CJCE, 3e ch., 11 septembre 2008, n° C-11/07
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Eckelkamp (Consorts)
Défendeur :
Belgische Staat
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rosas
Avocat général :
M. Mazák
Juges :
MM.Cunha Rodrigues, Klucka, Ó Caoimh, Arabadjiev
Avocats :
Mes Coopman, Van Daele, Haelterman
LA COUR (troisième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 12 CE, 17 CE, 18 CE, 56 CE et 58 CE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant les héritiers d'une ressortissante allemande, Mme H. Eckelkamp, décédée en Allemagne, au FOD Financiën, Administratie van de BTW, registratie en domeinen (service public des Finances, Administration de la taxe sur la valeur ajoutée, de l'enregistrement et des domaines) au sujet du refus de ce dernier, lors du calcul des droits de mutation dus sur un bien immeuble que Mme Eckelkamp détenait en Belgique, de déduire les dettes afférentes à ce bien au motif qu'elle ne résidait pas sur le territoire belge au moment de son décès.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 Aux termes de l'article 1er de la directive 88-361-CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l'article 67 du traité [devenu article 67 du traité CE (abrogé par le traité d'Amsterdam)] (JO L 178, p. 5):
"1. Les États membres suppriment les restrictions aux mouvements de capitaux intervenant entre les personnes résidant dans les États membres, sans préjudice des dispositions figurant ci-après. Pour faciliter l'application de la présente directive, les mouvements de capitaux sont classés selon la nomenclature établie à l'annexe I.
2. Les transferts afférents aux mouvements de capitaux s'effectuent aux mêmes conditions de change que celles pratiquées pour les paiements relatifs aux transactions courantes."
4 Parmi les mouvements de capitaux énumérés à l'annexe I de la directive 88-361 figurent, à la rubrique XI, les "Mouvements de capitaux à caractère personnel", qui comprennent les successions et les legs.
La réglementation nationale
5 En Belgique, l'établissement du taux d'imposition, de la base d'imposition, des exonérations et des réductions en matière de droits de succession relève des compétences des régions.
6 L'article 1er du Code des droits de succession de la Région flamande (ci-après le "Code") dispose:
"Il est établi:
1° un droit de succession sur la valeur, déduction faite des dettes, de tout ce qui est recueilli dans la succession d'un habitant du Royaume;
2° un droit de mutation par décès sur la valeur des biens immeubles situés en Belgique recueillis dans la succession d'un non habitant du Royaume.
Est réputé habitant du Royaume celui qui, au moment de son décès, y a établi son domicile ou le siège de sa fortune."
7 Conformément à l'article 15 du Code, le droit de succession est dû sur l'universalité des biens, en quelque lieu qu'ils se trouvent, appartenant au défunt ou à l'absent, déduction faite des dettes.
8 L'article 18 du Code, relatif aux non-résidents, est libellé comme suit:
"Le droit de mutation par décès est dû sur l'universalité des immeubles situés en Belgique, appartenant au défunt ou à l'absent, et ce sans distraction des charges."
9 En vertu de l'article 29 du Code, pour être admise au passif, la dette doit encore exister le jour du décès, ce qui peut être prouvé par tous les moyens de droit admissibles pour un acte créancier et débiteur.
10 L'article 40 du Code prévoit que le délai pour le dépôt de la déclaration de succession est de cinq mois à compter de la date du décès, si celui-ci est survenu dans le Royaume de Belgique et de six mois si le décès est survenu dans un autre pays d'Europe.
11 Aux termes de l'article 41 du Code:
"Le délai pour le dépôt de la déclaration de succession peut être prolongé par le directeur général de l'enregistrement et des domaines.
La déclaration déposée au cours du délai fixé par la loi ou prolongé par le directeur général peut être rectifiée aussi longtemps que ce délai n'est pas expiré, à moins que les intéressés n'aient expressément renoncé à cette faculté dans une déclaration déposée dans sa forme légale."
