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Décisions

TPICE, président, 24 février 1995, n° T-2/95 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Industrie des poudres sphériques

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Momège, Bentley

TPICE n° T-2/95 R

24 février 1995

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Faits à l'origine du litige

1 Le 18 septembre 1989, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 2808-89, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de calcium-métal originaires de la République populaire de Chine et d'Union soviétique et portant perception définitive du droit antidumping provisoire institué sur ces importations (JO L 271, p. 1, ci-après "règlement n° 2808-89"). Ce règlement prévoyait un droit antidumping de 21,8 % sur les importations de calcium-métal originaires de la République populaire de Chine et de 22 % sur les importations du même produit originaires d'Union soviétique.

2 Le règlement n° 2808-89 a fait l'objet d'un recours en annulation et d'une demande en référé de la part de la requérante, opérant à l'époque sous le nom de "Extramet Industrie SA". Cette dernière demande a été rejetée par ordonnance du président de la Cour du 14 février 1990, Extramet Industrie/Conseil (C-358-89 R, Rec. p. I-431), au motif que la requérante n'était pas en mesure de démontrer l'imminence du risque qu'elle alléguait de ne pas pouvoir survivre à l'imposition du droit antidumping.

3 Le recours en annulation introduit par Extramet Industrie a été déclaré recevable par arrêt de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil (C-358-89, Rec. p. I-2501). Par arrêt du 11 juin 1992, la Cour a annulé le règlement n° 2808-89 (arrêt Extramet Industrie/Conseil, C-358-89, Rec. p. I-3813). Elle a, en effet, estimé que les institutions communautaires n'avaient pas examiné la question de savoir si Péchiney Électrométallurgie SA (ci-après "Péchiney"), seul producteur communautaire du produit visé par le règlement en cause, n'avait pas elle-même contribué, par son refus de vente, au préjudice subi, ni établi que le préjudice retenu ne découlait pas de facteurs étrangers au dumping, tels que ceux allégués par la requérante.

4 Après avoir reçu de Péchiney de nouvelles informations, la Commission a repris l'enquête et a adopté, le 21 avril 1994, le règlement (CE) n° 892-94, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de calcium-métal originaires de la République populaire de Chine et de Russie (JO L 104, p. 5, ci-après "règlement n° 892-94"). Le montant du droit imposé s'élevait à 2 074 écus par tonne pour le calcium-métal originaire de la République populaire de Chine et de 2 120 écus par tonne pour le calcium-métal originaire de Russie. Le 19 novembre 1994, sur proposition de la Commission, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 2557-94, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de calcium-métal originaires de la République populaire de Chine et de Russie (JO L 270, p. 27, ci-après "règlement attaqué"). Le montant du droit était maintenu au même niveau que celui fixé par le règlement n° 892-94.

5 Il ressort des considérants du règlement attaqué que l'activité de la requérante consiste, notamment, à transformer le calcium-métal en granules. En raison des particularités de son procédé de transformation, impliquant certaines exigences liées à la teneur en oxygène du calcium-métal utilisé, elle éprouve des difficultés techniques à utiliser le produit fabriqué par Péchiney sous la forme actuellement disponible. Cependant, toujours selon les considérants du règlement attaqué, au vu des efforts entrepris par ledit producteur communautaire et des investissements qu'il a mis en œuvre, cette circonstance ne permet pas de conclure que ce producteur est lui-même responsable du préjudice qu'il a subi, comme l'avait prétendu la requérante. Enfin, les considérants du règlement attaqué prévoient que la Commission le réexaminera "après un délai de six mois à partir de son entrée en vigueur, si les conditions de concurrence dans le secteur concerné l'exigent. Si ce n'est pas le cas, le réexamen sera entrepris après un an".

6 Estimant que le refus de Péchiney de lui livrer un produit conforme à ses besoins relève d'un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité CE, la requérante a déposé une plainte auprès de la Commission le 12 juillet 1994.

Procédure

7 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 janvier 1995, la requérante a introduit, en vertu de l'article 173 du traité CE, un recours tendant, à titre principal, à ce que le règlement attaqué soit annulé ou, à titre subsidiaire, à ce qu'il lui soit déclaré inopposable.

8 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit, en vertu de l'article 185 du traité CE, la présente demande de sursis à l'exécution, en ce qui la concerne, du règlement attaqué.

