Conseil Conc., 30 juillet 2008, n° 08-D-18
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative aux activités de remorquage par le port autonome du Havre et la société nouvelle de remorquage du Havre (SNRH)
Le Conseil de la concurrence (section IV)
Vu la lettre, enregistrée le 19 mai 2008 sous les numéros 08/0055 M et 08/0054 F, par laquelle la société Boluda Le Havre a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques du port autonome du Havre et de la Société Nouvelle de Remorquage du Havre (SNRH) qu'elle estime anticoncurrentielles et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu les articles 81, 82 et 86 du Traité des Communautés européennes ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu le Code des ports maritimes ; Vu l'arrêté préfectoral du 8 octobre 2007 définissant les conditions de l'agrément et de l'exercice du remorquage portuaire dans les ports du Havre et du Havre Antifer ; Vu les observations présentées par la société Boluda le Havre, la Société Nouvelle de Remorquage du Havre, et le Port autonome du Havre ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, la commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés entendus lors de la séance du 16 juillet 2008 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
1. Dans le port du Havre, la société " les Abeilles ", dont l'agrément a été renouvelé le 11 janvier 1996, devenue propriété du groupe espagnol Boluda, le 21 décembre 2007, exerce des activités de remorquage portuaire.
A. La saisine
2. La société Boluda le Havre (ci-après Boluda) fait grief au port autonome du Havre d'avoir autorisé, le 25 avril 2008, la société nouvelle de remorquage du Havre (SNRH), agréée depuis le 25 juillet 2005, à exercer l'activité de remorquage dans le port du Havre, dans des conditions qu'elle estime discriminatoires. Elle souligne que la date de délivrance de cet " agrément " n'est pas conforme au délai dans lequel le port aurait dû répondre à la demande de cette société, ce qui a permis à la SNRH de continuer à exercer son activité sans autorisation du 8 mars au 25 avril 2008. Elle fait valoir que cette autorisation a été délivrée en dépit des avis négatifs de l'inspecteur du travail maritime et du directeur des affaires maritimes, motivés par l'organisation du temps de travail des marins de la SNRH. Elle indique que les conditions de l'agrément n'ont pas été respectées par la SNRH, ce qui aurait dû conduire l'autorité portuaire à suspendre l'agrément. Elle soutient que ces conditions permettent à la SNRH d'exercer son activité avec un nombre plus restreint de marins que celui qui lui est imposé par le port. Elle allègue en outre que la SNRH oppose un " refus systématique " aux demandes de ses clients pour desservir le port pétrolier du Havre Antifer. Elle soutient en conséquence qu'elle se voit ainsi tenue au respect d'obligations plus strictes que sa concurrente, qui l'obligent à employer proportionnellement un équipage plus nombreux que celui utilisé par la SNRH, ce qui crée, selon elle, une situation contraire aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 et 86-1 du traité instituant la Communauté européenne.
3. La saisissante a, parallèlement, demandé le prononcé de mesures conservatoires, tendant à l'arrêt de l'activité de la SNRH jusqu'à la mise en conformité de l'organisation du travail de la SNRH avec l'ensemble des règles en vigueur.
B. Le secteur
4. Le remorquage maritime, opération qui relève de l'armement, est défini comme la mise à disposition d'une force en vue du déplacement d'un navire, qui ne peut effectuer lui-même une manœuvre et qui participe cependant à l'opération : il y a remorquage lorsqu'il est fait appel à une force motrice extérieure pour déplacer tout objet qui n'a pas ou qui n'a plus les moyens nécessaires pour effectuer seul le déplacement envisagé. Cette mise à disposition d'une force extérieure donne lieu au paiement d'un prix. Le lien juridique entre le remorqueur et l'armateur du navire relève uniquement du droit privé : même lorsque la Marine nationale prête le concours de ses remorqueurs à des armateurs privés, le contrat n'en est pas pour autant un contrat de droit public (Cf. " Eugenia Chandris ", T. com. Brest, 7 septembre 1973, et CA Rennes, 4 novembre 1974). Dans la plupart des cas, la prestation de remorquage est confiée, dans chaque port français, à un opérateur unique.
