19 Celles-ci estiment que les affaires dont elles sont saisies permettent de douter de la validité de la directive 90-605.
20 Dans l'affaire C-435-02, le Landgericht Essen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) La directive 90-605 [...], lue conjointement avec l'article 47 de la directive 78-660 [...], est-elle compatible avec le principe communautaire de la liberté d'entreprendre dans la mesure où elle a pour effet d'imposer aux sociétés en commandite simple dont l'associé personnellement responsable est une société à responsabilité limitée la publication des comptes annuels et du rapport de gestion, sans notamment que soit limité le cercle des personnes habilitées à les consulter ?
2) La directive 90-605 [...], lue conjointement avec l'article 47 de la directive 78-660 [...], est-elle compatible avec le principe communautaire de la liberté de la presse (écrite, parlée et télévisée) dans la mesure où elle a pour effet d'imposer aux sociétés en commandite simple, dont l'associé personnellement responsable est une société à responsabilité limitée, qui exercent des activités dans le domaine de la presse, de l'édition ou de la radiodiffusion la publication des comptes annuels et du rapport de gestion, sans notamment que soit limité le cercle des personnes habilitées à les consulter ?
3) La directive 90-605 [...] est-elle compatible avec le principe général de l'égalité de traitement dans la mesure où elle a pour effet de désavantager les sociétés en commandite simple dont l'associé personnellement responsable est une société à responsabilité limitée, par rapport à des sociétés en commandite simple dont l'associé personnellement responsable est une personne physique, alors même que les créanciers d'une société en commandite simple dont l'associé personnellement responsable est une société à responsabilité limitée sont mieux protégés, du fait de l'obligation de publication s'imposant à la société à responsabilité limitée, que ne le sont les créanciers d'une société en commandite simple dont le commandité, en tant que personne physique, n'est pas soumis à des obligations de publication ?"
21 Dans l'affaire C-103-03, le Landgericht Hagen a également décidé de surseoir à statuer et a posé les trois mêmes questions préjudicielles, en les faisant précéder d'une première question préjudicielle, rédigée comme suit :
"La Communauté européenne pouvait-elle, lors de l'adoption de la directive 90-605 [...], se fonder sur les dispositions combinées de l'article 54, paragraphe 1, et paragraphe 3, sous g), du traité CE, alors même que cette directive accorde un droit de consultation à des tiers ne pouvant se prévaloir d'un droit ou d'intérêts dignes de protection ?"
22 Au vu de leur connexité, les affaires C-435-02 et C-103-03 sont jointes aux fins de l'ordonnance.
Sur les questions préjudicielles
23 Considérant que la réponse à la première question posée dans l'affaire C-103-03 peut être clairement déduite de l'arrêt du 4 décembre 1997, Daihatsu Deutschland (C-97-96, Rec. p. I-6843) et que les réponses aux autres questions posées dans l'affaire C-103-03, ainsi qu'à celles posées dans l'affaire C-435-02, ne laissent place à aucun doute raisonnable, la Cour a, conformément à l'article 104, paragraphe 3, de son règlement de procédure, informé les juridictions de renvoi qu'elle se proposait de statuer par voie d'ordonnance motivée et a invité les intéressés visés à l'article 23 du statut de la Cour de justice à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet.
24 En ce qui concerne l'affaire C-435-02, le Conseil a répondu à l'invitation de la Cour, en indiquant qu'il n'avait pas d'objection à ce que la Cour statue par voie d'ordonnance motivée. En revanche, en ce qui concerne les affaires C-435-02 et C-103-03, Zeitungsverlag et M. Weske ont émis des objections à cet égard, se référant aux arguments soulevés dans leurs observations écrites. Toutefois, ces éléments ne conduisent pas la Cour à écarter la voie procédurale envisagée.
Sur la première question dans l'affaire C-103-03
25 Par sa première question posée dans l'affaire C-103-03, la juridiction de renvoi demande en substance si la directive 90-605, pour autant qu'il en découle que toute personne a la possibilité de consulter les comptes annuels et le rapport de gestion des formes de sociétés qu'elle vise, sans devoir justifier d'un droit ou d'un intérêt nécessitant une protection, pouvait valablement être adoptée sur le fondement de l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité.
