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Décisions

CA Amiens, 1re ch. sect. 2, 8 novembre 2007, n° 06-02884

AMIENS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Beiser Environnement (SA)

Défendeur :

Dherbecourt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schoendoerffer

Conseillers :

M. Florentin, Mme Corbel

Avoués :

Me Caussain, SCP Tetelin Marguet, de Surirey

Avocats :

Mes Leyenberger, Medrano, Camus

TGI Péronne, du 18 mai 2006

18 mai 2006

Vu le jugement contradictoire rendu le 18 mai 2006 parle Tribunal de grande instance de Péronne ;

Vu l'appel formé le 12 juillet 2006 par la société Beiser Environnement SA ;

Vu les conclusions déposées le 8 novembre 2006 pour la société Beiser Environnement ;

Vu les conclusions déposées le 20 mars 2007 pour M. Jean-René Dherbecourt ;

Vu l'ordonnance de clôture du 30 mai 2007 ;

M. Jean-René Dherbecourt, exploitant agricole, a acquis, le 28 avril 1999, auprès de la société Beiser Environnement, vendeur professionnel de matériel agricole, une citerne wagon de 85 000 litres destinée à contenir de l'engrais liquide, moyennant le prix de 32 000 F HT (4 878,37 euro).

Au mois d'avril 2001, la citerne a subi un écrasement partiel par implosion, dont les parties ne contestent pas qu'elle était due à une mauvaise conception de l'évent, lequel a mal fonctionné lorsque du liquide stocké à l'intérieur a été retiré.

Selon une lettre en date du 27 juin 2001, M. Jean-René Dherbecourt a consenti à "mettre fin au litige" l'opposant à la société Beiser Environnement en acceptant l'offre de celle-ci de lui verser une indemnisation forfaitaire de 10 000 F HT (1 524,49 euro), " correspondant à la dévaluation de la cuve ", étant précisé que la société Beiser Environnement proposait, en alternative, de lui " vendre une nouvelle cuve à prix réduit ".

Le 4 janvier 2004, M. Jean-René Dherbecourt a constaté une fuite du produit qu'il avait stocké dans la dite citerne (azote liquide à 39 %), au droit d'une soudure cordon près de la vanne de tirage en partie basse de la cuve, de sorte que pratiquement tout l'azote stocké pendant l'hiver s'est écoulé et s'est infiltré dans le sol.

Une expertise unilatérale diligentée par M. Dumens, du cabinet Picardiexpert, en date du 24 février 2004, mandaté par la société d'assurances Les Mutuelles du Mans, assureur de M. Jean-René Dherbecourt, a conclu que l'implosion d'avril 2001 avait eu pour effet de fragiliser les soudures de la dite citerne, et a chiffré le coût de la perte du produit et des frais de transport, de manutention et de stockage d'une partie de l'azote récupéré à la somme totale de 12 730,10 euro.

La société d'assurance Les Mutuelles du Mans a payé à son assuré, M. Jean-René Dherbecourt, la somme de 12 400,61 euro, le 1er avril 2004.

Par assignation du 26 avril 2004, M. Jean-René Dherbecourt a saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Péronne d'une demande d'expertise à l'encontre de la société Beiser Environnement ; par ordonnance des 25 mai 2004 et 16 décembre 2004, le juge des référés a ordonné une expertise et a désigné pour y procéder M. Patrice Baudez, spécialiste en agro-alimentaire de l'Université de technologie de Compiègne, alors inscrit sur la liste des experts de la Cour d'appel d'Amiens.

Au vu du rapport d'expertise déposé par M. Patrice Baudez en date du 29 janvier 2005 et par assignation du 5 juillet 2005, M. Jean-René Dherbecourt a saisi le Tribunal de grande instance de Péronne d'une demande à l'encontre de la société Beiser Environnement aux fins d'obtenir, sur le fondement des articles 1146 et 1147 du Code civil et compte tenu de la garantie contractuelle de 5 ans accordée par cette société, le remplacement de la cuve aux frais de cette dernière, sous astreinte de 150 euro par jour de retard à compter du jugement, le paiement de la somme de 9 300 euro HT à titre de dommages-intérêts correspondant au coût de location d'une autre citerne, ainsi que celle de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par le jugement du 18 mai 2006 susvisé, le tribunal a statué en ces termes :

- entérine le rapport d'expertise de M. Patrice Baudez

- condamne la société Beiser Environnement à payer à M. Jean-René Dherbecourt au titre de la réparation de son préjudice résultant du sinistre survenu en 2004 à sa cuve :

- 7 440 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement

- 1 200 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- déboute la société Beiser Environnement de toutes ses demandes

- condamne la société Beiser Environnement aux dépens.

