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Décisions

CA Chambéry, ch. com., 8 juillet 2008, n° 07-01362

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MB2I (SAS), Generali Assurances IARD

Défendeur :

ALP Conseil Bureautique (SA), Avignon Conseil Bureau (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Robert

Conseillers :

Mme Carrier, M. Bétous

Avoués :

SCP Fillard Cochet-Barbuat, SCP Forquin-Rémondin

Avocats :

Me Devin, SCP Aufrant-Hingrez

TGI Annecy, du 15 mai 2007

15 mai 2007

La société ALP Conseil Bureautique (ACB), concessionnaire des matériels de marque Xerox, a pour fournisseur de matériel informatique la société MB2I domiciliée dans les mêmes locaux à Annecy Le Vieux. La société MB2I est elle-même agréée "partenaire Xerox". Le 1er février 2002, ACB a souscrit auprès de MB2I, en complément d'un abonnement internet, une prestation gratuite de télé-sauvegarde comprenant:

- l'installation et le paramétrage de la solution de télé-sauvegarde

- la formation du personnel utilisateur

- la télé-sauvegarde automatique et sécurisée des données informatiques sélectionnées par le client du lundi au samedi,

- l'analyse quotidienne des journaux d'incidents

- le stockage de fichiers ou base de données télétransmises,

- l'assistance téléphonique,

- la restitution des données informatiques du client à son initiative.

C'est dans ces conditions qu'une sauvegarde par duplication sur le serveur de MB2I des données stockées sur les disques durs du serveur ACB a été programmée journalièrement du lundi au vendredi.

Le 18 mars 2004, ACB a fait part à MB2I de la défaillance d'un disque dur de son système informatique et le 2 avril 2004 de la panne complète de son serveur. A la suite du dernier incident, MB2I n'a pas été en mesure de restituer à ACB les informations sauvegardées dans le cadre du contrat de télé-sauvegarde et notamment l'ensemble du fichier clientèle et des données commerciales. La société ACB ayant invoqué un préjudice financier consécutif à la perte de ces données, la société MB2I a régularisé une déclaration de sinistre auprès de son assureur, la société Generali. Celle-ci a mandaté le Cabinet d'expertise Equad pour déterminer l'éventuelle responsabilité de son assurée et le préjudice subi par la société ACB. Celle-ci a communiqué au cabinet d'expertise toutes les données comptables réclamées par celui-ci pour établir son rapport.

N'ayant pu obtenir ni la communication du rapport du Cabinet Equad ni l'indemnisation amiable de leur préjudice, la société Alpes Conseil Bureautique (ci-après ACB Annecy) et sa filiale, la société Avignon Conseil Bureautique (ci-après ACB Avignon) ont, par exploits des 25 avril et 2 mai 2006, fait assigner la société MB2I et la société Generali Assurances IARD devant le Tribunal de grande instance d'Annecy à l'effet d'obtenir réparation du préjudice d'exploitation subi du fait du sinistre.

Par jugement en date du 15 mai 2007, le Tribunal de grande instance d'Annecy a:

- déclaré recevable l'action de la société ACB Avignon contre la SAS MB2I, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

- condamné la société Generali à payer à la société ACB Annecy la somme de 220 000 euro et à la société ACB Avignon la somme de 75 000 euro au titre des pertes d'exploitation subies du fait du sinistre, la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens avec exécution provisoire à hauteur de la moitié des condamnations prononcées.

La société MB2I et la Compagnie Generali ont interjeté appel de cette décision.

Aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 12 octobre 2007, elles concluent à l'infirmation du jugement déféré et au débouté des demandes des sociétés ACB.

Elles sollicitent l'allocation de la somme de 1 euro symbolique à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elles exposent qu'un préposé d'ACB a procédé seul au remplacement du disque dur défaillant le 18 mars 2004 sans avoir les compétences nécessaires et que cette intervention inadéquate est à l'origine de la paralysie du serveur survenue le 2 avril; qu'il n'a été demandé à MB2I d'intervenir en urgence qu'à l'occasion de cette seconde panne; qu'elle a alors procédé au remplacement des deux disques durs défaillants et constaté que les données qui lui avaient été télétransmises depuis le 18 mars et qu'elle avait régulièrement sauvegardées étaient corrompues, certains fichiers ne pouvant être restaurés.