26 M. Weske soutient que le cercle des tiers devant être protégés au titre de l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité inclut les personnes ayant un rapport juridique actuel avec la société ainsi que ceux voulant établir un tel rapport et donc également les associés, employés ou créanciers potentiels.
27 Cette disposition ne permettrait toutefois pas que le cercle des tiers puisse être défini de façon à inclure toute personne, quelle que soit sa qualité. L'interprétation large de cette notion de tiers, consacrée par l'arrêt Daihatsu Deutschland, précité, susciterait donc des réserves.
28 À cet égard, il convient de constater, comme le soutiennent le Conseil et la Commission, que la réponse à cette question peut être clairement déduite de l'arrêt Daihatsu Deutschland, précité.
29 Il ressort en effet des points 19 et 20 dudit arrêt, que le texte même de l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité mentionne l'objectif de protection des intérêts des tiers en général sans distinguer ou exclure certaines catégories parmi ceux-ci, de sorte que la notion de tiers visée à cet article ne saurait notamment être réduite aux seuls créanciers de la société.
30 Au point 21 de cet arrêt, la Cour a en outre relevé que l'objectif tendant à supprimer les restrictions à la liberté d'établissement, qu'assigne en des termes très larges au Conseil et à la Commission l'article 54, paragraphes 1 et 2, du traité, ne saurait être restreint par les dispositions de l'article 54, paragraphe 3, du traité, dès lors que ces dernières se limitent à énumérer une liste non exhaustive de mesures à prendre en vue de réaliser cet objectif, ainsi que l'atteste l'emploi du mot "notamment" audit article 54, paragraphe 3.
31 La Cour a par ailleurs expressément indiqué au point 22 dudit arrêt que les dispositions de l'article 3 de la première directive sociétés, qui prévoient la tenue d'un registre public dans lequel doivent être enregistrés tous les actes et indications soumis à publicité ainsi que la possibilité pour toute personne d'obtenir copie des comptes annuels par correspondance, confirment le souci, exprimé dans son quatrième considérant, de permettre l'information de tout tiers ne connaissant pas ou ne pouvant pas connaître suffisamment la situation comptable et financière de la société.
32 Au même point, la Cour a ajouté que cette préoccupation est également exprimée dans les considérants de la quatrième directive sociétés dans lesquels il est fait état de la nécessité d'établir dans la Communauté des conditions juridiques équivalentes minimales quant à l'étendue des renseignements financiers à porter à la connaissance du public par des sociétés concurrentes (voir, notamment, troisième considérant).
33 Il découle ainsi clairement de l'arrêt Daihatsu Deutschland, précité, que les obligations en matière de publicité prescrites par l'article 3 de la première directive sociétés, auxquelles se réfère l'article 47, paragraphe 1, de la quatrième directive sociétés et qui sont étendues par la directive 90-605 à certaines formes de sociétés de personnes, telle que celle en cause au principal, impliquent que toute personne a la possibilité de consulter les comptes annuels et le rapport de gestion des formes de sociétés visées par ladite directive sans devoir justifier d'un droit ou d'un intérêt nécessitant une protection.
34 Il ressort également clairement des points 21 et 22 dudit arrêt qu'un acte communautaire comportant de telles obligations en matière de publicité pouvait être adopté sur le fondement de l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité, dès lors que cette disposition, qui confère un large pouvoir au législateur communautaire, mentionne l'objectif de protection des intérêts des tiers en général sans distinguer ou exclure de catégories parmi ceux-ci, de sorte que la notion de tiers au sens de cet article se réfère à tout tiers. Il en découle que cette notion doit être interprétée de façon large et qu'elle recouvre notamment les concurrents des sociétés concernées.
35 Il convient donc de répondre à la première question posée dans l'affaire C-103-03 que la directive 90-605, pour autant qu'il en découle que toute personne a la possibilité de consulter les comptes annuels et le rapport de gestion des formes de sociétés qu'elle vise sans devoir justifier d'un droit ou d'un intérêt nécessitant une protection, pouvait valablement être adoptée sur le fondement de l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité.
