CJCE, 2e ch., 11 novembre 2004, n° C-457/02
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Procédure pénale contre Niselli
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
Mme Kokott
Juges :
MM. Gulmann, Puissochet
Avocats :
Mes Mattrella, Morigi, Fiorilli, Bambara
LA COUR (deuxième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de la directive 75-442-CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91-156-CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32), et par la décision 96-350-CE de la Commission, du 24 mai 1996 (JO L 135, p. 32, ci-après la "directive 75-442").
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'une procédure pénale engagée à l'encontre de M. Niselli, prévenu d'avoir exercé une activité de gestion de déchets sans autorisation préalable de l'autorité compétente.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 La directive 75-442 vise à rapprocher les législations nationales en ce qui concerne la gestion des déchets.
4 L'article 1er, sous a), premier alinéa, de cette directive définit le déchet comme "toute substance ou tout objet qui relève des catégories figurant à l'annexe I, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire".
5 L'annexe I de la directive 75-442, intitulée "Catégories de déchets", mentionne notamment, à son point Q 1, les "[r]ésidus de production ou de consommation non spécifiés ci-après", à son point Q 14, les "[p]roduits qui n'ont pas ou plus d'utilisation pour le détenteur (par exemple articles mis au rebut par l'agriculture, les ménages, les bureaux, les magasins, les ateliers, etc.)" et, à son point Q 16, "[t]oute matière, substance ou produit qui n'est pas couvert par les catégories ci-dessus".
6 L'article 1er, sous a), second alinéa, de la directive 75-442 a confié à la Commission des Communautés européennes la tâche d'établir "une liste des déchets appartenant aux catégories énumérées à l'annexe I" (ci-après la "liste de déchets"). Tel est l'objet de la décision 2000-532-CE de la Commission, du 3 mai 2000, remplaçant la décision 94-3-CE établissant une liste de déchets en application de l'article 1er, point a), de la directive 75-442 et la décision 94-904-CE du Conseil établissant une liste de déchets dangereux en application de l'article 1er, paragraphe 4, de la directive 91-689-CEE du Conseil relative aux déchets dangereux (JO L 226, p. 3). Cette liste a été modifiée à plusieurs reprises et notamment, en dernier lieu, par la décision 2001-573-CE du Conseil, du 23 juillet 2001 (JO L 203, p. 18). La liste des déchets est entrée en vigueur le 1er janvier 2002. Figurent au chapitre 17 de cette liste les "[d]échets de construction et de démolition (y compris déblais provenant de sites contaminés)". Différents types de déchets métalliques sont énumérés sous le code 17 04 de ce chapitre. L'introduction à la liste des déchets précise que celle-ci est une liste harmonisée qui sera périodiquement revue, mais que, toutefois, "l'inscription sur la liste ne signifie pas que la matière ou l'objet en question soit un déchet dans tous les cas. L'inscription ne vaut que si la matière ou l'objet répond à la définition du terme 'déchet' figurant à l'article 1er, point a), de la directive 75-442".
7 L'article 1er, sous b), de ladite directive définit le "producteur" comme "toute personne dont l'activité a produit des déchets ('producteur initial') et/ou toute personne qui a effectué des opérations de prétraitement, de mélange ou autres conduisant à un changement de nature ou de composition de ces déchets".
8 Quant au "détenteur", il est défini à l'article 1er, sous c), de la directive 75-442 comme le "producteur des déchets ou la personne physique ou morale qui a les déchets en sa possession".
9 L'article 1er, sous d), de ladite directive définit la "gestion" des déchets comme "la collecte, le transport, la valorisation et l'élimination des déchets, y compris la surveillance de ces opérations ainsi que la surveillance des sites de décharge après leur fermeture".
10 L'article 1er, sous e) et f), définit l'"élimination" et la "valorisation" des déchets comme toute opération prévue, respectivement, aux annexes II A et II B. Ces annexes ont été adaptées au progrès scientifique et technique par la décision 96-350-CE de la Commission, du 24 mai 1996 (JO L 135, p. 32). Parmi les opérations de valorisation énumérées à l'annexe II B figurent, au point R 4, le "[r]ecyclage ou récupération des métaux et des composés métalliques" et, au point R 13, le "[s]tockage de déchets préalablement à l'une des opérations [mentionnées dans ladite annexe] (à l'exclusion du stockage temporaire, avant collecte, sur le site de production)".