La société Beiser Environnement conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de débouter M. Jean-René Dherbecourt de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 1 200 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir que le premier sinistre d'avril 2001 a été réparé par le versement d'une indemnité forfaitaire de 10 000 F HT (1 524,49 euro), ce qui, selon les propres termes de M. Jean-René Dherbecourt, "a mis fin au litige".

Elle indique l'avoir verbalement informé de ce que la citerne ayant été fragilisée du fait de l'implosion, elle ne pouvait plus servir à contenir des produits corrosifs (comme l'engrais à base d'azote utilisé par M. Jean-René Dherbecourt), mais seulement de l'eau ; que M. Jean-René Dherbecourt n'ayant pas respecté ses préconisations et ayant pris le risque de stocker de l'azote à 39 %, elle ne saurait être concernée par le second sinistre du mois de janvier 2004.

Elle précise, en outre, que M. Jean-René Dherbecourt ayant acquis, le 28 avril 1999, une citerne d'occasion, il ne saurait prétendre au remplacement de sa citerne par une citerne neuve.

M. Jean-René Dherbecourt conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a entériné le rapport d'expertise déposé par M. Patrice Baudez ; il conclut à l'infirmation du jugement en ses autres dispositions et demande à la cour de condamner la société Beiser Environnement à procéder au remplacement de la cuve aux frais exclusifs de celle-ci, sous astreinte de 150 euro par jour de retard à compter de l'arrêt; " à défaut ", de la condamner à lui payer "une somme équivalente à la valeur vénale de la cuve".

Il demande, en outre, la somme de 9 300 euro HT, " sauf mémoire ", à titre de dommages-intérêts au titre de la location d'une citerne.

Il sollicite la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il indique, notamment, que la citerne acquise le 28 avril 1999 n'était pas une citerne d'occasion et que la dite citerne bénéficiait d'une garantie contractuelle de 5 ans ; que, selon l'expert, le second sinistre de janvier 2004 est lié au premier sinistre d'avril 2001, dans la mesure où l'implosion a fragilisé les soudures ; il conteste que la société Beiser Environnement lui ait préconisé de ne pas stocker des produits corrosifs à la suite du sinistre du mois d'avril 2001.

I - Attendu qu'il convient, en premier lieu, de préciser que :

1°) La société Beiser Environnement ne démontre par aucun élément de preuve que la citerne acquise par M. Jean-René Dherbecourt le 2 avril 1999 ait été vendue d'occasion :

Qu'en effet,

- d'une part, elle ne prouve nullement que le prix d'une citerne de 85 000 litres neuve s'élevait, à l'époque, à la somme de 132 000 F (20 123,27 euro), dès lors qu'elle ne produit, notamment, aucun tarif de ses produits, ou tout autre élément de preuve permettant d'établir que le prix de 32 000 F HT (4 878,37 euro) payé en avril 1999 pour une citerne de 85 000 litres ne correspondait pas à sa valeur à neuf, étant observé que la cour n'est pas spécialement informée de ce que " tout le monde sait dans le milieu agricole le prix d'une citerne neuve et le prix d'une citerne d'occasion ", et qu'en tout cas une partie doit rapporter la preuve de ses affirmations devant une juridiction et ne pas faire référence à un prétendu savoir d'un certain milieu professionnel; qu'en outre, la simple mention pré-imprimée sur la facture " dans l'état où la marchandise se trouve et où vous l'avez acceptée " n'est pas de nature à rapporter la preuve que le matériel vendu est un matériel d'occasion, dès lors qu'il n'est pas démontré que cette mention ne figure que sur les factures relatives à la vente de matériel d'occasion et ne figure pas sur celles concernant la vente de matériel vendu neuf,

