CJCE, 3e ch., 18 juillet 2007, n° C-501/04
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume d'Espagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rosas
Avocat général :
M. Geelhoed
Juges :
MM. Tizzano, Borg Barthet, Malenovský, Lõhmus
LA COUR (troisième chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en accordant aux preneurs d'assurance la faculté de résilier les contrats en cas de cession de portefeuille lorsque le cédant et/ou le cessionnaire est un organisme d'assurance non domicilié en Espagne en régime de droit d'établissement ou de libre prestation de services, mais en ne leur octroyant pas une telle possibilité lorsque la cession a lieu entre des organismes d'assurance espagnols, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles:
- 12, paragraphe 6, de la directive 92-49-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73-239-CEE et 88-357-CEE (troisième directive "assurance non-vie") (JO L 228, p. 1), et
- 14, paragraphe 5, de la directive 2002-83-CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 novembre 2002, concernant l'assurance directe sur la vie (JO L 345, p. 1).
2 Le Royaume d'Espagne conclut au rejet du recours et à la condamnation de la Commission aux dépens.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 Les directives 92-49 et 2002-83 mettent en place un régime d'autorisation et de contrôle prudentiel uniques des entreprises d'assurance au sein de la Communauté européenne. En vertu du principe de l'autorisation unique, toute entreprise qui a reçu l'agrément dans l'État membre où se trouve son siège social (l'État membre d'origine) est habilitée à exercer ses activités dans les autres États membres.
4 Le premier considérant de la directive 92-49, repris, en substance, au troisième considérant de la directive 2002-83, énonce:
"considérant qu'il est nécessaire d'achever le marché intérieur dans le secteur de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, sous le double aspect de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services, afin de faciliter aux entreprises d'assurance ayant leur siège social dans la Communauté la couverture des risques situés à l'intérieur de la Communauté".
5 Les articles 1er, sous c), de la directive 92-49 et, dans des termes presque similaires, 1er, sous e), de la directive 2002-83 disposent:
"Aux fins de la présente directive, on entend par:
[...]
c) 'État membre d'origine': l'État membre dans lequel est situé le siège social de l'entreprise d'assurance qui couvre le risque".
6 Aux termes des articles 12, paragraphe 2, de la directive 92-49 et 14, paragraphe 1, de la directive 2002-83, qui ont la même formulation et qui figurent sous le titre III de celles-ci, intitulé respectivement "Harmonisation des conditions d'exercice" et "Conditions régissant l'activité d'assurance":
"Dans les conditions prévues par le droit national, chaque État membre autorise les entreprises d'assurance dont le siège social est situé sur son territoire à transférer tout ou partie de leur portefeuille, qu'il ait été souscrit en régime d'établissement ou en régime de libre prestation de services, à un cessionnaire établi dans la Communauté, [...]"
7 Les articles 12, paragraphe 6, de la directive 92-49 et 14, paragraphe 5, de la directive 2002-83, dont le libellé est en substance identique, prévoient:
"Le transfert autorisé conformément au présent article fait l'objet, dans l'État membre où le risque est situé, d'une mesure de publicité dans les conditions prévues par le droit national. Ce transfert est opposable de plein droit aux preneurs d'assurance, aux assurés, ainsi qu'à toute autre personne ayant des droits ou obligations découlant des contrats transférés.
Cette disposition n'affecte pas le droit des États membres de prévoir la faculté pour les preneurs d'assurance de résilier le contrat dans un délai déterminé à partir du transfert."
La réglementation nationale
8 Les directives concernant l'assurance directe sur la vie et l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie ont été transposées dans l'ordre juridique espagnol par la loi 30-1995, concernant l'organisation et la supervision des assurances privées (Ley de Ordenación y Supervisión de los Seguros Privados), du 8 novembre 1995, (BOE n° 268, du 9 novembre 1995, p. 32480, ci-après la "loi 30-1995") et par le règlement d'application de cette loi, approuvé par le décret royal 2486-1998, concernant l'organisation et la supervision des assurances privées (Reglamento de Ordenación y Supervisión de los Seguros Privados), du 20 novembre 1998, (BOE n° 282, du 25 novembre 1998, p. 38695, ci-après le "règlement d'application").
9 L'article 3 de la loi 30-1995 décrit le type d'opérations qui relèvent du champ d'application de cette loi comme suit:
"Sont soumises aux dispositions de la présente loi:
1. les activités d'assurance directe sur la vie, d'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et de réassurance;
[...]"