9 Le Conseil a présenté ses observations sur la présente demande en référé le 18 janvier 1995. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 30 janvier 1995. Lors de l'audition, le président du Tribunal les a invitées à entamer des négociations afin de parvenir, dans un délai de cinq jours, à un accord susceptible de mettre fin au litige qui lui a été soumis. A l'expiration de ce délai, les parties ont fait savoir que leurs négociations n'avaient pas abouti à un tel accord. Conformément aux délais fixés par le président du Tribunal, le Conseil a déposé, le 1er février 1995, ses observations sur les documents versés au dossier par la requérante lors de l'audition, observations auxquelles la requérante a répondu par mémoires déposés, respectivement, les 1er et 3 février suivants.

10 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal, respectivement, les 1er et 13 février 1995, Péchiney et la Commission ont demandé à être admises à intervenir dans la présente procédure en référé au soutien des conclusions du Conseil.

En droit

Sur la demande de sursis à exécution

11 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité CE et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), et par la décision 94-149-CECA, CE du Conseil, du 7 mars 1994 (JO L 66, p. 29), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

12 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire, en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond (voir les ordonnances du président du Tribunal du 21 décembre 1994, Buchmann/Commission, T-295-94 R, Rec. p. II-0000, point 9, et Laakmann Karton/Commission, T-301-94 R, Rec. p. II-0000, point 10).

Arguments des parties

13 Pour démontrer le bien-fondé prima facie de ses prétentions, la requérante se réfère aux sept moyens invoqués à l'appui de son recours au principal. Ces moyens sont tirés, respectivement, d'une violation du règlement (CEE) n° 2423-88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non-membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1, ci-après "règlement de base"), et du principe de sécurité juridique, en ce que la Commission, à la suite de l'annulation du règlement n° 2808-89 par l'arrêt du 11 juin 1992, Extramet Industrie/Conseil, a "repris l'enquête", d'une violation des articles 7 et 8 du règlement de base ainsi que d'une violation des droits de la défense; d'une violation des articles 4, paragraphe 4, et 2, paragraphe 12, du règlement de base ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce que la Commission a conclu à la similarité entre le produit importé de la République populaire de Chine et de Russie et celui fabriqué dans la Communauté; d'une violation de l'article 4 du règlement de base ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce que le Conseil a conclu que l'industrie communautaire a subi un préjudice important; d'une violation de l'article 12 du règlement de base ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce que le Conseil a conclu qu'il convenait, dans l'intérêt de la Communauté, d'instituer des mesures définitives; d'une violation de l'article 190 du traité, en ce que le Conseil a manqué à son obligation de motivation à l'égard de la plainte pour abus de position dominante, déposée par la requérante auprès de la Commission; d'un détournement de pouvoir, en ce que la Commission s'est rendue complice de l'utilisation d'une procédure antidumping à des fins anticoncurrentielles.

14 S'agissant de l'urgence, la requérante, qui fait valoir que le secteur du calcium représente une partie importante de son activité globale, affirme qu'elle risque de subir un préjudice grave et irréparable suite à l'imposition du droit antidumping fixé dans le règlement attaqué. A cet égard, elle fait valoir que, lorsque l'arrêt du Tribunal interviendra au fond, le paiement des droits l'aura éliminée du marché.

15 En effet, selon la requérante, le droit imposé s'élève à près de 70 % du prix du produit alors que, si elle doit utiliser le calcium du producteur communautaire, cela renchérira ses coûts de 77 %. De plus, Péchiney n'aurait pas su lui fournir, jusqu'à présent, un produit conforme à ses besoins, malgré les moyens dont elle dispose, mais aurait cherché, au contraire, à l'exclure du marché. De ce fait, la requérante ne disposerait d'aucune source d'approvisionnement autre que les producteurs russes et chinois. A cet égard, la requérante rappelle qu'il n'existe que cinq producteurs de calcium au monde, dont un seul dans la Communauté, à savoir Péchiney. Elle ajoute, après avoir examiné la nature de la production de deux sociétés établies, respectivement, aux États-Unis d'Amérique et au Canada, que la première ne pourrait couvrir ses besoins qu'à concurrence d'un sixième et moyennant des délais de livraison de six mois et que la seconde, compte tenu de sa stratégie actuelle, serait dans l'impossibilité de l'approvisionner.

