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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 30 novembre 2004, n° 02-03554

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sofal (SARL)

Défendeur :

France Autruches Compagnie (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cheminade

Conseillers :

Mme Albert, M. Barthelemy

Avoués :

SCP Gallet & Allerit, SCP Musereau & Mazaudon

Avocats :

Mes Fliche, Gicquel

T. com. de Saintes, du 7 nov. 2002

7 novembre 2002

Vu le jugement rendu le 7 novembre 2002 par le Tribunal de commerce de Saintes,

Vu la déclaration d'appel de la SAS France Autruches en date du 29 novembre 2002,

Va les conclusions de la SAS France Autruches en date du 9 octobre 2003,

Vu les dernières conclusions de la SARL Sofal en date du 12 octobre 2004,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 octobre 2004,

La SARL Sofal qui fabrique des plats cuisinés sous vide a, le 14 novembre 2001, commandé à la SAS France Autruches 2,6 tonnes de médaillons d'autruche congelés et 6 kgs de pavés d'autruche. Quinze jours après la livraison, soit le 6 décembre, la SARL Sofal a retourné la traite éditée par la SAS France Autruches, portant échéance au 20 décembre 2001 pour un montant de 29 779,86 euro. Le 13 décembre la SARL Sofal s'est fait livrer une tonne de pavés d'autruche, avec délai de paiement de 30 jours pour un montant de 16 876,29 euro, puis verbalement, a sollicité la possibilité de retourner la livraison du 23 novembre relative aux médaillons. Par lettre recommandée du 20 décembre 2001, la SAS France Autruches s'est opposée à tout retour de marchandises "trois semaines après la livraison" et "compte tenu d'une erreur de commande" de la part de Sofal. Elle a présenté la traite au paiement mais celle-ci n'a pas été honorée au motif qu'elle faisait l'objet d'une contestation. La SAS France Autruches a saisi le Tribunal de commerce de Saintes en référé puis au fond, demandant au principal le paiement de la somme de 29 779,86 euro.

Par jugement du 7 novembre 2002, le Tribunal de commerce de Saintes a condamné la SARL Sofal à payer à la SAS France Autruches la somme de 29 779,86 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2001 et jusqu'à parfait paiement outre une participation forfaitaire de 43,73 euro, condamné la société Sofal à payer à la SAS France Autruches la somme de 750 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamné la SARL Sofal aux dépens de l'instance.

La SARL Sofal, appelante, fait valoir essentiellement qu'il n'y a pas eu de sa part erreur de commande, mais "tromperie sur la marchandise annoncée et expédiée", c'est pourquoi elle demande à la cour, au vu de l'article 1116 du Code civil, d'annuler la vente des médaillons d'autruche du 14 novembre 2001 pour 29 779,86 euro.

Discussion

La mise en œuvre de l'article 1116 du Code civil, relatif à la nullité de la convention pour dol, suppose une véritable intention de tromper son cocontractant, révélée par l'existence de manœuvres telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Ces manœuvres ne se présument pas et doivent être prouvées.

En l'espèce, il s'agit de savoir si la SAS France Autruches a fait preuve d'une réticence dolosive, c'est-à-dire si elle a dissimulé à la SARL Sofal un fait qui, s'il avait été connu d'elle, l'aurait empêchée de contracter.

La SARL Sofal expose le problème relatif à la commande de médaillons d'autruche dans un courrier du 31 décembre 2001 à l'adresse de la SAS France Autruches " il nous aura fallu batailler pour découvrir qu'en réalité il s'agissait d'une viande reconstituée, poussée sous boyaux faisant appel à des liants, additifs et autres auxiliaires technologiques ; ce que non seulement vous nous aviez caché, mais fortement démenti... dès lors cette marchandise devenait impropre à notre process et à sa commercialisation". En termes plus techniques, la SARL Sofal reproche à la SAS France Autruches de lui avoir sciemment laissé croire que les médaillons relevaient d'une viande alors qu'il s'agissait d'une préparation de viande, destinée à être grillée, mais ne pouvant en aucun cas être cuisinée et conditionnée sous vide pour une préparation ultérieure après réchauffage.

