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Décisions

CJCE, 4e ch., 14 février 2008, n° C-449/06

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gysen

Défendeur :

Groupe S-Caisse d'Assurances sociales pour indépendants

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Lenaerts

Avocat général :

M. Mengozzi

Juges :

MM. Arestis, Juhász, Malenovský, Mme Silva de Lapuerta

Avocat :

Me Sluse

CJCE n° C-449/06

14 février 2008

LA COUR (quatrième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle formulée par le Tribunal du travail de Bruxelles, concernant le règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 259-68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission (JO L 56, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 2074-83 du Conseil, du 21 juillet 1983 (JO L 203, p. 1, ci-après le "statut"), a été présentée dans le cadre du litige opposant Mme Gysen au Groupe S-Caisse d'Assurances sociales pour indépendants (ci-après la "Caisse") au sujet de la détermination du rang des enfants de Mme Gysen aux fins de la fixation du montant des allocations familiales belges.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2 Aux termes de son article 11, second alinéa, le statut "est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre".

3 Selon l'article 67, paragraphe 1, du statut, les allocations familiales comprennent l'allocation de foyer, l'allocation pour enfant à charge et l'allocation scolaire.

4 En vertu de l'article 67, paragraphe 2, du statut, les fonctionnaires bénéficiaires des allocations familiales visées à ce même article sont tenus de déclarer les allocations de même nature versées par ailleurs, ces allocations venant en déduction de celles payées en vertu des articles 1er à 3 de l'annexe VII du statut.

5 Aux termes de l'article 2, paragraphe 7, de l'annexe VII du statut, lorsque l'enfant à charge est confié, en vertu de dispositions légales ou par décision de justice ou de l'autorité administrative compétente, à la garde d'une autre personne, l'allocation est versée à celle-ci pour le compte et au nom du fonctionnaire.

La réglementation nationale

6 En vertu de l'arrêté royal du 8 avril 1976 établissant le régime des prestations familiales en faveur des travailleurs indépendants (Moniteur belge du 6 mai 1976), le montant de l'allocation par enfant augmente selon le nombre d'enfants.

7 L'article 16, paragraphe 1, premier alinéa, dudit arrêté royal, dans sa version applicable aux faits au principal, détermine le rang des enfants en tenant compte de la chronologie des naissances des enfants bénéficiaires en vertu du même arrêté royal, des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés, de l'arrêté royal du 26 mars 1965 relatif aux allocations familiales allouées à certaines catégories du personnel rétribué par l'État, de la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties et des conventions internationales de sécurité sociale en vigueur en Belgique.

Le litige au principal et la question préjudicielle

8 Mme Gysen, ressortissante belge, exerce une activité professionnelle en qualité de travailleur indépendant en Belgique. Elle s'est mariée le 1er février 1986. De ce mariage, un enfant est né le 20 octobre 1989. Le couple a divorcé au mois de juin 1993.

9 Mme Gysen s'est remariée au mois de décembre 1993. De ce mariage, deux enfants sont nés les 5 mai 1994 et 17 septembre 1996. Le couple a divorcé au cours de l'année 2000.

10 Le fils aîné de Mme Gysen est domicilié chez sa mère depuis le 17 janvier 2001. En ce qui concerne les deux enfants cadets, une décision de justice du 13 février 2001 indique que l'autorité parentale et l'administration des biens seront exercées conjointement et que Mme Gysen percevra les allocations familiales.

11 Le 1er décembre 2001, le père de l'enfant né en 1989 a été recruté par la Commission des Communautés européennes. Depuis cette date, les services de la Commission paient à Mme Gysen des allocations familiales intégrales pour son fils aîné, au nom et pour le compte du père.

12 Mme Gysen a informé la Caisse de cette situation par courrier du 22 février 2002, à la suite duquel celle-ci a cessé de verser des allocations familiales pour le fils aîné de Mme Gysen, mais a continué à les verser pour les cadets.

13 Ensuite, considérant que les allocations avaient été indûment versées, la Caisse a retenu, à partir du mois de mars 2003, la somme de 2 284,84 euros sur les allocations familiales mensuelles. Ce montant correspond à la différence entre les allocations payées pour les cadets en tant qu'enfants des deuxième et troisième rangs, et celles qui, selon la Caisse, auraient dû être versées, à savoir des allocations pour deux enfants des premier et deuxième rangs.

14 Estimant que les décisions administratives de la Caisse relatives à cette opération de retenue sont prises sur la base d'une constatation illégale des rangs de ses trois enfants et, par conséquent, doivent être annulées, Mme Gysen a saisi la juridiction de renvoi.

15 C'est dans ces conditions que le Tribunal du travail de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Le [statut] et son 'Annexe VII: Règles relatives aux rémunérations [...]', section l, [intitulée] 'Allocations familiales', article 67, [paragraphe] 1, lesquelles comprennent [...] l'allocation de foyer, [...] l'allocation pour enfant à charge [...][et] l'allocation scolaire, peuvent[-ils] ou doivent[-ils] - ou non - être considérés comme constituant ce que le texte réglementaire national ici litigieux désigne par '[...] convention internationale de sécurité sociale en vigueur en Belgique'?"

