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Décisions

CJCE, 10 octobre 1973, n° 34-73

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fratelli Variola Spa

Défendeur :

Administration des finances italienne

CJCE n° 34-73

10 octobre 1973

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 12 janvier 1973 parvenue au greffe de la Cour le 27 février 1973, le Président du Tribunal de Trieste a demandé à celle-ci de statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation des règlements du Conseil n° 19, du 4 avril 1962, et 120-67-CEE, du 13 juin 1967, relatifs à l'organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, ainsi que sur certaines questions relatives à l'effet direct des règles du droit communautaire dans l'ordre juridique des Etats membres;

Sur la première question

2. Attendu que, par la première question, la Cour est invitée à dire si la notion de taxe d'effet équivalant aux droits de douane, visée aux articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 et aux articles 18 et 21 du règlement n° 120-67, est la même que celle visée aux articles 9 et suivants du traité;

3. Attendu que les dispositions du traité interdisant aux Etats membres de percevoir, dans les échanges intracommunautaires, des taxes d'effet équivalant aux droits de douane poursuivent le but d'assurer la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté;

Que les dispositions réglementaires relatives à l'organisation du marché agricole poursuivent, d'une part, ce même but pour autant qu'elles interdisent la perception de tout droit de douane ou taxe d'effet équivalent dans les échanges intracommunautaires et, d'autre part, le but d'assurer un régime uniforme aux frontières extérieures de la Communauté pour autant que ces dispositions établissent une pareille interdiction visant les importations en provenance des pays tiers;

Qu'aucun élément n'existe qui pourrait justifier des interprétations différentes de la notion de "taxe d'effet équivalent" telle qu'elle figure aux articles 9 et suivants du traité, d'une part, et aux articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 et 18 et 21 du règlement n° 120-67, d'autre part;

Sur la deuxième question

4. Attendu que, par la deuxième question, il est demandé à la Cour de dire si une taxe appliquée uniquement sur les marchandises importées - en provenance soit d'autres pays membres, soit de pays tiers - du seul fait que les marchandises sont débarquées dans les ports nationaux, constitue une "taxe d'effet équivalant aux doits de douane", interdite en vertu des dispositions réglementaires citées;

5. Attendu qu'il ressort du dossier qu'il s'agit, en l'occurrence, de la taxe dite "droit de débarquement" prévue à l'article 27 de la loi italienne n° 82 du 9 février 1963 sur les taxes et droits maritimes et perçue sur les marchandises qui, en provenance de l'étranger, sont débarquées dans les ports, rades ou rivages de l'Etat en vue de leur importation définitive ou temporaire;

Que ce droit de débarquement s'élève, pour les céréales, à 30 lires par tonne métrique;

Que son produit est affecté à l'équipement des ports et aux travaux de manutention;

6. Attendu que l'interdiction de tout droit de douane et de toute taxe d'effet équivalent vise toute taxe exigée à l'occasion ou en raison de l'importation et qui, frappant spécifiquement le produit importé à l'exclusion du produit de provenance nationale, a sur la libre circulation des marchandises la même incidence restrictive qu'un droit de douane;

Que, quelque minime que soit une telle taxe, sa perception constitue, avec les formalités administratives auxquelles elle donne lieu, un obstacle à la libre circulation des marchandises;

Sur les questions 3 et 6, 7

Attendu que, par les troisième et sixième questions, il est demandé à la Cour si les dispositions des articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 et des articles 18 et 21 du règlement n° 120-67 doivent être considérées comme des règles directement applicables dans les Etats membres, conférant ainsi aux particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder;

8. Attendu qu'aux termes de l'article 189, alinéa 2, du traité, le règlement " a une portée générale " et " est directement applicable dans tout Etat membre ";

Que dès lors, en raison de sa nature même et de sa fonction dans le système des sources du droit communautaire, il produit des effets immédiats et est, comme tel, apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l'obligation de protéger;

Qu'il y a donc lieu de donner une réponse affirmative à la question posée;

Sur les questions 4 et 5

9. Attendu que, par les quatrième et cinquième questions, il est en substance demandé à la Cour si l'introduction des dispositions réglementaires litigieuses dans l'ordre juridique des Etats membres peut être réalisée par des mesures internes qui reproduisent le contenu des dispositions communautaires de sorte que la matière serait soumise au droit national et, par voie de conséquence, la compétence de la Cour affectée;

10. Attendu que l'applicabilité directe d'un règlement exige que son entrée en vigueur et son application en faveur ou à la charge des sujets de droit se réalisent sans aucune mesure portant réception dans le droit national;

Que les Etats membres sont tenus, en vertu des obligations qui découlent du traité et qu'ils ont assumés en ratifiant celui-ci, à ne pas entraver l'effet direct propre aux règlements et à d'autres règles du droit communautaire;

Que le respect scrupuleux de ce devoir est une condition indispensable à l'application simultanée et uniforme des règlements communautaires dans l'ensemble de la Communauté;

11. Que, plus particulièrement, les Etats membres sont tenus de ne prendre aucune mesure susceptible d'affecter la compétence de la Cour pour se prononcer sur toute question d'interprétation du droit communautaire ou de validité d'un acte pris par les institutions de la Communauté, ce qui implique qu'aucun procédé ne serait admissible par lequel la nature communautaire d'une règle juridique serait dissimulée aux justiciables;