11 L'article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 75-442 dispose notamment que les États membres prennent des mesures appropriées pour promouvoir la valorisation des déchets par recyclage, réemploi, récupération ou toute autre action visant à obtenir des matières premières secondaires.
12 L'article 4 de la même directive prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les déchets seront valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l'homme et sans que soient utilisés des procédés ou méthodes susceptibles de porter préjudice à l'environnement, et notamment sans créer de risque pour l'eau, l'air ou le sol, ni pour la faune et la flore, et sans porter atteinte aux paysages et aux sites présentant un intérêt particulier. Cet article précise que les États membres prennent, en outre, les mesures nécessaires pour interdire l'abandon, le rejet et l'élimination incontrôlée des déchets.
13 Les articles 9 et 10 de la directive 75-442 disposent que tout établissement ou toute entreprise qui effectue des opérations d'élimination des déchets ou des opérations de valorisation des déchets doit obtenir une autorisation de l'autorité compétente.
14 Une dispense d'autorisation est néanmoins prévue, sous certaines conditions, à l'article 11 de la directive 75-442.
La réglementation nationale
15 La directive 75-442 a fait l'objet d'une transposition en droit italien par le décret législatif n° 22, portant application des directives 91-156-CEE relative aux déchets, 91-689-CEE relative aux déchets dangereux et 94-62-CE relative aux emballages et aux déchets d'emballages, du 5 février 1997 (supplément ordinaire à la GURI nº 38, du 15 février 1997), modifié par le décret législatif n° 389, du 8 novembre 1997 (GURI n° 261, du 8 novembre 1997, ci-après le "décret législatif n° 22-97").
16 L'article 6, paragraphe 1, sous a), du décret législatif n° 22-97 définit le "déchet" comme "toute substance ou tout objet qui relève des catégories figurant à l'annexe A, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire". L'annexe A du même décret législatif reprend la liste des "catégories de déchets" de l'annexe I de la directive 75-442. Par ailleurs, les annexes B, C et D du décret législatif n° 22-97 énumèrent respectivement les opérations d'élimination et celles de valorisation des déchets, de la même façon que les annexes II A et II B de la directive 75-442, ainsi que les déchets dangereux, au sens de l'article 1er, paragraphe 4, de la directive 91-689.
17 Pour la gestion de certains types de déchets, le décret législatif n° 22-97 exige une autorisation administrative. Dans ce cas, le défaut d'autorisation est sanctionné pénalement.
18 Postérieurement à l'engagement de la procédure pénale faisant l'objet de l'affaire au principal, est intervenu le décret-loi n° 138, du 8 juillet 2002 (GURI n° 158, du 8 juillet 2002), devenu loi nº 178, du 8 août 2002 (GURI n° 187, du 10 août 2002, ci-après le "décret-loi n° 138-02").
19 À l'article 14 de ce décret-loi, figure une "interprétation authentique" de la définition du "déchet" au sens du décret législatif n° 22-97, qui précise ce qui suit:
"1. Les termes 'se défait', 'a l'intention' ou 'a l'obligation de se défaire' visés à l'article 6, paragraphe 1, sous a), du décret législatif [n° 22-97], et ses modifications ultérieures, [...] s'interprètent comme suit:
a) 'se défait': tout comportement par lequel de façon directe ou indirecte une substance, un objet ou un bien sont adressés ou soumis à l'activité d'élimination ou de valorisation, selon les annexes B et C du décret législatif [n° 22-97];
b) 'a l'intention': la volonté de destiner des substances, objets ou biens à des opérations d'élimination et de valorisation, selon les annexes B et C du décret législatif [n° 22-97];
c) 'a l'obligation de se défaire': l'obligation de soumettre un objet, une substance ou un bien à des opérations de valorisation ou d'élimination, prévue par une disposition de loi ou par un acte des autorités publiques ou imposée par la nature même de l'objet, de la substance ou du bien ou en raison du fait que ceux-ci figurent sur la liste des déchets dangereux visés par l'annexe D du décret législatif [n° 22-97].
