CJCE, 3e ch., 17 janvier 2008, n° C-37/06
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Viamex Agrar Handels GmbH, Zuchtvieh-Kontor GmbH
Défendeur :
Hauptzollamt Hamburg-Jonas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rosas
Avocat général :
M. Mengozzi
Juges :
MM. Cunha Rodrigues, Klucka, Ó Caoimh, Mme Lindh
Avocats :
Mes Schedl, Landry
LA COUR (troisième chambre),
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur la validité des articles 1er et 5, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 615-98 de la Commission, du 18 mars 1998, portant modalités particulières d'application du régime des restitutions à l'exportation en ce qui concerne le bien-être des animaux vivants de l'espèce bovine en cours de transport (JO L 82, p. 19).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Viamex Agrar Handels GmbH (ci-après "Viamex") et Zuchtvieh-Kontor GmbH (ZVK) (ci-après "ZVK") au Hauptzollamt Hamburg-Jonas (ci-après le "Hauptzollamt") au sujet de restitutions à l'exportation de bovins vivants, vers respectivement, le Liban et l'Égypte.
Le cadre juridique
3 L'article 13, paragraphe 9, deuxième alinéa, du règlement (CEE) n° 805-68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24), tel que modifié par le règlement (CE) n° 2634-97 du Conseil, du 18 décembre 1997 (JO L 356, p. 13, ci-après le "règlement n° 805-68"), prévoit que le paiement de la restitution à l'exportation d'animaux vivants est subordonné au respect de la législation communautaire concernant le bien-être des animaux et, en particulier, la protection des animaux en cours de transport.
4 Les modalités d'application du règlement n° 805-68 ont été précisées par le règlement n° 615-98.
5 L'article 1er du règlement n° 615-98 dispose que le paiement des restitutions à l'exportation d'animaux vivants de l'espèce bovine est subordonné au respect, au cours du transport des animaux jusqu'à leur premier déchargement dans le pays tiers de destination finale, des dispositions de la directive 91-628-CEE du Conseil, du 19 novembre 1991, relative à la protection des animaux en cours de transport et modifiant les directives 90-425-CEE et 91-496-CEE (JO L 340, p. 17), telle que modifiée par la directive 95-29-CE du Conseil, du 29 juin 1995 (JO L 148, p. 52, ci-après la "directive 91-628") et des dispositions dudit règlement.
6 Selon l'article 2 de ce règlement, il est procédé à un contrôle des animaux à la sortie du territoire douanier de la Communauté européenne. Un vétérinaire officiel doit vérifier et certifier que les animaux sont aptes au voyage prévu conformément aux dispositions de la directive 91-628, que le moyen de transport par lequel les animaux quitteront le territoire douanier de la Communauté est conforme aux dispositions de cette directive et que des dispositions ont été prises pour soigner les animaux durant le voyage conformément aux dispositions de ladite directive.
7 En vertu de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 615-98, la demande de paiement des restitutions à l'exportation doit être complétée par la preuve que les dispositions de l'article 1er de ce règlement ont été respectées, cette preuve étant apportée par la production de l'exemplaire de contrôle T5 et du rapport de contrôle d'une société de contrôle, assorti du certificat vétérinaire.
8 L'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 dispose toutefois que la restitution à l'exportation n'est pas payée pour les animaux morts en cours de transport ou pour les animaux pour lesquels l'autorité compétente estime, au vu des documents visés au paragraphe 2 dudit article 5, des rapports de contrôle visés à l'article 4 de ce règlement et/ou de tout autre élément dont elle dispose concernant le respect des dispositions visées à l'article 1er dudit règlement, que la directive 91-628 n'a pas été respectée.
9 L'article 3, paragraphe 1, de la directive 91-628 dispose que les États membres veillent à ce que les durées de déplacement et de repos, ainsi que les intervalles d'alimentation et d'abreuvement, soient conformes à ceux fixés au chapitre VII de l'annexe de celle-ci.