Elles font valoir que le contrat de télé-sauvegarde n'avait pas pour objet de se substituer aux propres sauvegardes de ACB Annecy ni l'archivage de ses données mais une simple conservation desdites données sur une semaine; que MB2I s'était seulement obligée, au terme de ce contrat, à restituer au client les données qu'il lui avait transmises, qu'elle n'a en conséquence pu restituer que les données dans l'état où elle les avait reçues, s'agissant de données cryptées pour des raisons de confidentialité dont elle ne pouvait vérifier l'intégrité; que les fichiers transmis par ACB Annecy dans la semaine précédant le 2 avril 2004 avaient bien été sauvegardés mais qu'à l'ouverture, ils s'étaient révélés inutilisables sans possibilité de restauration, les données transmises étant corrompues en raison d'un dysfonctionnement du serveur ACB suite à la panne survenue le 18 mars; que la perte des données n'est pas imputable à une faute de MB2I mais à la défaillance du serveur d'ACB.

Elles contestent que la société MB2I, qui n'avait pas en charge la maintenance des installations informatiques d'ACB et donc aucune obligation d'intervention en cas de panne, puisse être tenue responsable d'une défaillance de ce matériel ou de la restitution de fichiers corrompus, la cause de cette corruption étant étrangère à sa prestation de télémaintenance qui n'incluait aucune garantie quant à l'intégrité de fichiers sauvegardés.

Elles invoquent la légèreté impardonnable d'ACB Annecy et Avignon dans leur gestion informatique au regard de l'importance stratégique des informations stockées sur leur serveur.

Elles soulignent que l'assignation a été délivrée deux ans après les faits; qu'aucune expertise judiciaire n'a été sollicitée, prétendant qu'il avait été mis fin à la mission du Cabinet Equad avant que celui-ci ait déposé son rapport dès lors qu'il était apparu que la responsabilité de MB2I n'était pas engagée.

Elles soutiennent que les sociétés ACB, vendeurs professionnels de matériels de bureautique associés à du matériel informatique, n'ont pu se leurrer sur le périmètre contractuel de la prestation de télé-sauvegarde et l'utilité d'une telle prestation et que la société MB2I n'avait pas de devoir de conseil à cet égard.

Elles estiment que les éléments produits pour justifier du préjudice allégué sont indigents comme étant muets sur les données définitivement perdues alors que la tentative de restauration a été partiellement couronnée de succès, qu'une copie complète et intacte de la base de données commerciales enregistrée en avril 2003 a pu être retrouvée et que le Cabinet BCMR a pu reconstituer les fichiers comptables dès le mois de juin ou juillet 2004; qu'en tout état de cause, ils sont insuffisants à démontrer la corrélation entre la perte des données et la diminution du chiffre d'affaires ACB observé sur l'exercice 2004, étant relevé que les concessionnaires Xerox France ont connu pour l'année 2004 un recul moyen de leur chiffre d'affaires de 10,2 %.

Aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 30 janvier 2008, les sociétés ACB Annecy et Avignon concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de la MB2I et la garantie de la Compagnie Generali.

Elles demandent à titre incident à voir condamner la Compagnie Generali à leur payer respectivement les sommes de 387 445 euro et 100 995 euro en réparations des pertes d'exploitation subies.

Elles sollicitent l'allocation de la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elles exposent que leur système informatique permet de gérer l'ensemble du processus commercial et de la relation client, que les données stockées, représentant plusieurs années de travail, avec notamment un état du parc des machines installées par les concurrents dans les entreprises présentes sur leurs secteurs commerciaux (Annecy, Chambéry et Avignon) sont capitales dans le processus commercial, ce d'autant que le secteur des copieurs et du traitement de documents est extrêmement concurrentiel; que suite aux incidents de mars et d'avril 2004, les données comptables et les données commerciales ont été perdues; que seuls 10 % de ces données ont pu être récupérés par la restauration de certains fichiers; que la perte de la base de données clients a entraîné une baisse du chiffre d'affaires; que la reconstitution des données perdues a entraîné une augmentation des charges.

Elles soutiennent que la société MB2I, fournisseur du matériel informatique d'ACB, en avait toujours assuré la maintenance "à la demande"; qu'elle se devait donc d'intervenir dans des délais raisonnables dès lors qu'il était fait appel à ses services, ce nonobstant l'absence de contrat de maintenance formalisé; qu'elle aurait dû en tout état de cause, dès le 18 mars, mettre en place une procédure permettant de conserver les sauvegardes antérieures, la corruption des données en cas de défaillance du système étant prévisible.

