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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 17 septembre 2008, n° 2007-10371

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coopérative Agricole l'Ardéchoise

Défendeur :

Président du Conseil de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Mouillard

Avoué :

SCP Monin d'Auriac de Brons

Avocat :

Me Selinsky

CA Paris n° 2007-10371

17 septembre 2008

Par lettre enregistrée le 18 novembre 2003, le ministre chargé de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence (ci-après le Conseil) de pratiques constatées dans le secteur de la collecte des céréales dans la région Rhône-Alpes.

Sur la base des faits relevés dans le dossier transmis par le ministre, le rapporteur a notifié huit griefs au titre de manquements aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

C'est ainsi qu'il était reproché:

- à cinq collecteurs de céréales de l'Ain de s'être concertés afin d'aligner leurs tarifs de collectes - selon le cas- prix d'acompte et prix finaux (griefs n° 1 à 5);

- à la commission interprofessionnelle regroupant les organismes représentatifs des producteurs de maïs et des collecteurs, d'avoir élaboré un barème indicatif interprofessionnel de réfaction pour la livraison de maïs humide (grief n° 6);

- au GIE Unisilo et au GIE Rhonalpgrain d'avoir prévu dans leur règlement intérieur un prix de vente unique pour les céréales commercialisées par leurs membres ainsi qu'un mécanisme de péréquation entre ceux-ci (grief n° 7);

- à la coopérative agricole l'Ardéchoise ainsi qu'aux trois autres coopératives agricoles regroupées au sein du GIE Unisilo de s'être interdit tout démarchage auprès des producteurs de céréales adhérant à l'une des autres coopératives par le biais de la clause de non-concurrence contenue dans le règlement intérieur de ce GIE (grief n°8).

Par décision n° 07-D-16 du 9 mai 2007, le Conseil a décidé:

Article 1er (...)

Article 2 : il est établi que la coopérative drômoise de céréales, la coopérative Terres du Diois, la coopérative agricole de la Drôme provençale et la coopérative agricole l'Ardéchoise ont enfreint l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes:

- (...) 90 000 euro à la coopérative agricole l'Ardéchoise (...).

LA COUR,

Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation déposé au greffe de la cour le 18 juin 2007 par la coopérative agricole l'Ardéchoise;

Vu le mémoire déposé le 18 juillet 2007 par cette société à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique déposé le 6 mai 2008;

Vu les observations écrites du Conseil du 18 mars 2008;

Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie du 18 mars 2008;

Vu les observations écrites du Ministère public du 26 mai 2008, mises à la disposition des parties à l'audience;

Oui, à l'audience publique du 3 juin 2008, en leurs observations orales, les conseils des parties, qui ont été mis en mesure de répliquer, ainsi que les représentants du Conseil de la concurrence et du ministre de l'Economie et le Ministère public;

Sur ce,

Sur le fond

Considérant que le grief n° 8 concernant la requérante est ainsi formulé : "Il est fait grief à la coopérative drômoise de céréales, à la coopérative agricole des producteurs de céréales du Diois, à la coopérative agricole de la Drôme provençale et à la coopérative agricole l'Ardéchoise de s'interdire tout démarchage auprès des producteurs de céréales adhérents à l'une des trois autres coopératives, par le biais de la clause de non-concurrence contenue dans le règlement intérieur du GIE Unisilo auquel elles appartiennent. Cette pratique, mise en œuvre sur les marchés de la collecte des céréales dans les départements de la Drôme et de l'Ardèche, tend à limiter le libre exercice de la concurrence et les débouchés des différentes coopératives, et à répartir les sources d'approvisionnement. Elle est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce";

Que la clause critiquée du règlement du GIE Unisilo est ainsi libellée:

"8-Clause de non-concurrence

De convention expresse entre eux, chaque coopérative membre du GIE s'engage à ne pas prospecter et influencer directement les adhérents d'une autre coopérative à des fins de "récupération";

Considérant que la coopérative l'Ardéchoise poursuit l'annulation de la décision déférée en prétendant, en premier lieu, que cette clause de non-démarchage n'a pas d'objet anticoncurrentiel dès lors que l'achat de céréales aux agriculteurs, qui ne sont pas des clients mais des fournisseurs, ne constitue pas, en effet, une "activité concurrente" permettant de retenir le qualificatif de clause de non-concurrence, les coopératives membres du GIE cherchant seulement, au moyen de cette clause, à "fidéliser" leurs adhérents ; que la requérante précise qu'au demeurant, la clause était strictement proportionnée aux objectifs licites des coopératives puisque sa portée restait limitée au regard:

- des collecteurs concernés, puisqu'elle ne concerne qu'une seule catégorie de collecteurs agréée, les coopératives agricoles;

- de l'étendue des engagements souscrits par les coopératives, à qui des actions indirectes telles que la publicité sur les tarifs pratiqués pour l'achat des céréales ou sur les diverses prestations ne sont pas interdites;

- de la situation des agriculteurs, qui restent libres d'adhérer à une autre coopérative;

Que la requérante soutient, en second lieu, qu'en tout état de cause, la clause dont il s'agit n'a pas pu produire d'effet anticoncurrentiel en raison:

- de la situation particulière de l'Ardèche, département qui se distingue par le faible volume des cultures céréalières;

- du caractère secondaire de la collecte de céréales au sein de son activité;

- de la liberté laissée aux agriculteurs et dont ils usent en pratique, de changer de coopérative, étant observé, à cet égard, qu'en Ardèche, compte tenu du relief, le temps d'accès à un silo est un élément déterminant dans le choix d'un collecteur agréé, coopérative ou négociant, par un agriculteur;

Mais considérant que c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le Conseil a décidé que l'interdiction de démarchage auprès des producteurs de céréales adhérant à une autre coopérative membre du GIR Unisilo constitue une pratique tendant à limiter le libre exercice de la concurrence et les débouchés des coopératives et à répartir les sources d'approvisionnement, et que cette pratique, qui fausse le jeu de la concurrence dans le secteur de la collecte des céréales dans la Drôme et en Ardèche, est contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce;

Considérant, tout d'abord, que la qualification de la clause litigieuse de "clause de non-concurrence" ne peut être utilement contestée dès lors, non seulement, que cette qualification correspond à l'intitulé qui lui est donné par le règlement intérieur du GIE où elle figure, nécessairement approuvé par la requérante, membre de ce GIE, et surtout, que le Conseil, lorsque il a procédé à l'analyse des éléments permettant de caractériser l'existence de marchés amont de la collecte des céréales auprès des agriculteurs (points 9 et 10 de la décision), a constaté, sans être contredit sur ce point par la requérante, qu'au stade de la collecte, les prix peuvent être librement déterminés entre la coopérative agricole concernée et l'agriculteur apporteur et que ce dernier peut faire jouer la concurrence entre plusieurs coopératives limitrophes ou entre les coopératives et les autres collecteurs agréés;

Considérant, ensuite, que le Conseil relève à bon droit que, pour être licite au regard du droit des ententes, une clause de non-concurrence insérée dans le règlement intérieur d'un groupement d'intérêt économique doit être strictement proportionnée aux objectifs licites à atteindre;

Or considérant qu'en l'espèce, si la clause dont s'agit peut contribuer au respect de l'engagement d'exclusivité prévu par l'article R. 522-3 du Code rural qui s'impose aux agriculteurs adhérant à une coopérative, il n'en demeure pas moins que cette clause ne répond pas à l'exigence de proportionnalité, dès lors que l'interdiction imposée à chacune des coopératives membre du GIE de démarcher les adhérents d'une autre coopérative est de nature à cloisonner les parts de marché de chacune d'entre elle et à cristalliser artificiellement leurs positions respectives;

Qu'en effet, les quatre coopératives visées par le grief n° 8 ayant des zones statutaires qui se recoupent ("zones de recoupement"), ce qui confère aux agriculteurs implantés dans ces zones le choix d'adhérer à l'une ou l'autre des coopératives concernées, le Conseil a exactement constaté que la clause en question restreint précisément la possibilité offerte aux agriculteurs implantés dans ces "zones de recoupement", à la fin de la période d'engagement exclusif, d'adhérer à une autre coopérative, en particulier si ses tarifs de collecte apparaissent plus attractifs;

Que c'est avec pertinence aussi que le Conseil a retenu que la clause de non-concurrence peut être interprétée comme interdisant à une coopérative d'inciter un associé coopérateur d'une autre coopérative à lui vendre tout ou partie de sa "part libre" de leur récolte pendant sa période d'engagement, si l'engagement qu'il souscrit vis-à-vis de sa coopérative ne porte pas sur l'intégralité de cette récolte;

Que la requérante dénie en vain des effets anticoncurrentiels à la clause dont s'agit en se prévalant de la faible importance du marché de la collecte des céréales, l'effet anticoncurrentiel d'une pratique étant indépendant de la taille du marché affecté, et met à tort en exergue le faible nombre d'agriculteurs ayant changé de coopérative, cet élément ne contredisant nullement la démonstration du Conseil;