10 En cas de transport par route d'animaux vivants de l'espèce bovine, le point 48, paragraphe 4, sous d), du chapitre VII de l'annexe de la directive 91-628 impose le respect d'un temps de repos suffisant d'au moins 1 heure après 14 heures de transport. Après ce temps de repos, le transport peut reprendre pour une période de 14 heures. Ainsi, la durée maximale du transport est fixée à 29 heures. Le paragraphe 8 dudit point 48 prévoit toutefois que la durée du voyage peut être prolongée de 2 heures dans l'intérêt des animaux, compte tenu en particulier de la proximité du lieu de destination.
11 En vertu du point 48, paragraphe 5, du chapitre VII de l'annexe de la directive 91-628, les animaux doivent bénéficier d'un temps de repos d'au moins 24 heures après la durée du voyage fixée.
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
12 Dans la première affaire au principal, Viamex a déclaré, auprès du Hauptzollamt Kiel, l'exportation vers le Liban de 35 bovins vivants. Par décision du 1er février 2001, le Hauptzollamt a, en se fondant notamment sur les articles 1er et 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98, rejeté la demande de restitution à l'exportation qui lui avait été présentée par Viamex, au motif qu'il est apparu, à la suite de l'examen du plan de marche fourni par cette société, que la période de repos de 24 heures prévue au point 48, paragraphe 5, du chapitre VII de l'annexe de la directive 91-628 n'a pas été respectée. Viamex a cependant fait valoir que le non-respect de cette disposition était dû à la circonstance que le vétérinaire officiel lui avait ordonné la reprise du transport avant d'avoir observé la période de repos de 24 heures. Le Hauptzollamt considère que, nonobstant cette circonstance, Viamex aurait dû s'informer des durées de repos prescrites par la directive 91-628. En outre, Viamex n'aurait pas respecté, en raison d'un constat d'accident et d'un contrôle de poids lourds, la durée maximale de la seconde phase de transport prévue au point 48, paragraphe 4, sous d), du chapitre VII de l'annexe de la directive 91-628.
13 Dans la seconde affaire au principal, ZVK a déclaré, auprès du Hauptzollamt Bamberg, l'exportation vers l'Égypte de 32 bovins vivants et a sollicité à ce titre l'octroi d'une restitution à l'exportation par anticipation que le Hauptzollamt lui a accordée. Toutefois, par décision modificative du 1er septembre 2003, le Hauptzollamt a décidé de réclamer le remboursement de cette restitution, assorti d'une majoration de 10 %, au motif notamment que les animaux avaient été transportés pendant plus de 14 heures en violation des dispositions de la directive 91-628. La seconde phase de transport aurait en effet duré 15 heures 45 minutes. Le dépassement de la durée maximale de la seconde phase de transport aurait, en outre, pour conséquence que ZVK a méconnu la règle prévue au point 48, paragraphe 5, du chapitre VII de l'annexe de la directive 91-628, selon laquelle, après une période de transport maximale de 29 heures, les animaux doivent être déchargés, alimentés, abreuvés et bénéficier d'un temps de repos minimal de 24 heures.
14 Les réclamations formées par Viamex et ZVK contre respectivement les décisions du Hauptzollamt du 1er février 2001 et du 1er septembre 2003 n'ayant pas été accueillies, ces sociétés ont décidé d'introduire un recours auprès du Finanzgericht Hamburg, qui, estimant que la solution des deux affaires dont il est saisi dépend de l'interprétation de dispositions communautaires, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, qui sont formulées en des termes identiques dans chacune desdites affaires:
"1) L'article 1er du règlement [...] n° 615-98 est-il valide, dans la mesure où il subordonne l'octroi de la restitution à l'exportation au respect de la directive 91-628 [...] ?
2) Dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à la question précédente: la disposition figurant à l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98, aux termes de laquelle la restitution à l'exportation n'est pas payée pour les animaux pour lesquels l'autorité compétente estime - au vu de tout autre élément dont elle dispose concernant le respect des dispositions visées à l'article 1er du règlement n° 615-98 - que la directive [91-628] n'a pas été respectée, est-elle compatible avec le principe de proportionnalité ?"
15 Par ordonnance du président de la Cour du 17 février 2006, les affaires C-37-06 et C-58-06 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l'arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
16 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 1er du règlement n° 615-98 est valide dans la mesure où il subordonne le paiement de la restitution à l'exportation d'animaux vivants au respect de la directive 91-628. En particulier, la juridiction de renvoi s'interroge sur l'existence d'un lien entre le régime des restitutions à l'exportation, qui relève de la politique agricole commune, et le droit communautaire relatif à la protection des animaux.
17 L'article 1er du règlement n° 615-98 relatif aux modalités particulières d'application du régime des restitutions à l'exportation en ce qui concerne le bien-être des animaux vivants de l'espèce bovine en cours de transport, prévoit que, pour l'application de l'article 13, paragraphe 9, deuxième alinéa, du règlement n° 805-68, le paiement des restitutions à l'exportation d'animaux vivants de l'espèce bovine relevant de la position 0102 de la nomenclature combinée est subordonné au respect, notamment, des dispositions de la directive 91-628.
18 Ainsi que M. l'Avocat général l'a relevé aux points 28 à 33 de ses conclusions, il convient de rappeler, en premier lieu, que ce renvoi qui est opéré par l'article 1er du règlement n° 615-98 à la directive 91-628 et qui lie le régime des restitutions à l'exportation et la protection des animaux en cours de transport, résulte du choix fait par le Conseil de l'Union européenne dans le règlement n° 805-68 et dont la Commission des Communautés européennes s'est bornée à préciser les modalités d'application dans le règlement n° 615-98.
19 L'article 1er du règlement n° 615-98 a pour but de mettre en œuvre l'article 13, paragraphe 9, du règlement n° 805-68 selon lequel le paiement de la restitution à l'exportation d'animaux vivants est subordonné au respect des dispositions prévues par la législation communautaire concernant le bien-être des animaux et, en particulier, la protection des animaux en cours de transport. Ledit article 13, paragraphe 9, a été introduit pour remédier à la pratique selon laquelle il n'était pas toujours tenu compte du bien-être des animaux pendant leur transport.
20 En effet, il ressort des deux considérants du règlement n° 2634-97, qui a procédé à l'insertion du dernier alinéa de l'article 13, paragraphe 9, du règlement n° 805-68, que l'expérience acquise dans la mise en œuvre de la directive 91-628 avait montré que le bien-être des animaux vivants n'était pas toujours respecté dans les cas d'exportation d'animaux et qu'il était nécessaire, pour des raisons pratiques, de confier à la Commission le soin d'arrêter les modalités d'application des règles en la matière. Le cinquième considérant du règlement n° 615-98 précise, à cet égard, que des mesures supplémentaires à caractère dissuasif doivent être prises et appliquées de manière uniforme, s'il s'avère, sur la base de l'état physique et/ou de santé de plusieurs animaux d'un même lot, que les dispositions concernant la protection des animaux en cours de transport n'ont pas été respectées.
21 Ce sont d'ailleurs des considérations analogues qui ont conduit les institutions communautaires à substituer à la directive 91-628 le règlement (CE) n° 1-2005 du Conseil, du 22 décembre 2004, relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes et modifiant les directives 64-432-CEE et 93-119-CE et le règlement (CE) n° 1255-97 (JO 2005, L 3, p. 1).
22 Il importe de rappeler, en deuxième lieu, que la protection du bien-être des animaux constitue un objectif légitime d'intérêt général dont l'importance s'est traduite, notamment, par l'adoption par les États membres du protocole sur la protection et le bien-être des animaux, annexé au traité instituant la Communauté européenne (JO 1997, C 340, p. 110) ou encore par la signature par la Communauté de la convention européenne sur la protection des animaux en transport international (révisée) [Décision 2004-544-CE du Conseil, du 21 juin 2004, relative à la signature de la convention européenne sur la protection des animaux en transport international (révisée), JO L 241, p. 21]. L'importance de cet objectif se trouve encore reflétée par la déclaration n° 24, relative à la protection des animaux annexée à l'acte final du traité sur l'Union européenne.