Elles rappellent que le contrat de télé-sauvegarde, quoique gratuit, était l'accessoire d'une prestation à titre onéreux; que son fondement était d'apporter une sécurité absolue au stockage et au traitement des données transmises ce qui imposait à la société MB2I de garantir la restitution de données intègres sauf à vider le contrat de sa substance.

Elles estiment qu'en tout état de cause, la société MB2I a failli à son obligation de conseil.

Elles prétendent que leur préjudice s'élève à la différence entre le résultat courant réel constaté dans les compte sociaux et le résultat courant qui aurait dû être obtenu par une exploitation normale; que ce résultat théorique peut être calculé par la confrontation des résultats de l'année 2004 avec le panel Xerox établi à partir des résultats des 84 concessionnaires du réseau France; que d'autre part, aucune prime n'a pu être attribuée aux dirigeants pour l'année 2004, le résultat ne le permettant pas, ce qui vient majorer la différence de résultat entre l'exercice 2003 au cours duquel une telle prime a été versée et l'année 2004.

Elles soulignent qu'aucune critique de la méthode de calcul du préjudice n'est développée par les appelantes alors qu'elles se sont vu communiquer l'ensemble des pièces ayant servi à l'établissement desdits calculs.

Motifs de la décision

Sur la responsabilité de MB2I

Il résulte de la chronologie du sinistre décrite par l'assurée elle-même dans un courrier adressé le 14 mai 2004 au Cabinet Equad mandaté par son assureur, (pièce intimée n° 11) que la société MB2I a été avisée le 18 mars 2003 par ACB d'une défaillance d'un disque de son système informatique et le 2 avril de l'arrêt total du serveur de fichiers. Dans ce courrier, elle reconnaît n'avoir pas traité le problème lorsqu'elle en a été avisée le 18 mars, en raison de "la transmission de l'information à plusieurs personnes simultanément", et n'avoir fait intervenir son technicien qu'à la suite de la panne du 2 avril 2003. Elle expose également qu'après remplacement de deux disques défectueux, la manœuvre de récupération des données télé sauvegardées a fait apparaître que certains fichiers refusaient de se restaurer parmi lesquels les fichiers comptables, le fichier de la base de données métier, le fichier de la gestion électronique de documents et quelques fichiers documents Microsoft Office; que la cause de cette anomalie pouvait être le dysfonctionnement du serveur de télé-sauvegarde bien que les " journaux de log " n'aient pas révélé d'incident. Elle ajoute que le client n'avait pas d'autre stockage de ses données que son serveur de fichiers comme stockage principal et l'abonnement télé-sauvegarde comme stockage secondaire décentralisé. Elle précise enfin que la base de données perdue regroupait tous les éléments nécessaires à la gestion du processus commercial et de la relation client d'ACB.

Il résulte de ces éléments que, nonobstant l'absence de contrat de maintenance formalisé, la société MB2I assurait "à la demande" les interventions de réparation nécessaires sur l'outil informatique de la société ACB, qu'elle aurait en conséquence dû intervenir dès le 18 mars ou à tout le moins dans les jours suivants pour remédier au problème signalé ce qu'elle reconnaît implicitement en expliquant sa non-intervention par un problème de coordination de son personnel; qu'enfin l'origine de la corruption des fichiers restitués par la télé-sauvegarde est indéterminée.

Il est ainsi établi d'une part que la société MB2I a commis une négligence en n'intervenant pas suite au signalement de la panne du 18 mars, que d'autre part elle a manqué à son obligation de résultat de restitution de données sauvegardées non altérées. La cause invoquée, à savoir la transmission par ACB de fichiers corrompus, à la supposer démontrée ce qui n'est pas le cas en l'état du dossier, ne constitue pas une cause étrangère susceptible de l'exonérer de sa responsabilité dès lors qu'elle était prévisible pour un professionnel qui devait envisager l'hypothèse d'incidents diagnostiqués tardivement et ayant altéré les fichiers en amont du délai de sauvegarde hebdomadaire et qu'en tout état de cause, avisée de la défaillance survenue le 18 mars, elle aurait dû mettre en place une procédure permettant de conserver les sauvegardes antérieures.