12 À l'article 48, paragraphe 1, du Code, figurent des tableaux indiquant les tarifs applicables aux droits de succession et de mutation par décès. Le paragraphe 2, quatrième alinéa, de cet article est libellé comme suit:
"Les dettes et les frais funéraires sont déduits par priorité des biens meubles et des biens visés à l'article 60 bis, à moins que les déclarants prouvent qu'il s'agit de dettes spécialement contractées pour acquérir ou de conserver des biens immeubles."
13 Il n'existe pas de convention bilatérale entre le Royaume de Belgique et la République fédérale d'Allemagne en matière de prévention de la double imposition des droits de succession.
Le litige au principal et la question préjudicielle
14 Les requérants au principal sont les héritiers de Mme Eckelkamp, décédée à Düsseldorf (Allemagne), le 30 décembre 2003.
15 Le 13 novembre 2002, Mme Eckelkamp avait signé un document dans lequel elle reconnaissait qu'elle était redevable d'une dette envers l'un des requérants au principal, M. H. Eckelkamp. Dans un acte notarié du 5 juin 2003, elle a donné à ce dernier un mandat en vue d'hypothéquer un bien immeuble situé à Knokke-Heist (Belgique), à titre de garantie de cette dette.
16 Le 29 juin 2004, les requérants au principal ont déposé une déclaration de succession en Belgique dans le délai légal de six mois à dater du décès du Mme Eckelkamp, mentionnant, à l'actif de la succession, ce bien immeuble pour une valeur de 200 000 euro. Au passif de celle-ci, la déclaration portait la mention "néant".
17 Il ressort des observations des requérants au principal et de celles du Gouvernement belge que, antérieurement au dépôt de cette déclaration, un échange de courriers électroniques avait eu lieu entre l'un de ces requérants et l'autorité nationale compétente en matière fiscale. Cette dernière a indiqué à cette occasion que, selon les dispositions pertinentes de la législation flamande, le droit de mutation par décès est dû sur l'universalité des biens du de cujus situés en Belgique et cela sans déduction de charges. Mme Eckelkamp ne résidant pas en Belgique au moment de son décès, sa dette ne pouvait être prise en compte aux fins du calcul des droits de mutation.
18 Les droits de mutation par décès en cause au principal ont été calculés sur la base de la déclaration déposée le 29 juin 2004.
19 Après avoir payé ces droits qui, selon leurs observations, l'ont été "sous réserve de tous leurs droits", les requérants au principal ont introduit le 31 décembre 2004, devant le rechtbank van eerste aanleg te Brugge (tribunal de première instance de Bruges), une requête contradictoire tendant à ce que l'impôt ainsi acquitté fasse l'objet d'un nouveau calcul et, en particulier, à ce que la dette de Mme Eckelkamp soit également prise en compte aux fins de ce calcul.
20 Cette juridiction a rejeté le recours des intéressés le 30 mai 2005 au motif que, à la date d'introduction de celui-ci, le délai prévu par le Code pour la prise en compte d'éléments nouveaux dans la base de calcul des droits de succession ou de mutation dus était expiré.
21 Les requérants au principal ont interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi en faisant valoir que les dispositions du Code relatives au calcul des droits de mutation par décès méconnaissent le droit communautaire. Ils estiment que ces dispositions sont constitutives d'une discrimination indirecte fondée sur la nationalité et d'une entrave à la libre circulation des capitaux.
22 Devant la juridiction de renvoi, le Belgische Staat a invoqué l'expiration du délai prévu par le Code pour la prise en compte d'éléments nouveaux dans la base de calcul du droit de mutation et a soutenu que, en tout état de cause, il n'était pas prouvé que la dette litigieuse existait encore à la date du décès de Mme Eckelkamp. L'intéressée ne résidant pas en Belgique au moment de son décès, la base imposable au titre des droits de mutation ne pourrait faire l'objet de la déduction d'aucun passif. L'article 58 CE ne porterait pas atteinte au droit des États membres d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale.
23 Selon la juridiction de renvoi, il ressort clairement d'un acte sous seing privé du 13 novembre 2002 et d'un acte authentique du 5 juin 2003 que Mme Eckelkamp avait contracté une dette de 220 000 euro.