23 La Cour a, par ailleurs, constaté à plusieurs reprises l'intérêt que la Communauté porte à la santé et à la protection des animaux (arrêts du 1er avril 1982, Holdijk e.a., 141-81 à 143-81, Rec. p. 1299, point 13, et du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil, 131-86, Rec. p. 905, point 17). Elle a notamment jugé que la poursuite des objectifs de la politique agricole commune ne saurait faire abstraction d'exigences d'intérêt général telles que la protection de la santé et de la vie des animaux, exigences dont les institutions communautaires doivent tenir compte dans l'exercice de leurs pouvoirs et notamment dans le cadre des organisations communes de marchés.
24 Il s'ensuit que, en liant ainsi le paiement des restitutions à l'exportation des animaux vivants de l'espèce bovine au respect de la réglementation communautaire concernant le bien-être des animaux, le législateur communautaire tend à la sauvegarde d'exigences d'intérêt général, objectif dont la poursuite ne saurait, en soi, conduire à constater l'invalidité de l'article 1er du règlement n° 615-98. Le renvoi ainsi opéré présente, en outre, l'avantage de garantir que le budget de la Communauté ne finance pas des exportations qui seraient réalisées en violation des dispositions communautaires relatives au bien-être des animaux.
25 La juridiction de renvoi observe, cependant, en substance, que le règlement n° 615-98 et la directive 91-628 poursuivent des objectifs de nature différente et qu'un règlement ne peut ainsi renvoyer globalement à une directive par ailleurs "regrettablement imprécise".
26 Il doit, à cet égard, être souligné que le simple fait que le paiement des restitutions à l'exportation des animaux vivants de l'espèce bovine soit subordonné par le règlement n° 615-98 au respect d'un certain nombre de conditions définies par une réglementation poursuivant des objectifs qui lui sont propres ne peut en soi être considéré comme une cause d'invalidité dudit règlement, dès lors que, comme la Cour l'a constaté aux points 22 à 24 du présent arrêt, les objectifs ainsi poursuivis non seulement sont parfaitement légitimes, mais encore constituent des obligations pesant de façon constante et permanente, en vertu du droit communautaire, sur l'ensemble des États membres et des institutions dans la formulation et la mise en œuvre de la politique agricole commune.
27 Certes, en vertu d'une jurisprudence constante, une directive ne peut, par elle-même, créer d'obligations pour les particuliers (voir, notamment, arrêts du 26 février 1986, Marshall, 152-84, Rec. p. 723, point 48; du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397-01 à C-403-01, Rec. p. I-8835, point 108; du 3 mai 2005, Berlusconi e.a., C-387-02, C-391-02 et C-403-02, Rec. p. I-3565, point 73, ainsi que du 7 juin 2007, Carp, C-80-06, non encore publié au Recueil, point 20).
28 Toutefois, il ne saurait être exclu, par principe, que les dispositions d'une directive puissent trouver à s'appliquer par l'intermédiaire d'un renvoi exprès d'un règlement à ses dispositions, sous réserve du respect des principes généraux du droit et, en particulier, du principe de sécurité juridique.
29 En outre, force est de relever que le renvoi général, opéré par le règlement n° 615-98 à la directive 91-628, a pour objectif de garantir, pour l'application de l'article 13, paragraphe 9, du règlement n° 805-68, le respect des dispositions pertinentes de ladite directive en matière de bien-être des animaux vivants et, en particulier, de protection des animaux en cours de transport. Ledit renvoi, établissant les conditions pour l'octroi des restitutions, ne saurait, partant, être interprété comme couvrant l'ensemble des dispositions de la directive 91-628 et, notamment, celles qui sont sans rapport avec l'objectif principal poursuivi par ladite directive.
