Cass. crim., 14 novembre 2000, n° 99-86.216
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Mazars
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner
LA COUR : - Rejet du pourvoi formé par la société X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 10 septembre 1999, qui, pour contraventions à la loi relative à l'emploi de la langue française, l'a condamnée à 671 amendes de 50 francs ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 30 et 34 (devenu 36) du traité CE, articles 1er et 2 de la loi du 4 août 1994 et 1er du décret du 3 mars 1995, 131-13 et 132-7 du Code pénal, violation de la loi, défaut et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Michelle Y et Paul Z coupables des faits visés par la prévention, à savoir rédaction d'un mode d'emploi ou de la notice d'utilisation d'un produit en langue étrangère, vêtement, étiquetage rédigé en anglais, en violation de l'article 4 du décret n° 95-240 du 3 mars 1995 et de l'article 131-41 du Code pénal, et l'a condamnée en conséquence à 671 amendes de 50 francs, outre le droit fixe de procédure dont les condamnés sont redevables ;
" aux motifs que, si la société X a estimé devoir faire inscrire, sur les étiquettes de ses vêtements, le texte incriminé dans une et même deux langues étrangères, dont il n'est au demeurant pas contestable que ledit texte n'est nullement obligatoire, c'est sur le fondement de la loi du 4 août 1994 qu'elle est poursuivie, et non sur l'un de ceux contenus dans le Code de la consommation ; que le moyen soulevé tendant à convaincre la cour que le "consommateur moyen" est, quelle qu'ait été la langue employée, française ou étrangère, suffisamment informé, est inopérant dans le cadre de la prévention et ce, quel que soit le caractère facultatif des inscriptions incriminées et quel que soit leur caractère le cas échéant compréhensible ; que la société prévenue n'établit en aucune façon que la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française constituerait une entrave à la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne en tant qu'instaurant une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation et qu'elle serait, comme telle, contraire aux articles 30 et suivants, notamment 36 du traité de Rome ; que ladite loi, contrairement à ce que soutient la société prévenue, ne tend pas à réglementer l'étiquetage des produits du commerce mais généralement à imposer l'utilisation de la langue française, "élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France", dans le cadre de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics ; qu'il y a lieu de rejeter les demandes formées par la société à responsabilité limitée X à ce titre et, par voie de conséquence, celle présentée à titre subsidiaire tendant à ce que la cour pose une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes ; que, compte tenu de l'ensemble des éléments soumis à l'appréciation de la cour et des débats à l'audience, il y a lieu, les faits étant constants, de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité de la société X ; qu'en répression, il y a lieu de faire une application plus sévère de la loi pénale ;
" alors, d'une part, que seul le fait de ne pas employer la langue française "dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien" constitue l'infraction reprochée à l'exclusion de l'importation et de la distribution en France d'un produit réalisé à l'étranger et qui ne saurait être soumis à une telle exigence de rédaction ; qu'en condamnant la société X, simple importateur en France des vêtements produits en Irlande et achetés auprès de la société Y à Telford (Grande-Bretagne), sans avoir caractérisé en quoi la SARL X aurait participé à l'emploi sur les étiquettes en question des termes anglais reprochés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
" alors, d'autre part, qu'un Etat qui, sous couvert de protection de sa langue nationale tend à imposer sur l'ensemble de son territoire l'usage exclusif de cette langue dans le cadre de "l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics" et notamment dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, contraint nécessairement l'exportateur étranger ou l'importateur local à modifier le conditionnement des marchandises communautaires dont s'agit et qui ne peuvent être directement commercialisées sur le territoire national ; qu'en sanctionnant la SARL X pour avoir importé, en violation de la loi du 4 août 1994, des vêtements originaires d'un autre pays de l'Union européenne dont l'étiquette portait au recto des mentions non obligatoires rédigées dans la langue du pays d'origine reprises au demeurant par des pictogrammes normalisés, la cour d'appel a ainsi méconnu le principe de libre circulation des marchandises et derechef violé les textes visés au moyen ;
" alors, de troisième part, que le fait, visé par l'article 1er du décret du 3 mars 1995, de ne pas employer la langue française dans la "désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien" ne constitue une infraction pénale que s'il est constitué dans les conditions prévues par la loi du 4 août 1994 ; qu'en ne précisant pas, en l'espèce, en quoi l'utilisation facultative de la langue anglaise rappelant, en marge de logotypes normalisés affectés principalement à cet usage, au verso de l'étiquette d'un vêtement d'usage banal, les conditions habituelles de son entretien, porterait atteinte à un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France, la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard des textes visés au moyen ;
" alors, subsidiairement, que, si la règle du non-cumul des peines n'est pas applicable en matière de contraventions, encore faut-il, pour que des condamnations cumulatives puissent être prononcées, que le prévenu ait commis plusieurs fautes distinctes, punissables séparément ; qu'en l'espèce, sur la base d'une déclaration de culpabilité unique, la cour d'appel ne pouvait multiplier le montant de la condamnation prononcée par autant de pièces irrégulièrement offertes à la vente sans derechef violer les textes visés au moyen " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à l'occasion d'un contrôle effectué dans un supermarché, les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont constaté que les étiquettes relatives aux modalités d'entretien, fixées sur les vêtements portant la marque " Z " offerts à la vente, n'étaient rédigées qu'en langue anglaise ; que la société X, ayant fourni cette marchandise fabriquée en Irlande, est poursuivie pour avoir contrevenu à la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, infraction prévue et punie par l'article 1er du décret du 3 mars 1995 pris pour son application ;
Que la prévenue a soutenu que, les conseils d'entretien des textiles n'étant pas des mentions obligatoires destinées à satisfaire des exigences de protection des consommateurs, l'obligation pénalement sanctionnée de rédiger l'étiquette en langue française, constituait une entrave au commerce intracommunautaire incompatible avec l'article 30, devenu article 28, du traité CE ;
Attendu que, pour écarter ce moyen de défense et déclarer la prévenue coupable des infractions, les juges, par motifs adoptés, relèvent que les indications des étiquettes qui complètent les pictogrammes, constituent des mises en garde indispensables pour le consommateur ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il se déduit que les indications en langue étrangère constituaient un mode d'utilisation du produit au sens de l'article 1er du décret du 3 mars 1995, et dès lors que, d'une part, la mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation qui pourrait résulter de la législation prescrivant l'utilisation de la langue française dans les modes d'emploi et d'utilisation des produits est justifiée, conformément à l'article 36, devenu l'article 30, du traité, par la protection des consommateurs sur le territoire national et que, d'autre part, le responsable de la première mise sur le marché est tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués ;
Attendu, en outre, que la cour d'appel, à bon droit, a prononcé autant d'amendes que de contraventions constatées dès lors que la commercialisation de chaque article sans mode d'utilisation en langue française constitue une faute distincte punissable séparément ; d'où il résulte que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.