CJCE, président, 18 octobre 1985, n° 250-85 R
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Brother Industries Ltd
Défendeur :
Conseil des Communautés européennes , Commission des communautés européennes, Committee of european typewriter manufacturers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Didier, Vandersanden, Ehle, Feldman, Schiller
LA COUR,
1 Par requête en date du 29 août 1985, Brother Industries a introduit une demande en référé visant à obtenir, à titre principal, que l'application du règlement n° 1698-85 du Conseil, du 19 juin 1985 (JO L 163, p. 1), instituant un droit antidumping définitif à l'importation des machines à écrire électroniques produites par la requérante et ordonnant la perception définitive des droits antidumping provisoires imposés par le règlement n° 3643-84 de la Commission, du 20 décembre 1984 (JO L 335, p. 43), soit suspendue à son égard jusqu'a ce que la Cour ait statué au principal, dans la mesure où elle est concernée par ce règlement et, à titre subsidiaire, que des mesures complémentaires d'instruction soient imposées à la Commission.
2 Cette requête, enregistrée au greffe de la Cour le 29 août 1985, est formée en vertu des articles 185 et 186 du traité CEE et de l'article 83 du règlement de procédure.
3 La requérante se réfère au recours en annulation du règlement n° 1698-85 précité qu'elle a déposé au greffe de la Cour le 12 août 1985.
4 Par ordonnance du 2 octobre 1985, la Commission a été admise, sur base de l'article 37, alinéa 1, du statut CEE, à intervenir dans l'affaire 250-85 R, en soutien des conclusions de la partie défenderesse. Elle n'a toutefois pas soumis d'observations écrites. Par ordonnance du même jour, CETMA a également été admis, sur base de l'article 37, paragraphe 2, du statut CEE, à intervenir dans la procédure en référé, en soutien des conclusions de la partie défenderesse.
5 Par deux télex du 9 octobre 1985, la Cour a posé des questions à CETMA et à la Commission. Le premier a été invité à présenter ses réponses par écrit avant le 14 octobre 1985 à 9h30, la seconde à l'audience du 14 octobre 1985.
6 La partie défenderesse a présenté ses observations écrites le 13 septembre 1985. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 14 octobre 1985.
7 Il importe de rappeler les étapes qui ont précédé l'adoption, par le Conseil, du règlement n° 1698-85. Le 15 février 1984, une plainte antidumping a été déposée auprès de la Commission par CETMA à l'encontre des machines à écrire électroniques originaires du Japon, dont celles de Brother Limited. Sur base de l'enquête menée suite à cette plainte, la Commission a adopté, le 20 décembre 1984, le règlement n° 3643-84 (JO L 335, p. 43) dont l'article 1er, paragraphe 3, a institué un droit antidumping provisoire de 43,7 % sur les machines exportées par la requérante, droit qui fait l'objet d'un recours en annulation pendant devant la Cour de justice. Le 19 juin 1985, le Conseil a adopté le règlement n° 1698-85 qui impose, en son article 1er, paragraphe 4, un droit antidumping définitif de 21 % sur ces machines et prévoit, en son article 2, la perception définitive des droits antidumping provisoires qui avaient été imposés par le règlement n° 3643-84 précité.
8 La requérante fait valoir que la suspension de l'application de ce règlement à son égard, jusqu'au moment où la Cour statuera au principal, s'impose si on veut éviter qu'elle ne subisse un préjudice grave et irréparable.
9 Aux termes de l'article 185 du traité CEE, les recours formés devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif. Celle-ci peut, toutefois, si elle estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de la décision attaquée et prescrire toute autre mesure provisoire en application des articles 185 et 186 du traité CEE.
10 Pour que des mesures de ce genre puissent être ordonnées, l'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure prescrit que les demandes en référé doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l'octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent.
11 A cet égard, la requérante invoque quatre moyens qui justifieraient, à première vue, l'octroi des mesures qu'elle demande. L'article 2, paragraphe 9, du règlement n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984 (JO L 201, p. 1), règlement de base en matière de dumping, n'aurait pas été respecté puisque la valeur normale et le prix à l'exportation n'auraient pas été comparés au même stade commercial. Il en irait de même pour l'article 2, paragraphe 10, sous c), puisque la valeur normale n'aurait pas été ajustée de manière à rendre les prix intérieurs équitablement comparables au prix à l'exportation. Les calculs sur la base desquels les institutions communautaires ont ajouté un bénéfice de 71,1 % lors de la construction de la valeur normale des trois modèles non vendus au Japon et la manière dont elles ont déterminé le préjudice causé à l'industrie européenne seraient également empreints de graves lacunes.