30 Par conséquent, il ne saurait être utilement soutenu, ainsi que l'a fait valoir la requérante dans le litige au principal dans l'affaire C-58-06, que ledit renvoi est contraire au principe de sécurité juridique dans la mesure où il couvre l'ensemble des dispositions de la directive 91-628.
31 Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que l'examen de la première question n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'article 1er du règlement n° 615-98.
Sur la seconde question
32 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 est compatible avec le principe de proportionnalité, dans la mesure où, selon le libellé de cette disposition, toute violation de l'une des dispositions de la directive 91-628 est automatiquement, et indépendamment d'une atteinte établie au bien-être des animaux, sanctionnée par la perte totale de la restitution à l'exportation.
33 Tout d'abord, il y a lieu de préciser que le principe de proportionnalité, qui constitue un principe général du droit communautaire et qui a été confirmé à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour, notamment dans le domaine de la politique agricole commune (voir, notamment, arrêts du 12 juillet 2001, Jippes e.a., C-189-01, Rec. p. I-5689, point 81, ainsi que du 7 septembre 2006, Espagne/Conseil, C-310-04, Rec. p. I-7285, point 97), doit être respecté en tant que tel aussi bien par le législateur communautaire que par les législateurs et les juges nationaux qui appliquent le droit communautaire. Ce principe doit également être respecté par les autorités nationales compétentes dans le cadre de l'application des dispositions du règlement n° 615-98.
34 Ensuite, il convient de rappeler que le législateur communautaire, tout en étant lié par le principe de proportionnalité, dispose en matière de politique agricole commune d'un large pouvoir d'appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 34 CE à 37 CE lui attribuent. Par conséquent, le contrôle du juge doit se limiter à vérifier si la mesure en cause n'est pas entachée d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si l'autorité en question n'a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation (voir, en ce sens, arrêt Jippes e.a., précité, point 80).
35 S'agissant du principe de proportionnalité, celui-ci exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu'un choix s'offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir, en ce sens, arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331-88, Rec. p. I-4023, point 13, ainsi que Jippes e.a., précité, point 81).
36 Enfin, en ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions de la mise en œuvre d'un tel principe, eu égard au large pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur communautaire en matière de politique agricole commune, seul le caractère manifestement inapproprié d'une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l'objectif que l'institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d'une telle mesure (voir arrêts précités Fedesa e.a., point 14, ainsi que Jippes e.a., point 82). Ainsi, il s'agit de savoir non pas si la mesure adoptée par le législateur était la seule ou la meilleure possible, mais si elle était manifestement inappropriée (arrêt Jippes e.a., précité, point 83).
37 En l'occurrence, il convient de rappeler que, eu égard au libellé des articles 1er et 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 et à la finalité dudit règlement, le respect des dispositions de la directive 91-628 constitue une condition préalable au paiement des restitutions à l'exportation. En effet, l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 consacre la perte du droit à la restitution par le non-paiement de celle-ci, en tant que conséquence du non-respect des dispositions de ladite directive. Il convient donc de vérifier si les conditions d'octroi de la restitution à l'exportation visées à l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 sont conformes au principe de proportionnalité.
38 Il convient, à cet égard, de relever que les autorités compétentes des États membres ne peuvent décider du montant de la restitution à l'exportation qu'en vertu des deux cas de figure bien distincts prévus à l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98. Dans le premier cas, lorsque la mort des animaux est imputable au non-respect des dispositions de la directive 91-628, le législateur communautaire n'octroie aucune marge d'appréciation à l'autorité compétente dès lors qu'il prévoit expressément que la restitution n'est pas payée. En revanche, dans le second cas, lorsque ladite autorité estime que la directive 91-628 n'a pas été respectée sans, toutefois, que ce non-respect ait entraîné la mort des animaux, le législateur communautaire accorde une certaine marge d'appréciation à l'autorité compétente pour décider si le non-respect d'une disposition de ladite directive est susceptible d'entraîner la perte, la réduction ou le maintien de la restitution à l'exportation.
