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Décisions

TPICE, 3e ch. élargie, 24 octobre 2000, n° T-178/98

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fresh Marine Company (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Juges :

MM. Azizi, Moura Ramos, Jaeger, Mengozzi

TPICE n° T-178/98

24 octobre 2000

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

Cadre juridique et factuel du litige

1. La requérante est une société de droit norvégien créée en 1992 et spécialisée dans le commerce du saumon atlantique d'élevage.

2. À la suite de plaintes déposées en juillet 1996 par la Scottish Salmon Growers' Association Ltd et par la Shetland Salmon Farmers' Association au nom de leurs membres, la Commission a annoncé le 31 août 1996, par deux avis distincts publiés au Journal officiel des Communautés européennes, l'ouverture d'une procédure antidumping et d'une procédure antisubventions concernant les importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO C 253, p. 18 et 20).

3. La Commission a recherché et vérifié toutes les informations jugées nécessaires aux fins de ses conclusions définitives. À la suite de cet examen, elle a conclu à la nécessité d'instituer des mesures antidumping et des mesures compensatoires définitives afin d'éliminer les effets préjudiciables des pratiques de dumping et des subventions dénoncées.

4. Le 17 juin 1997, la requérante, informée des conclusions de la Commission, a fait à celle-ci une proposition d'engagement, conformément à l'article 8 du règlement (CE) n° 384-96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), et à l'article 10 du règlement (CE) n° 3284-94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 349, p. 22). Elle s'est notamment engagée à ce que le prix moyen, par trimestre, de ses exportations de saumons atlantiques d'élevage éviscérés avec tête ne soit pas inférieur à 3,25 écus/kg et à ce que le prix de chaque transaction individuelle ne soit pas inférieur à 85 % du prix moyen minimal susvisé, sauf circonstances exceptionnelles et à concurrence de 2 % au maximum du total de ses exportations vers la Communauté réalisées pendant le trimestre concerné. Elle a, en outre, pris l'engagement de notifier chaque trimestre à la Commission, conformément aux spécifications techniques requises, toutes ses ventes de saumons atlantiques d'élevage à ses clients indépendants dans la Communauté.

5. Par sa décision 97-634-CE, du 26 septembre 1997, portant acceptation des engagements offerts dans le cadre de la procédure antidumping et de la procédure antisubventions concernant les importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO L 267, p. 81), la Commission a accepté les engagements présentés par une série d'exportateurs norvégiens de ces produits, dont celui de la requérante. À l'égard de ces exportateurs, les enquêtes antidumping et antisubventions ont été closes. L'engagement de la requérante est entré en vigueur le 1er juillet 1997.

6. Le même jour, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1890-97, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO L 267, p. 1), et le règlement (CE) n° 1891-97, instituant un droit compensateur définitif sur les importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO L 267, p. 19). Conformément à l'article 1er, paragraphe 2, de ces deux règlements, les importations, dans la Communauté, de saumons atlantiques d'élevage en provenance de Norvège produits par la requérante ont été exonérées de ces droits, du fait que son engagement avait été accepté par la Commission.

7. Le 22 octobre 1997, la requérante a adressé à la Commission un rapport recensant l'ensemble de ses exportations de saumons atlantiques d'élevage dans la Communauté au cours du troisième trimestre de l'année 1997 (ci-après le "rapport d'octobre 1997").

8. Le 16 décembre 1997, la Commission a adopté, sur la base du règlement n° 384-96 et du règlement (CE) n° 2026-97 du Conseil, du 6 octobre 1997, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 288, p. 1), le règlement (CE) n° 2529-97, instituant des droits antidumping et compensateurs provisoires sur certaines importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO L 346, p. 63). En vertu de celui-ci, les importations, dans la Communauté, de saumons atlantiques d'élevage en provenance de Norvège produits par la requérante ont été frappées d'un droit antidumping provisoire de 0,32 écu/kg et d'un droit compensateur provisoire de 3,8 % (articles 1er et 2), et le nom de celle-ci a été supprimé dans l'annexe de la décision 97-634 citant les sociétés dont l'engagement avait été accepté (article 5). Ce règlement est entré en vigueur le 18 décembre 1997. Sa période d'application était fixée à quatre mois (article 6). Les parties concernées étaient invitées à faire connaître leurs observations par écrit et pouvaient demander à être entendues par la Commission dans le mois suivant l'entrée en vigueur du règlement, soit au plus tard le 17 janvier 1998 (article 4).

