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Décisions

CA Pau, 1re ch. civ., 3 juin 2008, n° 05-3440

PAU

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCEA Anastasia (Sté)

Défendeur :

Romagny (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nègre

Conseillers :

Mmes Rachou, Carthe Mazères

Avoués :

SCP, Longin, Longin-Dupeyron, Mariol, SCP de Ginestet-Duale-Ligney

Avocats :

Me Gueroult, SCP Etesse

TGI Dax, du 26 août 2005

26 août 2005

Faits et procédure :

La SCEA Anastasia exploite selon le mode de production biologique un verger de kiwis d'une superficie de deux hectares et demi équipé d'un système d'arrosage à Saint-Martin de Seignanx (Landes). Elle a confié à la SARL Romagny le remplacement de la pompe à moteur thermique qui alimente en eau de la rivière voisine le réseau d'arrosage par une pompe entraînée par un moteur électrique, suivant devis accepté en date du 10 janvier 2000. Les travaux ont été achevés le 13 avril 2000 et la facture correspondant, d'un montant de 7 760,49 euro hors taxe, a été acquittée par la SCEA Anastasia.

Mais le 15 juillet 2001, au bout de 41 heures de fonctionnement, la pompe à moteur électrique est tombée en panne, le démarrage entraînant systématiquement le déclenchement du disjoncteur d'EDF.

Après visite des lieux, la SARL Romagny par une lettre à la SCEA Anastasia en date du 17 août 2001 a proposé de faire contrôler à ses frais l'installation électrique de branchement de la pompe par un bureau de contrôle tel l'APAVE et, à défaut, lui a conseillé de solliciter l'avis technique d'EDF sur cette installation en ajoutant qu'il était évident que le disjoncteur ne pouvait pas supporter l'intensité de démarrage du moteur de 30 KW de la pompe électrique.

La SCEA Anastasia a saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Dax qui par ordonnance du 23 octobre 2001 a organisé une expertise confiée en dernier lieu à Monsieur A relative aux désordres affectant la pompe électrique et une autre expertise confiée à Monsieur B relative au préjudice résultant du défaut d'arrosage du verger.

Par un jugement en date du 26 août 2005 rendu au vu des rapports de ces expertises le Tribunal de grande instance de Dax a débouté la SCEA Anastasia de ses demandes d'indemnisation au motif que le matériel de pompage avait été livré et installé correctement conformément aux devis et, rejetant la demande de dommages intérêts de la SARL Romagny, a condamné la SCEA Anastasia aux dépens et au paiement de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour d'appel de Pau le 29 septembre 2005, la SCEA Anastasia a relevé appel de cette décision dans des conditions de forme qui ne sont pas critiquées.

Et sur la demande de la SCEA Anastasia, au vu des conclusions techniques d'une expertise que cette société avait commandée de nature à contredire les conclusions du rapport de Monsieur A, le conseiller de la mise en état, par une ordonnance en date du 15 mars 2006, a organisé une nouvelle expertise confiée à Monsieur C sur les désordres affectant la pompe électrique. Le rapport de cette expertise est en date du 28 décembre 2006.

Moyens et prétentions des parties :

Aux termes de ses dernières écritures en date du 4 décembre 2007 la SCEA Anastasia demande à la cour de :

- condamner la SARL Romagny à lui payer :

* 25 561,31 euro TTC pour le coût de remise en état de l'installation outre indexation sur l'indice du coût de la construction du jour du dépôt du rapport de l'expertise à la date de l'arrêt à intervenir ;

* 104 447,11 euro au titre de la perte d'exploitation de l'année 2000 à 2007 outre intérêt à compter de chaque année culturale ;

* 16 006 euro par an jusqu'à remise en production du verger ;

* 16 639 euro au titre du remplacement des plans morts sous réserve de réactualisation au jour du paiement des indemnités ;

* 25 872 euro au titre du préjudice de récolte jusqu'à l'entrée en production des plans neufs ;

* 428 871 euro au titre de la perte d'exploitation par rapport à la production moyenne d'un verger similaire ;

- Condamner la SARL Romagny à lui payer 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens y compris les frais d'expertise amiable rendue nécessaire par la résistance de la SARL Romagny dont distraction au profit de la SCP d'avoués Longin conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

La SCEA Anastasia soutient que :