10 L'article 22 de la loi 30-1995 dispose:
"1. Les organismes d'assurance espagnols pourront se céder mutuellement l'ensemble des contrats d'assurance qui font partie de leur portefeuille dans une ou plusieurs des branches dans lesquelles ils opèrent, à l'exception des mutuelles et des coopératives à prime variable ainsi que des mutuelles de prévoyance sociale qui ne pourront acquérir que les portefeuilles d'organismes de leur catégorie. Cette cession générale de portefeuille d'une ou plusieurs branches sera conforme aux règles suivantes:
a) Elle ne pourra donner lieu à la résiliation des contrats d'assurance cédés pour autant que l'organisme d'assurance cessionnaire soit subrogé dans tous les droits et obligations qui incombent au cédant pour chacun des contrats, sauf s'il s'agit de mutuelles ou de coopératives à prime variable ou de mutuelles de prévoyance sociale.
[...]
2. Pourront également être admises les cessions partielles de portefeuille d'une branche dans les conditions déterminées par le règlement d'application, auquel cas les preneurs d'assurance pourront résilier les contrats d'assurance.
3. Lorsque le portefeuille à céder comporte des contrats souscrits en régime de droit d'établissement ou en régime de libre prestation de services, les dispositions de l'article 50 sont également applicables."
11 L'article 50 de la loi 30-1995 prévoit:
"1. La cession, par un organisme d'assurance espagnol, de contrats souscrits en régime de droit d'établissement ou en régime de libre prestation de services ou qui, à la suite de la cession, relèveront de l'un de ces régimes, à un cessionnaire domicilié dans l'Espace économique européen, y compris en Espagne, ou aux succursales du cessionnaire établis dans ledit Espace économique européen, devra être autorisée par l'autorité de supervision de l'État membre de l'engagement ou dans lequel le risque est situé, nécessitera une attestation délivrée par l'autorité de supervision de l'État membre d'origine du cessionnaire selon laquelle ce dernier, compte tenu de la cession, dispose de la marge de solvabilité nécessaire, et, pour les contrats souscrits en régime de droit d'établissement, impliquera une consultation de l'autorité de supervision de l'État membre de la succursale cédante.
[...]
3. Les preneurs d'assurance auront le droit de résilier les contrats affectés par la cession de portefeuille régie par les présentes dispositions et, pour le reste, ladite cession sera soumise aux dispositions de l'article 22 de la présente loi."
12 Aux termes de l'article 79, paragraphe 1, de ladite loi:
"Le ministère de l'Économie et des Finances devra autoriser la cession de portefeuille de contrats d'assurance d'un organisme d'assurance domicilié dans un autre État membre de l'Espace économique européen lorsque l'Espagne est l'État membre de l'engagement ou l'État membre dans lequel le risque est situé. Il devra également être consulté lorsque le cédant est une succursale établie en Espagne d'un organisme d'assurance domicilié dans un autre État membre de l'Espace économique européen."
13 L'article 70, paragraphe 7, du règlement d'application est libellé comme suit:
"Dans les cas où, conformément à l'article 22 de la loi [30-1995], les preneurs d'assurance peuvent résilier les contrats, ce droit devra leur être notifié individuellement. [...] [le droit de résiliation] s'accompagnera du droit au remboursement de la partie de la prime non consommée."
14 L'article 129, paragraphe 3, du règlement d'application énonce:
"Lorsque l'Espagne est l'État membre de l'engagement ou l'État membre dans lequel le risque est situé, l'organisme cédant est tenu de notifier individuellement aux preneurs d'assurance le droit de résilier les contrats souscrits en régime de droit d'établissement ou de libre prestation de services qui sont affectés par la cession ou qui, à la suite de la cession, entrent dans l'un de ces régimes, ainsi que du droit au remboursement de la partie de la prime non consommée. [...] le droit de résiliation des contrats peut être exercé dans un délai d'un mois à compter de la publication."
La procédure précontentieuse
15 Dans le cadre de la présente procédure en manquement, la Commission a adressé, le 23 octobre 2002, une lettre de mise en demeure au Royaume d'Espagne. Le 22 décembre 2002, les autorités espagnoles ont répondu à cette lettre, en soutenant que la législation nationale en cause est conforme au droit communautaire, car la faculté de résiliation des contrats d'assurance est reconnue également pour certains transferts opérés entre des organismes d'assurance espagnols et la différence de traitement entre ces derniers et les organismes d'assurance domiciliés dans un autre État membre est nécessaire pour protéger les intérêts des consommateurs.