5. Les sociétés de remorquage doivent être titulaires d'un agrément délivré par l'autorité administrative compétente, en vertu de ses pouvoirs de police spéciale, cet agrément étant prévu par l'article R. 351-1 du Code des ports maritimes et par l'article 10 du règlement général de police des ports, annexé à cet article, qui dispose : " l'exercice du remorquage et du lamanage des bâtiments est subordonné à l'agrément du directeur du port, tant en ce qui concerne le personnel que le matériel. Les conditions en sont fixées par les règlements particuliers ".
6. Si l'autorité administrative exerce un contrôle du respect des conditions de délivrance de l'agrément, elle n'intervient en revanche ni dans l'organisation du remorquage, ni dans les opérations matérielles proprement dites, sauf cas exceptionnels visés à l'article R. 311-7 du même Code.
7. Les relations entre les sociétés de remorquage et leurs clients ne mettent en œuvre, par elles-mêmes, aucune prérogative de puissance publique. Si l'article R. 111-12 du même Code qualifie l'exercice par le port des activités de remorquage de " service public connexe ", du fait des exigences de sécurité, il n'en reste pas moins que les conditions dans lesquelles la SNRH et Boluda exercent leurs activités de remorquage relèvent pleinement d'une relation commerciale entre ces dernières et les entreprises responsables des navires remorqués.
C. Le port du Havre
8. Le port autonome du Havre a été créé par le décret n° 65-936 du 8 novembre 1965, sous la forme d'un établissement public de l'État, doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière, placé sous la tutelle du ministre chargé des ports maritimes et soumis au contrôle économique et financier de l'État.
9. Aux termes de l'article L. 111-2 du Code des ports maritimes, il est chargé, à l'intérieur des limites de sa circonscription, des travaux d'extension, d'amélioration, de renouvellement et de reconstruction, ainsi que de l'exploitation, de l'entretien, de la police du port et de ses dépendances ainsi que de la gestion du domaine immobilier qui lui est affecté.
10. Le port du Havre peut accueillir sur ses terminaux tous les types de fret : conteneurs, trafics rouliers (trafic de véhicules ou, plus généralement, fret roulant), trafic conventionnel (fret des colis lourds de matériel industriel et sacherie), vracs liquides (pétrole brut, produits pétroliers, hydrocarbures gazeux, autres liquides) et vracs solides (charbon, céréales, ciment, autres solides constitués essentiellement des pigments ilménites et des tourteaux de soja). Le terminal d'Antifer, géré par l'établissement public, distant de celui du Havre d'une quinzaine de milles, est exclusivement destiné à accueillir des navires pétroliers, lesquels représentent souvent les tonnages les plus importants.
D. Les entreprises
1. Boluda le Havre
11. Dans le port du Havre, depuis 1864, les activités de remorquage ont été confiées à la société " les Abeilles " devenue propriété du groupe espagnol Boluda en décembre 2007, et antérieurement propriété du groupe Bourbon. Boluda le Havre exerce cette activité avec 10 remorqueurs, dont un remorqueur de sécurité, avec un système de rotation des marins de 24 heures de présence à bord, et 48 heures de repos, dit " d'armement cyclique à un équipage à bord ". Son chiffre d'affaires est de 16 millions d'euro.
2. LA SNRH
12. La société nouvelle de remorquage du Havre (SNRH) est une filiale du groupe néerlandais Kotug. Elle a cherché à s'implanter sur le site du Havre depuis 1998, initialement pour trois remorqueurs, puis, par une demande du 15 mars 2005, pour quatre remorqueurs actifs. Elle dispose actuellement de cinq remorqueurs actifs, avec un système de rotation des marins alternant sept jours de travail et sept jours de repos. Son chiffre d'affaires est d'environ 7 millions d'euro sur le port du Havre.
