CA Bordeaux, 2e ch., 7 février 2007, n° 05-06654
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
La Tribu (SARL)
Défendeur :
Gimbert Surgelés (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Saint-Arroman
Conseillers :
MM. Legras, Ors
Avoués :
SCP Casteja-Clermontel & Jaubert, SCP Fournier
Avocats :
Mes Biais, Fenny, Almuzara
Par acte du 7 janvier 2005, la SARL La Tribu faisait assigner la SAS Société Nouvelle Geladour devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de voir constater la rupture brutale et sans préavis de leurs relations commerciales à l'initiative de la société Geladour, déclarer celle-ci responsable, constater le préjudice subi par l'assignante et condamner la société Geladour à lui payer une indemnité de 75 400 euro.
La SAS Société Nouvelle Geladour concluait au débouté.
Par jugement contradictoire du 4 novembre 2005, le tribunal a débouté la SARL La Tribu de toutes ses demandes et l'a condamnée à une indemnité de 750 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL La Tribu a interjeté appel le 6 décembre 2005 de ce jugement dont, par uniques écritures du 5 avril 2006, elle conclut à l'infirmation en reprenant ses demandes initiales avec une indemnité au titre des frais irrépétibles de 1 500 euro.
La SAS Gimbert Surgelés, venant aux droits de la SAS Société Nouvelle Geladour, intimée, conclut par uniques écritures du 20 juillet 2006 à la confirmation intégrale du jugement et à la condamnation de l'appelante, déboutée de toutes ses demandes, à lui payer 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs et décision
Attendu que la SARL La Tribu, exerçant sous le nom commercial Agence 2 Com une activité de conseil en communication, a réalisé de 1996 à 2002 dans le cadre d'une convention verbale pour la SA Geladour à Labenne (40) un catalogue de vente à distance de produits surgelés comprenant onze éditions par an donnant lieu chacune à devis et facturation;
Que, par jugement du Tribunal de commerce de Dax du 3 juillet 2002, la SA Geladour était déclarée en redressement judiciaire, la période d'observation étant prolongée jusqu'au 13 novembre 2002, date à laquelle était adopté un plan de redressement par cession de l'activité à la SARL Gimbert Surgelés à laquelle devait se substituer la SAS Société Nouvelle Geladour;
Que la SAS Société Nouvelle Geladour confiait à la SARL La Tribu la réalisation de son catalogue jusqu'en décembre 2003, les travaux étant toujours réglés sur facture à chaque édition mensuelle et, début septembre 2003, la seconde soumettait à la première une proposition d'évaluation budgétaire pour 2004 que celle-ci ne retenait finalement pas, faisant le choix de confier les travaux à un concurrent;
Que, par courrier recommandé avec accusé de réception du 16 février 2004, la SARL La Tribu, visant l'arrêt brutal des relations commerciales, demandait à la SAS Société Nouvelle Geladour une indemnité de 66 000 euro HT, cette demande faisant l'objet en retour (lettre recommandée avec accusé de réception du 24 février 2004) d'une fin de non-recevoir.
Attendu que l'appelante se réfère, en l'absence d'un contrat écrit, à la régularité et à l'ancienneté des relations d'affaires ayant existé entre les parties, constituant le lien contractuel dont le maintien était selon elle nécessaire à l'exercice de l'activité reprise par la SAS Nouvelle Geladour faisant valoir:
- qu'en l'absence de points de vente au public, le catalogue constituait le support essentiel de cette activité et le principal élément de son fonds de commerce;
- que, de ce fait, le contrat ou la relation contractuelle en tenant lieu, entrant dans la notion d'objectif économique assigné au plan de cession, pouvait être considéré comme figurant dans les contrats cédés même si cela n'avait pas été explicitement mentionné dans le jugement adoptant le plan;
- que ce contrat n'a fait l'objet d'aucune résiliation par l'administrateur judiciaire;
Que la société Nouvelle Geladour ayant continué à faire appel à elle pour la réalisation de son catalogue en 2003 dans les mêmes conditions qu'auparavant, sauf deux parutions supplémentaires, et lui ayant fourni en novembre 2003 les éléments pour la parution du catalogue du mois suivant avait brusquement et sans préavis mis fin à leur relation commerciale en infraction aux dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce.
Attendu que, de son côté, l'intimée, qui se présente comme une entité juridique distincte de la SA Geladour, qui s'est constituée après le rachat des actifs par la SARL Gimbert Surgelés et qui ne pouvait être tenue d'autres engagements que ceux précisés dans le plan de cession, conteste en ce qui la concerne la notion de relation commerciale s'inscrivant dans la durée en indiquant n'avoir fait appel à l'appelante que de manière ponctuelle et pendant une courte période, aucun préavis ne s'imposant dans ce cas.