2. Les lettres b) et c) du paragraphe 1 ne s'appliquent pas aux biens, substances ou objets qui sont des résidus de production ou de consommation lorsqu'une des conditions suivantes est remplie:
a) ils peuvent être ou sont effectivement et objectivement réutilisés dans le même cycle de production ou de consommation ou dans un cycle analogue ou différent, sans subir aucun traitement préalable et sans nuire à l'environnement;
b) ils peuvent être ou sont effectivement et objectivement réutilisés dans le même cycle de production ou de consommation, ou dans un cycle analogue ou différent, après avoir subi un traitement préalable sans nécessiter aucune opération de valorisation parmi celles énumérées à l'annexe C du décret législatif [n° 22-97]."
Le litige au principal et les questions préjudicielles
20 M. Niselli, responsable légal de la société ILFER SpA, a été inculpé pour le délit d'activité de gestion de déchets sans autorisation. En effet, un semi-remorque d'ILFER SpA a été saisi par les carabiniers alors qu'il transportait des matériaux ferreux sans disposer du formulaire d'identification des déchets prévu par le décret législatif n° 22-97. Il est apparu, en outre, que le semi-remorque n'était pas inscrit au registre national des entreprises de gestion des déchets, comme le prévoit le même décret législatif.
21 Selon un rapport technique rendu en cours de procédure, les matériaux saisis provenaient de la démolition de machines et de véhicules ou de la collecte d'objets mis au rebut. Ils avaient pour caractéristiques communes leur composition ferreuse, tant pure qu'en alliage avec d'autres métaux, et d'être contaminés en partie par des substances de nature organique comme des vernis, des graisses ou des fibres. Ils résultaient de divers cycles technologiques dont ils avaient été retirés parce qu'ils n'étaient plus utilisables dans ceux-ci.
22 S'agissant de la suite à donner à la procédure pénale après l'entrée en vigueur du décret-loi n° 138-02, le Tribunale penale di Terni s'interroge en substance sur l'"interprétation authentique" de la notion de déchet donnée à l'article 14 du décret-loi n° 138-02, qui pourrait être contraire à la directive 75-442. Selon cette interprétation, les faits reprochés à M. Niselli ne constitueraient plus un délit, car la ferraille saisie était destinée à être réutilisée et ne pourrait donc pas être qualifiée de déchet. Toutefois, dans l'hypothèse où cette interprétation serait incompatible avec la directive 75-442, la procédure pénale devrait se poursuivre sur la base de l'inculpation prononcée.
23 Tout en précisant que la Commission a engagé contre la République italienne une procédure pour manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 75-442, le Tribunale penale di Terni a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Est-il possible que la notion de déchet dépende de façon limitative de la condition suivante, à savoir que les termes 'se défait', 'a l'intention' ou 'a l'obligation de se défaire', transposés en Italie par l'article 6, paragraphe 1, sous a), du décret législatif [n° 22-97], soient interprétés comme suit:
a) 'se défait': tout comportement par lequel de façon directe ou indirecte une substance, un objet ou un bien sont adressés ou soumis à l'activité d'élimination ou de valorisation, selon les annexes B et C du décret législatif [n° 22-97];
b) 'a l'intention': la volonté de destiner des substances, objets ou biens à des opérations d'élimination et de valorisation, selon les annexes B et C du décret législatif [n° 22-97];
c) 'a l'obligation de se défaire': l'obligation de soumettre un objet, une substance ou un bien à des opérations de valorisation ou d'élimination, prévue par une disposition de loi ou par un acte des autorités publiques ou imposée par la nature même de l'objet, de la substance ou du bien ou en raison du fait que ceux-ci figurent sur la liste des déchets dangereux visés par l'annexe D du décret législatif [n° 22-97] ?
2) Est-il possible que, de façon limitative, la notion de déchet ne soit pas applicable aux biens, substances et objets qui sont des résidus de production ou de consommation lorsque l'une des conditions suivantes est remplie:
a) s'ils peuvent être ou sont effectivement et objectivement réutilisés dans le même cycle de production ou de consommation ou dans un cycle analogue ou différent, sans subir aucun traitement préalable et sans nuire à l'environnement;
b) s'ils peuvent être ou sont effectivement et objectivement réutilisés dans le même cycle de production ou de consommation, ou dans un cycle analogue ou différent, après avoir subi un traitement préalable sans nécessiter aucune opération de valorisation parmi celles énumérées à l'annexe C du décret législatif n° 22-97 en vigueur en Italie (qui a transposé textuellement l'annexe II à la directive 91-156-CEE) ?"