Sur les deux premières questions dans l'affaire C-435-02 et les deuxième et troisième questions dans l'affaire C-103-03
36 Par les deux premières questions posées dans l'affaire C-435-02 ainsi que par les deuxième et troisième questions posées dans l'affaire C-103-03, qu'il convient de traiter ensemble, les juridictions de renvoi demandent en substance si la directive 90-605, pour autant qu'il en découle que toute personne a la possibilité de consulter les comptes annuels et le rapport de gestion d'entreprises revêtant l'une des formes de sociétés qu'elle vise et qui exercent leur activité, comme en l'espèce, dans le domaine de la presse, de l'édition ou de la radiodiffusion, sans devoir justifier d'un droit ou d'un intérêt nécessitant une protection, est compatible avec les principes généraux de droit communautaire de la liberté d'entreprendre et de la liberté de la presse.
Observations soumises à la Cour
37 Zeitungsverlag et M. Weske soutiennent que la directive 90-605, lue conjointement avec l'article 47 de la quatrième directive sociétés, poursuit un objectif légitime d'intérêt général dans la mesure où les obligations de publicité qu'elle prescrit visent à la protection des associés, des employés et créanciers de la société.
38 Le fait d'inclure toutes les personnes intéressées dans le cercle des personnes habilitées à consulter les documents concernés, y compris les concurrents, représenterait toutefois une charge disproportionnée au regard notamment des intérêts légitimes de la société à tenir secrètes certaines données. Pour autant, la directive 90-605 serait incompatible avec le principe communautaire de la liberté d'entreprendre et serait, par conséquent, privée de validité.
39 Zeitungsverlag et M. Weske font valoir en outre que la liberté d'expression, en tant que droit fondamental garanti par le droit communautaire, protège l'ensemble des activités des entreprises de presse, voire des entreprises de radiodiffusion.
40 Dès lors que la directive 90-605 et la quatrième directive sociétés ne comporteraient pas de protection spécifique aux entreprises de presse et de radiodiffusion par l'édiction d'exceptions aux obligations de publication qu'elles prévoient, elles seraient incompatibles avec la liberté d'opinion.
41 Le Gouvernement belge fait valoir que l'obligation de publication des comptes annuels qu'impose la directive 90-605 est justifiée par le fait que, en ce qui concerne les sociétés qu'elle vise, les tiers n'ont qu'un recours limité à l'encontre de l'associé, puisque celui-ci est une personne morale ayant une responsabilité limitée.
42 La Commission se réfère aux trois premiers considérants de la quatrième directive sociétés, dont il découle notamment que les dispositions en matière de publicité des comptes annuels et du rapport de gestion s'imposent dès lors que les formes de sociétés auxquelles celles-ci s'appliquent n'offrent, comme garantie aux tiers, que leur patrimoine social et qu'il est nécessaire que soient établies dans la Communauté des conditions juridiques équivalentes minimales quant à l'étendue des renseignements financiers à porter à la connaissance du public par des entreprises concurrentes.
43 L'inclusion, notamment, des concurrents dans le cercle des personnes habilitées à consulter lesdits documents serait un moyen à la fois nécessaire et approprié pour atteindre l'objectif visé tant par ces considérants que par l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité, tel qu'interprété par la Cour dans l'arrêt Daihatsu Deutschland, précité, à savoir la protection non seulement des associés, mais également des tiers.
44 La Commission soutient en outre que la question relative au principe général de droit communautaire de la liberté d'entreprendre renferme en l'espèce celle portant sur le principe général de la liberté de la presse.
45 Le Conseil fait valoir que la directive 90-605 ne constitue pas une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit au libre exercice des activités professionnelles.
46 En outre, le Conseil soutient que l'obligation de publicité prescrite par la directive 90-605 ne porte aucune atteinte à la liberté de la presse telle qu'elle est garantie notamment par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, puisqu'elle n'a aucun effet sur le contenu des informations ou des idées communiquées par une société visée par ladite directive.
Réponse de la Cour
47 À titre liminaire, il y a lieu de relever que la question portant sur la compatibilité des obligations imposées en matière de publicité aux sociétés de personnes en cause dans les affaires au principal avec la liberté d'expression se confond avec celle relative à la compatibilité de ces obligations avec le libre exercice d'une activité professionnelle. En effet, lesdites obligations s'appliquent à toute entreprise revêtant une certaine forme de société, indépendamment de la nature de ses activités. Elles n'ont, en outre, pas de liens suffisamment directs et spécifiques avec une activité relevant de la liberté d'expression. Il s'agit, en effet, essentiellement d'une réglementation affectant les sociétés concernées, quelle que soit l'activité économique exercée.