16 N'étant pas satisfaite de ces explications, la Commission a, le 19 décembre 2003, adressé au Royaume d'Espagne un avis motivé l'invitant à adopter les mesures nécessaires afin de se conformer à celui-ci dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
17 Le 3 février 2004, en réponse audit avis motivé, le Royaume d'Espagne a transmis à la Commission un rapport établi par le ministère de l'Économie, dans lequel est réitérée l'argumentation contenue dans la lettre du 22 décembre 2002. Estimant que ces explications n'étaient pas satisfaisantes, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
18 La lettre de mise en demeure et l'avis motivé visent les directives 92-49 et 92-96-CEE du Conseil, du 10 novembre 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe sur la vie, et modifiant les directives 79-267-CEE et 90-619-CEE (troisième directive "assurance vie") (JO L 360, p. 1), qui étaient en vigueur lors de la procédure précontentieuse. Cette dernière directive ayant été abrogée par la directive 2002-83, qui a repris à l'identique ses dispositions portant sur le transfert de portefeuille et qui ne prévoit pas de délai pour sa transposition s'agissant de ces dispositions, la requête de la Commission vise les directives 92-49 et 2002-83.
Sur le recours
19 Dans les conclusions de sa requête, la Commission fonde son recours sur la non-conformité du régime espagnol du transfert de portefeuille aux exigences découlant des articles 12, paragraphe 6, de la directive 92-49 et 14, paragraphe 5, de la directive 2002-83.
Sur la recevabilité
20 Dans son mémoire en duplique, le Royaume d'Espagne soulève une exception d'irrecevabilité tirée tant de l'imprécision quant à la réglementation communautaire violée que du fait que, dans sa requête, la Commission a modifié l'argumentation qu'elle avait utilisée au cours de la procédure précontentieuse. Ledit État membre estime que la lettre de mise en demeure ainsi que l'avis motivé concluent qu'il a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des troisièmes directives sur l'assurance directe sur la vie et sur l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, même si elle le fait de manière incidente, la requête allègue expressément et pour la première fois une violation des articles 43 CE et 49 CE.
21 Tout d'abord, il y a lieu d'écarter l'argument selon lequel la Commission n'a pas précisé la réglementation communautaire violée. En effet, le Royaume d'Espagne en se référant aux dispositions des directives en cause pour invoquer l'exception d'irrecevabilité en ce qui concerne les articles 43 CE et 49 CE, admet indirectement que les réglementations communautaires dont la violation est alléguée sont par conséquent bien précisées.
22 Ensuite, s'agissant de l'argument selon lequel la Commission a modifié son argumentation, il convient de relever que les conclusions de la Commission, tant au cours de la procédure précontentieuse que dans le recours qu'elle a introduit devant la Cour, et telles que précisées au point 18 du présent arrêt, visent à faire constater que le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12, paragraphe 6, de la directive 92-49 et 14, paragraphe 5, de la directive 2002-83. Toutefois, l'argumentation développée dans sa requête par ladite institution tendait également à démontrer que le régime national de cession de portefeuille affecte les libertés découlant du traité CE, notamment la liberté d'établissement et la libre prestation de services.
23 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu des articles 21 du statut de la Cour de justice et 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, il incombe à la Commission d'indiquer, dans les conclusions de la requête déposée au titre de l'article 226 CE, les griefs précis sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer (voir arrêts du 13 décembre 1990, Commission/Grèce, C-347-88, Rec. p. I-4747, point 28, et du 31 mars 1992, Commission/Danemark, C-52-90, Rec. p. I-2187, point 17). Ces conclusions doivent être formulées de manière non équivoque afin d'éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n'omette de statuer sur un grief (voir arrêts du 14 décembre 1962, Meroni/Haute Autorité, 46-59 et 47-59, Rec. p. 783, 801; du 20 novembre 2003, Commission/France, C-296-01, Rec. p. I-13909, point 121; du 15 juin 2006, Commission/France, C-255-04, Rec. p. I-5251, point 24, et du 26 avril 2007, Commission/Finlande, C-195-04, non encore publié au Recueil, point 22).