Attendu que les premiers juges ont retenu l'absence entre les parties d'une convention susceptible de donner lieu à résiliation ou à cession dans le cadre du plan de cession et ont estimé d'autre part qu'il n'était pas démontré que l'intervention de la SARL La Tribu dans la fabrication du catalogue de la SA Geladour ait constitué un élément déterminant conditionnant l'existence de l'activité cédée.
Attendu que l'existence de relations commerciales régulières entre les parties depuis une longue période (1996) est caractérisée par une facturation et un règlement régulier onze fois par an pendant six ans pour l'exécution de travaux s'inscrivant dans la durée, la réalisation de chaque catalogue exigeant plusieurs semaines de préparation, un tel type de relations même en l'absence de contrat-cadre entrant dans la définition de la relation commerciale établie visée à l'article L. 442-6 5° du Code de commerce qui a vocation à régir toutes les relations d'affaires dès lors qu'elles sont effectives.
Mais attendu que la SAS Société Nouvelle Geladour, personne morale distincte de la SA Geladour, est intervenue dans le cadre d'un plan de cession autorisé par un tribunal de commerce, celui-ci ayant désigné les contrats devant donner lieu à cession en appréciant le caractère nécessaire ou non à l'exercice de l'activité des contrats en cours et stipulé que les autres contrats seraient résiliés par l'administrateur judiciaire dans le courant de la période transitoire;
Que cette société n'était, aux termes de l'article L. 621-63 du Code de commerce, tenue que des engagements souscrits dans le cadre du plan, lesquels ne mentionnaient pas les relations commerciales avec la SARL La Tribu;
Qu'il sera observé en outre que, si le catalogue de vente à distance était inclus dans les éléments du fonds de commerce cédé, tel n'était pas le cas des contrats.
Attendu ainsi que la responsabilité de l'intimée sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne peut être recherchée pour la période antérieure à décembre 2002, début de ses relations commerciales avec la SARL La Tribu.
Attendu que l'article L. 442-6 5° sanctionne le fait pour tout commerçant ou industriel de rompre brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accord interprofessionnels, aucune durée minimale n'étant fixée.
Attendu qu'il est constant que l'intimée a cessé une relation commerciale de onze mois avec l'appelante sans même l'en informer ni se référer à aucun motif éventuellement susceptible de justifier la rupture, et a fortiori sans aucun préavis, alors qu'il est précisé sans contradiction que la réalisation de chaque catalogue à échéance mensuelle exigeait un investissement en main d'œuvre de plusieurs semaines, en sorte qu'elle a placé son partenaire dans une situation délicate au moins quant à la gestion de son personnel;
Qu'il ne peut pas par ailleurs ne pas être tenu compte du fait que, même s'il s'agissait d'une nouvelle entité juridique, la SAS Société Nouvelle Geladour s'était adressée à la SARL La Tribu pour la réalisation de son catalogue en 2003 en considération de l'antériorité de sa collaboration avec la SA Geladour et en connaissance, par conséquent, de l'investissement que cela représentait.
Attendu qu'à défaut d'usages reconnus ou d'accords professionnels auxquels il n'est pas ici fait référence la durée du préavis s'apprécie au regard de critères généraux utilisés par la jurisprudence, dépendant notamment de la nature de la relation commerciale rompue et du type d'activité, la cour estimant disposer des éléments nécessaires eu égard à ce qui précède pour fixer en l'espèce le préavis qui aurait du être respecté à six mois;
Qu'en toute hypothèse, c'est d'une totale absence de préavis qu'il s'agit et il n'a pas même existé de notification de la rupture, l'appelante indiquant sans être contredite n'avoir appris qu'indirectement que la réalisation du catalogue pour 2004 ne lui était pas confiée.
Attendu que, les dommages et intérêts devant tenir compte de la durée du préavis et des conséquences dommageables de son absence, la cour estime disposer des éléments nécessaires à la fixation de leur montant à la somme de 33 000 euro, le jugement étant réformé.
Attendu qu'il sera fait droit à la demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile de l'appelante.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, - réforme le jugement et, statuant à nouveau, - condamne la SAS Gimbert Surgelés, aux droits de la SAS Société Nouvelle Geladour, à payer et porter à la SARL La Tribu la somme de 33 000 euro (trente trois mille euro) à titre d'indemnité sur le fondement de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce. - Déboute la SAS Gimbert Surgelés de toutes ses demandes. - Condamne la SAS Gimbert Surgelés à payer et porter à la SARL La Tribu la somme de 1 500 euro (mille cinq cents euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. - Condamne la même aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP d'avoués Casteja-Clermontel et Jaubert.