48 La Cour a jugé que tant le droit de propriété que le libre exercice d'une activité professionnelle font partie des principes généraux du droit communautaire. Toutefois, selon cette jurisprudence, des restrictions peuvent être apportées à l'usage de ces droits, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même de ces droits (voir arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280-93, Rec. p. I-4973, point 78, et du 10 juillet 2003, Booker Aquaculture et Hydro Seafood, C-20-00 et C-64-00, Rec. p. I-7411, point 68 et jurisprudence citée).
49 Dans ces conditions, à supposer même que les obligations de publicité en cause dans les affaires au principal aient un effet suffisamment direct et significatif sur le libre exercice d'une activité professionnelle, la restriction qu'elles comportent, en particulier celle relative au droit d'une entreprise de pouvoir tenir secrètes certaines données potentiellement sensibles, paraît en tout état de cause clairement justifiée.
50 En effet, il découle des trois premiers considérants de la quatrième directive sociétés que les dispositions en matière de publicité imposées par celle-ci à certaines formes de sociétés de capitaux poursuivent le double objectif d'intérêt général édicté à l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité, à savoir, d'une part, la protection des tiers contre les risques financiers que comportent les formes de sociétés qui n'offrent comme garantie aux tiers qu'un patrimoine social et, d'autre part, l'instauration dans la Communauté des conditions juridiques minimales équivalentes en ce qui concerne l'étendue des renseignements financiers devant être portés à la connaissance du public par des sociétés concurrentes.
51 Selon ses cinq premiers considérants, la directive 90-605 vise spécifiquement à remédier à une pratique consistant pour un nombre considérable et toujours croissant de sociétés à contourner la réglementation en se constituant sous la forme de sociétés de personnes dont tous les associés indéfiniment responsables sont organisés en sociétés de capitaux afin de se soustraire à l'emprise des dispositions en matière de publicité s'imposant à ces sociétés, cette pratique méconnaissant ainsi l'objectif susmentionné de la quatrième directive sociétés tendant à protéger les tiers contre les risques financiers que comportent les formes de sociétés qui n'offrent comme garantie aux tiers qu'un patrimoine social.
52 Il en résulte que les mesures imposées par la directive 90-605 répondent effectivement aux objectifs de l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité et, partant, à des objectifs d'intérêt général poursuivis par la Communauté au sens de la jurisprudence citée au point 48 de la présente ordonnance.
53 L'éventuel préjudice qu'entraîneraient les obligations imposées par ces règles en matière de publicité paraît, par ailleurs, de nature limitée. En effet, il paraît douteux que ces règles soient susceptibles de modifier la position concurrentielle des sociétés concernées, contrairement à ce qu'il en était dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt, Allemagne/Conseil, précité (point 81).
54 Cette appréciation est confirmée par les dispositions mêmes de la quatrième directive sociétés, notamment de ses articles 11, 27, et 44 à 47, qui prévoient la possibilité d'alléger l'information devant figurer dans les comptes annuels et dans le rapport de gestion des sociétés ne dépassant pas les limites chiffrées de certains critères ainsi que la publicité des comptes de telles sociétés. En outre, l'article 45 de cette directive a notamment pour but d'éviter que la publication de certaines données ne cause un préjudice grave aux entreprises concernées.
55 Il convient également de relever que, conformément à l'article 46 de ladite directive, les indications devant figurer impérativement dans le rapport de gestion peuvent être fournies en termes généraux de sorte que, contrairement à ce que suggèrent Zeitungsverlag et M. Weske, il ne soit pas nécessaire de faire état de façon détaillée de certaines données sensibles de nature à révéler, par exemple, la base du calcul des prix.