16 La requérante allègue, en outre, que, depuis l'institution d'un droit antidumping provisoire par le règlement n° 892-94, elle a perdu quatre de ses principaux clients européens, soit 76 % de son marché européen, au profit de Péchiney, son principal concurrent pour le produit transformé, ce qui aurait renforcé la position dominante de cette société sur tous les marchés du calcium. Pour éviter de disparaître de ces marchés, la requérante devrait donc promouvoir l'exportation de ses produits vers des pays extérieurs à l'Europe. Or, à terme, ces débouchés lui seraient, eux aussi, soustraits car Péchiney, forte de sa position dominante, serait en mesure de développer une stratégie agressive dans les pays susvisés.

17 La requérante estime également que la clause de réexamen figurant dans les considérants du règlement attaqué n'écarte pas le risque que comporte, pour elle, l'application de ce texte. D'une part, les termes de cette clause laisseraient l'ouverture de la procédure de réexamen à l'entière discrétion de la Commission. D'autre part, la requérante ayant d'ores et déjà subi les pertes de parts de marché décrites ci-dessus, les conditions de concurrence auraient déjà été, au moment de l'insertion de cette clause, fondamentalement modifiées au bénéfice de Péchiney.

18 La requérante considère, enfin, que la balance des intérêts en cause penche en faveur de l'octroi de la mesure de suspension. A cet égard, elle fait valoir que Péchiney ne subit aucun préjudice du fait des importations de calcium originaires de la République populaire de Chine et de Russie qu'elle effectue puisque Péchiney n'est pas parvenue, jusqu'à présent, à lui livrer un produit similaire. A supposer que Péchiney subisse réellement un préjudice au sens du règlement de base, ce préjudice concernerait moins de 30 % des importations de calcium russe et chinois dans la Communauté car la requérante effectuerait, à elle seule, entre 62 % et 97 % du total de ces importations. De plus, l'activité de Péchiney dans le secteur concerné ne représenterait que 0,05 % de l'activité du groupe auquel cette société appartient.

19 Le Conseil exprime, à titre liminaire, des doutes sur la recevabilité du recours dans l'affaire au principal. De l'avis du Conseil, l'admission d'un tel recours porterait atteinte à la cohérence du système juridique communautaire. En effet, si la requérante était déclarée recevable à demander l'annulation du règlement attaqué uniquement en ce qui la concerne, les autres importateurs pourraient, le cas échéant, contourner les droits en achetant le produit qu'elle importe. En revanche, si elle était déclarée recevable à demander l'annulation du règlement dans son ensemble, cela pourrait conduire, à tort, à l'annulation d'une mesure de portée générale à la demande d'un particulier qui n'est concerné qu'en sa qualité objective d'importateur.

20 En réponse aux moyens invoqués par la requérante, le Conseil fait valoir, à titre liminaire, que la requérante se contente de se référer, d'une façon globale, aux moyens invoqués dans sa requête dans l'affaire au principal, sans spécifier les éléments qui pourraient justifier à première vue l'octroi de la mesure sollicitée. S'agissant du premier moyen invoqué par la requérante, le Conseil estime que, l'arrêt du 11 juin 1992, Extramet Industrie/Conseil, ayant annulé le règlement n° 2808-89 en tant que mesure mettant fin à l'enquête, cette dernière ne saurait être considérée comme close. Par ailleurs, après le prononcé de l'arrêt, la Commission aurait reçu du producteur communautaire en cause des éléments de preuve de dumping et de préjudice, la mettant dans l'obligation de reprendre l'enquête. Quant au deuxième moyen, le Conseil réfute l'affirmation de la requérante selon laquelle elle n'a pas pu défendre ses intérêts. En réponse aux troisième, quatrième et cinquième moyens, le Conseil fait valoir que les faits allégués par la requérante ne suffisent pas pour considérer comme établi le caractère manifeste des erreurs éventuellement commises. Quant au sixième moyen, par lequel la requérante fait grief au Conseil d'avoir manqué à son obligation de motivation à l'égard de sa plainte pour abus de position dominante, le Conseil estime que les questions relatives à un tel abus relèvent de la compétence de la Commission. S'agissant du septième moyen, tiré d'un détournement de pouvoir, le Conseil fait observer que les allégations de la requérante ne sont étayées par aucune preuve.