- sur la recommandation de la SARL Romagny elle a contacté EDF qui n'a pas vu la nécessité de modifier l'alimentation électrique de l'exploitation ; en effet selon l'expert C il suffit de raccourcir le circuit électrique trop long en créant un branchement électrique nouveau passant à 45 mètres de la station de pompage ;

- ainsi la SARL Romagny a négligé de demander un nouveau branchement plus proche de la station de pompage ou de conseiller de demander à EDF un point de livraison à proximité de la station de pompage ;

- en ne le faisant pas et en laissant l'installation ne pas fonctionner, la SARL Romagny a manqué à son obligation de résultat ce qui engage sa responsabilité de plein droit sans exonération possible ;

- en outre il appartenait à la SARL Romagny au titre de son obligation de conseil d'informer son client des éléments de l'installation électrique qui lui paraissaient insuffisants avant d'entreprendre les travaux si bien que rien ne peut être reproché à la SCEA Anastasia notamment s'agissant de l'insuffisance de section du câble électrique alimentant le moteur de la pompe ;

- l'installation fonctionnait lors des essais au moyen d'un branchement de chantier provisoire ;

- le réseau d'arrosage était existant dès l'établissement du devis par la SARL Romagny qui en connaissait les caractéristiques contrairement aux affirmations de l'expert A qui a conclu à tort que la mission de la SARL Romagny était limitée à la fourniture et à l'installation de la pompe électrique sans connaître le réseau d'arrosage ;

- l'expert C identifie précisément chacun des manquements de la SARL Romagny lors des travaux d'installation de la pompe ;

- la seconde solution recommandée par M. C qui est la plus onéreuse est la seule qui offre une garantie de fonctionnement du moteur du groupe électrogène ;

- le rapport B conclut que le défaut d'arrosage a bien porté atteinte à la production de kiwis et à la vitalité des arbres ; mais il ne peut être suivi en ce qui concerne le quantum ;

- en effet le rapport ne respecte pas le contradictoire et ne répond pas à la mission d'expertise en n'appréciant pas la production réelle ni l'évaluation de la production avant récolte ; il aurait fallu procéder à une réunion de synthèse ou à un pré-rapport ; ainsi il parvient à des résultats incohérents ;

- il convient de se référer au rapport D établi à la demande de la SCEA Anastasia ; il convient de constater l'effondrement en 2000 et 2001 et ensuite l'absence de production pour comprendre que le préjudice ne peut être estimé à seulement 270 euro pour l'année 2001 sauf à démontrer l'existence d'un phénomène extérieur à la non-irrigation ;

- les défauts de pollinisation, vieillissement des arbres, insuffisance d'aménagement des étais des branches des arbres (palissage) et l'insuffisance des tailles, prétendus par l'expert B doivent être écartés ;

- par ailleurs la coopérative n'achète pas des fruits inférieurs ou égaux à 65 grammes ; le manque d'arrosage ne permet pas aux fruits de se développer et ils sont invendables ; il faut trois arrosages de quatre heures par semaine et par hectare de verger ;

- le défaut d'arrosage est la seule cause de l'absence de production ;

- en 1999 la production était de 18 tonnes 214 ; sur une hypothèse basse de 21 tonnes 630 le chiffre d'affaire annuel aurait été de 16 006 euro hors taxe ; ainsi le préjudice peut être calculé entre 2000 et 2007 ; et il faut encore prendre en considération les effets liés à la mortalité des arbres et la nécessité d'en replanter et d'attendre qu'ils arrivent à maturité pour produire.

Dans le dernier état de ses écritures en date du 23 janvier 2008 la SARL Romagny demande à la cour de :

- confirmer le jugement et débouter la SCEA Anastasia de ses demandes ;

- condamner la SCEA Anastasia à lui payer 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens y compris les frais de l'expertise C dont distraction au profit de la SCP d'avoués de Ginestet Dualé Ligney conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

La SARL Romagny soutient que :

- il résulte des expertises que sa fourniture et sa prestation de l'installation de pompage ne sont pas à reprendre et que les désordres proviennent de l'installation électrique de l'exploitation de la SCEA Anastasia, en particulier du branchement définitif d'EDF, qui ont été réalisés par l'électricien de la SCEA après l'installation de la pompe électrique ;

