CA Paris, 8e ch. B, 12 septembre 1996, n° 94-020416
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sogemeuble (SARL)
Défendeur :
Le Dallour (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Antoine
Conseillers :
M. Piquard, Mme Parenty
Avoués :
Me Pamart, SCP Bollet Baskal
Avocats :
Mes Pamart, Rosenfeld
Suivant bon du 19 juin 1993, M. Le Dallour a commandé à la société Sogemeuble un buffet, une table et 4 chaises pour un montant global de 40 820 F avec versement d'un acompte de 15 000 F à la commande, le solde de 25 820 F étant payable à la livraison.
Ce bon de commande portait la mention "Instruction de livraison 1re quinzaine de septembre".
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 septembre 1993, M. Le Dallour constatant que la commande n'avait pas été effectuée dans la première quinzaine de septembre demandait l'annulation du contrat et la restitution des arrhes en vertu de l'article 3-1 alinéa 2 de la loi du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs.
La société Sogemeuble répondait par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er octobre 1993 qu'un accident de la route, constitutif de force majeure l'avait empêché de livrer le mobilier et à l'appui des déclarations ainsi faites elle communiquait aux époux Le Dallour une lettre du 4 octobre 1993 des Usines réunies faisant état d'un accident de camion, le 15 septembre à Châlons-sur-Marne, provoquant une perturbation dans le programme des livraisons.
Toute tentative de rapprochement amiable s'étant avérée infructueuse, la société Sogemeuble a, par exploit du 2 décembre 1993, fait citer les époux Le Dallour devant le Tribunal d'instance de Melun en paiement de la somme de 25 820 F avec intérêts de droit à compter du 14 octobre 1993 outre 5 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive et 4 500 F HT en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 10 mai 1994, le tribunal a :
- débouté la société Sogemeuble de l'intégralité de sa demande,
- prononcé la nullité du bon de commande souscrit le 19 juin 1993 auprès de la société Sogemeuble et par voie de conséquence la résolution du contrat de vente de meubles en résultant,
- condamné la société Sogemeuble à payer aux époux Le Dallour
- 15 000 F en restitution des arrhes versées par les époux Le Dallour,
- 1 800 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la société Sogemeuble aux dépens.
La société Sogemeuble a relevé appel de cette décision et conclut par son infirmation, sauf en ce qu'elle a débouté M. Le Dallour de sa demande en dommages-intérêts pour éventuel préjudice subi, à voir :
- condamner solidairement M. et Mme Le Dallour à lui verser 25 820 F avec intérêts de droit à compter du 14 octobre 1993, date de la mise en demeure adressée aux époux Le Dallour,
- dire que M. et Mme Le Dallour devront prendre livraison des meubles visés au bon de commande et ce sous astreinte de 100 F par jour à compter de l'arrêt à intervenir,
- les condamner civile outre au paiement de 3 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et 5 000 F HT en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
M. et Mme Le Dallour poursuivent la confirmation du jugement demandant en outre la condamnation de la société Sogemeuble à leur verser 30 000 F (15 000 x 2) avec intérêts de droit à compter de la rupture du contrat du 28 septembre 1993 outre 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Qui se réfère expressément pour la relation des faits au jugement attaqué, pour l'énoncé des moyens et prétentions des parties aux écritures d'appel de celles-ci,
Considérant que pour débouter la société Sogemeuble de l'intégralité de sa demande et condamner celle-ci à restituer les sommes versées lors de la commande, le tribunal a considéré :
- que l'article 3-1 alinéa 2 de la loi du 18 janvier 1992 disposait que le consommateur pouvait dénoncer le contrat de vente d'un bien meuble par lettre recommandée avec accusé de réception en cas de dépassement de la date de livraison du bien excédant 7 jours et non dû à la force majeure,
- que l'accident de camion n'était pas constitutif de force majeure dès lors :
* que le courrier de la société Sogemeuble en faisant état était tardif et qu'il n'était pas précisé que les meubles des époux Le Dallour étaient dans le camion accidenté,
* qu'il apparaissait du courrier de l'entreprise "Usines réunies" que cette dernière société possédait plusieurs camions de livraisons,
* que ce courrier ne démontrait pas l'accident avec certitude, n'établissait pas un lien de causalité entre cet éventuel accident et le retard de livraison,
* que le retard qui pouvait résulter de cet accident n'était pas de toute manière insurmontable, d'autres camions étant à la disposition de l'entreprise "Usines réunies" et la société Sogemeuble pouvant par ailleurs pallier elle-même la carence de son livreur,
* que le retard résultant de l'accident n'était pas irréversible, l'accident étant survenu en fin de délai contractuel de livraison et qu'en étant plus respectueuse des délais de route la société Sogemeuble aurait pu limiter l'aléa d'acheminement des meubles commandés,