21 Pour ce qui est de l'urgence, le Conseil estime que la requérante n'a pas étayé ses allégations quant à l'impossibilité de s'approvisionner auprès des deux sociétés établies, respectivement, aux États-Unis d'Amérique et au Canada et quant au fait qu'elle serait empêchée de développer ses exportations vers des pays hors d'Europe. Toujours selon le Conseil, la prétendue perte de clients et de parts de marché qui auraient été récupérés par le producteur communautaire n'a pas davantage été prouvée. En outre et à les supposer établis, de tels éléments constitueraient des conséquences inhérentes à l'imposition d'un droit antidumping, tout comme le fait que celui-ci entraîne une augmentation des coûts de production de l'opérateur concerné. Cette analyse ne serait pas mise en cause par les allégations de la requérante quant au prétendu refus du producteur communautaire de l'approvisionner, allégations que le Conseil aurait d'ailleurs rejetées dans les considérants du règlement attaqué. Pour établir le caractère urgent de sa demande, il ne suffirait pas à la requérante d'invoquer des effets de ce type, elle devrait prouver qu'elle subit un préjudice qui lui est particulier. Or, la requérante n'aurait pas apporté une telle preuve. Le Conseil rappelle enfin que, en tout état de cause, c'est la Commission qui a la compétence pour adopter des sanctions suite à un éventuel abus de position dominante de la part de Péchiney, tout comme pour adopter des mesures provisoires à cet égard.

22 Quant à la question de savoir si la balance des intérêts en cause penche en faveur de l'octroi de mesures de suspension, le Conseil estime que la requérante n'a pas apporté la preuve que tel est le cas. A cet égard, le Conseil réitère les constatations contenues dans le règlement attaqué, concernant le préjudice qu'aurait subi le producteur communautaire et l'intérêt de la Communauté dans l'adoption de mesures antidumping. Par ailleurs, le faible pourcentage que représente, selon la requérante, la production de calcium-métal de Péchiney par rapport à l'ensemble de l'activité du groupe auquel appartient cette société, serait sans pertinence car la réglementation antidumping viserait à protéger les différents secteurs de production.

23 Le Conseil ajoute que, si le juge des référés considérait, contrairement à la thèse défendue par le Conseil, que des mesures provisoires doivent être adoptées, ces mesures devraient être soumises à deux conditions essentielles. Il s'agirait, d'une part, d'un mécanisme visant à éviter que la requérante revende, sans transformation, les marchandises importées de Chine et de Russie et, d'autre part, d'une garantie bancaire pour assurer le paiement des droits antidumping au cas où le recours au principal serait rejeté, cette garantie étant essentielle pour l'équilibre des intérêts respectifs de la requérante et du producteur communautaire.

Appréciation du juge des référés

24 S'agissant de la recevabilité du recours au principal, il convient de constater que ce recours ne saurait être considéré, à première vue, comme manifestement irrecevable. En effet, la Cour, dans son arrêt du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, précité, a déclaré recevable le recours en annulation introduit par la requérante à l'encontre du règlement n° 2808-89. Dans cet arrêt, la Cour a reconnu, d'une part, que les règlements instituant des droits antidumping, quoiqu'ils aient effectivement un caractère normatif, peuvent cependant, dans des circonstances précises, concerner individuellement certains opérateurs économiques. D'autre part, elle a considéré la requérante comme individuellement concernée par le règlement susvisé, en raison d'éléments constitutifs d'une situation particulière qui la caractérisait, au regard de ce règlement, par rapport à tout autre opérateur économique. Or, ces éléments, résumés au point 17 de l'arrêt précité, n'ont subi, à première vue, aucune modification substantielle depuis lors.

25 Quant au bien-fondé, prima facie, du recours au principal, il convient d'admettre, comme l'a fait observer le Conseil, que la requérante, pour étayer le fumus boni juris de ses prétentions, s'est limitée à énoncer les moyens formulés dans le cadre de sa requête au principal. Si le juge des référés ne saurait examiner attentivement l'ensemble des moyens et arguments contenus dans une telle requête, il lui incombe, toutefois, de prendre en considération les arguments que la requérante a avancés dans sa demande de mesures provisoires ainsi que dans ses observations orales, afin de vérifier l'existence d'éléments susceptibles de mettre en doute les conclusions auxquelles est parvenue l'autorité communautaire (voir l'ordonnance du président du Tribunal du 16 juillet 1992, SPO e.a./Commission, T-29-92 R, Rec. p. II-2161, point 34).

