CA Montpellier, 1re ch. sect. as, 17 janvier 2005, n° 03-03889
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Delta Provence (SNC)
Défendeur :
Granulats Sud (SAS), Gan Assurances (Sté), Toulon Enrobés (Sté), Axa France IARD (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schmitt
Conseillers :
MM. Armingaud, Chassery, Avon, Mme Debuissy
Avoués :
SCP Nègre-Pepratx-Nègre, SCP Argellies-Travier-Watremet
Avocats :
SCP Blanc-de Bez-Blanc, Me Boncompagni
En 1992 un entrepreneur a construit un terrain de tennis au moyen d'enrobés fournis par la société Toulon Enrobés assurée auprès de la compagnie UAP devenue Axa et incorporant des agrégats provenant de la société Garon aux droits de laquelle vient la société Granulats Sud assurée auprès de la compagnie Gan.
Sur le fondement d'un rapport d'expertise judiciaire le Tribunal de commerce de Brignoles, par jugement en date du 16 septembre 1997, a fixé à 180 338,71 F le montant de la créance du propriétaire de l'ouvrage au passif de la liquidation judiciaire de l'entrepreneur et condamné " solidairement " la société Toulon Enrobés et son assureur à concurrence de deux tiers, le fournisseur d'agrégats et son assureur à concurrence d'un tiers, à garantir le liquidateur judiciaire en fonction.
Par arrêt en date du 6 décembre 2001 la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a réformé ce jugement et, d'une part condamné in solidum la société Toulon Enrobés, la société Granulats Sud et leurs assureurs à payer la somme de 180 338,46 F au propriétaire de l'ouvrage, d'autre part condamné la société Granulats Sud et son assureur à garantir la société Toulon Enrobés et son assureur.
Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation le 24 juin 2003 au motif que la cour d'appel n'avait pas recherché si en qualité de professionnel la société Toulon Enrobés n'était pas tenue d'effectuer un contrôle des agrégats au moment de leur livraison afin de vérifier leur qualité et déterminer s'ils pouvaient être utilisés pour la fabrication d'enrobés.
Après la saisine régulière de la Cour d'appel de Montpellier, cour de renvoi, la société Toulon Enrobés et la compagnie Axa, aux termes de leurs conclusions déposées le 9 juin 2004, sollicitent l'infirmation de la décision attaquée, demandent à être mises hors de cause, et réclament la condamnation, d'une part de la société Granulats Sud à supporter la charge du vice qui affectait les agrégats qu'elle a livrés, d'autre part de cette société et de son assureur à leur payer la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles.
Elles soutiennent en substance que le fournisseur d'agrégats n'ignorait pas la destination des matériaux livrés et doit répondre de leur impropriété à leur destination mise en évidence par l'expert sans pouvoir, en sa qualité de professionnel, reprocher à l'acquéreur de ne pas avoir pratiqué un test que n'imposaient ni le contrat ni aucune norme professionnelle.
La société Granulats Sud et de la compagnie Gan, par leurs conclusions déposées le 27 février 2004, réclament la confirmation de la décision attaquée et la condamnation des appelantes au remboursement des sommes perçues en vertu de l'exécution provisoire ainsi qu'au paiement à chacune d'elles, d'une somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles.
Elles exposent pour l'essentiel que les agrégats litigieux ont été livrés en grande quantité sans spécification de qualité et d'utilisation particulières et mis en œuvre par la société Toulon Enrobés aux fins qui lui ont paru utiles, qu'ils n'étaient pas atteints d'un vice en eux-mêmes, mais simplement inadaptés à l'usage qui en a été fait de sa propre initiative par l'entreprise destinataire qui avait l'obligation de vérifier leur conformité lors de la livraison et après la préparation de l'enrobé.