* que l'accident, à supposer celui-ci établi, ne constituait pas un fait de force majeure ayant empêché la livraison dans les délais légaux ;
Considérant qu'au soutien de son appel la société Sogemeuble allègue :
- que le bon de commande ne précise pas la date limite de livraison mais donne simplement pour instructions de livraison la première quinzaine du mois de septembre, ce qui ne signifierait pas que le dernier jour de livraison ait été le 15 septembre,
- qu'un accident de la route est un cas de force majeure et que si les meubles des époux Le Dallour ne se trouvaient pas dans le camion, l'accident survenu avait néanmoins provoqué de multiples retards dans les livraisons,
- qu'un seul camion travaille exclusivement pour elle ;
Considérant que l'appelante se prévalant aussi du fait que la commande de meubles daterait du mois de juin conteste que les époux Le Dallour aient subi un préjudice ;
Mais considérant que la société Sogemeuble ne démontre pas que M. et Mme Le Dallour aient été d'accord pour prolonger le délai de livraison ;
Considérant que la lettre de la société Sogemeuble du 1er octobre 1993 qui s'analyse comme une justification délivrée à soi-même apparaît dénuée de valeur probante ;
Considérant que si la commande prévoyait pour instruction de livraison la première quinzaine de septembre, ceci veut dire que la livraison devait être effectuée au plus tard le 15 septembre ;
Considérant qu'il est établi que ce délai n'a pas été respecté puisque le camion affecté par la société Usines réunies exclusivement (selon les dires de la société Sogemeuble) au transport des meubles de la société Sogemeuble a été accidenté non pas 3 jours plus tôt comme elle l'écrit le 1er octobre 1993 mais le 15 septembre, soit le dernier jour du délai et qu'il est de surcroit non discuté que ce camion ne transportait pas les meubles de M. et Mme Le Dallour ; qu'ainsi le mobilier dont il s'agit n'aurait en tout état de cause pas été livré dans le délai imparti ;
Considérant par ailleurs que l'accident allégué n'est pas constitutif de force majeure puisqu'il appartenait à la société Sogemeuble de tout mettre en œuvre pour respecter les délais de livraison en enjoignant au besoin à la société Usines réunies de lui affecter un autre camion ou encore de trouver un autre transporteur ;
Considérant que si la loi du 18 janvier 1992 prévoit bien dans son article 3-1 in fine la restitution au double des arrhes versées lors de la commande cette disposition s'applique uniquement quand le vendeur entend se dégager de son obligation par sa seule volonté ; que tel n'est pas le cas en l'espèce où la société Sogemeuble a enjoint au contraire sous astreinte à l'acheteur de prendre livraison des meubles visés au bon de commande et où la résolution judiciaire pour faute est reconventionnellement poursuivie par les époux Le Dallour ;
Considérant que l'obligation de livraison pour la date convenue n'ayant pas été respectée, c'est à bon droit que le premier juge a débouté la société Sogemeuble de l'intégralité de sa demande, prononcé la résolution du contrat aux torts du vendeur et par voie de conséquence ordonné la restitution de l'acompte de 15 000 F ;
Considérant que les intérêts de droit sur la condamnation de 15 000 F courent, en vertu des dispositions de l'article 1153-1 du Code civil, du jour du jugement du 10 mai 1994 ;
Considérant qu'il échet, en application des dispositions de l'article 1154 du Code civil, d'ordonner la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite par conclusions du 3 octobre 1995 ;
Considérant que les intimés ne justifiant pas d'un préjudice distinct de celui réparé par l'attribution d'intérêts moratoires sur la somme de 15 000 F, le jugement doit recevoir confirmation en ce qu'il a rejeté la demande en dommages-intérêts des époux Le Dallour ; qu'il n'y a pas lieu pour le même motif d'admettre ceux-ci au bénéfice d'une indemnité pour appel abusif ;
Considérant que l'équité commande en revanche d'entériner la condamnation de la société Sogemeuble au paiement de 1 800 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et d'y ajouter 2 200 F pour frais irrépétibles d'appel tandis que l'appelante qui succombe verra rejeter sa demande sur ce fondement ainsi que sa prétention à des dommages-intérêts pour résistance abusive,
Par ces motifs, Dit la société Sogemeuble mal fondée en son appel ; la déboute de toutes ses demandes ; Confirme le jugement; Y ajoutant, Dit que la condamnation à remboursement de la somme de 15 000 F emporte intérêts au taux légal à compter du 10 mai 1994; Ordonne à dater du 3 octobre 1995 la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière; Déboute les époux Le Dallour de leurs autres demandes; Condamne la société Sogemeuble aux dépens d'appel; Admet la SCP Bollet Baskal, avoués associés, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.