CA Douai, 1re ch. sect. 1, 22 mars 2004, n° 03-00566
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Elairech
Défendeur :
Eurial (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Roussel
Conseillers :
Mmes Hirigoyen, Guieu
Avoués :
SCP Congos-Vandendaele, SCP Deleforge Franchi
Avocats :
Mes Lequint, Lequai
[Par] jugement du 28 novembre 2002 auquel il est expressément renvoyé pour l'exposé des faits, moyens et prétentions antérieurs des parties, le Tribunal de grande instance de Lille a, dans un litige opposant Mademoiselle Farida Elairech à la SA Eurial:
- débouté Mademoiselle Farida Elairech de ses demandes fondées sur les articles 1641 et suivants du Code civil;
- constaté que la SA Eurial offre de régler à Mademoiselle Farida Elairech la somme de 13 684,20 F TTC en réparation de son préjudice;
- débouté les parties de leurs demandes en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par déclaration du 27 janvier 2003, Mademoiselle Farida Elairech a relevé appel de la décision.
Vu les conclusions déposées par l'appelante le 7 novembre 2003.
Vu les conclusions déposées par la SA Eurial le 29 septembre 2003.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 13 janvier 2004.
L'analyse plus ample des moyens des parties sera effectuée à l'occasion de la réponse apportée à leurs écritures opérantes.
Motifs :
Le 24 septembre 1998, Mademoiselle Farida Elairech a acheté auprès de la SA Eurial un véhicule d'occasion BMW 320 I Cabriolet pour un montant de 94 500 F (14 406,43 euro).
Ce véhicule immatriculé 9030 YV 59, avait été mis en circulation le 6 avril 1993.
Lors de la vente, le compteur du véhicule affichait 45 017 kms et bénéficiait d'une garantie vendeur moteur, boîte, pont et transmission pour une durée d'un an.
Le 26 novembre 1999, le véhicule a été victime d'une panne de distribution à la suite de la rupture de la courroie de distribution, alors que le compteur affichait 63 923 kms.
Après qu'une expertise amiable ait été réalisée à la demande de la MAAF, assureur protection juridique de Mademoiselle Farida Elairech sans qu'aucune solution amiable n'ait été trouvée entre les parties, Mademoiselle Farida Elairech a sollicité une expertise judiciaire.
Une ordonnance de référé du 11 juillet 2000 a désigné à cette fin Monsieur Kubiak qui a déposé sur rapport le 1er mars 2001.
C'est sur la base de ce rapport que Mademoiselle Farida Elairech a sollicité la résolution de la vente et l'indemnisation d'un certain nombre de préjudices sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil et dans ce contexte qu'a été rendue la décision attaquée.
Il convient de rappeler les conclusions auxquelles a abouti Monsieur Kubiak:
- les désordres observés proviennent de la rupture de la courroie de distribution de par une vétusté avancée qui existait déjà à la date de transaction au regard des préconisations du constructeur;
- cette usure prononcée de la courroie de distribution au moment de la transaction n'était pas perceptible par l'acquéreur;
- la SA Eurial n'a pas pris les précautions d'usage avant de satisfaire à la transaction, un simple contrôle de la courroie aurait suffit à détecter son usure extrême;
- toute origine qui serait liée soit à l'entretien du véhicule par Mademoiselle Farida Elairech, soit à l'utilisation, soit à un acte de vandalisme est à exclure;
- la remise en état du véhicule s'élève à 13 684,20 F TTC;
- la durée d'immobilisation du jour de la panne au jour du dépôt du rapport est 460 jours soit une indemnité d'immobilisation de 43 470 F (460 x 94,50 F par jour).
Mademoiselle Farida Elairech soutient que "le fait pour la SA Eurial de ne pas avoir vérifié l'état de la courroie de distribution, constitue un vice caché à son égard", soulignant que le véhicule ayant été mis en circulation en avril 1993, la courroie aurait dû être changée au plus tard en avril 1997.