Que la compétence de la Cour, notamment en vertu de l'article 177, reste entière nonobstant toute disposition législative nationale qui prétendrait transformer en droit national une règle de droit communautaire;

Sur la question 7

12. Attendu que, par la septième question, la Cour est invitée à dire si les droits conférés aux particuliers par les articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 demeurent valides après l'entrée en vigueur du règlement n° 120-67;

13. Attendu qu'il ressort de l'article 33 du règlement n° 120-67 que le régime prévu par celui-ci a été applicable à partir du 1er juillet 1967 et que le règlement n° 19-62 est abrogé à cette même date;

Que dès lors, en raison de sa nature même et de sa fonction dans le système des sens contraires, la suppression des droits individuels nés en vertu de ses dispositions [sic];

Que, d'autre part, les interdictions aux Etats de percevoir des taxes d'effet équivalant aux droits de douane, énoncés aux articles 18 et 20 du règlement n° 19-62, sont reprises par les articles 18 et 21 du règlement n° 120-67;

Qu'il y a donc lieu de conclure que les droits nés en faveur des particuliers sur base des articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 demeurent en vigueur, sans interruption, à la suite de l'entrée en vigueur du règlement n° 120-67;

Sur la question 8

14. Attendu que, par la huitième question, la Cour est invitée à dire si un Etat membre, par une disposition législative adoptée après l'entrée en vigueur des règlements litigieux, peut modifier la date à partir de laquelle l'interdiction des taxes d'effet équivalent doit produire ses effets;

Qu'il ressort du dossier que cette question est posée à l'occasion de la loi italienne n° 447 du 24 juin 1971 par laquelle sont abolis le droit de statistique et le droit pour services administratifs que la Cour, par ses arrêts du 1er juillet 1969 dans l'affaire 24-68 (Recueil 1969, p. 193) et du 18 novembre 1970 dans l'affaire 8-70 (Recueil 1970, p. 961), a déclarés incompatibles avec les dispositions communautaires interdisant la perception des droits d'effet équivalant aux droits de douane;

Que la loi dispose que l'abolition n'est comptée qu'à partir de son entrée en vigueur, c'est-à-dire le 1er août 1971, sauf en ce qui concerne le droit pour services administratifs perçu sur les marchandises importées des autres Etats membres, qui est aboli à partir du 30 juin 1968;

15. Attendu que l'effet direct dans l'ordre juridique des Etats membres, propre aux règlements de la Communauté ainsi qu'à d'autres dispositions du droit communautaire, y compris l'interdiction de taxes d'effet équivalant aux droits de douane aux articles 9 et suivants du traité, ne pourrait pas se voir judiciairement opposer un texte législatif de droit interne sans que soit compromis le caractère essentiel des règles communautaires en tant que telles ainsi que le principe fondamental de la primauté de l'ordre juridique communautaire;

Qu'il en est ainsi, en particulier, en ce qui concerne la date à partir de laquelle la règle communautaire produit ses effets et crée des droits en faveur des particuliers;

Qu'une faculté pour les Etats membres, chacun en ce qui le concernerait et sans autorisation expresse, de faire varier la date d'entrée en vigueur de la règle communautaire est exclue en raison de la nécessité d'assurer l'application uniforme et simultanée du droit communautaire dans l'ensemble de la Communauté;

16. Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement et que la procédure revêt le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les autres dépens;

LA COUR, statuant sur les questions à elle soumises par le Président du Tribunal de Trieste par ordonnance du 12 janvier 1973, dit pour droit :

Sur la première question

1) La notion de " taxe d'effet équivalent " visée aux articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 et aux articles 18 et 21 du règlement n° 120-67 doit être entendue dans le même sens qu'aux articles 9 et suivants du traité.

Sur la deuxième question

2) Une taxe qui frappe uniquement les marchandises importées du seul fait qu'elles sont débarquées dans les ports nationaux, constitue une " taxe d'effet équivalant à un droit de douane " et est ainsi interdite, en ce qui concerne l'importation de céréales en provenance soit d'autres pays membres, soit de pays tiers, par les articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 et par les articles 18 et 21 du règlement n° 120-67.

Sur les questions 3 et 6

3) Les dispositions des articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 et des articles 18 et 21 du règlement n° 120-67 portant interdiction aux Etats membres de percevoir toute taxe d'effet équivalant aux droits de douane sont directement applicables dans l'ordre juridique des Etats membres et confèrent ainsi aux particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.

Sur les questions 4 et 5

4) Une mesure législative de droit national reproduisant le contenu d'une règle de droit communautaire directement applicable ne peut en rien affecter cette applicabilité directe, ni affecter les compétences de la Cour en vertu du traité.

Sur la question 7

5) Les droits nés en faveur des particuliers sur base des articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 sont demeurés en vigueur, sans interruption, à la suite de l'entrée en vigueur du règlement n° 120-67.

Sur la question 8

6) L'effet direct des articles 18 et 20 du règlement n° 19-62 et des articles 18 et 21 du règlement n° 120-67 s'oppose à toute mesure législative nationale tendant à modifier la date à partir de laquelle ces dispositions ont pris effet.