56 Par ailleurs, la publicité des comptes annuels des sociétés de capitaux, seuls associés indéfiniment responsables d'une société de personnes visée par la directive 90-605, telle que celle constituée sous la forme de GmbH & Co. KG en cause dans les affaires au principal, en l'occurrence des sociétés à responsabilité limitée, ne donne en soi que des renseignements sur la situation desdits associés et non sur celle de ladite société de personnes. Elle ne rend donc aucunement superfétatoire la publication des comptes annuels de cette dernière société.
57 En outre, l'article 57 bis inséré dans la quatrième directive sociétés par l'article 1er, point 4, de la directive 90-605 permet aux sociétés de personnes, telles que les GmbH & Co. KG en cause dans les affaires au principal, d'être dispensées des obligations en matière de publicité si leurs comptes doivent être publiés avec ceux d'un de leurs associés indéfiniment responsables ou s'ils sont compris dans les comptes consolidés d'un groupe de sociétés.
58 Dans ces conditions, l'obligation imposée à des sociétés de personnes, telles que celles revêtant la forme juridique de GmbH et Co. KG en cause dans les affaires au principal, en matière de publicité des comptes annuels et du rapport de gestion ne constitue pas une intervention démesurée et intolérable portant atteinte à la substance même du libre exercice d'une profession.
59 Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre aux deux premières questions posées dans l'affaire C-435-02 ainsi qu'aux deuxième et troisième questions posées dans l'affaire C-103-03 que l'examen de celles-ci au regard des principes généraux de droit communautaire du libre exercice d'une activité professionnelle et de la liberté d'expression n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 90-605.
Sur la troisième question dans l'affaire C-435-02 et la quatrième question dans l'affaire C-103-03
60 Par la troisième question posée dans l'affaire C-435-02 et la quatrième question posée dans l'affaire C-103-03, les juridictions de renvoi demandent en substance si la directive 90-605 est compatible avec le principe d'égalité de traitement pour autant que celle-ci a pour effet d'imposer des obligations de publication des comptes annuels aux sociétés en commandite simple dont tous les associés indéfiniment responsables sont constitués sous forme de société à responsabilité limitée. Ces sociétés seraient ainsi désavantagées par rapport aux sociétés en commandite simple dont au moins un associé indéfiniment responsable est une personne physique et qui ne sont pas soumises à ces obligations, alors même que les créanciers des sociétés constituées sous la première forme de société sont mieux protégés que ceux des sociétés constituées sous la seconde, en raison du fait que leurs associés sont soumis en tant que sociétés à responsabilité limitée à de telles obligations de publicité, lesquelles n'incombent pas aux personnes physiques.
Observations soumises à la Cour
61 Zeitungsverlag et M. Weske soutiennent que les dispositions en matière de publicité en cause comportent une inégalité de traitement grave entre, d'une part, les sociétés en commandite simple dont au moins un associé indéfiniment responsable est une personne physique et, d'autre part, les sociétés en commandite simple dont tout associé indéfiniment responsable est une société à responsabilité limitée, telle la GmbH & Co. KG, cette situation entraînant, pour ces dernières sociétés, des inconvénients considérables.
62 Le Conseil soutient qu'il découle des trois premiers considérants de la directive 90-605 que celle-ci a pour objet de combler une lacune résultant des dispositions de la quatrième directive sociétés, considérée comme contraire à l'esprit et aux objectifs de cette dernière par le législateur, dès lors qu'un nombre toujours croissant de sociétés telles que les sociétés en commandite simple en cause au principal n'étaient pas soumises aux obligations en matière de publicité, alors que leurs créanciers ne pouvaient agir qu'à l'encontre d'associés indéfiniment responsables organisés en sociétés à responsabilité limitée et qui, par conséquent, n'offrent comme garantie aux tiers que leur patrimoine social.
63 À l'égard des tiers, une différence fondamentale existerait entre de telles sociétés en commandite simple et des sociétés en commandite simple dont au moins un associé indéfiniment responsable est une personne physique qui répond des dettes de la société avec tout son patrimoine.
64 Partant, le fait d'imposer des obligations de publicité aux sociétés en commandite simple dont tous les associés indéfiniment responsables revêtent la forme d'une société à responsabilité limitée telle que la GmbH & Co. KG, et non à d'autres sociétés en commandite simple, serait objectivement justifié.
65 La Commission se réfère à la même distinction objective existant entre les différentes sociétés en commandite et en déduit que la directive 90-605 ne comporte aucune discrimination.