9. Par lettre du 19 décembre 1997, la Commission a informé la requérante des faits et considérations essentiels sur la base desquels des droits provisoires avaient été institués sur les importations des produits de celle-ci dans la Communauté. Elle lui a expliqué que l'analyse du rapport d'octobre 1997 avait fait apparaître un prix moyen à l'exportation du saumon éviscéré avec tête de 3,22 écus/kg, soit un prix inférieur au prix moyen minimal fixé dans l'engagement du 17 juin 1997, ce qui l'avait amenée à croire au non-respect de celui-ci. À cette lettre était jointe une copie des données sur la base desquelles la Commission était parvenue à cette conclusion.

10. Par télécopie du 22 décembre 1997, la requérante a reproché à la Commission d'avoir dénaturé son rapport d'octobre 1997 en supprimant une série de lignes qui visaient à annuler des lignes erronées. Indiquant qu'elle avait cessé toute exportation vers la Communauté depuis l'entrée en vigueur du règlement n° 2529-97, ce qui lui causait un tort considérable, elle a demandé la levée immédiate des sanctions prises contre elle.

11. Par lettre du 5 janvier 1998, la Commission a rejeté les accusations de la requérante. Elle lui a expliqué qu'elle avait décidé de supprimer une série de lignes du rapport d'octobre 1997 au motif que celles-ci comportaient des données précédées d'un signe négatif qui, à défaut d'explications dans le rapport, n'avaient pas pu être mises en relation avec les factures correspondantes. Elle a ajouté que, si la requérante lui adressait en temps utile un rapport correct montrant que toutes ses ventes, nettes de lignes de crédit, avaient été réalisées, au cours du troisième trimestre de l'année 1997, à un prix moyen supérieur au prix minimal, elle serait disposée à reconsidérer sa position. Elle a également mis l'accent sur le caractère provisoire des droits institués par le règlement n° 2529-97 et indiqué à la requérante que celle-ci aurait pu poursuivre ses exportations vers la Communauté en fournissant, pour ses ventes effectuées selon le système "DDP" ("Delivered Duty Paid", rendu droits acquittés), une garantie appropriée aux autorités douanières des États membres concernés.

12. Le 6 janvier 1998, la requérante a adressé à la Commission une version révisée de son rapport d'octobre 1997.

13. Par lettre du 7 janvier 1998, elle a apporté, à la demande de la Commission, des précisions complémentaires relatives à certaines lignes de la version initiale du rapport d'octobre 1997, qui contenaient des valeurs négatives.

14. Le 8 janvier 1998, la Commission a adressé à la requérante la version révisée de ce rapport, modifiée à la suite des explications fournies la veille par cette dernière. La requérante a été invitée à faire savoir par écrit à la Commission si elle souscrivait au contenu de cette nouvelle version.

15. Par télécopie du 9 janvier 1998, la requérante a fait part à la Commission de son accord sur le contenu de cette nouvelle version révisée du rapport d'octobre 1997. Soulignant qu'elle n'avait pas d'observations complémentaires à formuler à ce sujet et faisant état de pertes commerciales considérables, elle a insisté pour que sa situation soit réglée et les droits provisoires supprimés avant l'expiration du délai imparti par le règlement n° 2529-97 aux parties intéressées pour faire valoir leur point de vue.

16. Le même jour, le conseil de la requérante a formulé la même demande auprès de la Commission, au motif qu'il apparaissait désormais que sa cliente n'avait pas violé son engagement et n'avait pas de commentaires additionnels à faire valoir.

17. Par télécopie du 12 janvier 1998, le conseil de la requérante a réitéré sa demande.

18. Les 26 et 27 janvier 1998, des agents de la Commission ont procédé à des vérifications au siège de la requérante.

19. Par lettre du 30 janvier 1998, la Commission a fait savoir à la requérante qu'elle considérait désormais que cette dernière avait respecté, pendant le troisième trimestre de l'année 1997, le prix moyen minimal à l'exportation fixé dans son engagement pour le saumon éviscéré avec tête et que, dès lors, elle n'avait plus de raisons de croire à une violation dudit engagement.

