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Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 18 mars 2004, n° 2002-15121

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Verdet (Epoux)

Défendeur :

Sanofi Synthélabo France (Sté), Centre de Prévoyance Médico Sociale (SA), CPAM de Paris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Anquetil

Conseillers :

Mme Brongniart, M. Diximier

Avoués :

Me Huyghe, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Illouz, Gorny, SCP Courtois-Lebel

TGI Paris, du 27 mai 2002

27 mai 2002

Par jugement répute contradictoire rendu le 27 mai 2002, le Tribunal de grande instance de Paris a débouté Monsieur et Madame Verdet de leurs demandes et condamné la société Sanofi Synthélabo France à supporter le coût des dépens y compris les frais d'expertise, et à payer aux époux Verdet la somme de 1 500 euro en remboursement de leurs frais irrépétibles;

Les premiers juges avaient été saisis par les époux Verdet dans les circonstances suivantes:

Martine Verdet, née le 16 décembre 1953, a présenté, à la suite d'un accouchement en avril 1988, des troubles du comportement évoquant une psychose puerpérale; elle a été soignée par plusieurs médicaments;

Le 30 octobre 1997, le médecin psychiatre la suivant a remplacé le Téralithe par du Dépamide à raison de 600 mg par jour, maintenant les autres médicaments; le 15 novembre suivant, la posologie a été doublée;

Ayant constaté la chute de ses cheveux et de ses poils pubiens, Martine Verdet a consulté le 23 mars 1998 un médecin dermatologue; après élimination des autres causes, le rôle de la Dépamide a été retenu; la posologie a été réduite puis le traitement arrêté fin juin 1998;

Martine Verdet et son mari ont le 9 décembre 1999 assigné en responsabilité la société Sanofi Synthélabo France, fabricant du Dépamide, reprochant à cette société un défaut d'information sur les effets indésirables de ce médicament. Le juge de la mise en état a désigné par ordonnance du 3 octobre 2000 le Professeur Fournier en qualité d'expert; le rapport a été déposé le 25 avril 2001;

C'est de ce jugement que les époux Verdet sont appelants; par dernières conclusions du 5 décembre 2003, après rappel des faits, de la procédure et des conclusions de l'expert, ils soutiennent que:

- leur action est recevable, leur assignation étant régulièrement motivée en fait et en droit; ils rappellent qu'à titre principal la responsabilité de la société Sanofi Synthélabo France peut être retenue sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle (1384 Code civil) en raison de la désinformation volontaire du laboratoire à propos des effets secondaires du médicament en cause, désinformation assimilable au dol; qu'à titre subsidiaire, ils se fondent sur la responsabilité contractuelle de l'article 1147 du Code civil;

- l'information prétendue par la société Sanofi Synthélabo France sur le risque d'alopécie en cas de prise de Dépamide, dans la monographie parue au dictionnaire Vidal par renvoi à la Dépakine, et l'usage prétendu d'une moindre information sur la notice accompagnant les boîtes de médicament, sont contredites par l'expertise et sont contraires à la réglementation de l'étiquetage et des notices des médicaments que feint d'ignorer le laboratoire, pourtant professionnel avisé; ils soutiennent que sauf à dénaturer les conclusions de l'expert, l'information sur les effets indésirables d'un médicament, par renvoi à un autre médicament n'est pas suffisante dès lors qu'elle figure sur un dictionnaire médical qui n'est pas fourni au patient, et en l'absence de toute information sur la notice sur les effets indésirables de ce médicament; ils rappellent que la notice n'indiquait pas le risque d'alopécie;

- la responsabilité du laboratoire est engagée contractuellement dès lors qu'il n'est pas justifié que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée;

- le laboratoire connaissait les risques d'alopécie en cas de prise de Dépamide, bien que rares; que le manque d'information est donc fautif; que le préjudice existe alors que l'alopécie de Martine Verdet est stabilisée mais que ses cheveux n'ont pas retrouvé l'aspect antérieur à la prise de Dépamide; ils contestent qu'informée, Martine Verdet aurait toute de même consommé le médicament, comme l'ont retenu les premiers juges; il est rappelé en effet que lors d'une première prise en juillet 1995 (dans un cadre hospitalier) Martine Verdet avait déjà ressenti des troubles de la vue et changé alors de traitement; qu'il en aurait été de même en 1997 et qu'elle a du reste cessé le traitement dès qu'elle a imputé au médicament la chute de ses cheveux; le préjudice apparaît donc indemnisable; elle critique l'évaluation de l'incapacité permanente partielle à 5 % ;

Martine Verdet demande en réparation de son préjudice économique constitué par le manque à gagner lié au report de l'ouverture de son commerce de huit mois et au temps consacré à soigner et gérer sa situation psychologiquement et financièrement pénible, une somme de 30 795 euro; au titre de ses autres préjudices (pretium doloris et préjudice esthétique) celle de 152 450 euro;

Pierre Verdet demande au titre de son préjudice moral et sexuel subi comme époux la somme de 15 245 euro;