26 A cet égard, il convient de constater que la requérante, dans sa demande en référé et lors de l'audition, a mis en cause les conclusions auxquelles la Commission et le Conseil sont parvenus en ce qui concerne le préjudice, au sens de l'article 4 du règlement de base, et ses causes. Selon la requérante, Péchiney n'ayant pas été en mesure de lui livrer un produit conforme à ses besoins, c'est à tort qu'un préjudice dans le chef de cette société aurait été retenu. En tout état de cause, l'ampleur de ce préjudice aurait été surestimé. Par ailleurs, la requérante a particulièrement insisté sur le fait que, selon elle, Péchiney n'a pas pris les mesures nécessaires afin de pouvoir l'approvisionner, cherchant, au contraire, à l'exclure du marché. Cette argumentation, correspondant aux deux premières branches du quatrième moyen invoqué à l'appui du recours au principal, présente un caractère sérieux et ne peut donc être considérée, à première vue, comme dépourvue de tout fondement. Par ailleurs, le Conseil, en réponse à cette argumentation, s'est borné à réitérer les constatations contenues dans le règlement attaqué et, lors de l'audition, à évoquer de manière abstraite la possibilité d'imperfections techniques imputables à la requérante, l'empêchant d'utiliser le produit fabriqué par Péchiney.

27 En tout état de cause, l'examen approfondi, en fait et en droit, que méritent l'argumentation susvisée de la requérante, de même que les autres moyens et arguments contenus dans la requête au principal, dépasse le cadre de la présente procédure en référé.

28 Par conséquent, il convient d'examiner la condition de l'urgence, laquelle doit s'apprécier, en vertu d'une jurisprudence constante, par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire (voir l'ordonnance du 14 février 1990, Extramet Industrie/Conseil, précitée, point 17). Selon une jurisprudence constante, un préjudice d'ordre purement financier ne peut, en principe, être regardé comme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu'il peut faire l'objet d'une compensation financière ultérieure (voir l'ordonnance du président du Tribunal du 7 juillet 1994, Geotronics/Commission, T-185-94 R, Rec. p. II-519, point 22). Dans ces conditions, afin d'établir l'urgence dans le cadre d'une demande visant à ce qu'il soit sursis à l'exécution d'un règlement antidumping, il ne suffit pas d'invoquer des effets inhérents à l'institution du droit imposé, à savoir une augmentation du prix du produit frappé par ce droit et une diminution corrélative des parts de marché communautaire. En effet, l'objet même d'un droit antidumping est, pour compenser la marge de dumping constaté, d'accroître le prix du produit en cause (ordonnance du président de la Cour du 11 mars 1994, Descom/Conseil, C-6-94 R, Rec. p. I-867, point 16).

29 A cet égard, il convient de constater que les éléments fournis par la requérante ne justifient pas, à ce stade, au regard des critères énoncés ci-dessus, l'octroi de la mesure de suspension demandée.

30 S'agissant du risque, allégué par la requérante, d'être éliminée du marché avant que le Tribunal ne statue sur le recours au principal, celle-ci a reconnu, lors de l'audition, qu'il s'agit d'une simple hypothèse. A cet égard, il est important de noter que la requérante a également admis que seule une partie de sa production est concernée par le droit antidumping institué par le règlement attaqué, le reste étant importé en régime de perfectionnement actif, en exemption de ce droit.

31 Pour ce qui est de la prétendue perte de clients et de parts de marché à la suite de l'imposition du droit antidumping, la requérante a fait valoir que ce préjudice est dû à l'augmentation de prix à laquelle l'institution de ce droit la contraint. A cet égard, elle a expliqué, lors de l'audition, que ses clients acceptent, jusqu'à une certaine limite, de payer pour le produit qu'elle fabrique un prix supérieur à celui demandé par Péchiney pour son produit concurrent, en raison d'un avantage qualitatif du premier produit par rapport au second. Toutefois, les prix qu'elle serait obligée de pratiquer, en conséquence du droit antidumping, dépassant cette limite, ses clients préféreraient s'approvisionner auprès de Péchiney.

