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Décisions

CA Rennes, 4e ch., 18 mai 2006, n° 04-06274

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mininger

Défendeur :

Enalsa (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moignard

Conseillers :

Mme Le Brun, M. Segard

Avoués :

SCP Gauthier-Lhermitte, SCP Brebion, Chaudet

Avocats :

SCP Debreu Milon & Nicol, Me Querrien

TI Lannion, du 8 juin 2004

8 juin 2004

I - Exposé préalable:

Madame Richard-Mininger est propriétaire d'une maison située au lieu-dit "Croas Min" à Lanvellec (22). Elle a entrepris des travaux de rénovation et par devis accepté en date du 15 avril 1997, elle a commandé à la société Enalsa l'installation d'un chauffage géothermique, au prix de 44 000 F (6 707,76 euro). Elle a réglé le 30 avril 1997, un acompte de 13 800 F (2 103,80 euro) qui a été encaissé par la société Enalsa le 29 mai 1997.

Les travaux ont été source de désordres et d'un contentieux judiciaire, ayant généré une expertise suivie d'une transaction, étrangère à la société Enalsa, sur la poursuite du chantier qui aurait subi des modifications. En particulier, il a été décidé de couler une dalle de béton au rez-de-chaussée pour pallier le déchaussement des murs de façade et de réaliser un filtre à sable pour le traitement et l'évacuation des eaux usées.

Estimant que cette nouvelle configuration des lieux remettait en cause le projet de géothermie, Madame Richard-Mininger a contacté la société Enalsa au mois de mai 2000, en demandant dans un premier temps un nouveau devis, avant de réclamer en avril et mai 2001 la restitution de son acompte.

Face au refus de la société Enalsa, Madame Richard-Mininger l'a assignée le 5 juin 2003 devant le Tribunal d'instance de Lannion, aux fins de voir déclarer nul le contrat conclu entre eux et la voir condamner à lui restituer la somme de 2 103,90 euro versée à titre d'acompte, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, outre 1 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Par jugement du 8 juin 2004, le Tribunal d'instance de Lannion a:

- Débouté Madame Richard-Mininger de sa demande tendant à voir déclarer nul le contrat la liant à la SAS Enalsa, en date du 15 avril 1997 ; de sa demande en remboursement de l'acompte versé et de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive;

- Condamné Madame Richard-Mininger à payer à la SAS Enalsa la somme de 400 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- Condamné Richard-Mininger aux dépens.

Madame Richard-Mininger a déclaré appel de ce jugement le 13 septembre 2004.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, ainsi que des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et des dernières conclusions déposées:

- le 2 février 2006, pour la société Enalsa;

- le 7 février 2006, pour Madame Richard-Mininger.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2006.

II - Motifs:

Madame Richard-Mininger fait valoir la nullité du contrat fondée sur le défaut de mention des délais d'intervention de la société Enalsa, en infraction avec les dispositions des articles L. 114-1 et L. 121-23 du Code de la consommation. Elle demande à titre subsidiaire la résolution du contrat, en application des dispositions de l'article 1184 du Code civil, pour cause de force majeure excluant les dommages-intérêts, en faisant valoir l'impossibilité technique de mettre en œuvre un chauffage sur le principe de la géothermie à la suite des travaux de reprise des malfaçons.

La société Enalsa conteste la nullité du contrat consistant en la vente de matériel et son installation, et dépendant de l'état d'avancement du chantier dont Madame Richard-Mininger n'avait fourni initialement aucun planning. Elle souligne n'avoir été aucunement consultée à l'occasion des choix opérés par Madame Richard-Mininger pour la reprise des malfaçons, dans des conditions pouvant être compatibles avec le projet de chauffage par géothermie. Elle impute à Madame Richard-Mininger l'inexécution du contrat justifiant de retenir l'acompte à titre de dommages-intérêts, en réfutant la notion de force majeure.

1) Sur la validité du contrat:

L'article L. 114-1 du Code de la consommation prévoit que "Dans tout contrat ayant pour objet la vente d'un bien meuble ou la fourniture d'une prestation de service à un consommateur, le professionnel doit, lorsque la livraison du bien ou la fourniture de la prestation n'est pas immédiate et si le prix convenu excède des seuils fixés par voie réglementaire, indiquer la date limite à laquelle il s'engage à livrer le bien ou à exécuter la prestation".

Cette date fixe le point de départ du délai de sept jours au-delà duquel le consommateur peut dénoncer le contrat, en cas de dépassement non dû à un cas de force majeure, et ce par lettre recommandée avec accusé de réception, elle-même adressée dans un délai de soixante jours ouvrés, à compter de la date de livraison du bien ou d'exécution de la prestation prévue au contrat.

Il est précisé que sauf stipulation contraire du contrat, les sommes versées d'avance sont des arrhes, ayant pour effet de permettre à chacun des contractants de revenir sur son engagement, le consommateur en perdant les arrhes, le professionnel en les restituant au double.

S'agissant des contrats passés à l'occasion de démarchage, diverses mentions sont prévues à peine de nullité par l'article L. 121-23 du Code de la consommation, et parmi ces mentions figurent les "conditions d'exécution du contrat, notamment les modalités et le délai de livraison des biens, ou d'exécution de la prestation de services".