20. Par lettre du 2 février 1998, la Commission a informé la requérante qu'elle avait l'intention de proposer au Conseil de ne pas imposer de droits définitifs et que, dès lors, les droits provisoires institués par le règlement n° 2529-97 ne devraient pas être confirmés. Elle a ajouté que, conformément à l'article 10, paragraphe 2, du règlement n° 384-96, les montants déposés au titre de ces droits provisoires seraient libérés pour autant que le Conseil ne décide pas de les percevoir définitivement en tout ou partie.

21. Le 23 mars 1998, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 651-98, modifiant les règlements nos 1890-97, 1891-97 et 2529-97 et la décision 97-634 (JO L 88, p. 31). En vertu du règlement n° 651-98, les droits antidumping et compensateurs provisoires fixés par le règlement n° 2529-97 ont été abrogés, pour autant qu'ils concernaient les importations des produits de la requérante (article 1er, paragraphe 1). L'engagement de celle-ci a par ailleurs été remis en vigueur à compter du 25 mars 1998 (articles 2 et 4).

Procédure

22. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 octobre 1998, la requérante a introduit le présent recours.

23. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale, après avoir pris des mesures d'organisation de la procédure invitant les parties à répondre à des questions écrites.

24. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal, lors de l'audience publique du 10 mai 2000.

Conclusions des parties

25. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- condamner la Commission à l'indemniser des préjudices subis à la suite de l'adoption des mesures provisoires visées par le règlement n° 2529-97, pour un montant total de 2 115 000 couronnes norvégiennes (NOK);

- condamner la Commission aux dépens.

26. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

27. Sans soulever formellement une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la Commission soutient que le recours est irrecevable. Elle invoque trois moyens à l'appui de sa thèse. Le premier moyen est fondé sur la violation de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Dans le cadre du deuxième moyen, la Commission fait valoir que la requérante n'est pas recevable à réclamer la réparation d'un préjudice prétendument causé par un acte normatif. Sous le couvert du troisième moyen, elle se prévaut du fait que la requérante n'a pas poursuivi en temps utile l'annulation du règlement n° 2529-97.

Sur le premier moyen, fondé sur la violation de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure

Arguments des parties

28. La Commission soutient que la demande d'indemnisation n'est pas suffisamment étayée, de sorte que la requête ne remplit pas les conditions de forme prescrites par l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Elle invoque trois éléments à l'appui de ce moyen. En premier lieu, la requête ne permettrait pas d'identifier les conditions nécessaires à l'établissement de la responsabilité extracontractuelle de la Commission. En deuxième lieu, s'agissant du lien de causalité, la requérante se bornerait à affirmer, sans le justifier, que, entre le 18 décembre 1997 et le 25 mars 1998, elle n'a pu vendre aucun saumon sur le marché communautaire. En troisième lieu, en ce qui concerne l'étendue du préjudice allégué, la requérante n'avancerait pas d'éléments prouvant qu'elle a cherché à obtenir une garantie bancaire destinée à couvrir ses droits provisoires, en vue de limiter son manque à gagner. Quant aux frais liés au rétablissement de sa position sur le marché communautaire, ils seraient purement hypothétiques.

29. La requérante soutient que sa requête satisfait aux exigences formelles fixées par le règlement de procédure. Elle rejette, en particulier, l'argumentation de la Commission selon laquelle le certificat de la société d'audit joint en annexe 6 à la requête ne prouve pas le lien de causalité entre l'institution des mesures provisoires et son préjudice commercial.

Appréciation du Tribunal

30. Selon l'article 19 du statut CE de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 46, premier alinéa, du même statut, et l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit, notamment, indiquer l'objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Pour satisfaire à ces exigences, une requête qui, comme en l'espèce, vise à la réparation de dommages prétendument causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d'identifier le comportement reproché par le requérant à l'institution, les raisons pour lesquelles celui-ci estime qu'un lien de causalité existe entre le comportement en question et le préjudice qu'il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice (arrêts du Tribunal du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T-113-96, Rec. p. II-125, point 30; du 29 octobre 1998,TEAM/Commission, T-13-96, Rec. p. II-4073, point 27, et du 24 février 2000, ADT/Commission, T-145-98, non encore publié au Recueil, point 74).