Sur ce,
Attendu que pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions des parties il est renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du NCPC, à leurs conclusions visées ci-dessus;
Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise que la défectuosité de l'enrobé posé par la société Toulon Enrobés a pour cause exclusive l'inadaptation des granulats mis en œuvre, de taille adéquate mais de catégorie E beaucoup trop friable pour la confection de courts de tennis qui, supportant des contraintes assimilables à celles d'un revêtement routier, nécessite l'utilisation de granulats de catégorie B ou C;
Attendu que l'expert a émis l'avis que les granulats de catégorie E sont impropres à la confection de quelque enrobé que ce soit ; que le fournisseur, tenu de connaître les caractéristiques des produits vendus et de les garantir, ne pouvait en toute hypothèse l'ignorer alors qu'il avait selon l'expert effectué en 1990 et 1991 des analyses qui avaient classé les matériaux successivement en catégories D et E;
Attendu qu'encore qu'il ne soit pas établi, faute de production des bons de commande, que la catégorie des matériaux commandés ait été spécifiée par l'utilisateur, et qu'elle n'apparaisse pas sur les factures qui ne font ressortir que la taille, le fournisseur qui, en qualité de voisin et en conséquence de la fréquence des livraisons qu'il met lui-même en avant, connaissait nécessairement la destination des matériaux limitée selon les assertions non combattues de l'utilisateur à la fabrication d'enrobés, a gravement manqué à ses devoirs de loyauté et de renseignement en livrant une marchandise impropre à l'usage auquel elle était destinée et en n'attirant pas l'attention de l'utilisateur sur ses caractéristiques;
Attendu que l'expert a encore noté que l'utilisateur, qui avant 1991 fabriquait des enrobés de même destination au moyen d'agrégats livrés par une autre carrière, n'avait, malgré le changement de fournisseur, effectué aucun des contrôles qui étaient à sa portée et qui étaient de nature à lui révéler l'impropriété à sa destination du matériau livré, qu'alors qu'il n'avait pas spécifié la qualité des granulats commandés et que le changement de fournisseur imposait des précautions, et encore que les contrôles fussent facultatifs selon les normes en vigueur, l'utilisateur, professionnel de la fabrication d'enrobés, a ainsi commis une faute de négligence;
Attendu que les deux fautes ont concouru à la production du dommage: que compte tenu de leur gravité respective le fournisseur sera déclaré responsable pour deux tiers l'utilisateur pour un tiers, et l'appel en garantie accueilli dans la même proportion; qu'en découle leur obligation in solidum à l'égard du constructeur et du propriétaire du terrain de tennis en cause ;
Attendu que les sociétés Toulon Enrobés et Granulats Sud et leurs assureurs n'ont pas conclu à l'encontre du propriétaire de l'ouvrage défectueux et du constructeur du cours de tennis qu'ils n'ont pas attrait devant la cour de renvoi bien que le jugement déféré comporte des dispositions les concernant; qu'il en est pris acte, l'acquiescement implicite ne pouvant être constaté en l'absence de ces parties qui ont apparemment été désintéressées; que les dispositions du présent arrêt seront en conséquence limitées à l'appel en garantie;
Attendu que la société Granulats Sud et son assureur réclament la restitution des sommes versées sans préciser et prouver lequel des deux est l'auteur du paiement, qu'il sera fait droit dans son principe à cette demande non contestée, sans désignation de bénéficiaire et dans la mesure du partage de responsabilités, les intérêts étant dus au taux légal à compter de la signification de l'arrêt de la Cour de cassation qui emporte obligation de restitution;
Attendu que les dépens nés de l'appel en garantie seront partagés dans la mesure du partage de responsabilités; qu'il est équitable d'accorder à la société Toulon Enrobés et à son assureur le remboursement de leurs frais irrépétibles à concurrence de 2 500 euro ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Constate que les parties n'ont pas attrait devant la cour de renvoi le propriétaire et le constructeur du terrain de tennis défectueux. Au fond, infirme la décision attaquée du seul chef de l'appel en garantie et, statuant à nouveau, Dit que les sociétés Toulon Enrobés et Granulats Sud sont responsables des défectuosités du terrain de tennis à proportion, respectivement, d'un tiers et de deux tiers. Condamne en conséquence la société Granulats Sud et la compagnie Gan à garantir à concurrence de deux tiers la société Toulon Enrobés et la compagnie Axa des condamnations prononcées contre ces dernières sur demande principale; Ordonne la restitution à la société Granulats Sud ou à la compagnie Gan de la somme de 11 521,24 euro avec les intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt de cassation. Partage les dépens de première instance et d'appel nés de l'appel en garantie à raison de deux tiers à la charge de la société Granulats Sud et de la compagnie Gan et d'un tiers à la charge de la société Toulon Enrobés et de la compagnie Axa. Admet l'avoué de la société Toulon Enrobés et de la compagnie Axa au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC. Condamne la société Granulats Sud et de la compagnie Gan à payer à la société Toulon Enrobés et à la compagnie Axa une somme de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles.