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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 11 octobre 2006, n° 04-22481

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Abias-Tadi (Sté)

Défendeur :

Française exotique de disribution en réseau (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Roche, Byk

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller

Avocats :

Mes Tamegnon Hazoume, Barreyre

T. com. Paris, du 3 nov. 2004

3 novembre 2004

La société Abias-Tadi spécialisée dans la production et l'importation de produits agro-alimentaires africains, entretenait depuis 1996 avec la société Française exotique de distribution en réseau (ci-après société Feder) des relations commerciales pour la distribution de ses produits, notamment des chips de banane plantain fabriqués sous la marque "Mister Ho" dans une usine située au Costa Rica. Elle a vendu 30 000 cartons de ces produits à Feder en 2001.

Suivant compte-rendu établi le 27 décembre 2001, les parties se sont alors entendues sur un échéancier précis de livraisons pour le premier semestre 2002, moyennant un règlement à 30 jours. Les livraisons attendues en février et mars 2002 (semaines 8 et 11) n'ont pu avoir lieu dans les délais prévus en raison de difficultés techniques entraînant le transfert de la production dans un autre site du Costa Rica, tandis que Feder connaissait de son côté des difficultés financières (évoquées dans un courriel du 13 mars 2002), entraînant des retards de paiement récurrents. Après avoir protesté à plusieurs reprises contre ces retards, la société Abias-Tadi a exigé par lettre du 27 avril 2002 des conditions de paiement plus restrictives, refusé toute négociation et cessé ses livraisons tout en continuant à livrer un concurrent du distributeur.

C'est dans ces conditions que la société Feder l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris le 2 juin 2003 sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, en paiement de diverses indemnités en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales. La société Abias-Tadi a fait valoir que les nombreux retards intervenus dans les paiements de son cocontractant justifiaient les mesures prises, et contesté toute rupture qui lui soit imputable.

Par jugement contradictoire du 3 novembre 2004, le tribunal saisi a condamné la société Abias-Tadi à payer à la société Feder 60 000 euro de dommages-intérêts déboutant pour le surplus, 1 500 euro pour ses frais irrépétibles et aux dépens.

Régulièrement appelante le 18 novembre 2004, la société Abias-Tadi a demandé à la cour, par conclusions enregistrées le 27 juillet 2006, d'infirmer le jugement et statuant à nouveau, de débouter la société Feder de toutes ses demandes, et de la condamner à lui payer 100 000 euro de dommages-intérêts et 6 000 euro pour ses frais irrépétibles et aux dépens.

La société Française exotique de distribution en réseau (Feder) intimée, a sollicité de la cour, par conclusions enregistrées le 24 mai 2006, de :

- dire que la demande de dommages-intérêts de l'appelante est irrecevable comme nouvelle devant la cour d'appel,

- la débouter de toutes ses demandes

- recevoir la société Feder en son appel incident et statuant à nouveau,

- condamner la société Abias-Tadi à lui verser une indemnité de 500 000 euro en réparation de son préjudice économique, 65 000 euro en réparation de son préjudice commercial ou d'exploitation, 100 000 euro en réparation de son préjudice moral, 5 000 euro pour ses frais irrépétibles et aux dépens.

Sur ce,

Sur la rupture des relations commerciales

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant : ... de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis établie déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ... " ; qu'une modification substantielle par le fournisseur de ses conditions générales de vente ouvre droit à une telle indemnité, dès lors qu'elle est effectuée sans préavis;

Considérant que si la société Abias-Tadi fait à nouveau valoir que les retards de paiement de la société Feder (courriels des 13 mars 2002 et 4 avril 2002) justifiaient à eux seuls son exigence d'un paiement comptant à la commande et non plus à 30 jours, il y a lieu de relever qu'elle-même reconnaissait la rupture de livraison intervenue (courriel du 17 mars 2002) et s'engageait à " sécuriser les approvisionnements et éviter les ruptures ";

Qu'il suit qu'ainsi que l'ont constaté les premiers juges, les deux parties ont manqué à leurs obligations commerciales ; que la société Abias-Tadi n'était dès lors pas fondée à imposer par courrier du 27 avril 2002 à Feder, sans négociation préalable, un paiement comptant à la commande qui constituait une modification essentielle de ses conditions générales de vente et ce alors que le délai de livraison annoncé par ce courrier était de deux mois, ni à cesser toute relation avec Feder sans aucun préavis;

Que le jugement doit être réformé en ce qu'il a considéré que les circonstances de la cause ne permettaient pas de qualifier la rupture de brutale au sens des dispositions susvisées ; que compte tenu de la durée des relations entre les parties entretenues depuis 1996, ce préavis aurait dû être de 8 mois soit jusqu'à la fin de l'année 2002; que la société Abias-Tadi a engagé sa responsabilité à l'égard de la société Feder à ce titre, et lui doit réparation du préjudice causé ; que toutefois la société Feder, qui n'était bénéficiaire d'aucun engagement d'exclusivité de la part de son fournisseur, n'est pas fondée à incriminer la poursuite des relations commerciales entre la société Abias-Tadi et son concurrent sur le marché français, Mr Distribution;

Sur la situation de dépendance économique alléguée par la société Feder

Considérant que l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte non seulement de la notoriété de la marque du fournisseur mais également de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents, qui sont des critères cumulatifs;

Considérant que la société Feder soutient se trouver dans une situation de dépendance économique à l'égard de la société Abias-Tadi, aux motifs que les chips "Mister Ho" constituaient " un produit unique " sur le marché français et qu'ils constituaient 90 % de son chiffre d'affaires "chips ";

Mais considérant que l'intimée, qui n'était liée à la société Abias-Tadi par aucun engagement d'exclusivité et se borne à verser aux débats les photocopies de deux insertions publicitaires mentionnant l'emploi de l'huile de palme rouge pour la cuisson de ce produit alimentaire courant et spécifiant la qualité d'importateur exclusif d'Abias-Tadi pour les chips " Mister Ho ", la première insertion indiquant les coordonnées de ses deux distributeurs en France, Feder et Mr Distribution, la seconde uniquement celles de Mr Distribution, ne démontre pas qu'il lui était impossible de s'approvisionner en produits substituables d'une autre marque, étant encore observé que son chiffre d'affaires " chips " ne représentait que 27 % de son chiffre d'affaires global en 2001 dernière année de pleine exploitation du produit " Mister Ho ";

Que ses prétentions à ce titre ne peuvent qu'être écartées;

Sur le préjudice

Considérant que le préjudice subi par la société Feder est constitué par la privation de chiffre d'affaires pour la durée du préavis et la perte de marge qui s'en est suivie, ainsi que par leur répercussion sur la valeur de son fonds de commerce ; qu'il résulte des éléments sus énoncés et des pièces comptables versées aux débats que c'est par de justes motifs, que la cour fait siens, que les premiers juges prenant en compte la progression attendue du chiffre d'affaires sur ce produit particulier, ont chiffré à 55 390 euro la marge manquée sur la vente de produits " Mister Ho " par la société Feder en 2002, et fixé à 60 000 euro le préjudice subi par la société Feder, ce montant tenant compte de la perte de valeur économique de la société, de sa perte d'image auprès de ses propres clients résultant de la brutalité de la rupture et de son préjudice moral;

Sur la recevabilité de la demande de la société Abias-Tadi fondée sur des faits de concurrence déloyale

Considérant qu'aux termes de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile " les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait" ; qu'aux termes de l'article 565 du même Code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent";

Considérant que la société Feder est bien fondée à soulever l'irrecevabilité de la demande de dommages-intérêts de la société Abias-Tadi pour concurrence déloyale ; qu'en effet cette demande qui tend à d'autres fins qu'une indemnisation des préjudices liés au paiement tardif des factures, en ce qu'elle est fondée sur une faute délictuelle qui résulterait d'actes de concurrence déloyale par copie servile des emballages des produits "Mister Ho", n'a pas été formée devant les premiers juges ;

Considérant que les demandes d'indemnisation de la société Abias-Tadi, à laquelle est imputable la rupture, au titre des retards de paiement de la société Feder, ne peuvent qu'être rejetées dès lors qu'ainsi qu'il a été vu, la société Abias-Tadi n'a pas respecté non plus ses engagements commerciaux en ce qui concerne les délais de livraison des produits;

Considérant qu'il y a lieu, en définitive, de confirmer par motifs propres et adoptés le jugement;

Qu'il est équitable d'allouer à la société Feder 2 000 euro pour ses frais irrépétibles d'appel;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incidents jugés réguliers en la forme, Au fond, Par motifs propres et adoptés, confirme le jugement. Y ajoutant, Déclare irrecevable comme nouvelle en appel la demande de la société Abias-Tadi fondée sur des actes de concurrence déloyale, Déboute la société Abias-Tadi de toutes ses demandes et la société Feder du surplus des siennes, Condamne la société Abias-Tadi à payer à la société Feder 2 000 euro pour ses frais irrépétibles d'appel. La condamne aussi aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct pour la SCP Bernabé Chardin Cheviller.