31. En l'espèce, il ressort de manière suffisamment explicite de la requête que le comportement reproché à la Commission tient à un manquement de celle-ci à ses devoirs de diligence et de bonne administration, ainsi qu'à une violation des droits de la défense de la requérante, au cours de la procédure de vérification du respect, par cette dernière, de son engagement, particulièrement lors de l'analyse du rapport d'octobre 1997. Au terme de cette analyse, la Commission aurait conclu à une violation, par la requérante, dudit engagement et aurait, par le biais du règlement n° 2529-97, révoqué provisoirement celui-ci et institué des droits provisoires sur les importations des produits de cette dernière dans la Communauté. Du fait de l'application de ces mesures provisoires, la requérante aurait été dans l'impossibilité d'exporter vers la Communauté entre le 18 décembre 1997 et le 25 mars 1998. Cette impossibilité aurait entraîné pour la requérante un manque à gagner estimé à 1 115 000 NOK et des frais, évalués à 1 000 000 NOK, liés au rétablissement de sa position sur le marché communautaire.

32. Il s'ensuit que les exigences posées par les dispositions de l'article 19 du statut de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal sont remplies en l'espèce.

33. Les arguments de la Commission concernant l'existence et l'étendue du préjudice allégué par la requérante ainsi que le lien de causalité entre ce préjudice et l'institution des mesures provisoires relèvent, pour leur part, de l'appréciation du bien-fondé du recours et devront, par conséquent, être examinés dans le cadre de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission, T-184-95, Rec. p. II-667, point 23).

34. Le premier moyen doit, en conséquence, être écarté.

Sur le deuxième moyen, tiré du caractère normatif de l'acte prétendument à l'origine du préjudice allégué par la requérante

Arguments des parties

35. La Commission fait valoir que le manque de diligence dont elle a prétendument fait preuve lors du contrôle du respect, par la requérante, de son engagement n'est pas, en tant que tel, de nature à avoir porté préjudice à celle-ci. Le préjudice invoqué par la requérante n'aurait pris naissance que le 18 décembre 1997, date de l'entrée en vigueur du règlement n° 2529-97, lequel serait un acte normatif (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1995, Nölle/Conseil et Commission, T-167-94, Rec. p. II-2589, point 51). Soulignant que toute législation requiert des actes administratifs préparatoires, la Commission affirme que la requérante ne saurait chercher à éluder les critères de responsabilité du fait d'un acte normatif en prétextant que la responsabilité de la Communauté découle en l'espèce des actes administratifs préparatoires relatifs au règlement susvisé. Une telle argumentation aurait précisément été rejetée par le Tribunal dans l'arrêt Nölle/Conseil et Commission, précité (point 52). La Commission conclut que le caractère normatif de l'acte prétendument à l'origine du préjudice allégué par la requérante doit conduire à juger le recours irrecevable.

36. Dans sa duplique, elle souligne que la requérante n'identifie pas, dans sa réplique, les actes administratifs qui lui auraient prétendument porté préjudice. Rejetant la distinction opérée dans la réplique entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à l'arrêt Nölle/Conseil et Commission, cité au point 35 ci-dessus, elle affirme, d'une part, que le caractère normatif d'une mesure antidumping ou antisubventions n'est pas tributaire de l'adoption de cette mesure par le Conseil et, d'autre part, que le fait que la requérante soit un exportateur, et non un importateur, et qu'elle puisse être, à ce titre, individuellement concernée, au sens de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), par le règlement n° 2529-97 au motif que ce dernier s'apparenterait, à son égard, à une décision, ne saurait modifier la nature normative de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 novembre 1989, Epicheiriseon Metalleftikon Viomichanikon kai Naftiliakon e.a./Commission et Conseil, C-122-86, Rec. p. 3959, publication sommaire).