24 Estimant que le litige au principal soulève des questions d'interprétation du droit communautaire, le hof van beroep te Gent a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Les dispositions combinées des articles 12 [CE], 17 [CE] et 18 CE, d'une part, et les dispositions combinées des articles 56 [CE] et [58] CE, d'autre part, s'opposent-elles à une disposition interne d'un État membre en vertu de laquelle, s'agissant de l'acquisition par succession d'un bien immeuble sis dans un État membre (l'État de situation), cet État membre perçoit un impôt sur la valeur de ce bien immeuble, sis dans l'État de situation, aux fins duquel la valeur des charges grevant ce bien immeuble (telles que les dettes garanties par un mandat hypothécaire sur ce bien immeuble) peut faire l'objet d'une déduction dans l'État de situation de cet immeuble si, au moment du décès, le défunt résidait dans l'État de situation du bien alors que cette déduction n'est pas possible si, au moment du décès, le défunt résidait dans un autre État membre (l'État de résidence)?"
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
25 Le Gouvernement belge estime que la demande de décision préjudicielle est irrecevable. Il fait valoir, d'une part, que, en vertu du caractère tardif de l'introduction de l'action visant à faire recalculer les droits de mutation en cause, la juridiction de renvoi ne pourrait, en aucun cas, accueillir la demande des requérants au principal. Le délai dont ils disposaient, selon les règles de procédure belges, pour modifier les données sur la base desquelles sont calculés les droits de mutation serait déjà expiré depuis plusieurs mois. Par conséquent, une réponse à la question posée, non seulement ne serait pas nécessaire, mais serait clairement dénuée de pertinence aux fins de la décision que doit rendre la juridiction de renvoi.
26 D'autre part, il estime que, au stade où se trouve la procédure au principal, la question posée est purement hypothétique. À ce stade, la juridiction de renvoi n'aurait encore donné aucune réponse à des questions décisives pour le règlement du litige au principal portant, notamment, sur la question de savoir s'il existait, entre la dette et le bien immeuble concerné, un lien de nature à faire apparaître l'existence d'une charge grevant celui-ci. À cet égard, le Gouvernement belge a, lors de l'audience, souligné que, en l'espèce, il existe non pas une hypothèque grevant ce bien immeuble sis en Belgique, mais uniquement un mandat hypothécaire accordé par Mme Eckelkamp à son frère avant son décès. Selon ce gouvernement, dès lors qu'un mandat hypothécaire ne constitue qu'un droit donné à un tiers aux fins de l'inscription éventuelle d'une hypothèque sur un bien immeuble quelconque et qu'une telle inscription n'a pas été effectuée, il n'existe aucune charge grevant ledit bien immeuble, au sens de la jurisprudence de la Cour. La question posée a donc un caractère hypothétique.
27 Il convient à cet égard de rappeler que, dans le cadre d'une procédure visée à l'article 234 CE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêts du 12 avril 2005, Keller, C-145-03, Rec. p. I-2529, point 33, et du 18 juillet 2007, Lucchini, C-119-05, Rec. p. I-6199, point 43).
28 Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n'est possible que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire sollicitée n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379-98, Rec. p. I-2099, point 39; du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390-99, Rec. p. I-607, point 19, et Lucchini, précité, point 44).
29 Il convient de relever que tel n'est pas le cas en l'espèce.
30 La Cour est, en effet, appelée à préciser si les juridictions nationales sont tenues, en vertu du droit communautaire, d'écarter l'application de certaines dispositions du Code relatives au calcul des droits de mutation par décès que les requérants au principal estiment être constitutives d'une entrave à la libre circulation des capitaux. Dès lors, il apparaît que la question posée a un rapport avec l'objet du litige au principal, tel que défini par la juridiction de renvoi, et que la réponse à cette question peut être utile à cette juridiction pour lui permettre de décider si les dispositions dudit Code sont conformes au droit communautaire.
31 Certes, le Gouvernement belge conteste, d'une part, la présence, entre la dette de Mme Eckelkamp envers son frère et le bien immeuble faisant l'objet de la succession, d'un lien de nature à faire apparaître l'existence d'une charge grevant ce bien et il souligne, d'autre part, que les délais prévus par les dispositions pertinentes du droit belge permettant l'ajout d'éléments nouveaux dans la base de calcul des droits de mutation dus étaient expirés à la date d'introduction du recours au principal.