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
24 Le gouvernement italien soutient, d'une part, que l'interprétation du droit communautaire demandée à la Cour est inutile dans la mesure où les difficultés d'interprétation évoquées par la juridiction de renvoi n'existent pas dans la jurisprudence italienne.
25 Le gouvernement italien fait valoir, d'autre part, que les questions préjudicielles sont irrecevables, au motif que la juridiction de renvoi propose en réalité à la Cour de se prononcer sur le manquement reproché à la République italienne dans le cadre de la procédure engagée par la Commission et évoquée dans l'ordonnance de renvoi.
26 Ces deux arguments doivent être rejetés. Il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n'est possible que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire ou l'examen de la validité d'une règle communautaire, demandés par cette juridiction, n'ont aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379-98, Rec. p. I-2099, points 38 et 39).
27 Tel n'est toutefois pas le cas en l'espèce. D'une part, il ressort du dossier que les questions posées à la Cour ont un lien direct avec l'objet du litige pendant devant le Tribunale penale di Terni. D'autre part, l'engagement par la Commission contre la République italienne d'une procédure en manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 75-442 ne rend nullement sans objet les questions préjudicielles.
28 Sans mettre en cause la saisine de la Cour, la Commission a fait valoir pour sa part dans ses observations écrites que le juge national ne pourra pas se référer à la directive 75-442 pour déterminer ou aggraver la responsabilité pénale de M. Niselli, dans l'hypothèse où la Cour constaterait la non-conformité, par rapport à ladite directive, de l'article 14 du décret-loi n° 138-02 qui exclurait la responsabilité pénale de l'intéressé.
29 À cet égard, il convient de rappeler qu'une directive ne peut certes pas, par elle-même, créer d'obligations dans le chef d'un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre (voir, notamment, arrêt du 14 septembre 2000, Collino et Chiappero, C-343-98, Rec. p. I-6659, point 20). De même, une directive ne peut pas avoir pour effet, par elle-même et indépendamment d'une règle de droit d'un État membre prise pour son application, de déterminer ou d'aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions (voir, notamment, arrêts du 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen, 80-86, Rec. p. 3969, point 13, et du 26 septembre 1996, Arcaro, C-168-95, Rec. p. I-4705, point 37).
30 Toutefois, en l'espèce, il est constant que, à l'époque des faits ayant suscité la procédure pénale à l'encontre de M. Niselli, ceux-ci pouvaient, le cas échéant, constituer des infractions réprimées pénalement. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de s'interroger sur les conséquences qui pourraient découler du principe de la légalité des peines pour l'application de la directive 75-442 (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 1997, Tombesi e.a., C-304-94, C-330-94, C-342-94 et C-224-95, Rec. p. I-3561, point 43).
31 La demande de décision préjudicielle est donc recevable.
Sur le fond
Sur la première question
32 Par la première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les termes "se défait", "a l'intention de se défaire" ou "a l'obligation de se défaire", utilisés à l'article 1er, sous a), premier alinéa, de la directive 75-442, visent limitativement les cas dans lesquels, respectivement, de façon directe ou indirecte, le détenteur d'une substance ou d'un objet l'adresse ou le soumet à une opération d'élimination ou de valorisation prévue aux annexes II A et II B de cette directive, par renvoi de la législation italienne, ou a la volonté ou l'obligation de le faire en vertu d'une loi, d'un acte des autorités publiques, ou en raison de la nature même de la substance ou de l'objet en cause, ou de sa mention dans la liste des déchets dangereux.