- ainsi la pompe a bien fonctionné du mois d'avril 2000, après des essais satisfaisants réalisés à partir d'un compteur de chantier provisoire qui ont justifié le payement de la facture sans réserve, au 15 juillet 2001 ;

- lors des essais et pendant 15 mois la pompe fonctionnait ce qui montre que le branchement a été changé ensuite par la SCEA Anastasia si bien qu'aucun manquement au devoir de conseil ne peut lui être reproché ;

- c'est bien le travail réalisé par l'électricien de la SCEA Anastasia qui est insuffisant comme l'expertise le montre (mauvais choix du câble et du disjoncteur) sans qu'il ait été possible de savoir quand, suivant quelle facture de quel électricien et suivant quel contrat avec EDF, ce travail à l'origine des désordres a été effectué ; c'est donc cet électricien ou EDF qui a méconnu l'obligation de conseil ;

- en outre dès le mois d'août 2001, la SARL Romagny a proposé à la SCEA Anastasia de faire réaliser un diagnostic de l'installation électrique et avait émis l'idée de l'insuffisance de cette installation ; ainsi le bon conseil était donné, et la solution proposée par Monsieur C (rapprocher le comptage EDF et modifier l'installation électrique de la SCEA dont le câble d'alimentation est trop long et trop faible) procède de la même idée ;

- si la SCEA Anastasia n'avait pas rejeté ce conseil au motif qu'il engendrait des frais trop élevés, elle n'aurait subi aucun préjudice d'exploitation ;

- il ne lui a été commandé que le remplacement de la pompe à moteur thermique par une pompe à moteur électrique et non, en plus, un puits de pompage, si bien que le reproche de Monsieur C qui lui est adressé du fait de l'absence de cette réalisation de génie civil n'est pas justifié ;

- l'ancienne pompe fonctionnait bien sans cet ouvrage en raison de son entretien par l'ancien propriétaire ; mettre à la charge de la SARL Romagny cet équipement serait un enrichissement sans cause de la SCEA ;

- rien ne justifie que soit adoptée la solution réparatoire la plus onéreuse suggérée dans l'expertise ; en outre la SCEA peut récupérer la TVA ;

- en réalité la SCEA Anastasia a laissé à l'abandon la station de pompage et le verger pendant toutes les années de la procédure ; l'expertise de Monsieur B réalisée à l'automne 2001 a mis en évidence le mauvais entretien du verger depuis deux ans et notamment l'insuffisance d'irrigation avant la panne de la pompe qui n'a fonctionné que 41 heures du mois d'avril 2000 au 15 juillet 2001 ;

- le lien de causalité entre l'intervention de la SARL Romagny et le préjudice d'exploitation allégué n'est pas établi ; en outre le préjudice n'est pas justifié ; par sa carence (refus de modifier le branchement électrique et défaut d'entretien du verger) la SCEA Anastasia a entretenu l'illusion d'un préjudice.

Motifs de la décision :

Sur la responsabilité :

Il ressort du rapport de l'expertise de Monsieur C que le dysfonctionnement de la pompe à moteur électrique fournie et installée par la SARL Romagny au mois d'avril 2000 en remplacement de la pompe à moteur thermique qui équipait jusque là le système d'arrosage du verger de la SCEA Anastasia, a pour cause l'insuffisance de la puissance de l'alimentation électrique par rapport aux besoins au démarrage du moteur installé, et que cette insuffisance a elle-même pour origine :

- les fortes baisses de tension sur l'installation électrique de la SCEA Anastasia lors du démarrage de la pompe lequel exige des "courants d'appel" importants, du fait de la trop grande distance entre le point de livraison de l'électricité par EDF et le local technique de la station de pompage et du fait de la trop faible section du câble d'amenée de l'électricité sur cette distance ;

- l'insuffisance de la puissance électrique livrée par EDF limitée à 36 KW soit 60 ampères alors que le courant d'appel lors du démarrage de la pompe est de 179 ampères ;

- l'absence, lors de l'installation de la pompe par la SARL Romagny, de calculs suffisants et de prévisions de nature à ajuster et limiter l'intensité des "courants d'appel" lors du démarrage de cet appareil, et donc à diminuer les besoins en électricité, soit :

* une définition approximative des caractéristiques du réseau d'arrosage alimenté par le travail de la pompe dont le moteur est plus puissant que nécessaire au réseau,

* une mauvaise définition du mode de démarrage du moteur de la pompe en fonction des pertes de charges et débits calculés,

* une insuffisance de la prise en compte des caractéristiques de l'ancien équipement,

* l'absence de génie civil dans la prise d'eau, c'est-à-dire d'un puits de prise d'eau pour pompage ;

* l'absence de "préconisation lors des travaux d'installation du nouveau groupe électropompe des conditions d'alimentation électrique souhaitables... suivant le type de démarrage défini".

