CA Aix-en-Provence, 2e ch., 8 février 2007, n° 05-07696
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dynamique Provençale (SAS)
Défendeur :
Les Trois Abeilles (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseillers :
MM. Fohlen, Jacquot
Avoués :
SCP Latil-Penarroya-Latil-Alligier, SCP Primout-Faivre
Avocats :
Mes Keusseyan-Bonacina, Me Brosse
Faits, procédure et prétentions des parties
La SAS Dynamique Provençale, qualifiée de " revendeur " et la SA Les Trois Abeilles, qualifiée de " fournisseur " ont entretenu des relations commerciales depuis 1994, formalisées dans un contrat dit de " collaboration " du 1er juillet 1994, puis au dernier état des relations dans un contrat dit " d'approvisionnement privilégié " du 20 janvier 2000. Principalement, la SA Les Trois Abeilles avait confié à la SAS Dynamique Provençale l'exclusivité de sa marque déposée "Le Gourmand Provençal" sur un certain secteur géographique et la distribution par les soins de la SAS Dynamique Provençale d'une gamme de produits de confiserie (nougats, calissons...) auprès des " commerces de gros ". La rupture de la relation commerciale est intervenue dans des circonstances aujourd'hui controversées, au cours de l'année 2003.
Par jugement contradictoire en date du 14 février 2005, le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a condamné la SAS Dynamique Provençale à payer à la SA Les Trois Abeilles la somme de 12 468,34 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2003, au titre de factures impayées pour fournitures de marchandises intervenues au mois de mars 2003 et la somme de 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a débouté la SAS Dynamique Provençale de ses demandes en dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale et pour violation de la clause de non-concurrence après la cessation de la relation commerciale.
La SAS Dynamique Provençale a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.
Vu les dispositions des articles 455 et 954 du nouveau Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998;
Vu les prétentions et moyens de la SAS Dynamique Provençale dans ses conclusions au fond en date du 26 juillet 2005 tendant à faire juger:
- que la rupture de la relation commerciale est imputable à la SA Les Trois Abeilles qui a pratiqué deux hausses tarifaires exorbitantes en octobre 2001 et en mai 2003 et hors des conditions contractuelles entraînant une baisse du chiffre d'affaires réalisé auprès de la clientèle de grands magasins,
- que le préjudice résultant de la brusque rupture doit être réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- que la SA Les Trois Abeilles n'a pas respecté la clause de non-concurrence en distribuant des produits des gammes concédées dans le secteur et dans le délai interdits
et que le préjudice résultant de cette violation sera réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 40 026 euro à titre de dommages et intérêts
Vu les prétentions et moyens de la SA Les Trois Abeilles dans ses conclusions au fond en date du 26 septembre 2005 tendant à faire juger:
- qu'elle s'est "conformée de manière vertueuse" aux stipulations du contrat dit "d'approvisionnement privilégié", la SAS Dynamique Provençale n'atteignant jamais le volume d'approvisionnement annuel minimum convenu,
- que les successives hausses tarifaires parfaitement justifiées ont été acceptées par la SAS Dynamique Provençale pour les premières et pour les secondes (résultant d'une diminution de la remise initialement consentie), s'imposaient en raison de la non-atteinte par la SAS Dynamique Provençale du volume d'approvisionnement minimum,
- que la SAS Dynamique Provençale ne peut agir en résiliation du contrat dit " d'approvisionnement privilégié " sur le fondement de l'article 1184 du Code civil, a elle-même contrevenu à l'interdiction réciproque de non-concurrence et fait une lecture erronée de la clause de non-concurrence qui ne peut lui permettre en aucun cas de prétendre à 30 % du chiffre d'affaires global qui aurait pu être réalisé;
L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 8 décembre 2006.