Subsidiairement, elle fait valoir que la SA Eurial, en sa qualité de vendeur professionnel était tenue d'une obligation de résultat s'agissant du changement de la courroie de distribution qui apparaît comme une opération d'entretien obligatoire et qu'à tout le moins elle se devait d'alerter sa cliente dans le cadre de son obligation de conseil et de renseignement sur la nécessité impérative de procéder à ce changement de courroie.
Elle estime que le vendeur, n'ayant pas procédé au changement et ne l'ayant pas avertie de la situation a donc engagé sa responsabilité contractuelle, et sollicite en conséquence la résolution du contrat sur le fondement des articles 1184 et 1147 du Code civil ou à titre infiniment subsidiaire l'octroi de dommages et intérêts.
La SA Eurial considère que la vétusté normale n'est pas constitutive d'un vice et ne peut donc être assimilée à la notion de vice caché.
Elle rappelle par ailleurs avoir dès le 4 avril 2001, de manière officielle, au vu du rapport d'expertise, offert à sa cliente le règlement de la somme de 2 080,65 euro permettant la remise en état du véhicule, et réitère cette proposition devant la cour.
Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vice est un défaut de la chose qui la rend impropre à l'usage auquel on la destine ou diminue tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix.
Le vice s'entend d'un défaut inhérent à la chose rendue c'est-à-dire d'un défaut de fabrication ou d'un vice de conception empêchant la chose de rendre ou de rendre pleinement les services qu'on en attend.
La défectuosité doit donc avoir une origine interne. Si l'usure prématurée ou anormale peut être constitutive d'un vice caché, en revanche, l'usure d'un véhicule d'occasion due à son âge, d'ailleurs connue de l'acquéreur, en général, ne peut être en elle-même considérée comme un vice.
En l'espèce, selon les données des constructeurs la courroie de distribution du véhicule devait être changée tous les 70 000 kms ou tous les 4 ans.
Il est donc acquis qu'en raison du kilométrage du véhicule litigieux mis en circulation le 6 avril 1993, la courroie aurait dû être échangée à compter du 6 avril 1997.
Or le véhicule a été vendu à Mademoiselle Farida Elairech le 24 septembre 1998 sans que ce changement ait été opéré. La courroie s'est rompue le 26 novembre 1999 soit 14 mois après la vente, et 6 ans et demi après sa mise en circulation.
Eu égard aux préconisations du constructeur, la rupture intervenue constituait dès lors un phénomène envisageable en cas de négligence dans l'entretien et le suivi du véhicule ; elle ne peut donc être assimilée à un vice caché dès lors qu'elle était prévisible en cas de défaut d'entretien.
C'est donc par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a pu décider que n'est pas constitutive d'un vice caché la rupture d'un élément mobile du moteur dont la tenue et la durée de vie mécanique sont limités dans le temps, ce qui nécessite son remplacement à intervalles réguliers. Il sera ajouté que l'incident est survenu largement après la durée de 4 ans, préconisée comme périodicité maximale de changement de sorte que l'on ne peut considérer qu'il s'agisse d'un phénomène anormal d'usure, étant précisé que les conséquences de la rupture sont réversibles puisque le coût de la réparation a été fixé à la somme de 13 684,20 F.
Il est vain pour l'appelante de faire état des différentes démarches antérieures effectuées auprès de son vendeur pour mettre son véhicule "en conformité" dès lors que la cause unique du sinistre est la rupture de la courroie.
Enfin, l'affirmation de Mademoiselle Farida Elairech selon laquelle elle n'aurait pas acquis le véhicule si elle avait connu son état est sans intérêt dès lors qu'il est démontré que la rupture de la courroie n'est pas consécutive à un vice caché.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Mademoiselle Farida Elairech de l'ensemble de ses demandes articulées sur le fondement de l'article 1641 du Code civil.
Mademoiselle Farida Elairech sollicite subsidiairement la résolution du contrat sur le fondement des articles 1147 et 1184 du Code civil, ou à titre infiniment subsidiaire l'octroi de dommages et intérêts.
Elle fait valoir que la SA Eurial avait une obligation contractuelle de résultat lors de la vente, s'agissant du changement de la courroie et a manqué à son obligation de conseil et de renseignement.