32 Toutefois, il convient de rappeler, d'une part, que la juridiction de renvoi est seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national (voir arrêt du 4 mai 1999, Sürül, C-262-96, Rec. p. I-2685, point 95). Il appartient à cette juridiction et non à la Cour de déterminer la portée et l'effet, en droit belge, d'un mandat hypothécaire ainsi que les conséquences d'un tel mandat en ce qui concerne un bien immeuble laissé en héritage et sis en Belgique.
33 De surcroît, il ressort du dossier soumis à la Cour que, premièrement, l'absence de mention de la dette litigieuse dans la déclaration déposée par les requérants au principal était fondée sur les dispositions du Code qui ne prévoyaient pas l'inclusion de telles dettes lorsque la personne dont la succession est ouverte ne résidait pas en Belgique au moment de son décès - dispositions qui ont conduit la juridiction de renvoi à poser une question préjudicielle portant sur l'interprétation du droit communautaire. Deuxièmement, antérieurement au dépôt de la déclaration de succession litigieuse, les autorités compétentes avaient informé les requérants au principal que la dette de Mme Eckelkamp ne pourrait être prise en compte aux fins du calcul des droits de mutation par décès, dès lors que celle-ci ne résidait pas en Belgique à la date de son décès. Troisièmement, ainsi qu'il ressort du point 19 du présent arrêt, ladite déclaration semble avoir été introduite par les requérants au principal sous réserve de tous leurs droits.
34 D'autre part, il convient de rappeler que le renvoi préjudiciel repose sur un dialogue de juge à juge, dont le déclenchement dépend entièrement de l'appréciation que fait la juridiction nationale de la pertinence et de la nécessité dudit renvoi (voir arrêt du 12 février 2008, Kempter, C-2-06, non encore publié au Recueil, point 42). S'il est vrai que le juge de renvoi a constaté que la déclaration faite par les héritiers est devenue définitive à la date d'expiration du délai légal de dépôt de telles déclarations, il n'en demeure pas moins que la question posée permet de dégager les éléments d'interprétation du droit communautaire considérés par le juge de renvoi comme pouvant être appliqués utilement pour résoudre, en fonction de ce droit, le litige pendant devant lui (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 1982, Vlaeminck, 132-81, Rec. p. 2953, points 13 et 14).
35 Il s'ensuit que la présente demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.
Sur la question préjudicielle
36 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions des articles 12 CE, 17 CE et 18 CE, d'une part, et celles des articles 56 CE et 58 CE, d'autre part, doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation d'un État membre, telle que celle en cause au principal, relative au calcul des droits de mutation et de succession dus sur un bien immeuble sis dans cet État membre, qui ne prévoit pas la déductibilité de dettes grevant ce bien immeuble lorsque la personne dont la succession est ouverte était, au moment de son décès, résidente non pas de l'État dans lequel est situé ce bien immeuble, mais d'un autre État membre, alors que cette déductibilité est prévue lorsque la personne concernée, au moment de son décès, était résidente de l'État dans lequel est situé ledit bien immeuble.
37 L'article 56, paragraphe 1, CE interdit de façon générale les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres (arrêt du 6 décembre 2007, Federconsumatori e.a., C-463-04 et C-464-04, non encore publié au Recueil, point 19 et jurisprudence citée).
38 En l'absence, dans le traité CE, de définition de la notion de "mouvements de capitaux" au sens de l'article 56, paragraphe 1, CE, la Cour a précédemment reconnu une valeur indicative à la nomenclature annexée à la directive 88-361, même si celle-ci a été adoptée sur le fondement des articles 69 et 70, paragraphe 1, du traité CEE (devenus articles 69 et 70, paragraphe 1, du traité CE, abrogés par le traité d'Amsterdam), étant entendu que, conformément à son introduction, la liste qu'elle contient ne présente pas un caractère exhaustif (voir, notamment, arrêts du 23 février 2006, van Hilten-van der Heijden, C-513-03, Rec. p. I-1957, point 39; du 3 octobre 2006, Fidium Finanz, C-452-04, Rec. p. I-9521, point 41; Federconsumatori e.a., précité, point 20, et du 17 janvier 2008, Jäger, C-256-06, non encore publié au Recueil, point 24).