Ils sollicitent 10 940 euro pour leurs frais irrépétibles;

La société Sanofi Synthélabo France, intimée, dans ses dernières écritures du 21 février 2003 soutient que:

- l'action des époux Verdet est irrecevable, l'assignation n'étant pas conforme aux dispositions de l'article 56-2° du nouveau Code de procédure civile, pour viser des fondements juridiques contradictoires;

- Martine Verdet ne peut se prévaloir que d'une perte de chance, ce qui suppose la preuve d'un manquement à l'obligation d'information et de ce qu'elle aurait cessé le traitement si elle avait été informée; la concluante conteste tout manquement à l'information, dès lors qu'au Vidal la possibilité d'alopécie sous Dépamide est mentionnée par renvoi au produit Dépakine; que ce risque bien que rare est connu des médecins psychiatres; que la modification du RCP, intervenue depuis lors, se fait selon une procédure réglementaire précise sous l'égide de l'AFSSAPS, et n'est pas l'aveu d'une faute; qu'il est d'usage par ailleurs que la notice de boîte soit moins complète que la monographie au Vidal notamment pour ne pas nuire au taux d'observance, particulièrement en psychiatrie; que la notice indiquait de signaler au médecin tout effet non souhaité ou gênant qui ne serait pas mentionné dans la notice, ce que Martine Verdet n'a pas fait; la concluante conteste par ailleurs que Martine Verdet eût le choix du médicament, alors que le traitement de ses troubles relevait de la nécessité absolue, voire vitale, que les alternatives thérapeutiques étaient très peu nombreuses, que le risque d'alopécie était connu comme rare et réversible; qu'en 1995, Martine Verdet n'avait du reste pas perdu ses cheveux; qu'en 1995, connaissant le risque de prise de poids de la Téralithe (associée à la Dépamide par le médecin traitant), elle a néanmoins accepté de prendre ce médicament;

- que Pierre Verdet ne démontre pas que l'alopécie est la cause de la suppression des rapports sexuels avec son épouse, qui avait grossi de 15 kg, et du retentissement familial prétendu; la société Sanofi Synthélabo France conclut donc au mal fondé des demandes;

Subsidiairement, elle discute l'importance ou la réalité des préjudices invoqués; elle demande l'infirmation du jugement sur les frais et l'indemnité pour frais irrépétibles;

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Paris et le Centre de Prévoyance Médico-Sociale rue Poissonnière Paris 10e ont été assignés à personne habilitée mais n'ont pas constitué; l'arrêt sera réputé contradictoire;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que l'assignation introductive d'instance délivrée par les époux Verdet indique clairement les faits reprochés à la société Sanofi Synthélabo France, à savoir le défaut d'information donnée sur les effets indésirables de la Dépamide, en relation de causalité avec le préjudice d'alopécie constaté chez Martine Verdet; qu'elle est fondée en droit sur les articles 1382 et 1384 du Code civil et les articles R. 5143 et suivants du Code de la santé publique; qu'elle vise les pièces communiquées; qu'elle est donc conforme aux dispositions de l'article 56-2° du nouveau Code de procédure civile;

Que les écritures ont par la suite envisagé, mais à titre subsidiaire, une responsabilité contractuelle fondée sur l'article 1147 du Code civil;

Qu'il n'y a nulle contradiction; que les époux Verdet sont recevables en leurs demandes;

Considérant qu'en l'absence d'un lien contractuel existant directement entre la société Sanofi Synthélabo France et les époux Verdet, la responsabilité à retenir éventuellement ne peut être que délictuelle ou quasi-délictuelle;

Considérant qu'il n'est pas discuté par les parties que l'alopécie subie par Martine Verdet au cuir chevelu et au pubis, a pour origine la prise de Dépamide; que ce trouble n'est plus évolutif mais que la densité des cheveux reste inférieure à ce qu'elle était antérieurement à la prise de ce médicament;

Considérant sur l'obligation d'information des effets indésirables d'un médicament, qu'aux termes de l'article R. 5128 du Code de la santé publique en sa rédaction applicable à l'époque des faits litigieux, la demande d'autorisation de mise sur le marché doit être accompagnée d'un résumé des caractéristiques du produit (RCP), qui doit mentionner ces dits effets en application des articles R. 5128-2 et R. 5128-3;

Qu'aux termes de l'article R. 5143-5 du Code de la santé publique, en sa rédaction applicable à la date des faits aux médicaments soumis à autorisation, la notice d'information destinée aux utilisateurs, prévue à l'article R. 5143-4, doit être établie en conformité avec le résumé des caractéristiques du produit et doit comporter notamment une description des effets indésirables pouvant être observés lors de l'usage normal du médicament ou du produit et, le cas échéant, la conduite à tenir, ainsi qu'une invitation expresse pour le patient à communiquer à son médecin ou à son pharmacien tout effet indésirable qui ne serait pas mentionné dans la notice;