Il doit être à titre préliminaire souligné que l'obligation de résultat qui pèse sur un garagiste ne se conçoit qu'à l'occasion de la réalisation d'une opération de réparation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, s'agissant d'un contrat de vente.
Il doit être également souligné que Mademoiselle Farida Elairech ne peut valablement solliciter la résolution du contrat sur le fondement de l'article 1184 du Code civil dès lors qu'il n'est pas justifié ni même allégué une inexécution voire une exécution partielle du contrat de vente lui-même.
La SA Eurial n'était, même s'il eût été préférable qu'elle le fasse, pas tenue contractuellement de changer la courroie de distribution avant la vente.
En revanche, en sa qualité de vendeur spécialisé, elle était tenue de vérifier l'état de celle-ci afin, conformément à l'obligation de conseil et de renseignements qui lui incombait, de pouvoir donner à l'acheteuse les informations sur les conditions d'utilisations et précautions à prendre ainsi que sur la nécessité de faire procéder au changement de courroie, compte-tenu des préconisations constructeurs.
Il n'est pas contesté par la SA Eurial qui d'ailleurs, propose de verser à l'appelante la somme de 2 080,65 euro, correspondant au coût de la remise en état du véhicule (fixé par l'expert), que cette information n'a pas été donnée de sorte que ce défaut à privé Mademoiselle Farida Elairech de la possibilité de faire un usage correct du véhicule en faisant procéder au remplacement de la courroie avant que celle-ci ne se rompe.
Le manquement de la SA Eurial à son obligation de renseignement est d'autant plus caractérisé, qu'elle avait accordé à Mademoiselle Farida Elairech, une garantie-vendeur d'un an aux termes de laquelle pour en bénéficier, cette dernière devrait "faire effectuer par un garagiste professionnel les opérations d'entretien prescrites par le constructeur à la fréquence prévue par celui-ci".
Avant d'accorder cette garantie-vendeur, la SA Eurial aurait nécessairement dû se convaincre de l'état du véhicule vendu de sorte qu'elle aurait a fortiori dû attirer l'attention de l'appelante sur l'état de la courroie.
Le manquement à une obligation de moyens (que constitue l'obligation de renseignement du vendeur) est susceptible de donner lieu, conformément à l'article 1147 du Code civil, non à la résolution du contrat, mais seulement à l'octroi de dommages et intérêts.
Mademoiselle Farida Elairech sollicite à ce titre une somme de :
- 1 370,49 euro correspondant au coût de l'aménagement de sa voiture (l'appelante est en effet handicapée);
- 1 964,10 euro correspondant au coût de l'aménagement GPL;
- 20 750,40 euro au titre du préjudice d'immobilisation, à parfaire au jour de la décision;
- 1 853,22 euro au titre de la prime d'assurance payée en 2000.
Dans le dispositif de ses écritures (en cela différent des motifs), elle réclame également la somme de 14 406,43 euro représentant le prix payé, à titre de dommages et intérêts.
Mademoiselle Farida Elairech ne peut valablement réclamer le coût de l'aménagement spécifique du véhicule à son handicap ni celui de l'installation du GPL dans la mesure où ces dépenses sont sans lien de causalité avec le manquement du vendeur à ses obligations et donc sans rapport avec le préjudice subi.
Au vu des éléments du dossier et eu égard à la nature et aux circonstances du préjudice ayant résulté de l'attitude de la SA Eurial, il convient de condamner cette dernière à payer à Mademoiselle Farida Elairech, à titre dommages et intérêts la somme de 5 000 euro.
L'équité commande par ailleurs d'indemniser Mademoiselle Farida Elairech de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens à hauteur de 1 000 euro.
Les dépens de première instance et d'appel doivent être laissés à la charge de la SA Eurial, condamnée pour manquement à ses obligations.
Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges. Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a débouté Mademoiselle Farida Elairech de ses demandes fondées sur les articles 1641 et suivants du Code civil; Y ajoutant, déboute Mademoiselle Farida Elairech de sa demande en résolution du contrat de vente; Condamne la SA Eurial à lui verser une somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts; outre 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la SA Eurial aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP Congos-Vandendaele, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.