39 Une telle marge d'appréciation n'est cependant pas illimitée, dès lors qu'elle est encadrée par l'article 5 du règlement n° 615-98. Ce n'est qu'au vu des documents visés au paragraphe 2 dudit article 5, des rapports de contrôle visés à l'article 4 de ce règlement et/ou de tout autre élément dont elle dispose concernant le respect des dispositions visées à l'article 1er dudit règlement que l'autorité compétente peut estimer que la directive 91-628 n'a pas été respectée.
40 Or, les documents visés à l'article 5 du règlement n° 615-98 et les rapports visés à l'article 4 du même règlement sont tous relatifs à l'état physique et/ou à la santé des animaux pendant leur transport. L'autorité compétente ne peut donc considérer que la directive 91-628 n'a pas été respectée que sur le fondement de documents relatifs à la santé des animaux qui doivent être fournis par l'exportateur, tels que l'exemplaire de contrôle T5 qui permet de vérifier, notamment, si les animaux étaient aptes au voyage et si le moyen de transport était conforme aux dispositions de ladite directive.
41 Cette interprétation ne saurait être remise en cause par les termes de l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98, selon lesquels l'autorité compétente peut également estimer que la directive 91-628 n'a pas été respectée au vu de tout autre élément dont elle dispose. En effet, ces termes doivent également être interprétés en ce sens qu'ils visent des éléments ayant une incidence sur le bien-être des animaux.
42 Dans ces conditions, l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 doit être interprété en ce sens que le non-respect de la directive 91-628, susceptible d'entraîner une réduction ou une perte de la restitution à l'exportation, vise les dispositions de cette directive ayant une incidence sur le bien-être des animaux, c'est-à-dire sur leur état physique et/ou leur santé et non celles desdites dispositions qui n'ont pas, en principe, une telle incidence.
43 Les conditions fixées à l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 sont donc conformes au principe de proportionnalité.
44 Il appartient à l'autorité compétente d'apprécier si la méconnaissance d'une disposition de la directive 91-628 a eu une incidence sur le bien-être des animaux, si une telle méconnaissance peut, le cas échéant, être rectifiée et si elle doit entraîner la perte, la réduction ou le maintien de la restitution à l'exportation. Il appartient également à cette même autorité de décider s'il y a lieu de réduire la restitution à l'exportation au prorata du nombre d'animaux susceptibles d'avoir, selon elle, souffert du non-respect de la directive 91-628 ou s'il convient de ne pas payer cette restitution dans la mesure où le non-respect d'une disposition de ladite directive a eu des incidences sur le bien-être de l'ensemble des animaux.
45 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, force est de conclure que l'examen des conditions d'octroi des restitutions à l'exportation n'a révélé aucun élément permettant de considérer que l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 est manifestement inapproprié par rapport à l'objectif poursuivi, à savoir assurer, dans le cadre du régime des restitutions à l'exportation, la protection des animaux vivants en cours de transport.
46 Il s'ensuit que l'examen de la seconde question n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 au regard du principe de proportionnalité. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier que les autorités compétentes ont fait une application des dispositions pertinentes du règlement n° 615-98 qui soit conforme audit principe.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) dit pour droit:
1) L'examen de la première question n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'article 1er du règlement (CE) n° 615-98 de la Commission, du 18 mars 1998, portant modalités particulières d'application du régime des restitutions à l'exportation en ce qui concerne le bien-être des animaux vivants de l'espèce bovine en cours de transport.
2) L'examen de la seconde question n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'article 5, paragraphe 3, du règlement n° 615-98 au regard du principe de proportionnalité. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier que les autorités compétentes ont fait une application des dispositions pertinentes du règlement n° 615-98 qui soit conforme audit principe.