33 Le champ d'application de la notion de déchet dépend de la signification du verbe "se défaire". Celui-ci doit être interprété à la lumière de l'objectif de la directive 75-442, qui, aux termes de son troisième considérant, est la protection de la santé de l'homme et de l'environnement contre les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, le traitement, le stockage et le dépôt des déchets, ainsi qu'à la lumière de l'article 174, paragraphe 2, CE, qui stipule que la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé et est fondée, notamment, sur les principes de précaution et d'action préventive (voir, notamment, arrêt du 18 avril 2002, Palin Granit et Vehmassalon kansanterveystyön kuntayhtymän hallitus, C-9-00, Rec. p. I-3533, ci-après l'"arrêt Palin Granit", points 22 et 23).
34 Aucun critère déterminant n'est cependant proposé par la directive 75-442 pour déceler la volonté du détenteur de se défaire d'une substance ou d'un objet donnés. En l'absence de dispositions communautaires, les États membres sont libres quant au choix des modes de preuve des différents éléments définis dans les directives qu'ils transposent, pour autant que cela ne porte pas atteinte à l'efficacité du droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 15 juin 2000, ARCO Chemie Nederland e.a., C-418-97 et C-419-97, Rec. p. I-4475, point 41).
35 Selon l'interprétation de la notion de déchet exposée par la juridiction de renvoi, la destination à des opérations d'élimination et de valorisation d'une substance ou d'un objet est analysée comme la manifestation de l'acte, de l'intention ou de l'obligation de "s'en défaire" au sens de l'article 1er, sous a), premier alinéa, de la directive 75-442.
36 Or, en définissant l'action de se défaire d'une substance ou d'un objet à partir de la seule mise en œuvre d'une opération d'élimination ou de valorisation mentionnée aux annexes II A et II B de la directive 75-442, cette interprétation fait dépendre la qualification de déchet d'une opération qui ne peut elle-même recevoir sa qualification d'élimination ou de valorisation que si elle s'applique à un déchet. Cette interprétation n'apporte par conséquent aucune précision sur la notion de déchet.
37 À cet égard, il convient de rappeler que la circonstance qu'une substance est soumise à une opération mentionnée aux annexes II A ou II B de la directive 75-442 ne permet pas de conclure qu'on s'en défait et de considérer, dès lors, cette substance comme un déchet (arrêt Palin Granit, précité, point 27). Ainsi, si l'interprétation en cause était appliquée en ce sens que toute substance ou tout objet faisant l'objet de l'un des types d'opérations mentionnés aux annexes II A et II B de la directive 75-442 doit être qualifié de déchet, elle conduirait à qualifier comme tels des substances ou objets qui n'en sont pas au sens de ladite directive. Par exemple, selon cette interprétation, du fuel utilisé en tant que combustible constituerait toujours un déchet, puisqu'il serait soumis, au moment d'être brûlé, à l'opération relevant de la catégorie R 1 de l'annexe II B de la directive 75-442.
38 Mais surtout, si l'interprétation exposée par la juridiction de renvoi était appliquée en ce sens qu'une substance ou un objet dont on se défait d'une autre façon que celles mentionnées dans les annexes II A et II B de la directive 75-442 ne constitue pas un déchet, elle restreindrait aussi la notion de déchet telle qu'elle résulte de l'article 1er, sous a), premier alinéa, de ladite directive. Ainsi, une substance ou un objet non soumis à une obligation d'élimination ou de valorisation et dont le détenteur se défait par simple abandon, sans le soumettre à une telle opération, ne serait pas qualifié de déchet alors qu'il en serait un au sens de la directive 75-442.
39 Le fait que l'abandon d'un déchet ne peut être considéré comme un mode d'élimination de ce déchet ressort en particulier de l'article 4, second alinéa, de la directive 75-442, selon lequel "[l]es États membres prennent [...] les mesures nécessaires pour interdire l'abandon, le rejet et l'élimination incontrôlée des déchets". Cette disposition distingue bien l'abandon de l'élimination. Il en découle que l'abandon et l'élimination d'un objet ou d'une substance constituent deux façons, parmi d'autres, de s'en défaire au sens de l'article 1er, premier alinéa, sous a), de la directive 75-442.
40 Il y a donc lieu de répondre à la première question que la définition du déchet donnée à l'article 1er, sous a), premier alinéa, de la directive 75-442 ne peut pas être interprétée comme visant limitativement les substances ou objets adressés ou soumis aux opérations d'élimination ou de valorisation mentionnées aux annexes II A et II B de ladite directive ou dans des listes équivalentes, ou dont leur détenteur a la volonté ou l'obligation de les y destiner.