Que l'obligation de renseignements relative aux contre-indications et effets secondaires des médicaments, ne peut, comme il résulte d'ailleurs des dispositions du Code de la santé publique, s'appliquer qu'à ce qui est connu au moment de l'introduction du médicament sur le marché et à ce qui a été porté à la connaissance des laboratoires depuis cette date;

Considérant que le Professeur Fournier, expert désigné, précise, sans être contesté par la société Sanofi Synthélabo France (cf sa lettre du 31 mars 1998 au docteur Godefroy), que le risque d'alopécie lié à l'utilisation de la Dépamide était connu à la date des faits litigieux; que sa fréquence par contre fait l'objet de discussions, variant entre 2,5 % et 12 % des patients pour de nombreuses raisons : type de malade, doses administrées, médicaments associés, mode de recueil des données de pharmacovigilance...; que le nombre de cas déclarés est particulièrement faible au regard du nombre des prescriptions, cela pouvant s'expliquer par le caractère réversible de l'alopécie induite par la Dépamide;

Considérant que la monographie publiée au Vidal à la date des faits litigieux mentionne que l'élément actif est le valpromide et que ce dernier ayant pour métabolisme actif l'acide valproïde, les effets indésirables observés avec le valproate de sodium (dépakine -> Renvoi) sont susceptibles de survenir lors du traitement par Dépamide ; que la monographie de la Dépakine mentionne le risque d'alopécie; qu'il en résulte que l'information était suffisamment donnée aux professionnels-lecteurs auxquels est destiné le Vidal, publication qui n'est pas en soi concernée par la réglementation en vigueur;

que le RCP accompagnant la demande d'autorisation sur le marché à l'époque des faits litigieux n'est pas produit, ni sa teneur discutée par les parties, n'étant produit que le RCP actualisé en 2001;

Considérant par ailleurs que la notice d'information alors présente dans le conditionnement du médicament et destinée aux patients, n'indiquait pas le risque d'alopécie; que par contre elle recommandait de signaler au médecin ou au pharmacien tout effet non souhaité ou gênant qui ne serait pas mentionné dans la notice; qu'en ce sens elle était conforme aux prescriptions de l'article R. 5143-5 susvisé;

Que l'expert note qu'il existe une différence importante entre le RCP et la notice, qui résulte de plusieurs facteurs, en particulier la gravité des effets indésirables et leur fréquence, et le fait que la notice attire plus spécialement l'attention sur les risques gênants dans la vie quotidienne (conduite automobile par exemple) et sur les risques de pathologie somatique grave impliquant un arrêt urgent et définitif du médicament; qu'il indique qu'un compromis est recherché entre une information exhaustive et une information utile ne risquant pas d'entraver de manière néfaste la compliance, c'est-à-dire la poursuite thérapeutique sans arrêt non prévu, qui est un élément essentiel d'un traitement au long cours;

Considérant au regard de ces éléments et alors qu'en 1997 l'alopécie était connue seulement comme un risque rare, peu grave et réversible, que la société Sanofi Synthélabo France n'a pas manqué à son obligation d'information dans la notice alors destinée aux patients;

Considérant au demeurant que l'expert relève la nécessité dans laquelle se trouvait Martine Verdet de suivre un traitement de fond pour sa maladie psychiatrique, probablement à vie, ce traitement pouvant comprendre sels de lithium, Tégretol ou Dépamide; qu'il est connu de la littérature que la prescription prolongée de sels de lithium expose à des pathologies thyroïdiennes et rénales graves; que plusieurs médicaments déjà tentés n'avaient pas été bien supportés par la patiente et avaient dû être remplacés, notamment le Tégretol; que le caractère relativement mineur de la complication sans conséquence vitale, sa réversibilité habituelle à l'arrêt du traitement et la nécessité du traitement de fond conduisent à ne pouvoir affirmer de principe que l'information aurait justifié le refus par Martine Verdet de la prise de Dépamide; qu'ainsi, même en retenant un manquement de la société Sanofi Synthélabo France à son devoir d'information, la perte de chance de Martine Verdet d'éviter le risque préjudiciable résultant de la prise de Dépamide, aurait été quasi-nulle, ses possibilités de choix ayant beaucoup diminué;

Considérant que le jugement, en ce qu'il a débouté les époux Verdet de leurs demandes d'indemnisation, sera donc confirmé;

Considérant qu'au regard du trouble réellement subi par Martine Verdet qui appelait une instruction poussée, le jugement entrepris, en ce qu'il a mis les dépens de première instance, y compris ceux d'expertise, à la charge de la société Sanofi Synthélabo France et a condamné celle-ci à payer une indemnité pour frais irrépétibles de 1 500 euro aux époux Verdet, sera confirmé; que par contre il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie ses frais irrépétibles d'appel; que les dépens d'appel seront à la charge des époux Verdet, déboutés de leur appel;

Par ces motifs, et ceux non contraires du premier juge, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Rejette toutes autres demandes des parties; Condamne les époux Verdet aux dépens d'appel dont le montant pourra être recouvré directement par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

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