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Décisions

Cass. crim., 25 février 1998, n° 96-85.287

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman (faisant fonctions)

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Lucas

Avocat :

SCP Gatineau

Rennes, 3e ch., du 10 oct. 1996

10 octobre 1996

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X Guy, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, 3e chambre, du 10 octobre 1996, qui, pour tromperie, l'a condamné à 20 000 francs d'amende ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 177, 187 et 189 du traité de Rome du 25 mars 1957, des articles 3-2, 6-4-a, 6-4-c-II de la Directive n° 79-112 du Conseil des Communautés européennes du 18 décembre 1978 concernant l'étiquetage des denrées alimentaires, des articles 5, 8, 9 et 10 du décret n° 84-1147 du 7 décembre 1984 pris pour l'application de la directive précitée, de l'article 1-3-a (1) de la directive n° 89-107 du Conseil des Communautés européennes du 21 décembre 1988 concernant les additifs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine, de l'article 1er du décret n° 89-674 du 18 septembre 1989 pris pour l'application de la directive précitée, de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, de l'article 122-3 du Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Guy X coupable de tromperie sur la composition de la marchandise vendue ;

"aux motifs qu'aux termes des dispositions de l'article 5 du décret du 7 décembre 1984, modifié le 19 février 1991, l'étiquetage des denrées alimentaires préemballées comporte diverses mentions obligatoires dont notamment la liste des ingrédients; que l'on doit entendre par ingrédient toute substance, y compris les additifs, utilisée dans la fabrication ou la préparation d'une denrée alimentaire et qui est encore présente dans le produit fini, éventuellement sous une forme modifiée (article 9 du décret précédemment cité et article 6-4 (a) de la directive n° 79-112 du Conseil en date du 18 décembre 1978); que, selon les dispositions de l'article 6-4 c (II) de la même Directive, ne sont toutefois pas considérés comme ingrédients les additifs utilisés en tant qu'auxiliaires de technologie;

que l'additif alimentaire, tel que défini par l'article 1er du Décret du 18 septembre 1989 s'entend de toute substance habituellement non consommée comme aliment en soi et habituellement non utilisée comme ingrédient caractéristique dans l'alimentation (...) dont l'adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires (...) a pour effet (...) qu'elle devienne elle-même ou que ses dérivées deviennent (...) un composant de ces denrées alimentaires ; que, selon les dispositions de l'article 13 (a) (1) de la Directive n° 89-107 du Conseil du 21 décembre 1988, l'auxiliaire de technologie répond à la définition suivante : "toute substance non consommée comme ingrédient alimentaire en soi et volontairement utilisée dans la transformation des matières premières, des denrées alimentaires ou de leurs ingrédients, pour répondre à un certain objectif technologique pendant le traitement ou la transformation et pouvant avoir pour résultat la présence non intentionnelle de résidus techniquement inévitables de cette substance ou de ses dérivés dans le produit fini et sous conditions que ces résidus ne présentent pas de risques sanitaires et n'aient pas d'effets technologiques sur le produit fini" ; que les additifs - ingrédients se différencient essentiellement des additifs - auxiliaires technologiques au regard de leurs effets dans le processus de fabrication des produits, à savoir permanents pour les premiers et simplement transitoires pour les seconds; que si le bicarbonate d'ammonium, acidifiant ayant pour fonction de favoriser la levée de la pâte, et la L-Cystéine, acide aminé assouplissant la pâte et permettant de la travailler, remplissent incontestablement une fonction d'auxiliaire de technologie, force est cependant de considérer que ces deux agents, accomplissant une fonction de texturation de la pâte, ont pour effet de peser sur les caractéristiques du produit fini, notamment dans ses dimensions et sa densité; que leur action ne correspond donc pas exclusivement à celle d'un auxiliaire de technologie mais également à celle d'additifs nécessaires à l'obtention du produit fini qui, sans eux, ne présenterait ni l'aspect ni les qualités qui sont les siens; qu'il n'est d'ailleurs pas indifférent de relever que divers produits comparables fabriqués par la concurrence mentionnent sur leur étiquetage la présence de bicarbonate d'ammonium; que, sur l'élément intentionnel, en refusant d'étiqueter bicarbonate d'ammonium et L-Cystéine dont il ne pouvait ignorer les effets et en conférant ainsi en toute connaissance de cause aux biscuits incriminés une image de produit plus naturel que ceux de la concurrence, le fabricant en cause a bien commis le délit de tromperie qui lui est reproché ;