MOTIFS ET DÉCISION
Attendu que selon l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 "engage la responsabilité de son auteur le fait, partout commerçant de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale du préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur"; qu'en l'espèce, il s'évince du contrat dit " d'approvisionnement privilégié " que la SA Les Trois Abeilles a confié à la SAS Dynamique Provençale en exclusivité le soin de distribuer des produits sous sa marque " Le Gourmand provençal ", à l'exception des magasins Intermarché situés dans les départements de la Drôme et de l'Ardèche et d'un " réseau de stations routières " et que la SAS Dynamique Provençale s'engageait à s'approvisionner auprès de la SA Les Trois Abeilles en produits dépendant de trois gammes de produits, dont celle, " Le Gourmand provençal ", qui lui avait été concédée en exclusivité pour la promouvoir et la développer;
Attendu que la rupture d'une relation commerciale établie peut résulter de toutes circonstances dénotant de la part de leur auteur la volonté de parvenir à la cessation de la relation sans nécessairement manifester cette volonté de manière explicite ; que des modifications importantes et injustifiées d'une grille tarifaire imposées par un fournisseur à son distributeur conduisant à une baisse d'activité, réalisent la rupture brutale d'une relation commerciale établie ; qu'en l'espèce, il est avéré que la SA Les Trois Abeilles a pratiqué une hausse importante et différenciée selon les produits, des tarifs qu'elle avait consentis à la SAS Dynamique Provençale en deux temps; que le 17 octobre 2001, elle fixait, à compter du 1er novembre 2001, en contradiction avec le contrat dit " d'approvisionnement privilégié " prévoyant un délai de deux mois pour ce faire, de nouveaux tarifs dont il n'est pas contesté qu'ils augmentaient de 13 et 30 % selon les produits (pour certains produits sacs d'assortiment de confiseries ou de calissons, elles atteignait même 42,75 % et 49,17 %); que la hausse précédemment pratiquée par la SA Les Trois Abeilles était seulement de 3 % sur l'ensemble des prix et a été appliquée à compter du 1er avril 2000 sur des tarifs inchangés depuis le 1er février 1998 (cf lettre de la SA Les Trois Abeilles en date du 31 janvier 2000, - de deux mois antérieure à l'entrée en vigueur du nouveau tarif - annonçant l'augmentation limitée du tarif en raison de "l'évolution du prix des matières premières jumelée aux 35 heures") ; que malgré son ampleur et après protestations fermes de la part de la SAS Dynamique Provençale, la hausse annoncée le 17 octobre 2001, dont l'effet a été finalement différé au 1er janvier 2002, a été acceptée par la SAS Dynamique Provençale ; que, le 18 mars 2003, la SA Les Trois Abeilles, toujours en méconnaissance du délai de deux mois, notifiait la modification des conditions commerciales faites à la SAS Dynamique Provençale en réduisant à compter du 1er avril 2003 de moitié la remise de 30 % consentie sur " le tarif général ", pour la fixer à 15 % ;
Attendu qu'il apparaît que la SA Les Trois Abeilles a rompu de manière abusive la relation commerciale établie en imposant en 2003 une réduction substantielle du taux de la remise consentie sur son tarif général après avoir imposé une précédente et importante hausse de son tarif à effet au 1er janvier 2002 ; que la hausse du tarif intervenue à cette date ne pouvait s'expliquer à l'évidence par " les 35 heures " et l'augmentation des matières premières, motifs déjà indiqués lors de l'entrée en vigueur, le 1er avril 2000, de la hausse précédente; que la réduction du taux de la remise annoncée le 18 mars 2003 ne pouvait être justifiée par la baisse du chiffre d'affaires réalisé par la SAS Dynamique Provençale en 2002 dès lors que cette baisse avait été provoquée par la nouvelle politique tarifaire imposée par la SA Les Trois Abeilles à compter du 1er janvier 2002, politique très défavorable au maintien du niveau des ventes de son distributeur;
Attendu que selon l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 applicable aux faits de la cause, en l'absence d'accords interprofessionnels déterminant la durée minimale du préavis de rupture, seul le critère de la durée de la relation commerciale établie est désormais à prendre en considération pour apprécier la durée du préavis nécessaire à la reconversion de la partie qui subit la rupture ; que tous les autres critères anciennement retenus pour déterminer le caractère suffisant du délai du préavis (tels notamment l'état de dépendance économique d'une partie vis-à-vis de l'autre, l'exclusivité...) ne doivent plus être pris en considération;