39 À cet égard, la Cour, en rappelant notamment que les successions, qui consistent en une transmission à une ou plusieurs personnes du patrimoine laissé par une personne décédée ou, en d'autres termes, en un transfert aux héritiers de la propriété des différents biens, droits, etc., dont est composé ce patrimoine, relèvent de la rubrique XI de l'annexe I de la directive 88-361, intitulée "Mouvements de capitaux à caractère personnel", a jugé que les successions constituent des mouvements de capitaux au sens de l'article 56 CE, à l'exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre (voir arrêts du 11 décembre 2003, Barbier, C-364-01, Rec. p. I-15013, point 58; van Hilten-van der Heijden, précité, point 42, et Jäger, précité, point 25).
40 Une situation dans laquelle une personne résidant en Allemagne au moment de son décès laisse en héritage à d'autres personnes résidant en Allemagne et aux Pays-Bas un bien immeuble sis en Belgique et faisant l'objet d'un calcul des droits de mutation en Belgique ne constitue nullement une situation purement interne.
41 Par conséquent, la succession en cause au principal constitue un mouvement de capitaux au sens de l'article 56, paragraphe 1, CE.
42 Il y a lieu d'examiner tout d'abord si, comme le soutiennent les requérants au principal et la Commission des Communautés européennes, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, constitue une restriction aux mouvements de capitaux.
43 À cet égard, il convient de rappeler que des dispositions nationales qui déterminent la valeur d'un bien immobilier aux fins du calcul du montant de l'impôt dû en cas d'acquisition par succession peuvent non seulement être de nature à dissuader l'achat de biens immobiliers sis dans l'État membre concerné, mais elles peuvent également avoir pour effet de diminuer la valeur de la succession d'un résident d'un État membre autre que celui dans lequel se trouvent lesdits biens (voir, en ce sens, arrêts précités Barbier, point 62, et Jäger, point 30).
44 En ce qui concerne le cas des successions, la jurisprudence a confirmé que les mesures interdites par l'article 56, paragraphe 1, CE, en tant qu'elles constituent des restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui ont pour effet de diminuer la valeur de la succession d'un résident d'un État autre que l'État membre où se trouvent les biens concernés et qui impose la succession desdits biens (arrêts précités van Hilten-van der Heijden, point 44, et Jäger, point 31).
45 En l'occurrence les dispositions nationales en cause au principal, en tant qu'elles aboutissent à ce qu'une succession comprenant un bien immeuble situé sur le territoire du Royaume de Belgique soit soumise à des droits de mutation plus élevés que les droits de succession qui seraient dus si la personne dont la succession est ouverte avait été, au moment de son décès, résidente de cet État membre, ont pour effet de restreindre les mouvements de capitaux en diminuant la valeur d'une succession comprenant un tel bien.
46 En effet, dès lors que cette réglementation fait dépendre la déductibilité de certaines dettes grevant le bien immeuble concerné du lieu de résidence, au moment de son décès, de la personne dont la succession est ouverte, la charge fiscale plus lourde à laquelle la succession des non-résidents est, par conséquent, soumise constitue une restriction à la libre circulation des capitaux.
47 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l'argument du Gouvernement belge selon lequel le Code ne constitue pas une restriction dès lors qu'il existe une différence objective entre la situation des résidents et celle des non-résidents lors du calcul des droits de succession et de mutation, seul l'État membre où résidait la personne dont la succession est ouverte étant, logiquement, à même de tenir compte, dans le calcul de l'impôt sur les successions, de tous les éléments de la succession, composés d'actifs et de passifs, de biens meubles et immeubles. En effet, ces circonstances sont sans pertinence au regard des critères découlant de la jurisprudence citée aux points 43 et 44 du présent arrêt (voir également, en ce sens, arrêt Jäger, précité, point 34).
