CCE, 18 avril 1985, n° 85-239
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Portant clôture de la procédure anti-subventions concernant les importations de tourteaux de soja originaires d'Argentine
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement (CEE) n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (1), et notamment son article 9, après consultations au sein du comité consultatif institué par ledit règlement, considérant ce qui suit:
A. Procédure
1. En août 1983, la Commission a reçu une plainte déposée par la Fédération de l'industrie de l'huilerie de la Communauté économique européenne (Fediol) au nom de triturateurs de graines oléagineuses dont la production représente la quasi-totalité de la production communautaire de tourteaux. En ce qui concerne les tourteaux de soja, la plainte comportait des éléments de preuve quant à l'existence de pratiques de subventionnement et d'un préjudice important en résultant, suffisants pour justifier l'ouverture d'une enquête.
En conséquence, la Commission a annoncé, dans un avis publié au Journal officiel des Communautés européennes (2), l'ouverture d'une procédure antisubventions concernant les importations dans la Communauté de tourteaux de soja, relevant de la sous-position ex 23.04 B du tarif douanier commun, correspondant au code Nimexe 23.04-40, originaires d'Argentine, et a ouvert une enquête.
2. La Commission en a avisé officiellement les exportateurs et les importateurs notoirement concernés ainsi que les représentants du pays exportateur et les plaignants; elle a donné aux parties directement intéressées l'occasion de faire connaître par écrit et de développer verbalement leur point de vue.
Le gouvernement argentin, la plupart des exportateurs, la totalité des producteurs de la Communauté et quelques-uns des importateurs connus ont fait connaître leur point de vue ainsi que leurs observations détaillées.
3. La Commission a recueilli et vérifié toutes les informations qu'elle a jugées nécessaires aux fins d'une détermination de subventions et du préjudice et a notamment procédé à un contrôle sur place auprès de producteurs communautaires. Une enquête sur place en Argentine n'a pas été jugée nécessaire étant donné que les autorités argentines ont pu fournir à la Commission des informations satisfaisantes relatives à l'existence des subventions alléguées par la Fediol.
L'enquête sur les pratiques de subventionnement a porté sur la période comprise entre le 1er octobre 1982 et le 30 septembre 1983.
B. Subventions
4. La plainte de la Fediol allègue l'existence des quatre pratiques suivantes de subventionnement:
- financement préférentiel des exportations,
- remboursement de taxes et d'impôts directs et indirects,
- impôts différentiels à l'exportation des produits du complexe soja,
- obstacles à l'exportation des fèves de soja.
5. Financement préférentiel des exportations
5.1. La Fediol allègue que les exportations argentines de tourteaux de soja bénéficient de financements préférentiels au titre de la circulaire n° 153 du 6 décembre 1977 de la Banque centrale de la république Argentine qui réglemente les dispositions en matière de financement des exportations faisant l'objet d'un encouragement.
5.2. L'examen de cette circulaire par la Commission a fait apparaître que les tourteaux de soja ne figurent pas parmi les produits pouvant bénéficier des financements accordés au titre de ce programme. La circulaire susmentionnée a d'ailleurs été remplacée le 24 octobre 1981 par la circulaire OPRAC - 1 (Communication " A " 49). Ce dernier texte n'inclut pas davantage les tourteaux de soja parmi les exportations pouvant faire l'objet des mesures d'encouragement qu'il prévoit.
L'enquête de la Commission a ainsi permis de constater que, au cours de la période couverte par l'enquête, les exportations argentines de tourteaux de soja n'ont pas bénéficié de financements préférentiels.
6. Remboursements de taxes et d'impôts directs et indirects
6.1. La plainte de l'industrie communautaire allègue que les autorités argentines accordent au titre des résolutions n° 770-79 du 17 juillet 1979 et n° 659-80 du 10 mai 1980 du ministère argentin de l'Economie un remboursement illicite de taxes et d'impôts directs et indirects à l'exportation d'huile et de tourteaux de soja.
6.2. La Commission a constaté que les deux textes ci-avant prévoyaient effectivement le remboursement de 10 % de certaines taxes et impôts directs et indirects à l'exportation tant de l'huile que de tourteaux de soja.
Ces deux textes ont cependant été remplacés par la résolution n° 437 du 5 mai 1982 qui supprime les remboursements susmentionnés et institue une taxe de 0 % à l'exportation d'un ensemble de produits incluant notamment l'huile et les tourteaux de soja. La résolution n° 437 a été remplacée le 5 juillet 1982 par la résolution n° 8 qui a fixé à 10 % le taux de l'impôt à l'exportation pour les produits en question.
Il apparaît donc que, contrairement aux allégations contenues dans la plainte, les exportations de tourteaux de soja n'ont pas, au cours de la période d'enquête, bénéficié de ces remboursements.
7. Impôts différentiels à l'exportation des produits du complexe soja
7.1. La Fediol avance l'argument que la résolution n° 8 du 5 juillet 1982 du ministère argentin de l'économie fixe le taux de l'impôt à l'exportation à 10 % pour les tourteaux et l'huile et à 25 % pour les fèves de soja. Elle allègue que ces impositions différentielles, c'est-à-dire appliquant un taux plus élevé dans le cas des exportations de fèves que dans celui des tourteaux de soja, constituent une subvention à l'exportation de ces derniers produits. L'industrie communautaire allègue en effet que les impôts susvisés ont pour effet de restreindre l'exportation des fèves et de garantir ainsi à l'industrie argentine de la trituration un approvisionnement en matière première à bas prix. Selon la Fediol, cette industrie bénéficie ainsi d'un avantage en termes de prix de revient qu'elle peut exploiter lors de l'exportation des tourteaux de soja vers la Communauté. L'industrie communautaire allègue en outre que la taxation à un taux inférieur des tourteaux par rapport aux fèves confère un avantage supplémentaire aux exportateurs argentins.