Par ailleurs il est constant que lorsque la SARL Romagny a effectué les essais de fonctionnement de la pompe, qui ont été satisfaisants, au mois d'avril 2000 en livrant l'installation à la SCEA Anastasia, l'alimentation électrique était assurée au moyen d'un branchement provisoire de chantier dont les parties s'accordent à dire qu'il était vraisemblablement sur-calibré.

Il résulte de la confrontation de cette dernière circonstance avec les causes énumérées ci-dessus du dysfonctionnement de la pompe électrique que la SARL Romagny a installé cet équipement en négligeant totalement l'examen des besoins en électricité nécessaires au fonctionnement, notamment lors du démarrage.

Alors que la SARL Romagny devait, au titre de l'obligation de conseil lui incombant lors de l'établissement du devis de remplacement de la pompe même si elle n'était pas chargée de la mise en œuvre du branchement électrique de cet appareil, informer la SCEA Anastasia précisément sur toutes les conditions indispensables au fonctionnement normal de cet équipement afin que le maître d'ouvrage se détermine sur le remplacement envisagé en étant à même de connaître l'ensemble des contraintes et frais induits par cette opération.

Ainsi la SARL Romagny devait informer la SCEA Anastasia, d'une part, sur les besoins en électricité nécessaires au fonctionnement de la pompe, de manière chiffrée (Monsieur C fait état des "intensités de démarrage"), ce qui l'aurait amenée, selon le rapport de l'expertise comme dit ci-dessus, à mieux définir le type de démarrage de la pompe et les caractéristiques du réseau d'arrosage, et d'autre part, sur la nécessité de réaliser un puits de prise d'eau dès lors que, selon la même expertise, cet ouvrage était indispensable au bon fonctionnement de la pompe.

Ces manquements à l'obligation de conseil lors de la formation du contrat mais aussi les approximations techniques lors de l'installation de la pompe dans les définitions du mode de démarrage et des caractéristiques du réseau d'arrosage, ont eu pour conséquence que la SCEA Anastasia n'a pas été mise en mesure de faire réaliser, que ce soit avant ou après les travaux de la SARL Romagny, ni le branchement électrique adapté aux besoins de la pompe puisque ces besoins n'étaient ni définis, ni ajustés, ni délivrés, et non plus le puits de prise d'eau puisque la SCEA n'était pas avertie du caractère indispensable de cet ouvrage.

Les manquements et approximations dont s'agit, qui ont conduit au dysfonctionnement litigieux, engagent la responsabilité contractuelle de la SARL Romagny à l'égard de la SCEA Anastasia laquelle n'a commis aucune faute de nature à justifier un partage de responsabilité notamment, dans les conditions susmentionnées, en réalisant le branchement électrique inadapté.

Sur le préjudice :

En ce qui concerne les travaux de réparation ;

Monsieur C indique deux séries de travaux de nature à remédier au dysfonctionnement de la pompe, comprenant toutes deux le rapprochement du comptage d'EDF vers la station de pompage et la création d'un puits de pompage, dont le coût s'élève à 16 617,33 euro hors taxe pour la première et à 21 372,33 euro hors taxe pour la seconde.

Le coût de la création du puits de pompage doit être pris en compte dans la détermination de la réparation du préjudice subi par la SCEA Anastasia, car cette création est indispensable au mécanisme normal de la pompe dont le dysfonctionnement résulte, comme dit ci-dessus, des manquements et approximations commis par la SARL Romagny.

Et dès lors qu'il est précisé dans le rapport de l'expertise que la seconde série de travaux, qui est la plus onéreuse, "permet d'apporter une amélioration plus importante et une garantie de fonctionnement du moteur du groupe électropompe", le coût de cette seconde solution doit déterminer le montant de l'indemnité de la SCEA Anastasia eu égard au principe de réparation de l'entier préjudice.

