CJCE, président, 9 avril 1987, n° 77-87 R
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Technointorg
Défendeur :
Conseil des Communautés européennes., Commission des communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Marissens, Lambers, Stein
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 mars 1987, Technointorg a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation du règlement n° 29-87 du Conseil, du 22 décembre 1986, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains congélateurs originaires d'union soviétique (JO L 6, p. 1), dans la mesure où elle est visée par ce règlement.
2 Par requête déposée au greffe de la Cour le même jour, la partie requérante a introduit, en vertu de l'article 186 du traité CEE et des articles 36 du statut de la Cour et 83 du règlement de procédure, une demande en référé qui vise à obtenir, à titre principal, la suspension à son égard, jusqu'à ce que la Cour ait statué sur le recours formé au principal, de l'application du règlement n° 29-87 du Conseil, du 22 décembre 1986, précité, à condition qu'elle continue à fournir une garantie en exécution des obligations qui lui incombent en vertu du règlement n° 2800-86 de la Commission, précité. A l'audience, la partie requérante a reformulé sa demande et a précisé qu'elle devait s'entendre comme visant à obtenir la suspension du règlement n° 29-87 du Conseil, précité, pour autant qu'elle fournisse une garantie en exécution des obligations qui lui sont imposées par ce règlement. Cette demande vise encore à obtenir, à titre subsidiaire, que les autorités douanières compétentes des Etats membres soient informées de la décision interlocutoire susvisée prescrivant la mesure provisoire.
3 Par ordonnance du 23 mars 1987, la Commission a été admise, sur base de l'article 37, alinéa 1, du statut CEE, à intervenir en soutien des conclusions de la partie défenderesse. Elle a soumis des observations écrites en date du 1er avril 1987.
4 La partie défenderesse a présenté ses observations écrites le 1er avril 1987. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 6 avril 1987.
5 Avant d'examiner le bien fondé de la présente demande en référé, il apparait utile de rappeler, de manière succincte, les différentes étapes de la procédure antidumping qui ont précédé l'adoption, par le Conseil, de son règlement n° 29-87, précité.
6 En septembre 1985, le Conseil européen de la construction électromécanique, au nom des producteurs représentant pratiquement l'ensemble de la production communautaire des congélateurs, a déposé, conformément à l'article 5 du règlement n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la CEE (JO L 201, p. 1), une plainte devant la Commission selon laquelle les importations de certains congélateurs originaires de divers pays de l'Est, notamment d'Union soviétique, faisaient l'objet de pratiques de dumping et causaient un préjudice à l'industrie communautaire. Les produits concernés par cette plainte sont les congélateurs ménagers électriques destinés à la congélation et à la conservation des denrées alimentaires fraiches, relevant de la sous-position 84.15 C II du tarif douanier commun et correspondant aux codes nimexe 84.15-32, 84.15-41 et 84.15-46.
7 Estimant que cette plainte était susceptible de contenir les éléments de preuve suffisants quant à l'existence d'un dumping et d'un préjudice y affèrent, la Commission a annoncé, par un avis du 11 décembre 1985, conformément à l'article 7 du règlement n° 2176-84 du Conseil, précité, l'ouverture d'une procédure antidumping (JO C 319, p. 3) et a entamé l'enquête nécessaire à cet égard. Au cours de celle-ci, il est apparu qu'il était nécessaire, pour les besoins de l'enquête, de distinguer, parmi les congélateurs faisant l'objet d'allégations de dumping, entre les modèles de type coffre (code nimexe 84.15-32) et les modèles de type armoire (codes nimexe 84.15-41 et 84.15-46) étant donné que ces produits ne constituent pas des produits similaires au sens de la règlementation antidumping.
8 Pour les modèles de type coffre, la Commission est arrivée, au terme de son enquête préliminaire, à la conclusion que les importations de ces produits n'avaient pas pu causer un préjudice important à l'industrie communautaire. En conséquence, elle a dès lors décidé, par l'article 4 de son règlement n° 2800-86, précité, de clore la procédure antidumping relative à ce type de congélateurs.
9 Pour les modèles de type armoire, et, notamment, ceux originaires d'Union soviétique, l'enquête préliminaire de la Commission a dévoilé, par contre, l'existence d'importantes pratiques de dumping et divers éléments révélateurs d'un préjudice important tel que, notamment, l'augmentation substantielle du volume des importations de ces produits dans le marché commun et un accroissement corrélatif de leur part du marché communautaire, ainsi que l'existence de sous-cotations importantes de ces produits. Sur base de ces constatations, la Commission a estimé que les intérêts de la Communauté nécessitaient l'imposition d'un droit antidumping provisoire sur les importations de ces produits afin d'éviter qu'un préjudice supplémentaire ne soit causé à l'industrie communautaire pendant la suite de la procédure antidumping. Elle a dès lors institué, par l'article 1er de son règlement n° 2800-86, du 9 septembre 1986, précité, un droit antidumping provisoire sur les importations de congélateurs de type armoire (Codes nimexe 84.15-41 et 84.15-46) originaires d'Union soviétique d'un montant égal à 33 % du prix net franco frontière de la Communauté, non dédouané et valable pour une période de quatre mois, prenant cours le 11 septembre 1986. Le paragraphe 4 de cet article stipule que la mise en libre pratique dans la Communauté des congélateurs de ce type est subordonnée au dépôt d'une garantie équivalant au montant du droit provisoire.