- d'autre part, la facture en date du 28 avril 1999 sur laquelle figure la mention supplémentaire " occasion dans l'état ", qui n'existe pas sur la facture délivrée à M. Jean-René Dherbecourt le jour de l'achat, n'a aucune valeur probante dans la mesure où le taux de TVA qui y est indiqué est de 19,60 %, alors que l'article 278 du Code général des impôts, qui fixe le taux de la TVA à 19,60 %, n'a été modifié que par la loi de finance du 13 juillet 2000, qui a ramené le taux de TVA de 20,60 % à 19,60 % à compter du 1er avril 2000 ; qu'en conséquence, à la date prétendue de l'émission de la facture, le 28 avril 1999, le taux de la TVA était toujours de 20,60 % et non de 19,60 %, taux qui ne sera réduit d'un point qu'un an plus tard ;

2) M. Jean-René Dherbecourt ne démontre par aucun élément de preuve que la citerne acquise le 28 avril 1999 bénéficiait d'une garantie contractuelle de 5 ans ;

Qu'en effet, il ne résulte nullement des conditions générales de vente imprimées au dos de la facture qu'une telle garantie ait été accordée, la seule mention à cet égard étant celle de l'article 10, libellée comme suit: " Pour du matériel neuf nous accordons la garantie légale prévue par la loi contre tout vice de fabrication. Cette garantie s'applique à la grande majorité de nos produits. Vous pouvez également profiter d'une garantie sur certains matériels d'occasion " ;

Que M. Jean-René Dherbecourt n'établit par aucun autre document contractuel l'engagement que la société Beiser Environnement aurait pris à son égard ;

Que la seule mention d'une garantie de 5 ans dont M. Jean-René Dherbecourt rapporte la preuve est celle relative aux "soudures" figurant sur une publicité qu'a fait paraître la société Beiser Environnement au mois de novembre 2001, publicité qui non seulement n'a aucune valeur contractuelle, mais dont, au surplus, il n'est en rien démontré qu'elle aurait été en vigueur lors de l'achat de la citerne en cause, puisqu'elle est postérieure de plus de 2 ans 1/2 à l'achat du 28 avril 1999 ;

II - Attendu qu'il est établi, par la lettre du 27 juin 2001 précitée, que le sinistre du mois d'avril 2001 a été réglé par le versement d'une indemnité de 10 000 F HT, qui, de l'aveu même de M. Jean-René Dherbecourt, a eu pour effet de mettre fin au litige lié à l'implosion ;

Attendu, toutefois, alors que la société Beiser Environnement ne conteste pas que la dite implosion d'avril 2001 avait fragilisé les soudures de la citerne, elle ne démontre par aucun élément de preuve qu'elle avait informé M. Jean-René Dherbecourt, d'une part, de la dite fragilisation des soudures de la citerne, ce qui ne sera en réalité démontré que par l'expertise de M. Patrice Baudez à la suite du second sinistre de janvier 2004, et, d'autre part, des risques qu'il prendrait pour le cas où il continuerait à y stocker des produits corrosifs comme de l'azote, et qu'il ne pourrait plus dorénavant que stocker de l'eau, alors qu'elle avait connaissance de l'usage que faisait M. Jean-René Dherbecourt de la dite citerne ;

Attendu qu'en ayant laissé M. Jean-René Dherbecourt dans l'ignorance du risque qu'il courrait en continuant à stocker de l'azote, la société Beiser Environnement a manqué à son devoir de conseil et d'information ;

Que ce manquement est à l'origine directe du sinistre du mois de janvier 2004 ;

Qu'en conséquence, la société Beiser Environnement doit être condamnée à en réparer les conséquences dommageables pour M. Jean-René Dherbecourt ;

Attendu que, contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal, il ne saurait être fait grief à M. Jean-René Dherbecourt de ne pas "avoir pris des précautions élémentaires pour faire réparer la cuve ou vérifier qu'elle était réutilisable avec des engrais" et d'avoir ainsi commis une négligence, car il n'est pas démontré, d'une part, que le professionnel qu'est la société Beiser Environnement l'avait mis en garde à cet égard, et, d'autre part, qu'il avait été décelé en avril 2001 que l'implosion avait fragilisé les soudures, ce qui n'a été établi qu'à la suite du second sinistre de janvier 2004 ;