7.2. La Commission a constaté que la résolution n° 8 ci-avant a effectivement été appliquée au cours de la période d'enquête et que ses dispositions correspondent aux éléments factuels de l'allégation de la Fediol.
7.3. La Commission est consciente du fait que l'imposition ou l'élimination par une autorité publique d'un désavantage relatif au commerce extérieur - notamment sous la forme de taxes ou de restrictions à l'exportation - peut conduire à une distorsion de la concurrence ou du commerce pour le produit qui en fait l'objet ou pour les produits en amont ou en aval.
On ne saurait cependant qualifier de subvention, au sens des règles internationales applicables en la matière, toute forme d'intervention publique en raison de son seul effet réel ou potentiel sur la concurrence ou le commerce, sous peine de méconnaître la distinction faite dans l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) entre, d'une part, les subventions et, d'autre part, les autres mesures qui peuvent avoir un impact sur la concurrence ou le commerce. L'importance de cette distinction réside dans le fait qu'alors que l'article VI de l'accord général permet aux parties contractantes de prendre unilatéralement certaines mesures à l'égard de pratiques bien définies, il ne le permet pas à l'égard d'autres pratiques, même si ces dernières - par exemple des restrictions quantitatives ou des taxes à l'importation ou à l'exportation - sont également susceptibles de conduire à des distorsions de la concurrence ou du commerce.
En effet, en matière de commerce international, la subvention se caractérise avant tout autre élément par une contribution financière des autorités publiques. Ceci résulte notamment du point l) de la liste exemplative du code sur les subventions. Cette liste, annexée au règlement (CEE) n° 2176-84, indique clairement qu'une charge pour le Trésor public constitue une condition nécessaire de l'existence de toute subvention. L'assimilation à une subvention de pratiques autres que celles qui impliquent une charge pour le Trésor public serait abusive. En effet, elle conduirait, à l'extrême, à qualifier de subvention toute intervention publique dans l'économie, que ce soit dans le domaine fiscal ou même simplement réglementaire, au moyen par exemple de l'institution d'un contrôle des prix ou des normes en matière de pollution. 7.4. Il résulte clairement des dispositions du GATT et de la législation communautaire, en l'occurrence de l'annexe du règlement (CEE) n° 2176-84, que le concept de charge pour le Trésor public inclut la renonciation par les autorités publiques à des impôts ou autres charges dus par un contribuable. La Commission note cependant que la situation visée en l'espèce n'implique pas une telle renonciation mais plutôt la non-création d'une nouvelle obligation fiscale. Or, qualifier de subvention toute non-création de ce type équivaudrait à considérer que le fait même pour une autorité publique d'imposer certaines personnes ou produits, mais de ne pas en imposer d'autres, devrait être considéré comme constituant une contribution financière en faveur de ces derniers.
On pourrait se demander si le raisonnement ci-avant reste valable dans l'hypothèse où la nouvelle obligation créée sur le plan fiscal constituait la règle générale et où la non-création de pareille obligation était une exception à ce régime général. La question ne se pose cependant pas dans le cas présent étant donné que le régime de taxation applicable aux exportations de tourteaux de soja ne constitue pas une situation exceptionnelle dans le pays exportateur concerné.
7.5. Il résulte de ce qui précède que l'imposition à des taux différents des divers produits du complexe soja ne constitue pas une charge pour le Trésor public du pays concerné par la présente procédure et ne doit donc pas être considérée comme une subvention.
En définitive, la distorsion dont se plaint l'industrie communautaire ne provient pas de l'octroi d'une subvention accordée à l'exportation du produit transformé, à savoir les tourteaux, mais plutôt de la perception d'une taxe, d'un taux supérieur, à l'exportation du produit de base, en l'occurrence les fèves. Or, par sa nature même, cette perception ne constitue pas une contribution financière des autorités publiques.
8. Obstacles à l'exportation des fèves de soja
8.1. L'industrie communautaire allègue que l'Argentine impose des restrictions à l'exportation des fèves de soja.
Cette restriction à l'exportation de la matière première conduirait, selon la Fediol, à maintenir le prix des fèves sur le marché intérieur à un niveau substantiellement inférieur aux cours du marché mondial, ce qui procurerait aux triturateurs argentins un avantage en termes de prix de revient exploitable lors de l'exportation des tourteaux de soja vers la Communauté.
8.2. Pour les raisons exposées au point 7 ci-avant, la Commission considère qu'une éventuelle restriction de cette nature ne constitue pas une subvention pouvant faire l'objet de droits compensateurs.
C. Clôture de la procédure
9. Dans ces conditions, l'examen d'un préjudice éventuellement causé par les importations de tourteaux de soja originaires d'Argentine n'est pas nécessaire et la procédure antisubventions relative à ces importations doit être close,
Décide:
Article unique
La procédure antisubventions concernant les importations de tourteaux de soja originaires d'Argentine est close.
Notes :
(1) JO n° L 201 du 30. 7. 1984, p. 1.
(2) JO n° C 283 du 20. 10. 1983, p. 5.