37. La requérante fait d'abord valoir que l'origine de son préjudice ne réside pas dans le règlement n° 2529-97, mais dans une série d'actes administratifs de la Commission ayant débouché sur l'institution des mesures provisoires. Elle souligne que les circonstances de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Nölle/Conseil et Commission (cité au point 35 ci-dessus), invoqué par la Commission, présentaient avec celles de l'espèce deux différences essentielles, tenant, d'une part, au fait que les mesures prétendument à l'origine du préjudice allégué avaient été adoptées par le Conseil et, d'autre part, à la qualité d'importateur du requérant. Elle ajoute que les arrêts dans lesquels la Cour a considéré que les mesures du Conseil et de la Commission relatives à des procédures antidumping constituaient des actes normatifs ont tous été rendus sur des recours en indemnité introduits par des importateurs. Or, la situation de l'exportateur au regard d'une mesure antidumping différerait sensiblement de celle de l'importateur (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 mars 1979, NTN Toyo Bearing Company e.a./Conseil, 113-77, Rec. p. 1185, et conclusions de l'avocat général M. Warner sous cet arrêt, Rec. p. 1212, 1213, 1243, 1245 et 1246; également arrêt de la Cour du 21 février 1984, Allied Corporation e.a./Commission, 239-82 et 275-82, Rec. p. 1005).

Appréciation du Tribunal

38. Il convient de souligner que la nature - normative ou administrative - de l'acte reproché à une institution communautaire est sans incidence sur la recevabilité d'un recours en indemnité. Cet élément influe exclusivement, dans le cadre d'un tel recours, sur l'appréciation au fond, lorsqu'il s'agit de définir le critère de gravité de la faute à retenir lors de l'examen de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté (voir, notamment, arrêt de la Cour du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152-88, Rec. p. I-2477, point 25; arrêts du Tribunal Nölle/Conseil et Commission, cité au point 35 ci-dessus, points 51 et 52, et du 16 juillet 1998, Bergaderm et Goupil/Commission, T-199-96, Rec. p. II-2805, points 48 à 51, confirmé par l'arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352-98 P, non encore publié au Recueil).

39. Partant, sans qu'il soit nécessaire de s'interroger à ce stade sur la nature de l'acte de la Commission prétendument à l'origine du préjudice allégué par la requérante, il y a lieu de conclure que la nature de cet acte, quelle qu'elle puisse être, ne saurait, en toute hypothèse, faire obstacle à la recevabilité du présent recours en indemnité.

40. Le deuxième moyen doit donc être écarté.

Sur le troisième moyen, pris de l'absence de demande d'annulation du règlement n° 2529-97

Arguments des parties

41. La Commission soutient que la requérante n'a pas cherché à obtenir l'annulation du règlement n° 2529-97 alors qu'elle avait qualité pour l'attaquer sur la base de l'article 173 du traité (voir arrêts de la Cour Allied Corporation e.a./Commission, cité au point 37 ci-dessus, point 12, et du 14 mars 1990, Gestetner Holdings/Conseil et Commission, C-156-87, Rec. p. I-781). Or, le principe de sécurité juridique exigerait que, une fois le délai du recours en annulation expiré, les effets de l'acte concerné soient réputés définitifs. La Commission considère dès lors que, dans la mesure où, en l'espèce, la seule base possible du recours en indemnité introduit par la requérante réside dans l'illégalité du règlement n° 2529-97 (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 juillet 1990, Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, C-305-86 et C-160-87, Rec. p. I-2945, point 15), lequel n'a pas été contesté en temps utile, le présent recours est irrecevable. Elle estime qu'accueillir celui-ci reviendrait à permettre d'utiliser l'article 215 du traité CE (devenu article 288 CE) pour contourner le délai fixé par l'article 173 du traité.

42. Elle ajoute que la recevabilité d'un recours en indemnité doit être appréciée au regard de l'ensemble du système de protection juridictionnelle des particuliers instauré par le traité (arrêt de la Cour du 26 février 1986, Krohn/Commission, 175-84, Rec. p. 753, point 27). Par conséquent, dès lors que, en l'espèce, la requérante avait la possibilité d'introduire une action fondée sur l'article 173 du traité, son recours basé sur l'article 215 du traité, tendant, en réalité, à faire constater l'illégalité d'un acte dont elle n'a pas poursuivi l'annulation dans le délai prescrit, devrait être rejeté.