48 Le Gouvernement belge fait toutefois valoir que l'affaire au principal, à la différence de celle ayant donné lieu à l'arrêt Barbier, précité, est caractérisée par une absence d'obligation inconditionnelle de délivrance de la propriété juridique du bien immeuble en cause, ainsi que par une absence tant de cession antérieure de la propriété économique de ce bien que de charge grevant ce dernier, le mandat hypothécaire invoqué par les requérants au principal ne constituant aucunement une dette grevant ledit bien immeuble au sens de cet arrêt.
49 Il convient de rappeler que, dans l'affaire à l'origine de l'arrêt Barbier, précité, la question posée concernait le calcul du montant de l'impôt exigible en cas d'acquisition par succession d'un bien immobilier sis dans un État membre et la prise en compte, pour estimer la valeur de ce bien, de l'obligation inconditionnelle qui incombait au détenteur du droit réel de délivrer celui-ci à un tiers disposant de la propriété économique dudit bien. Cette dette était donc directement liée au bien immeuble faisant l'objet de la succession.
50 De même, dans le cadre des articles 49 CE et 50 CE, la Cour a déjà relevé qu'une réglementation nationale qui refuse aux non-résidents, en matière d'imposition, la déduction des frais professionnels qui sont directement liés à l'activité ayant généré les revenus imposables dans l'État membre concerné, alors que, en revanche, elle l'accorde aux résidents, risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d'autres États membres et est contraire auxdits articles (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2003, Gerritse, C-234-01, Rec. p. I-5933, points 27 et 28).
51 Lors de l'audience devant la Cour, tant les requérants au principal que la Commission ont fait valoir que, en vertu du mandat hypothécaire en cause, un lien suffisant existait entre le bien immeuble acquis par succession et la dette concernée. La Commission a admis, toutefois, que, dès l'instant où le mandat hypothécaire grève non pas le bien immeuble concerné, sis en Belgique, mais éventuellement d'autres biens immeubles, le lien entre la dette et ledit bien immeuble pourrait être mis en question.
52 Toutefois, selon le libellé de la question posée par la juridiction de renvoi, la dette garantie par un mandat hypothécaire portant sur un bien immeuble constitue une charge grevant ce dernier. Dans le cadre d'une procédure visée à l'article 234 CE, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l'interprétation ou la validité d'un texte communautaire à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1998, Dumon et Froment, C-235-95, Rec. p. I-4531, point 25).
53 Ainsi qu'il ressort du point 32 du présent arrêt, il appartient à la juridiction de renvoi et non à la Cour de vérifier la nature et l'effet, en droit belge, d'un mandat hypothécaire tel que celui en cause au principal et de déterminer s'il existe en réalité un lien direct entre la dette invoquée et le bien immeuble faisant l'objet du calcul des droits de mutation en cause au principal.
54 En tout état de cause, il convient de relever que le fait de subordonner la déductibilité des dettes grevant un bien immeuble à la condition que la personne dont la succession est ouverte fût, au moment de son décès, résidente de l'État dans lequel est situé ce bien immeuble constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l'article 56, paragraphe 1, CE.
55 Ensuite, il convient d'examiner si la restriction à la libre circulation des capitaux ainsi constatée est susceptible d'être justifiée au regard des dispositions du traité.
56 À cet égard, il importe de rappeler que, aux termes de l'article 58, paragraphe 1, sous a), CE, "[l]'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres [...] d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis".
57 Cette disposition de l'article 58 CE, en tant que dérogation au principe fondamental de libre circulation des capitaux, doit faire l'objet d'une interprétation stricte. Partant, elle ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l'État membre dans lequel ils investissent leurs capitaux serait automatiquement compatible avec le traité (voir arrêt Jäger, précité, point 40).
58 En effet, la dérogation prévue à l'article 58, paragraphe 1, sous a), CE est elle-même limitée par l'article 58, paragraphe 3, CE, qui prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 de cet article "ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 56" (voir arrêts du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35-98, Rec. p. I-4071, point 44; du 7 septembre 2004, Manninen, C-319-02, Rec. p. I-7477, point 28, et Jäger, précité, point 41). En outre, pour être justifiée, la différence de traitement instituée en matière de droits de succession et de mutation dus au titre d'un bien immeuble sis sur le territoire du Royaume de Belgique entre la personne qui, au moment de son décès, résidait dans cet État membre et celle qui, à ce même moment, était résidente d'un autre État membre ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que l'objectif poursuivi par la réglementation en cause soit atteint.