Réponse de la Cour
66 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que le principe général d'égalité de traitement, qui fait partie des principes fondamentaux du droit communautaire, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, notamment, arrêt du 9 septembre 2004, Espagne/Commission, C-304-01, non encore publié au Recueil, point 31).
67 Or, ainsi qu'il ressort du point 51 de la présente ordonnance, la distinction qu'opère la directive 90-605 entre les sociétés en commandite simple qu'elle vise, telle que la GmbH & Co. KG, et les sociétés en commandite simple qui comptent parmi leurs associés indéfiniment responsables au moins une personne physique se situant en dehors du champ d'application de ladite directive, est fondée sur la considération que la première catégorie de ces sociétés présente indirectement les mêmes risques pour les tiers que les sociétés de capitaux visées par la quatrième directive sociétés, à savoir qu'elles n'offrent comme garantie aux tiers qu'un patrimoine social, alors que tel n'est pas le cas de la seconde catégorie de sociétés en commandite simple.
68 En effet, la directive 90-605 s'inscrit dans la même logique que celle de la quatrième directive sociétés dont elle vise à empêcher le contournement et à laquelle elle est à cet égard purement accessoire. En ce sens, la directive 90-605 complète la quatrième directive sociétés, afin que le privilège lié à la limitation de la responsabilité, dont bénéficient certaines formes de sociétés, aille de pair avec une publicité appropriée, destinée à protéger les intérêts des tiers.
69 La distinction opérée par la directive 90-605 entre les deux catégories de sociétés en commandite simple mentionnées au point 67 de la présente ordonnance aux fins de l'articulation du champ d'application de la quatrième directive sociétés et des obligations de publicité imposées par cette directive est donc objectivement justifiée par des considérations de protection des intérêts des tiers, cette protection constituant une finalité essentielle de la directive 90-605 et de la quatrième directive sociétés.
70 Cette appréciation n'est pas remise en cause par la circonstance, relevée par les juridictions de renvoi, selon laquelle les créanciers des sociétés en commandite simple visées par la directive 90-605 seraient déjà protégés en raison du fait que leurs associés sont soumis en tant que sociétés à responsabilité limitée aux obligations de publicité prévues par la quatrième directive sociétés, alors que ces obligations ne s'imposent pas aux personnes physiques.
71 En effet, ainsi qu'il a déjà été jugé au point 56 de la présente ordonnance, la publicité des comptes annuels des sociétés de capitaux, seuls associés indéfiniment responsables d'une société de personnes visée par la directive 90-605, telle que celle constituée sous la forme de GmbH & Co. KG en cause dans les affaires au principal, en l'occurrence des sociétés à responsabilité limitée, ne livre en elle-même que des renseignements sur la situation desdits associés et non sur celle de la société de personnes.
72 Compte tenu de ce qui précède, il n'apparaît pas que la directive 90-605 viole le principe d'égalité de traitement.
73 Dans ces conditions, il convient de répondre à la troisième question dans l'affaire C-435-02 et à la quatrième question dans l'affaire C-103-03, que leur examen au regard du principe d'égalité de traitement n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 90-605.
Sur les dépens
74 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant les juridictions nationales, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (deuxième chambre) dit pour droit:
1) La directive 90-605-CEE du Conseil, du 8 novembre 1990, modifiant les directives 78-660-CEE et 83-349-CEE concernant respectivement les comptes annuels et les comptes consolidés, en ce qui concerne leur champ d'application, pour autant qu'il en découle que toute personne a la possibilité de consulter les comptes annuels et le rapport de gestion des formes de sociétés qu'elle vise sans devoir justifier d'un droit ou d'un intérêt nécessitant une protection, pouvait valablement être adoptée sur le fondement de l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 44, paragraphe 2, sous g), CE].
2) L'examen des deux premières questions dans l'affaire C-435-02 et des deuxième et troisième questions dans l'affaire C-103-03 au regard des principes généraux de droit communautaire du libre exercice d'une activité professionnelle et de la liberté d'expression n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 90-605.
3) L'examen de la troisième question dans l'affaire C-435-02 et de la quatrième question dans l'affaire C-103-03 au regard du principe d'égalité de traitement n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 90-605.