Sur la seconde question
41 Par la seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si peuvent être exclus de la notion de déchet au sens de l'article 1er, sous a), premier alinéa, de la directive 75-442 les résidus de production ou de consommation lorsqu'ils peuvent être ou sont réutilisés dans le même cycle de production ou de consommation ou dans un cycle analogue ou différent, sans subir de traitement préalable et sans nuire à l'environnement, ou après avoir subi un traitement préalable sans pour autant nécessiter une opération de valorisation parmi celles énumérées à l'annexe C du décret législatif n° 22-97, qui a transposé en droit interne textuellement l'annexe II B de la directive 75-442.
42 Comme le souligne le gouvernement italien, l'interprétation faisant l'objet de la seconde question vise à exclure de la notion de déchet, à certaines conditions, les résidus de production ou de consommation susceptibles d'être réutilisés.
43 Ainsi que la Cour l'a jugé, la circonstance qu'une substance utilisée est un résidu de production constitue, en principe, un indice de l'existence d'une action, d'une intention ou d'une obligation de s'en défaire au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 75-442 (voir arrêt ARCO Chemie Nederland e.a., précité, point 84). La même appréciation s'impose en ce qui concerne les résidus de consommation.
44 Peut cependant être admise une analyse selon laquelle un bien, un matériau ou une matière première résultant d'un processus de fabrication ou d'extraction qui n'est pas destiné principalement à le produire peut constituer non pas un résidu, mais un sous-produit, dont l'entreprise ne souhaite pas "se défaire", au sens de l'article 1er, sous a), premier alinéa, de la directive 75-442, mais qu'elle entend exploiter ou commercialiser dans des conditions pour elle avantageuses, dans un processus ultérieur, sans opération de transformation préalable. Une telle analyse n'est en effet pas contraire aux objectifs de la directive 75-442, car il n'y a aucune justification à soumettre aux dispositions de celle-ci, qui sont destinées à prévoir l'élimination ou la valorisation des déchets, des biens, des matériaux ou des matières premières qui ont économiquement la valeur de produits, indépendamment d'une quelconque transformation, et qui, en tant que tels, sont soumis à la législation applicable à ces produits (voir arrêt Palin Granit, précité, points 34 et 35).
45 Cependant, eu égard à l'obligation d'interpréter largement la notion de déchet, aux fins de limiter les inconvénients ou nuisances inhérents à leur nature, le recours à cette argumentation relative aux sous-produits doit être restreint aux situations dans lesquelles la réutilisation d'un bien, d'un matériau ou d'une matière première n'est pas seulement éventuelle, mais certaine, sans transformation préalable, et dans la continuité du processus de production (arrêt Palin Granit, précité, point 36).
46 Outre le critère tiré de la nature ou non de résidu de production d'une substance, le degré de probabilité de réutilisation de cette substance, sans opération de transformation préalable, constitue donc un second critère pertinent aux fins d'apprécier si elle est ou non un déchet au sens de la directive 75-442. Si, au-delà de la simple possibilité de réutiliser la substance, il existe un avantage économique pour le détenteur à le faire, la probabilité d'une telle réutilisation est forte. Dans une telle hypothèse, la substance en cause ne peut plus être analysée comme une charge dont le détenteur chercherait à "se défaire", mais comme un authentique produit (arrêt Palin Granit, précité, point 37).
47 Il ressort de ce qui précède qu'il est admis, au regard des objectifs de la directive 75-442, de qualifier un bien, un matériau ou une matière première, résultant d'un processus de fabrication ou d'extraction qui n'est pas destiné principalement à le produire, non pas de déchet, mais de sous-produit dont son détenteur ne souhaite pas "se défaire" au sens de l'article 1er, sous a), premier alinéa, de cette directive, à la condition que sa réutilisation soit certaine, sans transformation préalable, et dans la continuité du processus de production (voir arrêt du 11 septembre 2003, AvestaPolarit Chrome, C-114-01, Rec. p. I-8725).