Dans ces conditions et dès lors que la SCEA Anastasia ne conteste pas être soumise au régime de la taxe sur la valeur ajoutée et être par conséquent en mesure de récupérer cette taxe, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en condamnant la SARL Romagny à payer à la SCEA Anastasia une indemnité d'un montant de 21 72,33 euro correspondant au coût hors taxe des travaux de reprise des désordres. Rien ne s'oppose à ce que l'indexation du montant de cette indemnité, demandée par la SCEA, soit ordonnée.

En ce qui concerne les pertes d'exploitation du verger ;

La SCEA Anastasia a droit à l'indemnisation des pertes d'exploitation du verger subies à compter du 15 juillet 2001 du fait du défaut d'arrosage résultant du dysfonctionnement de la pompe jusqu'à la date du rapport de l'expertise de Monsieur C, le 28 décembre 2006, ayant donné les solutions techniques permettant à la SCEA de mettre fin à ce dysfonctionnement.

En effet la SARL Romagny n'est pas fondée à soutenir, au regard de tout ce qui précède sur la responsabilité et sur la réparation des désordres, que sa lettre susmentionnée en date du 17 août 2001 se bornant à renvoyer la SCEA Anastasia à la consultation d'avis techniques sur son installation électrique et à lui indiquer que vraisemblablement le disjoncteur ne pouvait pas supporter l'intensité de démarrage du moteur de la pompe électrique, était de nature à mettre cet exploitant en mesure de faire cesser le dysfonctionnement de la pompe.

Le rapport de l'expertise de Monsieur B en date du 12 février 2002 ordonnée par le juge du référé conclut :

- que l'insuffisance d'irrigation du fait du dysfonctionnement de la pompe à partir du 15 juillet 2001 a eu un effet sur la qualité et la quantité de la production de kiwis ainsi que sur la vitalité des arbres ;

- mais que de nombreux autres facteurs, existant pour certains depuis plusieurs années, ont aussi participé à la mauvaise récolte de la SCEA Anastasia pour la campagne 2001 (mortalité des arbres antérieure à 2001 défavorisant la pollinisation, présence d'herbe dans le verger consommant en premier lieu l'arrosage, vieillissement du verger, mauvais état des structures de soutien des branches défavorisant le développement de la fructification et soins culturaux insuffisants défavorisant la récolte et le renouvellement des bois fructifères) ;

- et que l'insuffisance d'irrigation avait seulement entraîné un déclassement de calibrage des fruits pour 900 kg des plus petits, dont le coût estimé à 0,30 euro le kg représente un total de 270 euro.

Contrairement aux affirmations de la SCEA Anastasia, le rapport de cette expertise répond suffisamment sinon formellement à la mission confiée ; notamment, Monsieur B décrit précisément l'état des fruits et du verger qu'il a visité le vendredi 2 novembre 2001 soit, conformément à la mission impartie d'un examen de la récolte avant le ramassage des fruits, avant la date du début de la récolte fixée au 3 novembre.

En outre l'établissement d'un pré-rapport ou l'organisation d'une réunion de synthèse ne sont pas indispensables à l'exécution des opérations d'expertise dans les conditions prévues par les articles 273 et suivants du Code de procédure civile. Et c'est sans en préciser les circonstances que la SCEA Anastasia prétend dans ses conclusions que ces opérations n'auraient pas été effectuées dans le respect du principe du contradictoire. Ces critiques de l'expertise de Monsieur B présentées par la SCEA ne peuvent donc qu'être écartées.

La SCEA Anastasia oppose également aux conclusions du rapport de Monsieur B celles du rapport de l'expertise qu'elle a commandé à Monsieur D en date du 29 mai 2004 dont il résulte que la perte de production subie pour l'année 2001 serait de 14 242,48 euro (soit 16 006 euro qui serait le prix de la récolte avec arrosage moins 1 763,52 euro qui est le prix effectivement perçu de la récolte). Et Monsieur D estime le préjudice total, perte de production mais aussi mortalité des arbres et mise en terre de nouveaux plans, à 430 000 euro à la date de ce rapport.

Mais cette expertise réalisée sans débat contradictoire et dans le but notamment de critiquer le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur B, expert impartial désigné par le juge des référés, qui a entendu les parties et a débattu avec elles de l'importance des préjudices, n'a pas de valeur probante suffisante pour être regardée comme une étude pertinente.

