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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 6 novembre 2006, n° 05-01183

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Comité interprofessionnel du vin de Champagne

Défendeur :

14 Juillet (SA), Stackler (ès qual.), Montravers (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Chaubon

Conseillers :

Mme Breton, M. Alesandrini

Avoués :

SCP Six-Guillaume-Six, SCP Thoma-Le Runigo-Delaveau-Gaudeaux

Avocats :

SCP Brissart-Lechesne, SCP Deflers Andrieu, Associés

TGI Châlons-en-Champagne, du 6 avr. 2005

6 avril 2005

Par un exposé des faits, il convient de rappeler, comme l'a fait le tribunal que par contrat du 6 juillet 1998, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne, ci-après dénommé CIVC, a chargé la SA société 14 Juillet, de conduire les actions de presse des vins de champagne, selon un programme fixé par le comité, moyennant une rémunération mensuelle de 30 000 F par mois.

Par exploit d'huissier en date du 8 avril 2003, la SA société 14 Juillet a fait assigner le CIVC devant le Tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne aux fins de réparation du préjudice résultant de la rupture de ce contrat.

Par jugement du 11 septembre 2003, le Tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SA société 14 Juillet et désigné Maître Renaud Stackler en qualité d'administrateur judiciaire et Maître Marie-Hélène Montravers en qualité de représentant des créanciers.

Le tribunal de grande instance, par jugement du 6 avril 2005, a donné acte à Maître Stackler ès qualités, et Maître Montravers, ès qualités, de leur intervention volontaire, a prononcé la résiliation du contrat conclu le 6 juillet 1998, entre le CIVC et la SA société 14 Juillet, a condamné avec exécution provisoire le CIVC à payer avec intérêts légaux à compter du 8 avril 2004 à la SA la somme de 54 882 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 50 000 euro au titre de la rupture brutale des relations commerciales.

Le tribunal a estimé qu'en supprimant le versement des honoraires mensuels forfaitisés et en fixant un mode de rémunération par opérations réalisées, le CIVC avait respecté le délai contractuellement prévu pour modifier les conditions de rémunération de la SA, mais que la clause contractuelle autorisait seulement la modification du programme et le niveau d'engagement financier et non les modalités de rémunération et l'objet du contrat. En outre, les premiers juges ont retenu que le CIVC ne pouvait soutenir que la SA avait accepté cette modification; il a retenu que le CIVC avait modifié sans concertation l'équilibre et l'économie du contrat, et qu'en outre, il n'avait donné aucun préavis et avait donc rompu brutalement ses relations commerciales avec la société, ce qui justifiait des dommages intérêts.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté par le CIVC à l'encontre de la décision rendue.

Vu ses dernières écritures en date du 23 août 2006 par lesquelles il demande à la cour d'infirmer totalement le jugement déféré, de débouter les mandataires de leurs demandes, d'ordonner le remboursement des sommes versées à tort avec intérêts et de condamner la SA au paiement de frais irrépétibles.

Il fait valoir essentiellement:

- que la SA 14 Juillet n'était pas dans une situation de dépendance économique à son égard, et que la clause d'exclusivité stipulée était limitée,

- qu'il a respecté les dispositions contractuelles existantes entre les parties résultant de l'article 7 du contrat en modifiant les éléments du contrat initial lors de la tacite reconduction et en respectant le délai prévu : elle conteste que le caractère forfaire de la rémunération soit un élément essentiel du contrat et qu'il se devait de maîtriser le niveau de son engagement financier et que compte tenu de la réduction des résultats il se devait de réagir,

- qu'en revanche, la SA société 14 Juillet a elle, rompu leur convention et qu'elle doit en supporter les conséquences.

Vu les dernières écritures de la SA société 14 Juillet, de Maître Stackler ès qualités, et de Maître Montravers ès qualités, par lesquelles ceux-ci demandent pour leur part à la cour d'ordonner la mise hors de cause des mandataires, en application du jugement du 18 mars 2004 du Tribunal de commerce de Paris, de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de condamner le CIVC au paiement de dommages intérêts complémentaires de 50 000 euro des frais irrépétibles.

Ils soutiennent essentiellement que:

- le Tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de cession de la SA et a nommé Maître Stackler en qualité de commissaire à l'exécution du plan,

- le CIVC a dénaturé les termes du contrat, qu'il a modifié unilatéralement les conditions de celui-ci, alors qu'elle se trouvait en position de dépendance,

- le CIVC a changé les éléments essentiels du contrat en supprimant la forfaitisation de ses honoraires,

- le CIVC a manqué à son obligation de bonne foi en usant abusivement de la clause invoquée,

- la SA n'a commis aucun manquement,

- le CIVC n'a pas respecté les délais contractuels,

- elle a subi un préjudice résultant de la rupture fautive du contrat et un second préjudice résultant de la rupture des relations commerciales intervenue dans un contexte abusif et que notamment cette rupture a contribué à déclencher la procédure d'ouverture de redressement judiciaire.