32 Or, comme l'a remarqué à juste titre le Conseil, cette argumentation constitue un indice permettant de conclure, à première vue, que le préjudice allégué en termes de perte de clients et de parts de marché n'a pas un caractère irréparable. En ce qui concerne, en premier lieu, la période allant jusqu'à l'éventuelle suppression du droit antidumping, au cas où il serait fait droit au recours au principal, le préjudice allégué ne saurait avoir une nature autre que purement pécuniaire, inhérente à l'imposition de ce droit et, par conséquent, en principe, réparable, dès lors qu'il n'a pas été établi, à première vue, que la requérante risque de disparaître du marché (voir ci-dessus point 30). S'agissant, en second lieu, de la période suivant une éventuelle annulation du règlement attaqué, rien n'empêcherait, en principe, la requérante de procéder à une réduction de ses prix de vente, correspondant à celle qu'auront subi les prix du produit importé suite à la suppression du droit antidumping, de façon à regagner les clients et parts de marché entre-temps perdus. Les pièces versées au dossier et les débats menés devant le juge des référés n'ont en effet révélé aucun élément permettant de considérer qu'un tel rétablissement de la situation antérieure à l'imposition des droits serait impossible.

33 Il découle de ces considérations que, à ce stade, le risque d'un préjudice grave et irréparable n'est pas établi et, par conséquent, que la condition de l'urgence n'est pas remplie.

34 Il y a cependant lieu d'admettre qu'une modification ultérieure des données économiques, notamment, une dégradation de la situation de la requérante puisse mettre en péril sa survie avant qu'une décision ne soit prise dans l'affaire au principal. A cet égard, il convient de rappeler qu'une telle évolution pourra être prise en compte, soit par la Commission lors du réexamen prévu dans les considérants du règlement attaqué, soit par le juge des référés à l'occasion d'une demande qui pourrait être introduite dans les conditions de l'article 108 du règlement de procédure du Tribunal.

35 Il convient d'ajouter que, à supposer même que la condition de l'urgence puisse être considérée comme remplie à ce stade, le juge des référés, faute de pouvoir porter une appréciation suffisamment certaine sur la question de la légalité du règlement attaqué, ne saurait accorder le sursis demandé que sous réserve que la requérante constitue des garanties couvrant les montants dont elle est redevable en application de ce règlement (voir l'ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1977, NTN Toyo/Conseil, 113-77 R et 113-77 R-Int., Rec. p. 1721, point 9). Or, lors de l'audition, un représentant de la requérante a déclaré que, si elle devait constituer de telles garanties, elle ne pourrait pas éviter d'inclure dans ses prix les montants correspondant aux droits antidumping car elle devrait tenir compte de l'éventualité d'une perception a posteriori de ces droits. Il s'ensuit que la seule mesure de sursis que le juge des référés serait susceptible de prendre dans les conditions de l'espèce est, aux dires mêmes de la requérante, sans intérêt pour elle et ne saurait donc être envisagée.

36 Au surplus et en tout état de cause, il convient de relever que l'obligation, pour la requérante, de prendre en considération l'éventualité d'une perception a posteriori des droits antidumping échus ne dépend pas de ce que le juge des référés ordonne, ou non, la constitution de garanties appropriées, comme condition à l'octroi du sursis, mais est liée au caractère nécessairement provisoire des mesures que le juge des référés peut adopter, qui empêche toute "suspension définitive" des droits, car de telles mesures ne doivent pas préjuger la décision sur le fond. Il s'ensuit que de telles mesures ne sauraient remédier au préjudice pécuniaire qu'implique pour la requérante la nécessité de prendre en compte cette éventualité. Celle-ci a d'ailleurs fait valoir, dans son mémoire du 1er février 1995, que la seule solution propre à remédier à son préjudice consisterait en la modification du règlement attaqué, en ce sens qu'il lui soit déclaré inapplicable. A cet égard, il suffit de constater que toute modification du règlement attaqué relève de la compétence du Conseil, institution dont il émane. Par conséquent, le juge des référés ne saurait faire droit à une telle demande.

37 Il découle de ces considérations que la présente demande de sursis à exécution doit être rejetée.

Sur les demandes en intervention

38 Eu égard à ce qui précède, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes en intervention de la Commission et de Péchiney, introduites en vue de soutenir les conclusions du Conseil, auxquelles il convient de faire droit sur la seule base des arguments des parties principales.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1) La demande de sursis à exécution est rejetée.

2) Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes en intervention.

3) Les dépens sont réservés.