43. Dans sa duplique, la Commission rejette l'interprétation défendue par la requérante, dans sa réplique, à propos de l'ordonnance du Tribunal du 10 juillet 1996, Miwon/Commission (T-208-95, Rec. p. II-635) (voir point 44 ci-après). Elle souligne que, dans cette affaire, le Tribunal n'a pas déclaré irrecevable le recours en annulation introduit à l'encontre du règlement antidumping provisoire contesté, mais a considéré qu'il n'était plus nécessaire de statuer sur un tel recours au motif qu'un droit antidumping définitif avait été imposé par la suite.

44. La requérante, se fondant sur l'ordonnance Miwon/Commission (citée au point 43 ci-dessus, points 26 et 28), fait valoir qu'elle n'était pas en mesure d'attaquer le règlement n° 2529-97, eu égard au caractère provisoire de celui-ci. Elle critique par ailleurs l'interprétation de l'arrêt Krohn/Commission (cité au point 42 ci-dessus) faite par la Commission, en soulignant que la recevabilité d'un recours en indemnité ne saurait être subordonnée à l'épuisement des voies de recours nationales que si ces dernières assurent d'une manière efficace la protection des particuliers s'estimant lésés par les actes des institutions communautaires (arrêt de la Cour du 30 mai 1989, Roquette Frères/Commission, 20-88, Rec. p. 1553, point 15), ce qui ne serait pas le cas lorsque, comme en l'espèce, l'illégalité invoquée dans le recours en indemnité a été commise non par une autorité nationale, mais par une institution communautaire (arrêt Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus; arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481-93 et T-484-93, Rec. p. II-2941). Elle ajoute que la jurisprudence ne fait pas dépendre la recevabilité d'un recours en indemnité de l'introduction d'un recours en annulation. En conclusion, elle considère que son recours est recevable en application du principe de l'autonomie du recours fondé sur l'article 215 du traité, tel que ce principe a été énoncé dans l'arrêt Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus.

Appréciation du Tribunal

45. Selon une jurisprudence constante, l'action en indemnité fondée sur l'article 215, deuxième alinéa, du traité est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d'exercice conçues en vue de son objet spécifique (arrêts de la Cour du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schöppenstedt/Conseil, 5-71, Rec. p. 975, point 3; Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus, point 26, et du 17 mai 1990, Sonito e.a./Commission, C-87-89, Rec. p. I-1981, point 14). Elle se différencie du recours en annulation en ce qu'elle tend non à la suppression d'une mesure déterminée, mais à la réparation du préjudice causé par une institution (arrêts Zuckerfabrik Schöppenstedt/Conseil, précité, point 3; Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus, point 32, et Sonito e.a./Commission, précité, point 14). Le principe de l'autonomie du recours en indemnité trouve ainsi sa justification dans le fait qu'un tel recours se singularise par son objet du recours en annulation.

46. En l'espèce, l'objet d'un recours en annulation dirigé contre le règlement n° 2529-97 consisterait dans la suppression de la révocation provisoire de l'engagement de la requérante, dans l'abrogation des droits antidumping et compensateurs provisoires institués sur les importations de ses produits dans la Communauté et dans la libération des montants déposés, le cas échéant, au titre de ces droits provisoires. Or, par le présent recours en indemnité, la requérante ne poursuit aucune de ces fins. Elle vise à la réparation du préjudice commercial, correspondant au manque à gagner lié à la suspension de ses exportations vers la Communauté ainsi qu'au coût du rétablissement de sa position sur le marché communautaire, qu'elle affirme avoir subi du fait d'une faute de la Commission ayant conduit à l'institution de mesures provisoires contre les importations de ses produits par le biais du règlement n° 2529-97.

47. À supposer même que la requérante ait poursuivi, en temps utile, l'annulation de ce règlement et que cette action ait prospéré, un tel résultat ne lui aurait, en tout état de cause, pas permis d'obtenir réparation du préjudice commercial qu'elle allègue. L'obtention d'une telle réparation aurait requis, déjà à l'époque, l'introduction parallèle d'une demande en indemnité.