24 En outre, selon une jurisprudence constante, la lettre de mise en demeure a pour but de circonscrire l'objet du litige et d'indiquer à l'État membre concerné les éléments nécessaires à la préparation de sa défense (voir, notamment, arrêts du 17 septembre 1996, Commission/Italie, C-289-94, Rec. p. I-4405, point 15, et du 16 septembre 1997, Commission/Italie, C-279-94, Rec. p. I-4743, point 14). La Cour considère que la possibilité pour l'État membre de présenter ses observations constitue une garantie essentielle et que sa mise en œuvre est une forme substantielle de la régularité d'une procédure en manquement (voir, notamment, arrêts du 8 février 1983, Commission/Royaume-Uni, 124-81, Rec. p. 203, point 6; 9 novembre 1999, Commission/Italie, C-365-97, Rec. p. I-7773, point 23, et du 5 octobre 2006, Commission/Allemagne, C-105-02, Rec. p. I-9659, point 47).
25 Ainsi, le recours doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que l'avis motivé (voir, notamment, arrêt du 20 juin 2002, Commission/Allemagne, C-287-00, Rec. p. I-5811, point 18). En d'autres termes, l'objet du litige ne saurait être modifié au stade de la requête introductive d'instance.
26 En l'espèce, tant dans l'avis motivé que dans les conclusions de la requête, le grief de la Commission est uniquement fondé sur le manquement du Royaume d'Espagne à ses obligations, telles que précisées au point 18 du présent arrêt, découlant des articles 12, paragraphe 6, de la directive 92-49 et 14, paragraphe 5, de la directive 2002-83.
27 Quand bien même la violation des articles 43 CE et 49 CE pourrait être comprise comme constituant un grief exprimé par la Commission dans les motifs de sa requête, ce dernier serait irrecevable (voir, en ce sens, arrêts du 20 novembre 2003, Commission/France, C-296-01, Rec. p. I-13909, points 119 à 122, et du 15 juin 2006, Commission/France, C-255-04, Rec. 2006 p. I-5251, points 25 et 26).
28 L'argument selon lequel la Commission a modifié son argumentation doit donc être rejeté. Au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter l'exception d'irrecevabilité.
Sur le fond
Argumentation des parties
29 La Commission soutient que, en ce qui concerne la faculté de résiliation des contrats d'assurance, la législation espagnole est discriminatoire dans la mesure où les entreprises d'assurance espagnoles reçoivent un traitement plus favorable que celui dont bénéficient les entreprises domiciliées dans d'autres États membres.
30 En effet, il découlerait de l'article 22 de la loi 30-1995 que, lorsque la cession de portefeuille a lieu entre deux entreprises d'assurance espagnoles, les preneurs d'assurance n'auraient la faculté de résilier le contrat que lorsqu'il s'agit d'une cession partielle du portefeuille ou d'une cession entre mutuelles ou coopératives à prime variable ou encore entre mutuelles de prévoyance sociale. En revanche, en vertu de l'article 50, paragraphe 3, de cette loi, les preneurs d'assurance auraient la faculté de résilier les contrats lorsque la cession a lieu entre un cédant espagnol et un cessionnaire domicilié dans un État membre autre que le Royaume d'Espagne et que ce dernier est l'État d'engagement ou l'État dans lequel le risque est situé.
31 En effet, lorsque les cessions sont réalisées par des organismes d'assurance domiciliés dans des États membres autres que le Royaume d'Espagne, ou concernent des contrats relatifs à des risques situés en Espagne ou pour lesquels le Royaume d'Espagne est l'État membre d'engagement, une lecture combinée des articles 79, paragraphe 1, de ladite loi et 129, paragraphe 3, du règlement d'application démontre, selon la Commission, que la faculté de résiliation est également accordée.
32 La Commission considère que la différence de traitement n'est pas justifiée par des raisons liées à la protection des consommateurs. S'il est vrai que les États membres peuvent considérer légitimement que, pour protéger les intérêts des consommateurs dans le cas d'une cession de portefeuille, il convient d'accorder aux preneurs d'assurance la faculté de résilier les contrats souscrits par ces derniers, un État membre ne pourrait cependant pas décider de ne pas accorder cette faculté dans le cas de cession entre des entreprises d'assurance domiciliées sur son territoire et, de manière concomitante, invoquer la protection des consommateurs pour justifier l'octroi de cette faculté dans le cas de transactions impliquant un élément transfrontalier. La Commission souligne également que l'harmonisation visée par les directives 92-49 et 2002-83 garantit aux consommateurs une protection suffisante dans tous les États membres.