13. L'implantation de la SNRH au port du Havre s'est effectuée dans un climat conflictuel. Ainsi, au cours du comité central d'entreprise du 21 juin 1999, M. X..., Président du groupe Bourbon, à l'époque propriétaire des " Abeilles " au Havre, alors en situation de monopole sur le marché du remorquage au port du Havre, a déclaré vouloir " éviter par tout moyen que cette concurrence aboutisse concrètement ". Il a ajouté au cours de cette réunion : " je crois que chacun a mis du sien dans cette démarche d'empêchement, notamment par des actions sur le plan commercial entreprises par la société qui a pris contact avec l'ensemble de la clientèle pour lui proposer des contrats de partenariat exclusifs ", avant d'évoquer des actions juridiques, dont il pensait qu'elles ne seraient pas de nature à éviter l'octroi de l'agrément, et politiques, dont une rencontre avec le ministre des transports de l'époque, dans le but d'attirer son attention sur le risque supposé de perte du chiffre d'affaires des Abeilles d'environ 40 % et de diminution des effectifs de 50 %. Depuis lors, de très nombreux contentieux ont eu lieu.
14. La SNRH a finalement obtenu un agrément le 25 juillet 2005, pour quatre coques et une coque de réserve, mais l'activité de la SNRH n'a pu alors débuter, faute d'une organisation du travail des marins adaptée. Le 31 juillet 2006, la mise en œuvre de l'agrément a été suspendue par le port au motif que la SNRH ne serait pas en mesure d'armer en permanence quatre remorqueurs et d'en armer un cinquième en moins de quatre heures. Toutefois, ces obligations ont été jugées sans rapport avec celles découlant du règlement applicable au port par le tribunal administratif de Rouen, qui a suspendu, par ordonnance de référé du 29 septembre 2006, l'exécution de cette décision, ce qui a eu pour effet de permettre à la SNRH de débuter son activité. Elle n'a pu y procéder effectivement qu'à la suite d'un protocole de sortie de crise du 18 octobre 2006, signé par la SNRH et le préfet de région. La SNRH s'est alors engagée à embaucher 64 marins représentant 16 bordées pour quatre remorqueurs.
15. Le 8 octobre 2007, un arrêté préfectoral a imposé, notamment, de nouvelles règles de veille permanente et de service minimum de sécurité, ce qui implique une modification des conditions d'exploitation par la SNRH, et fixe à 8 le nombre total de remorqueurs pour assurer ce service au port du Havre et du Havre Antifer. Cet arrêté a ouvert une nouvelle phase de contestations portant sur l'organisation du travail à la SNRH.
3. L'organisation du travail à la SNRH
16. Le droit du travail maritime résulte d'une juxtaposition de textes particulièrement complexe, parmi lesquels le Code du travail maritime. Le décret n° 2005-305 du 31 mars 2005 relatif à la durée du travail des gens de mer dispose notamment que le travail peut être organisé sous forme de cycles. Les accords collectifs applicables aux entreprises de remorquage, signés le 2 décembre 2005, par l'association professionnelle des entreprises de remorquage maritime (APERMA) dont la société les Abeilles est membre, prévoient, dans le cadre du " service continu au port ", plusieurs modes d'organisation du travail. Ainsi, pour l'organisation en " armement cyclique à un équipage à bord ", la présence sur le lieu de travail peut, par dérogation à une durée maximale du travail de quatorze heures, être portée à vingt-quatre heures, sous réserve que les personnels puissent bénéficier d'un repos de six heures, et qu'à l'issue de la vacation journalière, le personnel dispose d'une période de repos-congé de 48 heures consécutives minimum, système appliqué par Boluda. Ces accords prévoient également un système de présence à bord de huit heures, avec trois équipages par durée de 24 heures et un système de présence à bord de 12 heures avec deux équipages, prévoyant des compensations de repos. Ce dernier aménagement, dit " d'armement cyclique à deux équipages successivement à bord " peut, de manière dérogatoire, inclure une prolongation de l'amplitude journalière, si une telle dérogation est autorisée par un accord d'entreprise. C'est une variante de ce système qui est appliquée par la SNRH, avec initialement, une alternance de 14 jours de travail, suivis de 14 jours de repos.
