CJCE, 8 juillet 1987, n° 301-86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Frimodt Pedersen A/S
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mackenzie
Présidents de chambre :
MM. Galmot, Kakouris, O'Higgins, Schockweiler
Avocat général :
M. Mancini
Juges :
MM. Bosco, Koopmans, Due, Everling, Bahlmann, Joliet, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias
Avocat :
Me Spitzer
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 1er décembre 1986, la société R. Frimodt Pedersen A/S a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation du règlement n° 3019-86 de la Commission, du 30 septembre 1986, instituant un droit antidumping provisoire à l'égard des importations de moteurs électriques polyphases normalisés d'une puissance de plus de 0,75 à 75 kilowatts inclus, originaires de Bulgarie, de Hongrie, de Pologne, de République démocratique allemande, de Roumanie, de Tchécoslovaquie et d'Union soviétique (JO L 280, p. 68). A l'appui de son recours, la requérante allègue une violation du règlement (CEE) n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 201, p. 1) ainsi que de plusieurs principes généraux du droit communautaire.
2. L'enquête antidumping aboutissant au droit provisoire en cause a été réouverte par la Commission en novembre 1985 suite à une demande de réexamen des engagements de prix, acceptés par le Conseil et la Commission, respectivement, entre 1982 et 1984, concernant les importations de moteurs électriques en provenance des pays susmentionnés (JO 1985, C 305, p. 2).
3. Au septième considérant du règlement attaqué, la Commission a énuméré une liste d'importateurs, parmi lesquels figure la requérante, dont les arguments, présentés par écrit et oralement, ont été pris en compte par la Commission.
4. Ainsi qu'il ressort du treizième considérant dudit règlement, la Commission a examiné l'existence du dumping en fonction des prix à l'exportation effectivement payés ou à payer pour les transactions en cause, sans procéder, dans aucun cas, à une construction des prix à l'exportation prévue par l'article 2, paragraphe 8, sous b, du règlement n° 2176-84, sur la base des prix de revente pratiques par les importateurs dans la Communauté.
5. Néanmoins, la Commission, à l'article 2, paragraphe 3, sous b, du règlement attaqué, a énuméré six importateurs à l'égard desquels son enquête aurait démontré qu'il existait une association ou un arrangement de compensation avec un exportateur au sens de l'article 2, paragraphe 8, sous b, précité. La requérante ne figure pas parmi ces sociétés.
6. De plus, l'article 2, paragraphe 4, dudit règlement subordonne la mise en libre pratique des moteurs électriques du type susmentionné au dépôt d'une garantie correspondant au montant du droit provisoire.
7. Il ressort du dossier que la requérante est une société danoise qui, entre autres, exerce l'activité d'importateur exclusif au Danemark de moteurs électriques en provenance de République démocratique allemande et exportés par la société AHB Elektrotechnik, sans toutefois être associée, au sens de l'article 2, paragraphe 8, sous b, du règlement n° 2176-84, à cette dernière ou à l'un des autres exportateurs concernés.
8. Par acte déposé au greffe de la Cour le 22 janvier 1987, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 91, paragraphe 1er, du règlement de procédure. A l'appui de l'exception soulevée, elle soutient que le règlement en cause ne concerne pas la requérante directement et individuellement, mais constitue plutôt, à l'égard de celle-ci, un acte de portée générale. Ce fait ne serait pas démenti par la possibilité de déterminer le nombre ou même l'identité des opérateurs économiques auxquels ce règlement s'applique.
9. La Commission ajoute, à cet égard, que le seul fait que la requérante a été concernée par l'enquête antidumping ou identifiée dans l'acte attaqué n'aurait aucune incidence sur la qualification de cet acte. En effet, la position de la requérante n'aurait pas été spécifiquement prise en considération étant donné qu'en l'espèce l'existence du dumping aurait été établie en fonction du prix à l'exportation et non en fonction du prix de revente pratiqué par celle-ci. Il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que le recours direct contre un règlement instituant un droit antidumping est irrecevable dans de telles circonstances. La Commission souligne que la requérante avait la possibilité d'attaquer devant la juridiction nationale les actes individuels pris à son égard par les autorités nationales en application dudit règlement.
10. La requérante soutient, par contre, que l'acte attaqué constitue en réalité à son égard une décision, prise sous l'apparence d'un règlement, qui la concerne directement et individuellement. A cet égard, elle relève qu'elle aurait été concernée par les enquêtes préparatoires, effectuées par la Commission au cours de la procédure antidumping, puis qu'elle aurait participé à tous les stades de cette procédure. La requérante souligne, en outre, que la Commission aurait tenu compte de la marge des importateurs, y compris la marge de la requérante, pour fixer le droit antidumping.