Attendu qu'en considération de la durée de la relation commerciale établie s'étant déroulée de 1994 au mois de mai 2003, et du fait que la SAS Dynamique Provençale distribuait des produits de trois gammes différentes " sous marques " de la SA Les Trois Abeilles, son fournisseur, il convient de fixer à six mois la durée du préavis nécessaire pour assurer la protection des intérêts économiques et commerciaux de la SAS Dynamique Provençale;
Attendu que les dommages et intérêts devant être alloués à la SAS Dynamique Provençale ont pour finalité de réparer exclusivement le préjudice découlant de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie et non toutes les conséquences de la rupture elle-même; que ce préjudice est constitué par la gain manqué s'analysant en la perte de la marge brute pendant la durée du préavis qui aurait dû être accordé; que la SAS Dynamique Provençale a réalisé pour le compte de la SA Les Trois Abeilles, selon les documents (bizarrement non concordants) fournis respectivement par les parties, un chiffre d'affaires qui doit être évalué à 100 000 euro et 58 000 euro, pour 2001 et pour 2002, soit une moyenne mensuelle d'environ 6 600 euro ; que le préjudice subi par la SAS Dynamique Provençale et constitué principalement par la perte de la marge brute pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté, doit être fixé à 14 000 euro;
Attendu que selon le contrat dit " d'approvisionnement privilégié " du 20 janvier 2000, "en cas de rupture ou d'extinction de la convention et quel qu'en soit le motif, le fournisseur (la SA Les Trois Abeilles) s'engage pendant la durée d'une année à ne pas concurrencer le revendeur et s'engage donc pour cette durée à ne pas vendre les produits objets de la présente convention"; que cette obligation ne pèse que sur la SA Les Trois Abeilles qui n'est donc pas fondée à invoquer " les propres entorses de la SAS Dynamique Provençale à cette interdiction " ; que la SAS Dynamique Provençale pouvait librement distribuer des produits identiques après la rupture de la relation commerciale en mai 2003 ; que par contre, il est avéré et d'ailleurs non sérieusement contesté par la SA Les Trois Abeilles que celle-ci a commercialisé directement et en contradiction avec la clause formelle d'interdiction, des nougats de la marque " Le Gourmand Provençal " dans le secteur anciennement concédé à la SAS Dynamique Provençale, après la cessation de la relation commerciale;
Attendu que la contrat dit " d'approvisionnement privilégié " du 20 janvier 2000 stipule " qu'en cas d'infraction par le fournisseur à son obligation de non-concurrence, ce dernier devra régler au revendeur une somme égale à 30 % du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé par le revendeur durant une année si les produits avaient été distribués par ses soins sur le(s) points de vente visés à la présente convention et ce à titre de dommages et intérêts " ; que cette formulation instaure une évaluation forfaitaire des dommages et intérêts exigible au cas où une " infraction " serait constatée qu'elle qu'en soit son ampleur et représentée par un pourcentage sur le chiffre d'affaire réalisé pour l'ensemble des produits distribués sur l'entier réseau de vente concédé à la SAS Dynamique Provençale par l'article 1 du contrat, c'est-à-dire le chiffre d'affaires global et non le chiffre d'affaire particulier réalisé dans le ou les points de vente dans le ou lesquels " l'infraction " a été constatée; que le chiffre d'affaire susceptible d'être réalisé dans l'année qui a suivi la rupture de la relation commerciale en mai 2003 doit être apprécié sur la base de celui réalisé dans les trois premiers mois de l'année 2003, soit 4 x 12 000 euro (environ) = 48 000 euro x 30 % = 14 400 euro ;
Attendu que la SAS Dynamique Provençale ne conteste pas devoir un solde de factures correspondant à des fournitures de marchandises intervenues en mars 2003, pour 12 468,34 euro;
Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 1 200 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile, Reçoit l'appel de la SAS Dynamique Provençale comme régulier en la forme. Au fond, confirme le jugement déféré en ses seules dispositions ayant condamné la SAS Dynamique Provençale à payer à la SA Les Trois Abeilles la somme de 12 468,34 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2003. Au fond, réforme le jugement déféré eu toutes ses autres dispositions. Statuant à nouveau, condamne la SA Les Trois Abeilles à porter et payer à la SAS Dynamique Provençale les somme de 14 000 euro et de 14 400 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 14 février 2005 à titre compensatoire et celle de 1 200 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Ordonne la compensation entre les deux condamnations. Condamne la SA Les Trois Abeilles aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP d'avoués Associés Jérôme Latil Pascale Penarroya-Latil Giles Alligier, sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.