17. Le 8 avril 2008, l'inspecteur du travail maritime a adressé au directeur interdépartemental des affaires maritimes un avis défavorable quant à la compatibilité du système d'embarquement de la SNRH avec les exigences de l'arrêté préfectoral du 8 octobre 2007 et de la définition du temps de repos, telle qu'elle résulte de l'article 2 du décret précité du 31 mars 2005, qui dispose : " chaque heure de présence à bord à la disposition du capitaine est considérée comme une heure de travail effectif, des accords collectifs étendus déterminant dans quelles conditions des temps de pause et de repos peuvent en être défalqués ". La SNRH avait alors prévu qu'au cours d'une période de présence à bord de quinze heures, cinq heures seraient considérées comme temps de pause et de repos. Il s'ensuit que le total des heures de repos ne correspond pas, selon cet avis, aux exigences de l'accord relatif à l'aménagement du temps de travail, lequel oblige à accorder un repos quotidien de 11 heures consécutives, sauf organisation dérogatoire dont la SNRH n'a pas demandé le bénéfice.
18. Il ressort de l'instruction que cet avis, produit par Boluda, n'a jamais été porté officiellement à la connaissance ni du Port du Havre, ni de la SNRH.
19. Le 18 avril 2008, le directeur interdépartemental délégué des affaires maritimes a émis un avis négatif, fondé sur d'autres motifs, souhaitant que des relèves soient effectuées après 15 heures de présence à bord et observant qu'un système alternant quatorze jours de travail puis quatorze jours de repos, compte tenu des autres conditions de travail, ne permet pas de respecter la durée hebdomadaire maximale du travail, calculée par semaine calendaire et non par période de présence à bord. Cet avis paraît ne pas condamner une présence à bord de 15 heures, pendant laquelle seraient constatés des temps de repos a posteriori. En revanche, il critique le fait que le marin ne quitte pas le bord après une période de 15 heures à l'issue de laquelle " une relève devrait être impérativement effectuée " et juge incompatible avec les accords collectifs une alternance entre quatorze jours de travail et quatorze jours de repos, ce qui engendre un dépassement de la durée du travail prévue par les accords-cadre sur une période hebdomadaire.
20. La SNRH, par lettre du 23 avril 2008, tout en contestant le fondement juridique de ces observations, a proposé une nouvelle organisation du travail, fondée sur une alternance de sept jours et non plus de quatorze, acceptée par le Port autonome le 25 avril 2008. Ses marins travaillent actuellement selon une règle de 15 heures de présence à bord et une rotation de sept jours de travail et de sept jours de repos.
21. Faisant notamment référence à ces avis négatifs, et contestant l'agrément, Boluda a mis en demeure le port, par lettre du 28 avril 2008, de faire cesser l'activité de la SNRH, en rappelant dans cette correspondance qu'un préavis de grève a été déposé par son personnel.
22. Deux méconnaissances du nouveau planning de travail de la SNRH ont été constatées immédiatement après le 25 avril 2008, concernant l'une un capitaine et la seconde un mécanicien faisant fonction de capitaine, dont le nombre de jours d'embarquement excédait sept. Ces méconnaissances ont conduit le directeur du port du Havre, le 1er mai 2008, à suspendre l'agrément de la SNRH. L'exécution de cette décision a été suspendue par le tribunal administratif de Rouen le 5 mai 2008, au motif que la SNRH justifie d'une atteinte " grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre ".
23. Le 9 octobre 2007, le directeur du port autonome du Havre a refusé à la SNRH l'exploitation commerciale d'un cinquième remorqueur, décision annulée par le tribunal administratif de Rouen le 9 mai 2008. La SNRH a, depuis lors, introduit une demande pour l'exploitation d'un sixième remorqueur.
E. Les pratiques dénoncées
24. Il est en premier lieu reproché par Boluda au port et à la SNRH d'avoir mis en place un agrément à compter du 25 avril 2008, alors que le renouvellement de l'agrément aurait dû être effectif avant le 8 mars 2008. Ceci aurait pour conséquence un exercice de l'activité de la SNRH sans agrément entre ces deux dates.