Considérant, enfin, que le fait que la clause litigieuse n'impose pas d'engagements aux adhérents des coopératives tout comme la prétendue ignorance par ceux-ci de l'existence de cette clause, sont sans emport sur la caractérisation de l'entente poursuivie;

Sur les sanctions

Considérant que la coopérative agricole l'Ardéchoise prie à titre subsidiaire la cour de réformer la décision déférée, le Conseil lui ayant infligé une sanction pécuniaire dans des conditions ne répondant pas aux exigences de l'article L. 464-2 du Code de commerce; qu'elle fait valoir, tout d'abord, que la sanction n'est pas proportionnée à la gravité des faits, qui n'a été appréciée ni pour chaque contrevenant sanctionné, ni au regard de la non application de la clause; que la requérante prétend, ensuite, que le Conseil n'a pas correctement apprécié le dommage à l'économie par suite, d'une part, d'une délimitation erronée du marché affecté, qui ne correspond pas à la Drôme et à l'Ardèche mais à un secteur beaucoup plus réduit, constitué par les zones de recoupement des coopératives membres du GIE et, d'autre part, à la faible part de l'Ardèche et de la coopérative agricole l'ardéchoise dans la collecte des céréales "qui ne donnent pas les moyens de causer un réel dommage à l'économie" ; que la coopérative l'Ardéchoise soutient, enfin, que le Conseil n'a pas tenu compte de sa situation individuelle, caractérisée non seulement par sa place modeste sur le marché de la collecte de céréales et au sein du GIE Unisilo mais encore par le rôle passif joué au sein de ce groupement, auquel elle s'est en effet bornée à adhérer sans avoir pris part à la rédaction de la clause litigieuse, étant de surcroît précisé que la collecte des céréales ne représente que 4 % de son chiffre d'affaires global;

Considérant, en ce qui concerne la détermination des sanctions par le Conseil, que l'article L. 464-2 du Code de commerce, dispose:

" Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées (...). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.

Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. (...)";

Considérant, sur la gravité des pratiques, que le Conseil a justement rappelé l'effet anticoncurrentiel de l'entente horizontale dénoncée, qui tend à limiter les débouchés des différentes coopératives et à répartir les sources d'approvisionnement;

Que la requérante reproche vainement au Conseil de ne pas s'être livré à une appréciation suffisamment précise de la gravité des faits individuellement commis, les quatre coopératives agricoles membres du GIE ayant en effet été condamnées pour une seule et même pratique résultant de la présence de la clause critiquée et qui ne résultait pas de circonstances différentes;

Que la coopérative agricole l'Ardéchoise ne démontre pas que la clause critiquée n'a pas été appliquée, étant observé à cet égard que le Conseil a pris en considération le fait qu'elle n'est assortie d'aucune sanction;

Considérant, sur le dommage à l'économie, que le Conseil a exactement apprécié son ampleur au regard de la taille des marchés affectés, qui sont ceux de la collecte des céréales dans la Drôme et en Ardèche, définis par le Conseil sans contestation de la part de la requérante (point 12 de la décision) comme des marchés géographiques locaux de collecte, peu important que, pour les besoins de son analyse des effets de l'entente dénoncée, le Conseil se soit référé aux "zones de recoupement" des coopératives agricoles concernées;

Qu'en présence d'agissements prohibés combinant leurs effets simultanément, la requérante n'est pas non plus fondée à reprocher au Conseil d'avoir apprécié le dommage à l'économie dans son ensemble, au regard de l'action cumulée de tous les participants aux pratiques en cause et sans identifier la part imputable à chaque entreprise prise séparément;

Considérant, sur la situation individuelle de la requérante, que c'est par des appréciations pertinentes, que la cour fait siennes, que le Conseil retient que la coopérative agricole l'Ardéchoise a réalisé un chiffre d'affaires au 30 juin 2006, dernier exercice connu, de 17 567 083 euro et qu'en fonction des éléments généraux et individuels constatés précédemment, il convenait de lui infliger une amende de 90 000 euro, qui, comme le fait observer la requérante elle même, ne représente que 0,5 % du chiffre d'affaires servant de référence, étant de surcroît précisé qu'il résulte de l'article 464-2 du Code de commerce qu'aucune distinction ne doit être opérée quant aux branches d'activité de l'entreprise concernée;

Que c'est en vain, enfin, que la requérante, membre fondateur du GIE Unisilo, se présente comme ayant joué un rôle purement passif;

Que le recours sera rejeté;

Par ces motifs, Rejette le recours, Condamne la coopérative agricole l'Ardéchoise aux dépens.