En outre, bien qu'il indique avoir été établi à la suite de la visite du verger de la SCEA Anastasia, le rapport de Monsieur D ne précise pas la date de cette visite, ni ne fait aucune description de l'état du verger et se livre à un raisonnement comptable fait à partir des résultats des autres adhérents de la Coopérative Fruitière de Labatut sans rapport avec la réalité de l'exploitation de la SCEA ;

Par ailleurs cette étude tient compte, dans l'évaluation du préjudice subi par la SCEA Anastasia du fait du dysfonctionnement de la pompe, de l'insuffisance de l'irrigation et de la récolte se rapportant à l'année 2000, alors que le dysfonctionnement n'est intervenu qu'en date du 15 juillet 2001.

Enfin la conclusion déterminant l'ensemble du calcul des pertes de production selon laquelle la SCEA Anastasia pouvait attendre une récolte de 21 630 kg en 2001 si l'arrosage avait été satisfaisant, alors que la récolte de la SCEA en 2000, avant le dysfonctionnement de la pompe, s'est élevée à moins de la moitié de ce montant soit à seulement 9 308 kg, ne peut pas être sérieusement retenue.

Au contraire, la thèse de Monsieur B selon laquelle il existe plusieurs facteurs pesant négativement sur la production de la SCEA Anastasia indépendamment des effets préjudiciables du dysfonctionnement de la pompe à compter du 15 juillet 2001, est confirmée par la constatation de la chute de production du verger à partir de la première récolte effectuée par la SCEA en 1999 : en effet, il est constant qu'en 1998 le précédant propriétaire du verger produisait une récolte d'au moins 40 000 kg, alors que la SCEA Anastasia qui débutait dans la production de kiwis et qui venait d'acheter le verger, lequel était donc encore préparé par le précédent exploitant, n'a produit en 1999 que 17 330 kg, puis 9 308 kg seulement en 2000 alors que la pompe fonctionnait encore et enfin 2 400 kg en 2001 alors que cet équipement a cessé de fonctionner à compter du 15 juillet.

Dès lors sur la base des constations ressortant du rapport de Monsieur B, notamment s'agissant du tonnage de la récolte de l'an 2000 lequel pouvait être raisonnablement espéré, il convient de retenir que la SCEA Anastasia a subi une perte de production à partie de l'année 2002, qui a été totalement improductive, jusqu'à la date du rapport de l'expertise de Monsieur C, le 28 décembre 2006, de l'ordre de 33 043,40 euro (soit le tonnage de la récolte de l'an 2000 de 9 308 kg à 0,71 euro par kg en moyenne, pendant 5 ans).

La perte de production de 270 euro pour l'année 2001 et les effets préjudiciables du défaut d'arrosage sur la vitalité des arbres constatés par Monsieur B qui indique cependant que l'essentiel de la mortalité est antérieure au dysfonctionnement de la pompe, conduisent à fixer l'indemnisation de la SCEA Anastasia toutes causes de préjudices confondues à 35 000 euro.

Sur les dépens :

Aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile : "La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie."

En application des dispositions précitées, la SARL Romagny, partie perdante, est condamnée aux dépens de premier instance et d'appel. Les demandes contraires des parties sont rejetées.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Infirme le jugement entrepris ; Et statuant à nouveau : Condamne la SARL Romagny à payer à la SCEA Anastasia une indemnité de 35 000 euro (trente cinq mille euro) au titre des pertes d'exploitation et une indemnité de 21 372,33 euro (vingt et un mille trois cent soixante douze euro trente trois centimes) correspondant au coût hors taxe des travaux de reprise des désordres ; le montant de cette dernière somme est indexé en fonction de la variation de l'indice national du coût de la construction entre le 28 décembre 2006, date du rapport de l'expertise de Monsieur C, et la date du présent arrêt ; Rejette le surplus des demandes des parties ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande formée par la SARL Romagny ; condamne la SARL Romagny à payer à la SCEA Anastasia la somme de 2 000 euro (deux mille euro) qu'elle demande au titre des frais irrépétibles comprenant les frais des expertises amiables ; Condamne la SARL Romagny au paiement des dépens exposés en première instance, y compris les frais des expertises ordonnées en référé, et en cause d'appel, y compris les frais de l'expertise de Monsieur C. Ces dépens pourront être recouvrés par la SCP d'avoués Longin conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.