25. Boluda reproche ensuite à la SNRH un régime de travail organisé sur la base quotidienne de 15 heures de présence effective à bord et 9 heures de repos et sur un rythme hebdomadaire de sept jours d'activité et sept jours de repos. Selon Boluda, cette organisation permettrait à la SNRH, pour quatre remorqueurs actifs, de n'avoir à employer que 48 marins, alors qu'elle s'est engagée par le protocole de sortie de crise du 18 octobre 2006 à porter le nombre de ses marins à 64, ce qui représente 16 bordées, et que le service pour un nombre équivalent de remorqueurs nécessiterait " au moins 70 personnes " pour Boluda. Il est en outre indiqué que : " à la connaissance de l'exposante, la SNRH n'a pas modifié l'organisation du travail à bord de ses remorqueurs, suite à l'avis défavorable de l'inspecteur du travail maritime, du 8 avril 2008 et de celui tout aussi défavorable de M. le directeur interdépartemental des affaires maritimes du 18 avril suivant ".
26. Il est enfin reproché à la SNRH d'opposer un " refus systématique " aux demandes de remorquage concernant le terminal portuaire d'Antifer, dont l'activité est exclusivement pétrolière. Ce refus est avéré dans un cas dans lequel la SNRH a indiqué à son client que les autorités portuaires ne lui auraient pas permis le recours ponctuel à une coque supplémentaire pour effectuer cette opération de remorquage. Ce client, la société Thenamaris, s'est alors adressé à Boluda, qui a effectué le remorquage, et il a rompu son précédent accord avec la SNRH.
II. Discussion
27. L'article R. 464-1 du Code de commerce énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce selon lequel le Conseil de la concurrence, " (...) peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".
A. Sur la recevabilité de la saisine en tant qu'elle met en cause le port
28. Il résulte de l'article L. 302-5 du Code des ports maritimes que l'exercice de la police de l'exploitation du port, qui comprend notamment l'attribution des postes à quai et l'occupation des terre-pleins, relève du directeur du port. Celui-ci doit en outre, en application de l'article L. 302-6 du même Code exercer " la police du plan d'eau qui comprend notamment l'organisation des entrées, sorties et mouvements des navires, bateaux ou engins flottants ". Enfin, l'article L. 302-7 du même Code dispose : " si l'urgence ou des circonstances graves l'exigent, l'autorité investie du pouvoir de police portuaire ou l'autorité portuaire peuvent, dans les limites de leurs attributions respectives, procéder à la réquisition des armateurs, capitaines, maîtres ou patrons de navires, marins, ouvriers-dockers, pilotes, lamaneurs et remorqueurs, pour qu'ils fournissent leur service et les moyens correspondants ". Pour autant, l'exercice de cette police, qui justifie la délivrance, dans les conditions prévues par l'article 10 de l'annexe à l'article R. 351-1 du Code des ports maritimes précité, d'un agrément conforme aux exigences de sécurité, et notamment du nombre de navires qui doivent être armés en permanence, n'a pas d'incidence sur l'opération commerciale de remorquage, qui relève du droit privé, ni sur les choix d'organisation concrète du travail des sociétés de remorquage.
29. Le port autonome a pour mission de veiller au respect des conditions de sécurité, requises pour la délivrance de l'agrément, notamment de s'assurer que le nombre de marins est conforme, pour chaque coque, à la décision d'effectifs, et de vérifier la disponibilité permanente du nombre minimum de remorqueurs, fixé à quatre pour chacune des deux sociétés par une décision du directeur du port du 16 mai 2008. Il incombe en outre à l'inspection maritime du travail de s'assurer du respect des règles applicables, en matière d'horaires de travail, de repos et de congés, qui ne relèvent que du droit privé.
30. Dans le cadre de l'exercice de cette activité de police, ni la délivrance de l'agrément, ni les décisions de retrait ou de suspension de cet agrément, qui mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique pour l'exercice d'une mission de service public, ne relèvent de la compétence du Conseil de la concurrence, conformément à la décision du Tribunal des conflits, Aéroport de Paris et compagnie nationale Air France c/TAT European Airline SARL, du 18 octobre 1999 : " si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques ".