Sur ce

Attendu que par conclusions du 29 août 2006, la SA société 14 Juillet, Maître Stackler ès qualités, et Maître Montravers ès qualités, ont demandé le rejet des débats des conclusions n° 2 du CIVC notifiées le 23 août 2006 et des pièces communiquées par elle le 25 août 2006;

Attendu que la demande de rejet relative aux pièces a été abandonnée;

Attendu que s'agissant des conclusions du 23 août 2006, il convient d'observer qu'elles contiennent des développements et moyens nouveaux auxquels les intimés n'ont pas été en mesure de répondre compte tenu du délai dont ils disposaient avant l'intervention de l'ordonnance de clôture, dont la date était connue, même si celle-ci a été reportée au 4 septembre 2006; que les conclusions du 23 août 2006 du CIVC seront donc écartées des débats;

Attendu que par jugement du 18 mars 2004, le Tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de cession de la SA société 14 Juillet et, après avoir fixé la durée du plan à 2 années a:

- maintenu Maître Stackler ès qualités d'administrateur judiciaire pendant la durée du plan,

- maintenu Maître Montravers ès qualités de représentant des créanciers pour une durée de 3 mois,

- nommé Maître Stackler ès qualités de commissaire à l'exécution du plan;

Qu'il convient donc, en cause d'appel, de mettre hors de cause Maître Stackler ès qualités d'administrateur judiciaire et Maître Montravers ès qualités de représentant des créanciers, seul Maître Stackler ès qualités de commissaire à l'exécution du plan représentent aujourd'hui la SA société 14 Juillet;

Attendu sur le fond que par contrat conclu le 6 juillet 1998, le CIVC a confié à la SA société 14 Juillet, la mission de conduire en France, les actions relations presse des vins de Champagne ; que ce contrat qui prévoyait un honoraire forfaitaire de 30 000 F pour la mise en œuvre du programme général a été conclu pour une durée initiale d'une année renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation du contrat deux mois avant son échéance ;

Que l'article 7 de ce contrat dispose : " en l'absence de dénonciation formelle au moins deux mois avant la date d'échéance, l'accord contractuel se poursuivra par tacite reconduction pour l'année suivante. Cependant la commission de formation et d'accueil du CIVC se réserve la possibilité de modifier la teneur du programme et le niveau de son engagement financier au cours du premier trimestre de chaque année";

Attendu que le 11 décembre 2002, la commission communication et appellation champagne a décidé de supprimer le versement des honoraires mensuels forfaitisés et a décidé de rémunérer la SA société 14 Juillet en fonction des opérations réalisées; que le 23 décembre 2002, le CIVC a, par courrier, informé la SA société 14 Juillet de cette modification précisant qu'il entendait continuer leur collaboration par le biais d'opérations ponctuelles faisant l'objet de devis préalable incluant les honoraires correspondants;

Attendu que la SA société 14 juillet ne saurait prétendre que le CIVC n'a pas respecté le délai contractuel pour informer son cocontractant alors que la modification prévue a été portée à sa connaissance par une lettre du 23 décembre 2002, aux termes très explicites, qui a été adressée à Monsieur Baumont, PDG de la SA société 14 Juillet, lettre qui lui a été remise en mains propres le 14 janvier 2003 ; que le délai prévu par l'article 7 précité à savoir au moins deux mois avant la date d'échéance a été respecté puisque la modification a été portée à la connaissance de la société fin 2002 et en tout cas en janvier 2003, alors que le contrat avait été signé le 6 juillet 1998;

Attendu que la modification unilatérale du contrat opérée par le CIVC a affecté directement les modalités de rémunération, de la SA société 14 Juillet;

Attendu que l'article 7 précité autorise la modification de "la teneur du programme et le niveau de son engagement financier" par le CIVC au cours du premier trimestre de chaque année ; que cette autorisation ne porte que sur "niveau" de l'engagement financier, c'est-à-dire le montant des moyens alloués à la SA société 14 Juillet pour la mise en œuvre du programme global ; que substituer à une rémunération annuelle forfaitaire un paiement en fonction d'actions réalisées, modifie sensiblement le mode de rémunération des prestations de la société intimée qui ne sera plus payée que pour des opérations ponctuelles;

Attendu que la modification apportée par le CIVC au contrat initial affecte un élément essentiel de celui-ci que sont les modalités de règlement des prestations effectuées par la SA société 14 Juillet dans le cadre de la mission qui lui a été confiée, et qu'il convient donc de considérer que le CIVC n'était pas autorisé, sur le fondement de l'article 7 du contrat précité, à procéder à une telle modification;