10 Il apparait utile, à ce stade, de rappeler que la partie requérante a déjà introduit, le 26 novembre 1986, une demande en référé relative à l'affaire 294-86 R qui visait à obtenir la suspension à son égard, jusqu'à ce que la Cour ait statué sur le recours formé au principal, de l'application de l'article 1er du règlement n° 2800-86 de la Commission, précité, à condition qu'elle continue à fournir une garantie en exécution de son obligation pour le montant qu'elle est tenue de verser en application de cet article 1er (affaire 294-86 R, Technointorg/Commission, Rec. 1986, p. 3979). Le Président de la Cour a rejeté cette requête au motif principal que faire droit à une telle demande jusqu'au moment où la Cour rendra son arrêt sur le fond reviendrait à priver le Conseil de la compétence qui lui est conférée par l'article 12 du règlement n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 201, p. 1). Le Président de la Cour avait également considéré que le préjudice que subissait la partie requérante était limité à la charge que signifiait la constitution d'une garantie pour une période de quatre mois et qu'un tel inconvénient ne saurait être constitutif d'un préjudice grave et irréparable dans son chef.
11 Le 22 décembre 1986, le Conseil a adopté, conformément à l'article 12 du règlement n° 2176-84 du Conseil, précité, le règlement n° 29-87 qui impose, en son article 1er, un droit antidumping définitif de 33 % sur lesdits congélateurs et prévoit, en son article 2, la perception définitive des droits antidumping provisoires qui avaient été imposés par le règlement n° 2800-86 de la Commission, précité.
12 Selon les termes de l'article 185 du traité CEE, les recours formés devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif. Toutefois, celle-ci peut, si elle estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué. Elle peut également, en vertu de l'article 186 du traité CEE, prescrire les mesures provisoires nécessaires.
13 Pour qu'une mesure provisoire comme celle sollicitée puisse être ordonnée, l'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure prescrit que les demandes en référé doivent spécifier les moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l'octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ainsi que les circonstances établissant l'urgence.
14 Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que le caractère urgent d'une demande en référé énoncé à l'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement, afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire.
15 A cet égard, la partie requérante allègue qu'elle subirait un préjudice grave du fait que la perception d'un droit antidumping définitif de 33 % sur les importations de ses produits se traduirait par une hausse sensible de leurs prix, ce qui affecterait leur compétitivité au point de rendre leur commercialisation hypothétique, voire impossible. Une telle hausse des prix aurait également pour effet de provoquer une réduction de sa part de marché, voire sa complète disparition. La correspondance échangée avec ses importateurs communautaires, tant indépendants qu'apparentes, qu'elle a jointe en annexe de la présente demande, révélerait clairement que la vente des produits de Technointorg aurait pratiquement cessé depuis la date d'entrée en vigueur de l'article 1er du règlement n° 2800-86 de la Commission, précité. L'institution d'un droit antidumping définitif de 33 % ne pourrait qu'accentuer la baisse de ses ventes. Le préjudice résultant de cette situation pour la partie requérante serait non seulement grave, mais aussi irréparable, puisque, même si la Cour lui donnait raison dans l'affaire au principal, le dommage aurait été causé. Les congélateurs du type armoire originaires d'Union soviétique auraient en effet été exclus du marché pour plus de un an au moins, sans la moindre garantie de pouvoir jamais reprendre une place sur le marché.
16 Il faut constater que, en vue de démontrer l'urgence de sa demande, la partie requérante se borne à invoquer des effets qui sont inhérents à l'institution d'un droit antidumping, à savoir une hausse de prix de ses produits et, partant, une diminution corrélative de ses parts de marché. Il est, en effet, dans la nature même d'un droit antidumping d'aboutir à un accroissement du prix du produit en cause, puisque son objectif vise à contrebalancer la marge de dumping qui a été établie et à protéger la production communautaire du préjudice causé par le dumping.
17 Si on ne peut exclure que, dans certaines hypothèses, il peut s'avérer nécessaire de suspendre l'institution d'un droit antidumping définitif afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit crée dans le chef de la partie qui sollicite une telle suspension, il résulte néanmoins de la jurisprudence de la Cour que cette partie doit, à tout le moins, apporter des éléments probants montrant :
- d'une part, qu'elle subit un préjudice qui lui est particulier du fait de l'institution d'un tel droit (voir, notamment, l'affaire 258-84 R, Nippon Seiko/Conseil, Rec. 1984, p. 4357), et,
- d'autre part, que la balance des intérêts en cause penche en sa faveur de sorte que l'octroi de la mesure provisoire sollicitée ne causerait pas un préjudice appréciable aux intérêts de l'industrie communautaire (voir, notamment, l'affaire 250-85 R, Brother industries Ltd/Conseil, Rec. 1985, p. 3459).
18 A cet égard, il convient de remarquer que la partie requérante n'a avancé aucun élément en ce sens. Le Conseil et la Commission ont, par contre, démontré que l'adoption de la mesure provisoire sollicitée génèrerait un préjudice appréciable aux intérêts de la Communauté économique européenne. En effet, l'exigence d'une simple garantie, telle qu'elle est souhaitée par la partie requérante, a un effet protecteur nettement moindre que la perception du droit antidumping lui-même, de sorte qu'une telle mesure ne tiendrait pas suffisamment compte des intérêts de l'industrie communautaire et risquerait de réduire à néant l'effet recherché par l'institution d'un droit antidumping définitif.
19 Il y a encore lieu d'observer que la partie requérante n'a pas réussi à démontrer que le préjudice qu'elle subit dans le cas d'espèce, du fait de l'institution d'un tel droit, lui est particulier. Le préjudice qu'elle prétend subir est, en effet, susceptible de se présenter en général chaque fois qu'un droit antidumping définitif est institué.
20 Il ressort des éléments qui précèdent que la partie requérante n'a apporte aucun argument déterminant permettant d'établir qu'elle subirait un préjudice grave et irréparable si la mesure provisoire qu'elle sollicite lui était refusée.
Par ces motifs, LE PRESIDENT, Statuant au provisoire,
Ordonne :
1) la requête est rejetée.
2) les dépens sont réservés.