48. En outre, même à suivre la thèse de la Commission selon laquelle le règlement n° 2529-97 doit être regardé comme l'acte ayant donné naissance au préjudice allégué par la requérante, le recours en indemnité introduit par cette dernière ne saurait, en tout état de cause, être déclaré irrecevable au motif qu'elle n'a pas préalablement contesté, en temps utile, la validité de ce règlement.

49. En effet, s'il est vrai que la jurisprudence consacre, dans certaines limites bien précises, la possibilité de reconnaître, dans le cadre d'un recours en annulation, un intérêt à faire constater, en prévision d'une demande en indemnité ultérieure, la nullité d'un règlement instituant des droits provisoires (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 11 juillet 1990, Enital/Commission et Conseil, C-304-86 et C-185-87, Rec. p. I-2939, publication sommaire, et Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, cité au point 41 ci-dessus, point 15), il ne saurait toutefois être inféré de cette jurisprudence que l'exercice d'un recours en indemnité doit être subordonné à l'introduction préalable d'un recours en annulation contre l'acte prétendument à l'origine du préjudice allégué. Une partie peut en effet engager une action en responsabilité sans être astreinte par aucun texte à poursuivre l'annulation de l'acte illégal qui lui cause préjudice (ordonnance de la Cour du 26 octobre 1995, Pevasa et Inpesca/Commission, C-199-94 P et C-200-94 P, Rec. p. I-3709, point 27, et la jurisprudence citée).

50. Il convient encore d'ajouter que, certes, un recours en indemnité doit être déclaré irrecevable lorsqu'il tend, en réalité, au retrait d'un acte devenu définitif et qu'il aurait pour effet, s'il était accueilli, d'annihiler les effets juridiques de l'acte en question (voir arrêts du Tribunal du 15 mars 1995, Cobrecaf e.a./Commission, T-514-93, Rec. p. II-621, point 59; du 4 février 1998, Laga/Commission, T-93-95, Rec. p. II-195, point 48, et Landuyt/Commission, T-94-95, Rec. p. II-213, point 48),ce qui est, par exemple, le cas lorsqu'il vise au paiement d'une somme dont le montant correspond exactement à celui de droits qui ont été payés par le requérant en exécution de l'acte devenu définitif (voir arrêt Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus, point 33).

51. Toutefois, en l'espèce, l'action en indemnité de la requérante ne saurait, eu égard aux constatations faites au point 46 ci-dessus, être regardée comme visant au retrait du règlement n° 2529-97, devenu définitif, et à l'annihilation des effets juridiques de celui-ci, effets qui ont, au demeurant, été abrogés à l'égard de la requérante par le règlement n° 651-98 (voir point 21 ci-dessus). Compte tenu de ces mêmes constatations, elle ne saurait non plus être considérée comme tendant au paiement d'une somme correspondant au montant de droits provisoires perçus en application du règlement n° 2529-97. D'ailleurs, la requérante n'ayant pas exporté vers la Communauté pendant la période d'application des mesures instituées par ce règlement, elle n'a dû verser aucun droit provisoire, ce qui explique que l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 651-98, qui porte libération des montants déposés au titre du règlement n° 2529-97, ne la concerne pas. Le présent recours en indemnité vise à la réparation d'un préjudice commercial, distinct des effets juridiques propres du règlement n° 2529-97, qu'un recours en annulation introduit en temps utile par la requérante contre ledit règlement n'aurait, en tout état de cause, pas permis de compenser (voir ci-dessus point 47). Par conséquent, le présent recours ne saurait être considéré comme tendant à contourner l'irrecevabilité d'une demande visant à l'annulation du règlement n° 2529-97.

52. En conclusion, la finalité spécifique du présent recours en indemnité s'oppose, conformément au principe de l'autonomie du recours fondé sur l'article 215, deuxième alinéa, du traité, tel que précisé par la jurisprudence, à ce que ledit recours en indemnité soit déclaré irrecevable du fait de l'absence de contestation en temps utile par la requérante de la légalité du règlement n° 2529-97.

53. Le troisième moyen doit en conséquence être rejeté. Il y a donc lieu de déclarer le recours recevable.

Sur le fond

54. À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté suppose que la requérante prouve l'illégalité du comportement reproché à l'institution concernée, la réalité du dommage et l'existence d'un l