Attendu que les propositions de la SA société 14 Juillet pour l'année 2003 figurant dans le courrier électronique du 28 janvier 2003 n'ont été suivies d'aucune réponse spontanée de la part du comité qui a, par ailleurs, opéré la suppression de la connexion de celle-ci à son réseau extranet;

Attendu que, par courrier recommandé du 13 février 2003, la SA société 14 Juillet a contesté la modification intervenue, relevé la volonté du comité de mettre un terme à un contrat, communiqué ses factures d'honoraires et invité le CIVC à convenir, avec elle, soit de la durée de préavis nécessaire, soit d'une amélioration;

Attendu que le CIVC ne saurait justifier la mesure prise par les résultats en baisse des actions réalisées par la SA société 14 Juillet alors qu'elle ne verse au dossier, pour en justifier, que des documents émanant du CIVC communiqués en cause d'appel contenant sur papier blanc des commentaires et des indications chiffrées qui ne sont corroborés par aucun autre élément produit aux débats; qu'elle ne peut de la même manière, utilement prétendre que c'est la SA société 14 Juillet qui a rompu leurs relations contractuelles, le 13 février 2003, alors que par ce courrier, précité, ladite société s'est bornée à relever que la modification du système de rémunération portée à la connaissance affectait un élément essentiel du contrat et justifiait l'indemnisation du préjudice subi de ce fait;

Attendu qu'en modifiant unilatéralement sans concertation les termes contractuels essentiels dans la mesure où la SA société 14 Juillet s'est trouvée privée de sa rémunération forfaitaire, tout en ne connaissant pas les dispositions retenues, alors même qu'elle devait faire face à des dépenses notamment de personnel, et en affectant par là même l'équilibre et l'économie du contrat, au détriment de la SA société 14 Juillet, le CIVC a commis un manquement grave à ses obligations;

Qu'il convient de considérer que le CIVC a provoqué la rupture du contrat; et que cette rupture unilatérale a été faite de mauvaise foi est abusive;

Attendu que le préjudice subi par la société 14 Juillet sera fixé à la somme de 54 882 euro, ce qui correspond à la rémunération due sur l'année 2003 sur la base d'honoraires mensuels fixés depuis la conclusion du contrat;

Attendu que si le CIVC, qui est un organisme avait le souci légitime de pouvoir maîtriser le niveau de son engagement financier, il lui appartenait de négocier une modification du contrat avec la SA société 14 Juillet lors d'un renouvellement du contrat initial;

Attendu que l'article L. 442-6-5 du Code de commerce dispose que le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé; qu'il ressort de ces dispositions que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit et de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures;

Attendu que le CIVC prétend, à tort, que cet article ne lui serait pas applicable dans la mesure où il ne fait pas partie de l'énumération des personnes visées, et n'est pas un organisme commercial, mais un organisme administratif chargé d'une mission de service public; qu'en effet, il ne peut contester que les relations contractuelles qu'il a entretenues avec la SA société 14 Juillet sont des relations de nature commerciale, même si il n'a pas, en tant que telle, la qualité de commerçant;

Attendu que le CIVC aurait du respecter un préavis et qu'il convient, eu égard à la durée des relations commerciales entretenues de quatre années, de fixer comme l'a fait le tribunal à une durée de 6 mois;

Attendu que la demande d'indemnisation du préjudice dû à la rupture des relations commerciales qu'elle a subi, formée par la SA société 14 Juillet sera accueillie en prenant en considération, d'une part que la situation de dépendance économique alléguée à l'égard du CIVC n'est pas démontrée par les pièces produites s'agissant, au vu de sa plaquette de présentation d'une agence de presse et de communication qui intervenait dans plusieurs secteurs d'activité, et, d'autre part, que le lien de causalité entre la rupture de ses relations commerciales avec le CIVC et la procédure collective qui a été ouverte à son encontre n'est pas démontré;

Que le préjudice économique subi par la société 14 Juillet du fait des manquements commis par le CIVC à son égard sera évalué à la somme justement retenue par le tribunal de 50 000 euro;

Attendu que la décision déférée sera confirmée;

Attendu que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile bénéficieront à l'intimée dans les termes fixés au dispositif;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Ecarte des débats les écritures du Comité interprofessionnel du vin de Champagne du 23 août 2008, Prononce la mise hors de cause de Maître Stackler ès qualités d'administrateur Judiciaire, et de Maître Montravers ès qualités de représentant des créanciers, en application du jugement du 18 mars 2004 rendu par le Tribunal de commerce de Paris, Dit que le Comité interprofessionnel du vin de Champagne a rompu abusivement le contrat le liant à la SA société 14 Juillet, Confirme la décision déférée, Déboute les appelants de leur demande d'indemnisation d'un préjudice complémentaire, Condamne le Comité interprofessionnel du vin de Champagne à paver à Maître Stackler ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la SA société 14 Juillet la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Le condamne aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.