31. La saisine de la société Boluda, en tant qu'elle met en cause la délivrance de l'agrément, l'acceptation ultérieure d'un dossier de mise en conformité dans le cadre de cet agrément, ou encore le retrait de l'agrément, qui constituent des décisions administratives, échappe donc à la compétence du Conseil de la concurrence. Celui-ci n'est compétent que pour se prononcer sur les comportements de la SNRH dans l'exercice de son activité de remorquage, qui sont détachables des actes de puissance publique décrits ci-dessus.
32. L'obligation légale de faire agréer une activité économique ne fait, en effet, pas échapper pour cette seule raison l'exercice de cette activité et les pratiques auxquelles elle donne lieu éventuellement, au respect des règles de la concurrence et à la compétence du Conseil de la concurrence, dès lors que l'exercice de l'activité sur le marché du remorquage est détachable de la délivrance de l'agrément lui-même. Ainsi le Conseil est-il compétent pour apprécier l'incidence des décisions, soumises à l'agrément de l'administration, prises par le bureau national interprofessionnel des vins de cognac (n° 06-D-21 du 21 juillet 2006), et dont la mission consiste notamment à contrôler la production, la conservation et la vente du cognac. De la même manière est-il compétent pour connaître des activités de la fédération française d'escrime, agréée par le ministre responsable, et bénéficiant d'une délégation de service public, lorsque ces activités sont commerciales (n° 98-D-31, 13 mai 1998).
B. Sur la saisine en tant qu'elle met en cause la SNRH
1. Sur une éventuelle position dominante de la SNRH
33. M. François Y..., directeur de la société Boluda, a déclaré, en réponse à la question suivante : " quelle est la part d'activités respectives de Boluda et de la SNRH ? Ces chiffres caractérisent-ils selon vous une position dominante de la SNRH ? " : " nous étions à 65 % / 35 %. La part de la SNRH a légèrement augmenté du fait des conflits sociaux. Nous ne prétendons pas que la SNRH a une position dominante ". En outre, à la question : " Vous me confirmez que vous n'alléguez aucune entente entre le port et la SNRH ? ", il a répondu : " il n'y a pas de mécanisme d'entente entre le port et la SNRH quand on sait les contentieux qui sont en cours, mais il y a une certaine passivité du port à faire respecter l'égalité de charges entre nous-mêmes et notre concurrente ".
34. La SNRH, qui ne détient au port du Havre qu'une part moyenne d'environ 35 % du marché depuis le début de son activité, et dont l'implantation a été particulièrement difficile face à Boluda, opérateur historique jusqu'alors en situation de monopole, laquelle détient une part prépondérante du marché du remorquage et des équipements, n'est, effectivement, nullement en position dominante. Aucun autre élément qualitatif (notoriété, détention de certains avantages à l'égard de la clientèle, etc...) ne vient étayer une telle position.
35. Les données les plus récentes n'infirment pas ce constat. A la suite de mouvements sociaux ayant affecté le trafic, ce sont les clients de Boluda plus que ceux de la SNRH, qui ont choisi de réorienter leur activité en s'adressant à d'autres ports. Toutefois, même cette conjoncture ne modifie pas sensiblement les parts respectives d'activité des deux opérateurs sur le port du Havre.
Activités des remorqueurs au premier trimestre 2008
<emplacement tableau>
Activités des remorqueurs au deuxième trimestre 2008
<emplacement tableau>
36. La saisine n'apporte donc aucun élément probant de nature à justifier la détention d'une position dominante par la SNRH, dont l'implantation a été particulièrement difficile, qui, depuis l'obtention de son agrément, a dû s'adapter, dans des délais souvent très brefs à des exigences supplémentaires en matière de sécurité, de veille et d'organisation du travail de ses équipages, et dont la part de marché demeure, en toutes circonstances, nettement inférieure à celle de Boluda.