59 Il y a donc lieu de distinguer les traitements inégaux permis au titre de l'article 58, paragraphe 1, sous a), CE des discriminations arbitraires interdites en vertu du paragraphe 3 de ce même article. Or, il ressort de la jurisprudence que, pour qu'une réglementation fiscale nationale telle que celle en cause au principal, qui, aux fins du calcul des droits de succession, opère une distinction en matière de déductibilité des dettes grevant un bien immeuble sis dans l'État membre concerné selon que la personne dont la succession est ouverte résidait, au moment de son décès, dans cet État membre ou dans un autre État membre, puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il est nécessaire que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général (voir arrêts précités Verkooijen, point 43; Manninen, point 29, et Jäger, point 43).
60 À cet égard, il convient, en premier lieu, de constater que, contrairement à ce qui est soutenu par le Gouvernement belge et rappelé au point 47 du présent arrêt, cette différence de traitement ne saurait être justifiée au motif qu'elle se rapporte à des situations qui ne sont pas objectivement comparables.
61 En effet, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, relatives à la nature et à l'effet d'un mandat hypothécaire et à la question de savoir si le mandat en cause au principal grève le bien immeuble faisant l'objet de la succession, ce qui semble ressortir du dossier, le calcul des droits de succession et de mutation serait, en application de cette réglementation, directement lié à la valeur de ce bien immeuble. Dans ce cas, il ne saurait exister objectivement aucune différence de situation de nature à justifier une inégalité de traitement fiscal en ce qui concerne le niveau des droits de succession et de mutation dus au titre, respectivement, d'un bien immeuble situé en Belgique appartenant à une personne résidente de cet État membre au moment de son décès et d'un bien immeuble appartenant à une personne résidente d'un autre État membre à ce même moment. Partant, la situation des héritiers de Mme Eckelkamp serait comparable à celle de tout autre héritier, dont la succession comprend un bien immeuble sis en Belgique et laissé en héritage par une personne résidant dans ce même État au moment de son décès (voir, en ce sens, arrêt Jäger, précité, point 44).
62 Ainsi que les requérants au principal l'ont fait valoir, la réglementation belge considère, en principe, tant les héritiers des personnes résidentes que ceux des personnes non-résidentes au moment de leur décès, comme assujettis aux fins de la perception des droits de succession et/ou de mutation sur des biens immeubles situés en Belgique. Ce n'est que lors de la déduction des dettes de la succession des non-résidents qu'un traitement différent est opéré entre ces derniers et les résidents.
63 Dès lors qu'une réglementation nationale met sur le même plan, aux fins de l'imposition d'un bien immeuble acquis par succession et sis dans l'État membre concerné, les héritiers d'une personne ayant, au moment de son décès, la qualité de résident et ceux d'une personne ayant, à ce même moment, la qualité de non-résident, elle ne peut, sans créer une discrimination, traiter ces héritiers différemment, dans le cadre de cette même imposition, en ce qui concerne la déductibilité des charges grevant ce bien immeuble. En traitant de manière identique, sauf pour la déduction des dettes, les successions de ces deux catégories de personnes, aux fins des impôts sur les successions, le législateur national a, en effet, admis qu'il n'existe entre ces dernières, au regard des modalités et des conditions de cette imposition, aucune différence de situation objective pouvant justifier une différence de traitement (voir, par analogie, dans le cadre du droit d'établissement, arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France, 270-83, Rec. p. 273, point 20, ainsi que du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France, C-170-05, Rec. p. I-11949, point 35; dans le cadre de la libre circulation des capitaux et des droits de succession, arrêt de ce jour, Arens-Sikken, C-43-07, non encore publié au Recueil, point 57).
64 Il convient, enfin, de rechercher si la restriction aux mouvements de capitaux résultant d'une réglementation telle que celle en cause au principal peut être objectivement justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général.