Dans le cas présent la somme de 13 900 F (2 103,90 euro) a été versée à titre d'acompte sur la vente et l'installation du matériel de chauffage par géothermie, pour maintien du prix négocié à 46 000 F TTC (7 012,65 euro), avec règlement prévu par chèque sur facture de situation suivant avancement des travaux.

La date de livraison n'a pas été renseignée sur le devis établi le 15 avril 1997, où il était mentionné en observations : "Maison en rénovation : la facturation s'effectuera en fonction de l'avancement des travaux". Et il était prévu deux phases de travaux, dont la première pour un montant de 46 000 F TTC et la seconde pour un montant de 18 271,08 F TTC, avec prix garanti pendant 2 ans pour cette dernière.

Aucune des parties ne s'est manifestée pendant trois ans pour l'exécution de ce contrat. Madame Richard-Mininger a dû faire face à des difficultés dans la réalisation des travaux de rénovation, puis elle a contacté la société Enalsa au mois de mai 2000, pour s'enquérir des suites à envisager quant au chauffage de sa maison. Après de vains pourparlers, Madame Richard-Mininger a déclenché une procédure d'expertise amiable pour laquelle la société Enalsa n'a pas estimé devoir participer à la réunion organisée le 3 février 2003. Une lettre a été adressée en ce sens à la société d'expertise Brexbath, le 31 décembre 2002, faisant état d'un avenant qui aurait été adressé le 16 mai 2000 à Madame Richard-Mininger, laquelle n'aurait pas fourni le plan de masse qui lui était demandé. Aucune de ces pièces ne figure au dossier de la cour.

Les conditions générales de vente annexées au devis de la société Enalsa prévoient bien la mention d'une date de livraison du matériel sur le devis soumis à l'acceptation du client, qui ne peut en demander la modification que par écrit auprès de l'entreprise, aux fins de soit arrêtée une nouvelle date de livraison, "arrêtée et acceptée conjointement par le client et l'entreprise".

Dans le cas présent la date de livraison du matériel n'a pas été renseignée dans le devis daté du 15 avril 1997. La mention des travaux de rénovation et d'une facturation selon l'avancement des travaux est ambigüe, en ce qu'elle ne précise pas de quels travaux elle fait dépendre la facturation.

Par ailleurs, les conditions de vente prévoient également qu'en cas de changement des plans ou des matériaux ou de l'isolation par rapport aux plans qui ont été remis initialement, "le client doit en avertir l'entreprise au plus tard un mois avant la date de l'intervention, par écrit avec accusé de réception".

Il ressort de ces dispositions que la société Enalsa prend toutes dispositions protectrices quant aux dates prévues de ses interventions, en imposant au client des délais pour modifier les termes de sa commande. Ce qui démontre l'intérêt et l'importance des dates prévues pour la livraison du matériel et pour l'exécution des travaux, afin de permettre à chacune des parties d'exercer ses droits.

Dans le cas d'espèce aucun délai n'a été fixé, ce qui a généré la tardiveté du litige dont la société Enalsa a fait reproche à sa cliente, mais dont elle est principalement responsable, en tant que professionnel, pour n'avoir pas assuré le suivi de sa commande, à défaut d'en avoir précisément défini les délais. Madame Richard-Mininger a de ce fait été mise en difficulté pour faire valoir les raisons techniques l'amenant à faire évoluer et le cas échéant rompre le marché dans des conditions convenues entre les parties ou judiciairement appréciées sur la base d'engagements clairs et suffisamment précis, et ce dans le cas d'une vente de prestation à distance, rendant les relations plus délicates et les délais plus difficiles à gérer.

Les faits de la cause établissent l'importance des dispositions prévues par les articles L. 114-1 et L. 121-23 du Code la consommation, pour la protection du consommateur, et dont le respect s'impose aux entreprises, à peine de nullité.

Il convient pour ces motifs de réformer le jugement déféré et de prononcer l'annulation du contrat conclu entre la société Enalsa et Madame Richard-Mininger sur la base du devis établi le 15 avril 1997.

Il y a lieu d'ordonner en conséquence la restitution de l'acompte de 2 103,80 euro versé par Madame Richard-Mininger à la société Enalsa, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation devant le Tribunal d'instance de Lannion, le 5 juin 2003.

2) Sur les dommages-intérêts:

Chacune des parties ayant fait valoir régulièrement ses moyens de droit et de fait devant les juridictions, il convient de débouter Madame Richard-Mininger de sa demande de dommages-intérêts au titre d'une résistance abusive de la société Enalsa.

3) Sur les frais et dépens

La société Enalsa qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Richard-Mininger la totalité des frais irrépétibles engagés à l'occasion de cette procédure. La société Enalsa sera condamnée à lui payer la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, - Réforme pour partie le jugement déféré; - Prononce l'annulation du contrat conclu entre la société Enalsa et Madame Richard-Mininger, suivant devis en date du 15 avril 1997 : - Condamne la société Enalsa à restituer à Madame Richard-Mininger l'acompte d'un montant de deux mille cent trois euro et 80 centimes (2 103,80 euro), avec intérêt aux taux légal à compter du 5 juin 2003; - Déboute Madame Richard-Mininger de sa demande de dommages-intérêts; - Condamne la société Enalsa à payer à Madame Richard-Mininger la somme de mille euro (1 000 euro) en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile; - Condamne la société Enalsa aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.