Aux termes de l'article 2 du décret du 28 janvier 1997, relatif au Code de la consommation, les préparations de viande sont des "viandes qui ont subi une addition de denrées alimentaires, de condiments ou d'additifs ou qui ont subi un ou des traitements insuffisants pour modifier à coeur la structure cellulaire des denrées et faire perdre à celles-ci les caractéristiques de la viande crue".

Il apparaît que le médaillon d'autruche répond à cette définition, car il résulte de la fiche technique communiquée le 27 mai 2002 que le médaillon est composé de "viande d'autruche (cuisse) liée avec collagène, et < 1 % marinade", sa couleur étant "rouge brun" et sa texture "viande maigre et tendre".

Il existe donc une difficulté à déceler l'aspect reconstitué car, par définition, une préparation de viande subit un traitement insuffisant pour modifier à coeur la structure cellulaire de la viande et faite perdre à celle-ci ses caractéristiques.

C'est pourquoi l'étiquetage est indispensable pour éclairer l'acheteur sut la nature du produit. Aussi l'article R. 112-9 du Code de la consommation prévoit-il que l'étiquetage des denrées alimentaires préemballées comporte parmi d'autres mentions obligatoires, la dénomination de vente et la liste des ingrédients. Or, en l'espèce, la fiche technique du médaillon d'autruche en date du 6 décembre 2001- contemporaine du contrat litigieux - décrivait le produit comme " Cuissot s/os. Paré ", couleur "rouge brun" et texture "viande maigre et tendre" ce qui ne permettait pas d'identifier immédiatement la préparation de viande d'autruche, d'autant que cette dénomination réglementaire était délaissée au profit de l'appellation fantaisie "médaillon d'autruche".

Quant à l'article R. 112-11 du Code de la consommation invoqué par la SARL Sofal, il prévoit que pour les ventes de "denrées alimentaires préemballées commercialisées à un stade antérieur à la vente au consommateur final ou destinées à être livrées aux restaurants, hôpitaux, cantines et autres collectivités similaires, pour y être préparées, transformées, fractionnées ou débitées", les mentions prévues à l'article R. 112-9 à l'exception de l'indication du lot, et celles prévues à l'article R. 112-9-1, peuvent ne figurer que sur les fiches, bons de livraison ou documents commerciaux lorsque ceux-ci accompagnent les denrées alimentaires auxquelles ils se rapportent ou lorsqu'ils out été envoyés avant la livraison ou en même temps qu'elle..."

Il est certain que la SAS France Autruches n'a pas respecté ces dispositions réglementaires à l'égard de la SARL Sofal à l'occasion de la commande litigieuse, ce qui l'a amenée par la suite à modifier sa fiche technique.

Cependant cette infraction aux dispositions sur l'étiquetage ne suffit pas en l'espèce à caractériser le dol. En effet, il convient d'observer que la réglementation sur l'étiquetage des produits invoquée par la SARL Sofal est incluse dans le titre I du livre I du décret précité, intitulé "information des consommateurs ", et que la SARL Sofal, cuisinier industriel, disposant comme elle l'indique elle-même, de "l'état de l'art" en matière de viande, produits carnés et techniques culinaires industrielles, ne saurait être considérée comme un consommateur ou un acheteur non professionnel.

Par ailleurs et surtout, il apparaît que des précautions ont été prises de la part du vendeur pour que la SARL Sofal ait une connaissance personnelle du produit avant de procéder à sa commande.

En effet, au vu d'une facture et bon de livraison du 2 novembre 2001, la SAS France Autruches a adressé à la SARL Sofal, à la suite de la demande de cette dernière, des échantillons de médaillon non bardé pour un montant de 96,61 euro, afin que celle-ci procède à un test de fabrication. Après validation du test-produit, la SARL Sofal a commandé le 14 novembre les médaillons litigieux. Et ce n'est que le 6 décembre, soit plus de quinze jours après la livraison, que la SARL Sofal a informé la SAS France Autruches de ce qu'elle avait été trompée sur la nature du produit, ses besoins concernant des pavés de viande et non des médaillons.