65 Le Gouvernement belge soutient que, en vertu de la réglementation allemande applicable au patrimoine du de cujus, la dette dont les requérants réclament la déduction en Belgique ferait l'objet, en pratique, d'une double déduction, ce qu'il convient, selon la jurisprudence de la Cour (arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C-446-03, Rec. p. I-10837), d'éviter.
66 À cet égard, il convient tout d'abord de rappeler que la Cour a relevé, dans le cadre de sa jurisprudence relative à la libre circulation des capitaux et aux droits de succession, qu'un ressortissant ne saurait être privé de la possibilité de se prévaloir des dispositions du traité au motif qu'il profite des avantages fiscaux légalement offerts par les normes en vigueur dans un État membre autre que celui dans lequel il réside (arrêt Barbier, précité, point 71).
67 Ensuite, ainsi qu'il a été rappelé au point 13 du présent arrêt, il n'existe pas de convention bilatérale entre le Royaume de Belgique et la République fédérale d'Allemagne en matière de prévention de la double imposition des droits de succession.
68 L'État membre dans lequel est situé le bien immeuble faisant l'objet de la succession ne saurait, pour justifier une restriction à la libre circulation des capitaux résultant de sa réglementation, se prévaloir de l'existence d'une possibilité, indépendante de sa volonté, d'octroi d'un crédit d'impôt par un autre État membre, tel que l'État membre dans lequel la personne dont la succession est ouverte résidait au moment de son décès, qui pourrait compenser, en tout ou en partie, le préjudice subi par les héritiers de cette dernière en raison de la non-déductibilité dans l'État membre dans lequel est situé le bien immeuble laissé en héritage, lors du calcul des droits de mutation, des dettes grevant ledit bien immeuble (voir, en ce sens, arrêt Arens-Sikken, précité, point 65).
69 En effet, un État membre ne saurait invoquer l'existence d'un avantage concédé de manière unilatérale par un autre État membre, en l'espèce l'État membre dans lequel résidait la personne concernée au moment de son décès, afin d'échapper aux obligations qui lui incombent en vertu du traité, notamment en vertu des dispositions de celui-ci relatives à la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2007, Amurta, C-379-05, non encore publié au Recueil, point 78).
70 Enfin, il ressort du dossier soumis à la Cour que, lors du calcul des droits de mutation, la réglementation nationale en cause au principal exclut de manière pure et simple la déduction des dettes grevant le bien immeuble laissé en héritage lorsque la personne concernée ne résidait pas, au moment de son décès, dans l'État dans lequel est situé le bien faisant l'objet de la succession sans que le traitement desdites dettes et, notamment, l'absence d'un crédit d'impôt dans un autre État membre, tel l'État membre dans lequel résidait la personne décédée, soient pris en considération.
71 Il convient, dès lors, de répondre à la question préjudicielle que les dispositions combinées des articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, relative au calcul des droits de succession et de mutation dus sur un bien immeuble sis dans un État membre, qui ne prévoit pas la déductibilité de dettes grevant ce bien immeuble lorsque la personne dont la succession est ouverte était, au moment de son décès, résidente non pas de cet État, mais d'un autre État membre, alors que cette déductibilité est prévue lorsque cette personne était, à ce même moment, résidente de l'État dans lequel est situé le bien immeuble faisant l'objet de la succession.
72 Eu égard à ce qui précède, il n'est pas nécessaire de répondre à la question préjudicielle en tant qu'elle porte sur l'interprétation des articles 12 CE, 17 CE et 18 CE.
Sur les dépens
73 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre), dit pour droit:
Les dispositions combinées des articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, relative au calcul des droits de succession et de mutation dus sur un bien immeuble sis dans un État membre, qui ne prévoit pas la déductibilité de dettes grevant ce bien immeuble lorsque la personne dont la succession est ouverte était, au moment de son décès, résidente non pas de cet État, mais d'un autre État membre, alors que cette déductibilité est prévue lorsque cette personne était, à ce même moment, résidente de l'État dans lequel est situé le bien immeuble faisant l'objet de la succession.