11. De plus, la requérante fait observer que, en tant qu'importateur exclusif des moteurs électriques en provenance de république démocratique allemande, elle serait unique en tant que telle dans son Etat membre. De surcroît, elle serait identifiée dans les considérants dudit règlement et ainsi traitée différemment des importateurs qui n'y sont pas nommés. De plus, il ressortirait de l'article 7 du règlement n° 2176-84 que les importateurs sont mis sur le même plan que les exportateurs en tant que " partie intéressée susceptible d'être concernée par le résultat de la procédure ". Enfin, s'agissant d'un droit antidumping provisoire, il ne serait pas exact qu'un recours interne efficace lui soit ouvert.
12. La question de recevabilité soulevée par la Commission doit être résolue à la lumière de l'article 173, alinéa 2, du traité, qui subordonne la recevabilité d'un recours en annulation formé par un particulier à la condition que l'acte attaqué, même s'il a été pris sous l'apparence d'un règlement, constitue, en réalité, une décision qui le concerne directement et individuellement.
13. Un recours formé par un particulier n'est toutefois pas recevable dans la mesure où il est dirigé contre un règlement de portée générale au sens de l'article 189, alinéa 2, du traité, le critère de distinction entre le règlement et la décision devant être recherché, selon une jurisprudence établie de la Cour, dans la portée générale ou non de l'acte en question.
14. A cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que les règlements instituant un droit antidumping ont effectivement, de par leur nature et leur portée, un caractère normatif, en ce qu'ils s'appliquent à la généralité des opérateurs économiques intéressés (voir l'arrêt du 21 février 1984, Allied Corporation I, 239 et 275-82, Rec. p. 1005).
15. Toutefois, la Cour a reconnu qu'il n'est pas exclu que certaines dispositions de ces règlements concernent directement et individuellement ceux des producteurs et exportateurs du produit en cause auxquels sont imputées les pratiques de dumping en utilisant des données émanant de leur activité commerciale. Cela est le cas, en général, des entreprises productrices et exportatrices qui peuvent démontrer qu'elles ont été identifiées dans les actes de la Commission ou du Conseil ou concernées par les enquêtes préparatoires (voir les arrêts du 21 février 1984, Allied Corporation I, précité, et du 23 mai 1985, Allied Corporation II, 53-83, Rec. p. 1621, 1640).
16. Il en est de même pour ceux des importateurs qui sont concernés directement par les constatations relatives à l'existence d'une pratique de dumping du fait que les prix à l'exportation ont été établis en fonction de leurs prix de revente, et non en fonction des prix à l'exportation pratiqués par les producteurs ou exportateurs en cause (voir les arrêts du 29 mars 1979, ISO, 118-77, Rec. p. 1277, et du 21 février 1984, Allied Corporation, précité). Ainsi qu'il ressort de l'article 2, paragraphe 8, sous b, du règlement n° 2176-84, une telle construction des prix à l'exportation peut être effectuée, notamment au cas où il existe une association entre l'exportateur et l'importateur.
17. La requérante n'appartient à aucune des deux catégories d'opérateurs économiques, caractérisées ci-dessus, à l'égard desquelles la Cour a reconnu un droit de recours direct contre des règlements instituant un droit antidumping. En effet, elle reconnaît elle-même dans sa requête qu'elle n'est pas associée à l'exportateur du produit en cause. D'autre part, il ressort du règlement attaqué que l'existence du dumping n'a pas été établie en fonction de ses prix de revente, mais en fonction des prix effectivement payés ou à payer à l'exportation.
18. Le fait, allégué par la requérante, qu'elle est l'importateur exclusif dans son Etat membre des moteurs électriques en provenance de République démocratique allemande ne saurait donner lieu à une appréciation différente. En effet, le règlement attaqué concerne la requérante non pas en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne, mais en raison de sa seule qualité objective d'importateur des produits visés, au même titre que tout autre opérateur se trouvant, actuellement ou potentiellement, dans une situation identique (voir l'arrêt du 14 juillet 1983, Spijker, 231-82, Rec. p. 2559).
19. L'argument de la requérante selon lequel sa participation aux phases successives de l'enquête effectuée par la Commission devrait entraîner la recevabilité de son recours ne saurait non plus être retenu, dès lors que la distinction entre le règlement et la décision ne peut être fondée que sur la nature de l'acte même et les effets juridiques qu'il produit et non pas sur les modalités de son adoption (voir l'arrêt du 6 octobre 1982, Alusuisse, 307-81, Rec. p. 3463).
20. Cette solution est, par ailleurs, conforme au système de voies de recours institué par le droit communautaire, les importateurs étant habilités, selon les règles du droit national, à attaquer devant les juridictions nationales les actes individuels pris par les autorités nationales pour l'application du règlement communautaire.
21. Il résulte de ce qui précède que l'acte attaqué constitue à l'égard de la requérante un reglement de portée générale et non pas une décision au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité.
22. Par conséquent, il y a lieu de rejeter le recours comme irrecevable, par voie d'ordonnance, sans engager le débat au fond, conformément à l'article 91, paragraphes 3 et 4, du règlement de procédure.
Sur les dépens
23. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Ordonne :
1) le recours est rejeté comme irrecevable.
2) la requérante est condamnée aux dépens.