La SARL Sofal fait valoir en page 6 de ses dernières conclusions qu'elle ne contrôlait ses échantillons "que d'un point de vue culinaire aspect, couleur, qualité de coupe, format..", c'est-à-dire procédait uniquement à un contrôle visuel. La SARL Sofal ne craint pas la contradiction puisque, quelques lignes plus loin, en page 7 des mêmes conclusions, elle fait écrire "le contrôle visuel et physique de l'échantillon s'est effectué comparativement avec celui de Autruche Production". Or le contrôle "physique" implique un test de fabrication, précaution semble-t-il élémentaire de la part d'un professionnel de l'alimentaire se définissant comme cuisinier industriel, qui s'apprêtait à commander 2,5 tonnes de ce produit.

II y a lieu de souligner que la SARL Sofal a eu largement le temps d'effectuer ce test puisqu'il s'est écoulé 12 jours entre la livraison des échantillons et la commande des médaillons. Elle ne saurait donc prétendre que ce n'est que lorsqu'elle a mis le produit en fabrication qu'elle a réalisé qu'il n'était pas transformable dans des conditions normales, étant rappelé qu'il lui a fallu encore 15 jours (après réception de la commande) pour forger sa conviction sur ce point et élever une protestation verbale auprès du vendeur.

Après réception le 23 novembre 2001, la SARL Sofal a d'ailleurs pu comparer les qualités respectives du médaillon d'autruche et du pavé d'autruche (viande crue dont elle avait commandé 6 kilos) et ne saurait avoir fait de confusion entre cas produits, les ayant tous deux à sa disposition. Elle a aussi été en mesure de comparer les prix, soit 10,80 euro/kg pour les médaillons et 15,20 euro/kg pour les pavés, et d'en tirer toutes conclusions utiles.

L'affirmation de la SARL Sofal selon Laquelle "l'échantillon du 2 novembre 2001 ne correspond pas à la commande du 14 novembre 2001 est manifestement fausse, la SAS France Autruches versant aux débats la facture de son fournisseur, la société DGE de Lyon, faisant apparaître que l'ensemble des médaillons vendus à la SARL Sofal proviennent d'un même lot. La société Canal froid, qui stocke les produits de négoce que la SAS France Autruches achète à la société DGE, a confirmé par téléfax du 17 septembre 2004 que le colis précédemment expédié le 31 octobre 2001 à Sofal provient du même lot stocké à Canal Froid que les médaillons expédiés le 22 novembre 2001 à ce même client.

De surcroît, si tel avait été le cas, il aurait appartenu à la SARL Sofal, en sa qualité de professionnel, de s'assurer de la conformité du produit livré avec le produit commandé, et de signaler tout problème très rapidement après la réception. La SARL Sofal a décidé au contraire de passer commande, le 13 décembre, d'une tonne de pavés d'autruche, manifestant ainsi sa satisfaction en les produits de la SAS France Autruches.

Comme l'ont souligné avec pertinence les premiers juges, le seul courrier déposé au dossier est en date du 31 décembre 2001 alors que la commande initiale est du 14 novembre 2001.

En définitive la SARL Sofal ne rapporte pas la preuve d'une tromperie de la part de la SAS France Autruches, caractérisant un dol au sens de l'article 1116 du Code civil.

Le jugement sera, par ces motifs s'ajoutant à ceux non contraires des premiers juges, confirmé en toutes ses dispositions, y compris celles condamnant la SARL Sofal à payer la somme de 700 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens de l'instance.

La SAS France Autruches sera en revanche déboutée de sa demande en dommages-intérêts, la preuve de la mauvaise foi de la SARL Sofal n'étant pas rapportée, pas plus que n'est caractérisé le préjudice spécifique qu'aurait subi de ce fait l'intimée. Le jugement sera réformé sur ce seul point.

L'équité commande de condamner la SARL Sofal à payer à la SAS France Autruches une somme supplémentaire de 1 000 euro au titre des frais irrépétibles qu'elle a été amenée à exposer en cause d'appel.

La SARL Sofal qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement entrepris, sauf un ce qu'il a condamné la SARL Sofal à payer à la SAS France Autruches la somme de 700 euro à titre de dommages-intérêts, Réformant sur ce seul point, Déboute la SARL Sofal de sa demande en dommages-intérêts, Ajoutant, Condamne la SARL Sofal à payer à la SAS France Autruches la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SARL Sofal aux dépens d'appel. Autorise l'application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.