Attendu qu'il n'est pas établi que, s'il avait été informé de ce qu'il ne pourrait plus, à l'avenir, stocker dans la dite citerne aucun produit agricole mais uniquement de l'eau, M. Jean-René Dherbecourt aurait accepté de limiter l'indemnisation du premier sinistre à la somme de 10 000 F HT;

Que l'usage qu'il a toujours fait de la citerne en cause était le stockage d'engrais et non d'eau, dont il n'est pas démontré que cela soit utile à son exploitation agricole ;

Attendu que, du fait des conséquences du premier sinistre d'avril 2001, imputable entièrement à la société Beiser Environnement, la citerne ne correspondait plus à l'usage auquel il la destinait ; qu'il n'est pas démontré qu'il a accepté de limiter cet usage ;

Qu'il s'ensuit que M. Jean-René Dherbecourt ne pouvait se douter que du fait de l'implosion d'avril 2001, la citerne ne résisterait pas au stockage d'engrais azotés, étant rappelé que l'indemnisation versée à la suite du premier sinistre ne compensait que la " dévaluation " de la cuve endommagée, mais ne concernait pas sa perte de capacité à stocker des produits corrosifs ;

Attendu, en conséquence, qu'en application de l'article 1147 du Code civil, la société Beiser Environnement doit être condamnée, sous astreinte provisoire de 100 euro par jour de retard qui commencera à courir à l'issue d'un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt et ce pendant un délai de deux mois au-delà duquel il sera statué par le juge de l'exécution, à procéder au remplacement de la citerne par une citerne de même capacité, toutefois d'occasion et non pas neuve pour tenir compte de la vétusté, susceptible de permettre le stockage de produits agricoles corrosifs ;

III - Attendu que M. Jean-René Dherbecourt justifie avoir été contraint de louer une cuve de 70 m3 depuis le mois de juin 2004, moyennant un coût mensuel de 650 euro HT, outre la somme de 1 500 euro HT pour le transport et la manutention de la cuve de location ;

Que la somme de 9 300 euro HT demandée correspond à 12 mois de location et au coût du dit transport ;

Qu'il convient donc de condamner la société Beiser Environnement à payer à la somme de 9 300 euro HT à titre de dommages-intérêts pour la location d'une cuve du mois de juin 2004 au mois de juin 2005 ;

IV - Attendu que la société Beiser Environnement, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et d'appel :

Attendu qu'il serait inéquitable que M. Jean-René Dherbecourt conserve la charge des frais irrépétibles qu'il a exposés ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions qui ont condamné la société Beiser Environnement à lui payer la somme de 1 200 euro à ce titre et de la condamner à lui payer la somme complémentaire en cause d'appel de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que la société Beiser Environnement étant condamnée aux dépens, sa demande formée au titre des frais irrépétibles doit être rejetée ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement, Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions qui ont condamné la société Beiser Environnement à payer à M. Jean-René Dherbecourt la somme de 7 400 euro à titre de dommages-intérêts ; L'infirme de ce chef et statuant à nouveau, Condamne la société Beiser Environnement à procéder, sous astreinte provisoire de 100 euro par jour de retard qui commencera à courir à l'issue d'un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt et ce pendant un délai de deux mois au-delà duquel il sera statué par le juge de l'exécution, au remplacement de la citerne vendue le 28 avril 1999 à M. Jean-René Dherbecourt par une citerne d'occasion de 85 000 litres, susceptible de permettre le stockage de produits agricoles corrosifs ; Ajoutant au jugement, Condamne la société Beiser Environnement à payer à M. Jean-René Dherbecourt la somme de 9 300 euro HT à titre de dommages-intérêts pour la location d'une cuve du mois de juin 2004 au mois de juin 2005 ; Condamne la société Beiser Environnement à payer à M. Jean-René Dherbecourt la somme complémentaire en cause d'appel de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute la société Beiser Environnement de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Beiser Environnement aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.