33 Le Royaume d'Espagne soutient que sa législation n'est pas discriminatoire. Selon lui, les dispositions en cause des directives 92-49 et 2002-83 ne prévoiraient la faculté de résiliation qu'en cas de cession de portefeuille de contrats d'assurance qui ont été souscrits sous le régime du droit d'établissement ou de la libre prestation de services. Ainsi, selon cet État membre, la législation communautaire ne régit pas la "cession interne" de portefeuille. Puisque les articles 12, paragraphe 6, de la directive 92-49 et 14, paragraphe 5, de la directive 2002-83 se réfèrent au "transfert autorisé conformément au présent article", ils permettraient de réserver aux cessions non visées par ces dispositions un traitement différent de celui accordé aux cessions qui entrent dans le champ d'application de ces dispositions.
34 Selon ledit État membre, l'existence ou non de la faculté de résiliation dépend de la nature du contrat. Ainsi, une telle faculté serait accordée lorsqu'une circonstance précise exige une protection spéciale du preneur d'assurance, soit parce que la cession ne porte pas sur une branche complète, mais constitue une cession partielle, soit parce qu'il existe une relation particulière entre ce preneur et l'assureur, lorsque ce dernier est une mutuelle à prime variable ou une mutuelle de prévoyance sociale. Ainsi, la nécessité de protéger les consommateurs, en l'occurrence des preneurs d'assurance, impliquerait l'existence de la faculté de résiliation.
Appréciation de la Cour
35 Conformément au premier considérant de la directive 92-49, celle-ci a pour but d'achever le marché intérieur dans le secteur de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, sous le double aspect de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services, afin de faciliter aux entreprises d'assurance ayant leur siège social dans la Communauté, la couverture des risques situés à l'intérieur de cette dernière (voir, arrêt du 25 février 2003, Commission/Italie, C-59-01, Rec. p. I-1759, point 25).
36 Selon son troisième considérant, la directive 2002-83 poursuit ce même objectif dans le secteur de l'assurance directe sur la vie.
37 Il ressort desdits considérants que le législateur communautaire a entendu mettre en place un cadre pour la libre commercialisation dans la Communauté des services d'assurance directe. Dans ce cadre, selon les onzième et trente et unième considérants respectivement des directives 92-49 et 2002-83, les dispositions portant sur le transfert de portefeuille doivent être en conformité avec le régime juridique de l'agrément unique introduit par ces directives.
38 Les articles 12 de la directive 92-49 et 14 de la directive 2002-83 traitent du transfert de portefeuille et renvoient aux conditions prévues par le droit national pour les modalités d'autorisation d'un tel transfert.
39 Plus précisément, aux termes des articles 12, paragraphe 6, de la directive 92-49 et 14, paragraphe 5, de la directive 2002-83, dans le cadre d'un transfert de portefeuille autorisé, ayant fait l'objet d'une mesure de publicité dans les conditions prévues par le droit national et opposable de plein droit aux preneurs d'assurance, le droit des États membres de prévoir la faculté pour ces preneurs de résilier le contrat dans un délai déterminé à partir du transfert n'est pas mis en cause.
40 Force est de constater que lesdites dispositions ne prévoient pas d'obligation spécifique quant aux modalités de mise en œuvre d'une telle faculté. Elles ne font que préciser le maintien du droit des États membres de prévoir une telle faculté dans le cadre du transfert de portefeuille.
41 Au demeurant, ainsi que le fait valoir à bon droit le Royaume d'Espagne, les articles 12, paragraphe 6, de la directive 92-49 et 14, paragraphe 5, de la directive 2002-83 ne prévoient la faculté de résiliation que pour les cas d'un transfert de portefeuille souscrit en régime de droit d'établissement ou de libre prestation de services. Ces directives ne portent pas sur la faculté de résiliation dans le cadre d'un "transfert interne" de portefeuille.
42 Dans ces conditions, en instituant, par la loi 30-1995 et le règlement d'application, la faculté pour les preneurs d'assurance de résilier le contrat d'assurance en cas de transfert de portefeuille, lorsque celui-ci a été souscrit en régime de droit d'établissement ou de libre prestation de services, le Royaume d'Espagne s'est borné à mettre en œuvre, comme il y était habilité, des droits qui lui sont reconnus par les directives 92-49 et 2002-83.
43 Par conséquent, les griefs invoqués par la Commission, tirés de la violation des articles 12, paragraphe 6, de la directive 92-49 et 14, paragraphe 5, de la directive 2002-83, ne sauraient être accueillis. Partant, le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
44 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Royaume d'Espagne ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre),
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.