2. Sur les pratiques alléguées
37. A titre surabondant, la saisine n'apporte pas plus d'éléments probants sur l'existence d'abus imputables à la SNRH.
38. En premier lieu, il est reproché à la SNRH d'avoir exercé son activité sans agrément. Ce reproche n'est pas fondé et ne peut en toute hypothèse servir à caractériser un abus. Le 23 avril 2008, la SNRH a proposé des relèves effectives à l'issue de la période de quinze heures et un système de cycles alternant 7 jours d'embarquement et 7 jours de repos, tout en contestant au fond l'incompatibilité entre les rotations sur 14 jours qui étaient précédemment organisées et les accords collectifs. Cette proposition d'organisation nouvelle a été acceptée le 25 avril 2008, sans que cet accord prenne la forme d'un nouvel agrément. Boluda ne peut donc conclure que le Port aurait laissé la SNRH exercer son activité sans autorisation entre le 8 mars 2008, date de l'expiration du délai de deux mois prévu par l'article 4 de l'annexe à l'arrêté préfectoral du 8 octobre 2007, et le 25 avril 2008, alors que le dispositif prévu par cet article ne vaut que pour les demandes nouvelles d'agrément. Or, c'est toujours en application de l'agrément du 25 juillet 2005 que la SNRH exerce son activité, le maintien des agréments en cours n'étant nullement subordonné à la délivrance d'un nouvel agrément. De même, l'argument selon lequel la SNRH n'aurait pas modifié son organisation de travail à la suite des avis des 8 et 18 avril 2008 manque en fait, puisque c'est bien pour répondre aux observations formulées dans l'avis du 18 avril 2008 que la SNRH a modifié son organisation, tout en contestant le bien fondé de ces observations et du régime actuel de travail des équipages.
39. En second lieu, Boluda prétend que la SNRH peut travailler avec 48 marins, alors que 70 personnes lui seraient nécessaires pour assurer la même prestation, et que l'engagement de la SNRH d'employer 64 marins n'est pas respecté. Cette dernière indique qu'à la date du 22 juin 2008 ses effectifs sont de 68 marins et 10 sédentaires. M. François Xavier Z..., directeur interdépartemental délégué des affaires maritimes a déclaré : " l'effectif réel de la SNRH oscille entre 56 et 60 marins et, sauf au tout début de l'exploitation, nous n'avons pas constaté de dépassement des horaires de travail. Nous avons constaté, dans certaines périodes de tension, un effectif de 52 marins, hors permanents, ce qui n'est plus le cas actuellement ". Ainsi, même si ses effectifs subissent des variations, il est avéré que la SNRH n'emploie pas seulement 48 personnes, mais un nombre de marins nettement supérieur.
40. Au surplus, dans la mesure où les textes pertinents autorisent divers systèmes d'organisation du travail, il est loisible à chaque société d'opter pour celui qui lui paraît préférable, en recherchant une gestion optimale des effectifs requis et des matériels dont elle dispose, dans le respect des obligations de veille. Cette organisation peut en particulier tenir compte des lieux de résidence des marins. Le choix d'un système de travail des marins embarqués, contrôlé de manière permanente par les autorités compétentes, ne saurait en lui-même créer de distorsion contraire aux règles de concurrence. A supposer même que le nombre de marins soit proportionnellement moindre pour la SNRH que pour Boluda, ces écarts, qui ne résultent en rien de décisions imposées par le port mais de choix de gestion, ne comportent en eux-mêmes aucune atteinte aux règles de concurrence, mais, à l'inverse, témoignent d'efficacités pro-concurrentielles.
41. Si Bodula reproche enfin à la SNRH un refus de prester au port d'Antifer, des cas de refus similaires peuvent être constatés de la part de la société plaignante. En outre, il s'agit en l'occurrence de relations commerciales entre les sociétés de remorquage et leurs clients, qui ne peuvent entraîner de distorsions de concurrence entre ces sociétés.
42. La société Boluda n'apporte donc aucun élément probant permettant de supposer, de la part de la SNRH, la détention d'une quelconque position dominante sur le marché du remorquage, ni a fortiori l'exploitation abusive d'une telle position.
43. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits dénoncés par la saisine ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants de l'existence de pratiques qui auraient pour objet ou pour effet d'entraver le libre jeu de la concurrence au sens des dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité ; il convient, en conséquence, de faire application des dispositions de l'article L. 462-8 du Code de commerce et, par voie de conséquence, de rejeter la demande de mesures conservatoires.
Décision
Article 1er : La saisine au fond enregistrée sous le numéro 08-0054 F est rejetée.
Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 08-0055 M est rejetée.