Sur la question préjudicielle

16 Afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, qui lui permette de résoudre le litige dont elle est saisie, il convient de mettre en exergue la nature et la force juridique du statut.

17 En effet, dans le cadre du système de coopération judiciaire établi par l'article 234 CE, il incombe à la Cour d'interpréter les dispositions du droit communautaire. En ce qui concerne les dispositions nationales, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre dudit système, leur interprétation appartient aux juridictions nationales (voir arrêt du 12 octobre 1993, Vanacker et Lesage, C-37-92, Rec. p. I-4947, point 7).

18 Il ressort du cadre réglementaire du litige au principal présenté par la juridiction de renvoi que, en droit belge, l'enfant d'un travailleur indépendant, qui est bénéficiaire d'une allocation versée au titre du conjoint ou de l'ex-conjoint par les organismes de sécurité sociale d'un autre État membre en application d'une convention internationale, est pris en compte lors de la détermination du rang des enfants de ce même travailleur indépendant afin de calculer le montant des allocations familiales belges auxquelles ce dernier a droit pour ses autres enfants.

19 Il ressort également de la décision de renvoi que le litige au principal est né du refus par la Caisse de prendre en compte l'enfant qui bénéficie d'une allocation versée intégralement sur la base du statut au nom et pour le compte de son père, fonctionnaire communautaire, lors de la détermination du rang des enfants de la mère, travailleur indépendant, aux fins du calcul du montant des allocations familiales auxquelles cette dernière a droit pour ses autres enfants.

20 Il apparaît, à la lecture du dossier, que la différence de traitement que réserve la Caisse à ces deux cas de figure réside dans la spécificité de la base juridique de l'allocation statutaire versée au titre de l'enfant de Mme Gysen né en 1989.

21 La Caisse soutient, devant la juridiction de renvoi, que le statut confère aux fonctionnaires communautaires des droits qu'ils peuvent faire valoir vis-à-vis de leur employeur ainsi que, le cas échéant, le droit d'exercer des recours devant les instances judiciaires communautaires, mais que ces mêmes droits ne sont pas d'application immédiate et directe dans les ordres juridiques nationaux.

22 Force est de constater que cette thèse est contraire à la nature et à la force juridique du statut.

23 Certes, le règlement n° 259-68, qui a arrêté le statut, ne saurait être assimilé à une convention internationale, car il a été adopté non pas par les États membres agissant conformément aux règles du droit international, mais par le Conseil en tant qu'institution de la Communauté européenne agissant d'une manière autonome (voir, en ce sens, arrêts du 18 février 1970, Commission/Italie, 38-69, Rec. p. 47, point 11, et du 18 mars 1980, Commission/Italie, 91-79, Rec. p. 1099, point 7), de même que le traité CE sur lequel ledit règlement est fondé ne saurait être assimilé à une convention internationale de sécurité sociale. Toutefois, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 249, deuxième alinéa, CE, ce règlement a une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre (voir arrêts du 20 octobre 1981, Commission/Belgique, 137-80, Rec. p. 2393, point 7, et du 7 mai 1987, Commission/Belgique, 186-85, Rec. p. 2029, point 21). Par ailleurs, ainsi que Mme Gysen le fait valoir, l'article 11, second alinéa, du statut prévoit lui-même, expressément, le caractère obligatoire de ce dernier dans tous ses éléments et son applicabilité directe dans tout État membre.

24 Eu égard à l'applicabilité directe du règlement n° 259-68 dans l'ordre juridique des États membres, le juge national est tenu de l'appliquer afin de garantir le respect du principe de non-discrimination. Il lui appartient ainsi d'assurer une égalité de traitement entre les personnes dont l'enfant ouvre droit à des allocations familiales en vertu du statut et les personnes dont l'enfant ouvre droit à de telles allocations en vertu du droit interne ou d'une convention internationale de sécurité sociale en vigueur dans l'État membre concerné.

25 Au regard de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée, d'une part, que le statut a une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans tout État membre et, d'autre part, que, eu égard à l'applicabilité directe du règlement n° 259-68 dans l'ordre juridique des États membres, l'enfant ouvrant droit à des allocations familiales en vertu du statut doit être assimilé à un enfant ouvrant droit à de telles allocations en vertu du droit interne ou d'une convention internationale de sécurité sociale en vigueur dans l'État membre concerné.

Sur les dépens

26 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs,

LA COUR (quatrième chambre)

dit pour droit:

Le règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 259-68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission, tel que modifié par le règlement (CEE, Euratom, CECA) n° 2074-83 du Conseil, du 21 juillet 1983, a une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans tout État membre. Eu égard à l'applicabilité directe dudit règlement dans l'ordre juridique des États membres, l'enfant ouvrant droit à des allocations familiales en vertu du statut des fonctionnaires des Communautés européennes doit être assimilé à un enfant ouvrant droit à de telles allocations en vertu du droit interne ou d'une convention internationale de sécurité sociale en vigueur dans l'État membre concerné.