48 Toutefois, cette dernière analyse n'est pas valable en ce qui concerne les résidus de consommation qui ne peuvent pas être considérés comme des "sous-produits" d'un processus de fabrication ou d'extraction susceptibles d'être réutilisés dans la continuité du processus de production.
49 Une analyse voisine ne peut pas non plus être retenue à l'égard de tels résidus qui ne sauraient être qualifiés de biens d'occasion réutilisés de manière certaine et comparable, sans transformation préalable.
50 Or, selon l'interprétation résultant d'une disposition telle que l'article 14 du décret-loi n° 138-02, il suffirait, pour qu'un résidu de production ou de consommation échappe à la qualification de déchet, qu'il soit ou qu'il puisse être réutilisé dans tout cycle de production ou de consommation, soit sans traitement préalable et sans nuisance à l'environnement, soit après avoir subi un traitement préalable sans pour autant nécessiter une opération de valorisation au sens de l'annexe II B de la directive 75-442.
51 À l'évidence, une telle interprétation conduit à soustraire à la qualification de déchet des résidus de production ou de consommation qui répondent pourtant à la définition posée à l'article 1er, sous a), premier alinéa, de la directive 75-442.
52 À cet égard, des matériaux tels que ceux dont il est question dans le litige au principal ne sont pas réutilisés de manière certaine et sans transformation préalable dans la continuité d'un même processus de production ou d'utilisation, mais sont des substances ou des objets dont leurs détenteurs se sont défait. Selon les explications de M. Niselli, les matériaux litigieux ont ensuite été soumis à un tri, et éventuellement à certains traitements, et ils constituent une matière première secondaire destinée à la sidérurgie. Dans un tel contexte, ils doivent cependant rester qualifiés de déchets jusqu'à avoir été effectivement recyclés en produits sidérurgiques, c'est-à-dire jusqu'à constituer les produits achevés du processus de transformation auquel ils sont destinés. Dans les phases antérieures, ils ne peuvent en effet pas encore être considérés comme recyclés, puisque ledit processus de transformation n'est pas terminé. Inversement, sous réserve du cas où les produits obtenus seraient à leur tour délaissés, le moment auquel les matériaux en cause perdent la qualification de déchet ne saurait être fixé à un stade industriel ou commercial postérieur à leur transformation en produits sidérurgiques, car, dès ce moment, ils ne peuvent guère être distingués d'autres produits sidérurgiques issus de matières premières primaires (voir, pour le cas particulier des déchets d'emballages recyclés, arrêt du 19 juin 2003, Mayer Parry Recycling, C-444-00, Rec. p. I-6163, points 61 à 75).
53 Il convient donc de répondre à la seconde question que la notion de déchet au sens de l'article 1er, sous a), premier alinéa, de la directive 75-442 ne doit pas être interprétée comme excluant l'ensemble des résidus de production ou de consommation qui peuvent être ou sont réutilisés dans un cycle de production ou de consommation, soit sans traitement préalable et sans nuisance à l'environnement, soit après avoir subi un traitement préalable sans pour autant nécessiter une opération de valorisation au sens de l'annexe II B de cette directive.
Sur les dépens
54 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (deuxième chambre) dit pour droit:
1) La définition du déchet donnée à l'article 1er, sous a), premier alinéa, de la directive 75-442-CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, telle que modifiée par la directive 91-156-CEE du Conseil, du 18 mars 1991, et par la décision 96-350-CE de la Commission, du 24 mai 1996, ne peut pas être interprétée comme visant limitativement les substances ou objets adressés ou soumis aux opérations d'élimination ou de valorisation mentionnées aux annexes II A et II B de ladite directive, ou dans des listes équivalentes, ou dont leur détenteur a la volonté ou l'obligation de les y destiner.
2) La notion de déchet au sens de l'article 1er, sous a), premier alinéa, de la directive 75-442, telle que modifiée par la directive 91-156 et par la décision 96-350, ne doit pas être interprétée comme excluant l'ensemble des résidus de production ou de consommation qui peuvent être ou sont réutilisés dans un cycle de production ou de consommation, soit sans traitement préalable et sans nuisance à l'environnement, soit après avoir subi un traitement préalable sans pour autant nécessiter une opération de valorisation au sens de l'annexe II B de cette directive.