12 Pour sa part, le Conseil estime que l'examen des quatre moyens invoqués par la requérante déborde manifestement le cadre du provisoire pour préjuger sur le fond et qu'aucun d'entre eux n'est de nature à établir le " fumus boni juris ". Il considère également que les circonstances invoquées par la requérante pour prouver l'existence d'un préjudice irréparable, telles que la diminution du volume de ses ventes et de sa part de marché ainsi que l'ébranlement de son réseau de distribution sont inhérentes à l'introduction du droit antidumping et ne constituent pas la preuve d'un préjudice irréparable justifiant l'urgence et donc l'octroi des mesures provisoires qu'elle sollicite. Le Conseil fait par ailleurs valoir qu'il est indispensable, ainsi qu'il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour, voir, notamment, l'ordonnance 258-84 R, nippon Seiko, du 17 décembre 1984, d'évaluer les intérêts de la requérante par rapport au dommage dont souffrirait l'industrie européenne si les mesures sollicitées au provisoire étaient accordées et il est d'avis que l'intérêt de l'industrie européenne serait gravement atteint si les mesures provisoires demandées par la requérante étaient octroyées.
13 En vue d'établir le fumus boni juris, la requérante invoque, dans sa demande en référé, divers moyens de fait et de droit qu'elle fait valoir également dans son recours au principal. Dans leurs observations écrites, tant le Conseil que la Commission ont estimé pas devoir exposer leur point de vue sur ces moyens dans le cadre d'une procédure en référé car leur examen impliquerait une prise de position sur le fond. Lors de l'audience du 14 octobre 1985, les deux institutions communautaires et plus spécialement la Commission ont souligné qu'elles estimaient ne pas avoir commis d'erreur lors du calcul de la marge de dumping et de l'évaluation du préjudice causé à l'industrie européenne par les importations japonaises et avoir fait une application exacte des dispositions du règlement applicable, en l'occurrence, le règlement n° 2176-84.
14 A cet égard, à la lumière des arguments mis en avant par la requérante, on peut admettre que cette dernière a avancé des arguments pertinents qui devront faire l'objet d'un examen plus approfondi lors de l'examen du recours principal et que les institutions communautaires n'ont pas, suite à leur prise de position mentionnée ci-dessus, tenté ou voulu tenter de démontrer la non-pertinence des moyens invoqués par la requérante. Sous réserve de ce qui est mentionné au paragraphe 16 ci-dessous, on peut, dès lors, estimer que les moyens invoqués par la requérante peuvent justifier, à première vue, l'octroi de la mesure provisoire qu'elle demande.
15 Même si l'on peut estimer qu'en l'espèce, la requérante a indiqué des moyens de fait et de droit pouvant justifier, à première vue, la suspension de l'application du règlement attaqué, il appartient encore à la Cour d'apprécier l'urgence d'une telle suspension et son caractère nécessaire aux fins d'éviter à la requérante un dommage grave et irréparable.
16 A cet égard, les parties ont soutenu des thèses en sens opposé et avancé des chiffres qui concernent le niveau des prix et la part de marché de l'industrie européenne et de ses compétiteurs japonais, à l'appui de leur thèse respective. Les chiffres produits, d'une part, par le Conseil, la Commission et CETMA et, d'autre part, par la requérante, ne sont pas concordants. Dans le cadre d'une procédure en référé, il est impossible, pour le Président de la Cour, de retenir les chiffres d'une partie plutôt que ceux de l'autre, sans préjuger le fond de l'affaire, si d'autres éléments ne font pas pencher la balance en faveur de la thèse d'une partie, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il se trouve également confronté à la même impossibilité lorsqu'il doit apprécier si le prix à l'exportation et la valeur normale ont été comparés au même stade commercial.
17 Par ailleurs, dans le cadre de l'application des articles 185 et 186 du traité CEE, il est nécessaire de mettre en balance l'ensemble des intérêts en cause. A cet égard, les institutions communautaires et CETMA ont fait valoir que le préjudice subi par les fabricants communautaires suite à la sous-cotation des prix des machines à écrire électroniques vendues par la requérante était considérable et qu'une suspension des droits antidumping définitifs provoquerait sans nul doute la disparition d'une partie de l'industrie communautaire. En l'absence d'informations fiables et non contestées permettant de démontrer le contraire, il faut admettre que l'adoption des mesures provisoires demandées serait susceptible de causer un préjudice appréciable à l'industrie européenne.
18 Des circonstances mentionnées ci-dessus et du principe qu'en cas de doute, il appartient à la partie requérante d'apporter la preuve du bien fondé de ses allégations, il apparait que la requérante n'a pas apporté la preuve suffisante qu'elle subirait un préjudice grave et irréparable justifiant l'urgence des mesures provisoires qu'elle souhaite.
Par ces motifs, LE PRESIDENT, statuant au provisoire, ordonne :
1) la requête est rejetée.
2) les dépens sont réservés.