"1) alors qu'aux termes des dispositions précitées du décret du 7 décembre 1984 et de la directive CEE du 18 décembre 1978, l'étiquetage des denrées alimentaires doit mentionner la liste des ingrédients; que l'on entend par ingrédient toute substance, y compris les additifs, utilisée dans la fabrication ou la préparation d'une denrée alimentaire et qui est encore présente dans le produit fini, éventuellement sous forme modifiée; que, toutefois, ne sont pas considérés comme ingrédients les additifs dont la présence dans une denrée alimentaire est due uniquement au fait qu'ils étaient contenus dans un ou plusieurs ingrédients de cette denrée et sous réserve qu'ils ne remplissent plus de fonction technologique dans le produit fini, non plus que les auxiliaires technologiques; que, selon la directive du 21 décembre 1988, l'auxiliaire technologique s'entend de toute substance non consommée comme ingrédient alimentaire en soi et volontairement utilisée dans la transformation des matières premières, des denrées alimentaires ou de leurs ingrédients, pour répondre à un certain objectif technologique pendant le traitement ou la transformation, et pouvant avoir pour résultat la présence non intentionnelle de résidus techniquement inévitables de cette substance ou de ses dérivés dans le produit fini, et à condition que ces résidus ne présentent pas de risques sanitaires et n'aient pas d'effets technologiques sur le produit fini; que cette disposition, faute d'avoir été transposée en droit interne dans le délai prévu par la directive, peut être invoquée directement par les justiciables; qu'il résulte de ce qui précède que ne sont pas considérés comme ingrédients, et échappent par suite à l'obligation d'étiquetage, les additifs dépourvus d'effets technologiques sur le produit fini; d'où il suit qu'en déclarant établi l'élément matériel du délit sans rechercher si les additifs litigieux étaient encore présents dans le produit fini et dans l'affirmative, s'ils avaient un effet technologique sur ce produit fini (c'est-à-dire en pratique si la présence de ces additifs dans le produit fini était nécessaire pour que celui-ci demeure tel qu'il était à l'issue de sa fabrication), la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes visés au moyen et privé sa décision de base légale ;

"2) alors que les décisions de la Cour de justice des Communautés européennes sont revêtues d'une autorité absolue de chose jugée; que, par un arrêt du 28 septembre 1994, ladite cour a jugé que le critère distinctif entre les additifs et les auxiliaires technologiques se trouve non dans l'influence de la substance litigieuse sur les qualités du produit fini, mais uniquement dans la fonction technologique exercée ou non par cette substance sur le produit fini; d'où il suit qu'en se fondant uniquement, pour reconnaître le caractère d'additifs au bicarbonate d'ammonium et à la L-Cystéine, sur la circonstance que ces deux agents, accomplissant une fonction de texturation de la pâte, ont pour effet de peser sur les caractéristiques du produit fini qui, sans eux, ne présenterait ni l'aspect ni les qualités qui sont les siens, la cour d'appel a méconnu le principe précédemment rappelé et violé les textes visés au moyen ;

"3) alors qu'en l'absence de réglementation précise, les usages constants et loyaux du commerce doivent servir de référence ; qu'en l'espèce, Guy X avait fait valoir que toutes les organisations professionnelles de la biscuiterie s'accordent à classer le bicarbonate d'ammonium et la L-Cystéine parmi les auxiliaires de technologie et les additifs dits carry over, et que, par conséquent, son comportement, conforme aux usages de la profession, était exclusif de toute mauvaise foi; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire de défense, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision et a violé les textes visés au moyen ;

"4) alors, en toute hypothèse, qu'aux termes de l'article 122-3 nouveau du Code pénal, n'est pas responsable la personne qui a cru, par une erreur de droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte reproché; qu'en l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les autorités les plus qualifiées en la matière sont unanimes à ranger le bicarbonate d'ammonium et la L-Cystéine parmi les auxiliaires de technologie et les additifs dits carry over; qu'ainsi, à supposer que ces substances fussent de simples additifs, l'erreur de droit commise par Guy X devait être considérée comme une erreur invincible exclusive de toute responsabilité pénale; qu'en condamnant, néanmoins, le prévenu, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que, selon les dispositions combinées des articles R. 112-2 et R. 112-9 du Code de la consommation, doivent être mentionnées sur l'étiquetage des denrées alimentaires préemballées toutes les substances, y compris les additifs, utilisées dans leur fabrication ou leur préparation et qui sont encore présentes dans le produit fini, éventuellement sous une forme modifiée ;

Attendu, en outre, que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'un contrôle effectué par les services de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes au sein d'une usine de la société Biscuiterie Nantaise-BN a permis d'établir que du bicarbonate d'ammonium et de la L.cystéine entraient respectivement dans la fabrication des biscuits dénommés "goûters fourrés" et "casse-croûte", mais n'étaient pas mentionnés dans la liste des ingrédients figurant sur l'emballage des produits; que Guy X, dirigeant de la société, est poursuivi pour avoir trompé les consommateurs sur la composition de ces biscuits ;

Que le prévenu a fait valoir pour sa défense que les substances incriminées constituent des auxiliaires technologiques qui ne sont pas considérés comme des ingrédients, aux termes de l'article 10 du décret du 7 novembre 1984 devenu l'article R. 112-3 du Code de la consommation ;

Que, pour écarter ce moyen, les juges d'appel, après avoir rappelé la définition des auxiliaires technologiques contenus dans la directive 79-112-CEE du 21 décembre 1988, énoncent que le bicarbonate d'ammonium et la L.cystéine, additifs autorisés dans la fabrication des denrées alimentaires comme poudre à lever et agent de traitement de la farine, ont une action qui ne répond pas exclusivement à celle d'auxiliaire technologique, dès lors qu'ils influent sur les dimensions et la densité du produit fini; que les juges en déduisent qu'ils devaient obligatoirement figurer, en tant qu'additifs alimentaires, dans la liste des ingrédients, par application des articles 5 et 9 du décret du 7 décembre 1984, devenus les articles R. 112-2 et R. 112-9 du Code de la consommation ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si les substances incriminées, dont elle reconnaît la fonction technologique, sont présentes dans le produit fini autrement que sous la forme d'une modification de son volume ou de son aspect, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le premier moyen de cassation, Casse et annule, en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, du 10 octobre 1996, et pour qu'il soit jugé conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Angers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du Conseil ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Rennes, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.