C'est par une exacte analyse que le premier juge a dit que ACB ne pouvait être considérée comme un professionnel de l'informatique et que MB2I était tenue d'un devoir de conseil à son égard.

Il ne saurait être reproché à la société ACB de n'avoir pas souscrit de contrat de maintenance dès lors que ses relations avec MB2I devaient lui permettre d'assurer l'entretien de son matériel dans de bonnes conditions. A supposer que la souscription d'un tel contrat lui ait semblé une précaution nécessaire, il appartenait à la société MB2I d'en avertir ACB qui était sa cliente, ce au titre de son devoir de conseil. Pour la même raison, il ne saurait être reproché à ACB de n'avoir pas complété le système de sauvegarde hebdomadaire par un système permettant de remonter dans le temps au delà d'une semaine alors qu'aucun conseil ne lui avait été fourni à cet égard par son cocontractant et qu'en sa qualité de profane, elle pouvait légitimement considérer que le contrat de télé-sauvegarde souscrit suffisait à garantir la conservation de l'intégrité de ses données et leur récupération en cas de détérioration de son système informatique et qu'au contraire, la société MB2I en sa qualité de professionnelle aurait dû attirer son attention sur les limites du contrat de télé-sauvegarde et la nécessité de disposer en complément de sauvegardes plus anciennes.

L'existence d'une intervention inadéquate d'un employé d'ACB sur le disque dur défaillant le 18 mars n'est nullement établie, la chronologie des faits rapportées par MB2I à Equad ne mentionnant nullement une telle intervention.

Aucune faute ne saurait être par conséquent retenue contre ACB de ce chef.

C'est dès lors par une exacte analyse que le premier juge a retenu la responsabilité de la société MB2I dans la survenance du sinistre tant à l'égard d'ACB Annecy que d'ACB Avignon.

La société ABC Annecy justifie avoir régulièrement transmis tous les éléments comptables réclamés par le Cabinet Equad en vue du calcul de son préjudice. Contrairement aux allégations des appelantes, le Cabinet Equad a indiqué dans un courrier du 13 octobre 2005 qu'il déposait son rapport, rapport dont les conclusions sont demeurées inconnues, la société Generali n'ayant pas estimé devoir le communiquer. Il ne saurait dans ce contexte être reproché à ACB de n'avoir pas pris l'initiative de solliciter une expertise. En tout état de cause, ainsi que l'a justement retenu le premier juge, les documents comptables fournis par ACB sont ses comptes annuels publiés et certifiés dont rien ne permet de remettre en doute la sincérité. Il en va de même pour les synthèses des concessionnaires du réseau Xerox France des années 2003 et 2004, lesquelles constituent des documents de comparaison utiles de l'évolution du chiffre d'affaires et de la capacité bénéficiaire de l'activité de concessionnaire Xerox au cours de la période litigieuse.

S'il n'est pas contestable que les fichiers comptables ont pu être reconstitués par l'expert comptable dès le mois de juillet 2004, il n'est nullement établi que les fichiers commerciaux aient pu être reconstitués rapidement, la base de données GRC (gestion de la relation client) d'avril 2003 conservée par ACB n'étant par hypothèse pas à jour. La perte des données permettant la gestion de la relation client a nécessairement désorganisé gravement l'activité de l'entreprise, celle-ci exerçant dans un secteur très concurrentiel.

Le chiffre d'affaires moyen des concessionnaires Xerox entre 2003 et 2004 a enregistré une baisse de 0,58 % et alors que, dans le même temps, celui d'ACB baissait de plus de 100 %. Les résultats d'ACB au titre des années antérieures établissent que ses performances étaient plutôt supérieures à la moyenne des concessions Xerox.

L'ensemble de ces éléments permet d'imputer au sinistre la baisse de chiffre d'affaires et de capacité bénéficiaire constatée en 2004.

Le premier juge a fait une exacte analyse des éléments comptables fournis et une exacte appréciation des préjudices subis par chacune des intimées.

Le jugement déféré sera en conséquence continué en son entier.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société Generali Assurances IARD à payer à la société ALP Conseil Bureautique la somme de 8 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. La condamne aux dépens d'appel avec distraction au profit de la SCP Forquin Rémondin par application de l'article 699 du Code de procédure civile.