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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 21 février 2008, n° 07-00666

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Septe

Conseiller :

Mme Tardy-Joubert

Avocat :

Me Reye

TGI Rennes, ch. corr., du 26 janv. 2007

26 janvier 2007

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal correctionnel de Rennes par jugement en date du 26 janvier 2007, pour

Vente ou achat, par personne morale, de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle sans facturation conforme, NATINF 021924

Achat ou vente de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle sans facturation conforme, NATINF 002887

a condamné SA Y (prise en la personne de son représentant légal M. Jean X, PDG) à une amende délictuelle de 80 000 euro.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

SA Y (prise en la personne de son représentant légal M. X, le 2 février 2007, à titre principal sur les dispositions pénales

M. le Procureur de la République, le 2 février 2007, à titre incident

La prévention :

Considérant qu'il est fait grief à SA Y (prise en la personne de son représentant légal M. Jean X PDG) :

- d'avoir à Saint-Grégoire (35), entre octobre 2001 et mai 2002, étant vendeur de produits ou de prestations de services, établi des factures, en l'occurrence des factures de coopération commerciale avec les fournisseurs "Laiterie de Saint-Malo", Moisan Aviculture, Panzani, Gyma Epices, Samco Alimentaire, Plancoet, "Les Celliers Associés" et DIFMA SA, ne comportant ni la dénomination précise de la prestation en l'espèce simplement libellées, notamment, "optimisation de linéaire", "mise en avant", "nouveautés", "optimisation de gamme", "accord de gamme", "TG gamme", ... ni le prix unitaire hors TVA des services rendus.

- d'avoir à Saint-Grégoire (35), entre le 15 janvier 2002 et le 25 juin 2002, étant vendeur de produits ou de prestations de services, omis d'établir une facture à ses fournisseurs Panzani, Gyma Epices, Samco Alimentaire, Plancoet, "Les Celliers Associés" au titre de la coopération commerciale.

Faits prévus et réprimés par les articles L. 441-3 ; L. 441-4 ; L. 441-5 ; L. 470-2 du Code du commerce et 121-2 ; 132-38 ; 131-39-5° du Code pénal.

Motifs

Sur la forme

Les appels de la SA Y seule et du Ministère public contre Y sont réguliers et recevables en la forme. En revanche, Messieurs D et E, visés aux conclusions de la Y n'ont pas qualité d'appelant.

La DGCCRF a adressé à la cour le 14 janvier 2008 des conclusions écrites qui n'ont pas été communiquées à la défense. Elles seront en conséquence écartées des débats, la cour se référant aux seuls arguments développés oralement au cours des débats.

Au fond

Il résulte du dossier et des débats les éléments suivants :

Les 7 et 28 juin 2002, deux inspecteurs de la DGCCRF d'Ille-et-Vilaine se sont présentés dans l'hypermarché à l'enseigne A situé <adresse> à Saint Grégoire, exploité par la SA Y afin de contrôler les pratiques commerciales et tarifaires de l'établissement.

L'enjeu des contrôles de la DGCCRF était de s'assurer qu'il y avait bien de la part de l'hypermarché la fourniture d'un véritable service, et que ces factures ne masquaient pas en réalité une ristourne occulte, ce qui aurait pour effet d'une part de mettre en difficulté des PME productrices de produits pour la grande distribution qui ne pourraient que subir la situation sous peine de ne plus être référencées, et d'autre part, de fausser la concurrence en permettant aux gros distributeurs de se faire consentir des prix plus favorables, et donc beaucoup plus attractifs à la vente que ceux des autres commerces de détail.

Il faut rappeler à ce sujet que l'article L. 441-6 du Code de commerce oblige les fournisseurs à communiquer à tout acheteur potentiel son barème de prix et ses conditions générales de vente, qui doivent mentionner les rabais, les ristournes et les conditions de règlement. La fausse coopération commerciale rend insincère ces informations puisque les concurrents n'ont pas connaissance des avantages ainsi consentis.

Le contrat de coopération commerciale est toujours distinct du contrat de vente. Il se définit comme un contrat de prestation de service qui porte sur la fourniture par le distributeur à son fournisseur de services spécifiques qui doivent être détachables des simples obligations résultant du contrat de vente.

Le contrôle a porté sur les factures adressées à 8 fournisseurs approvisionnant les rayons produits frais, épicerie et liquides, choisis par sondage. Sur ces 8 fournisseurs, seuls deux d'entre eux négociaient directement leurs conditions tarifaires et commerciales avec la société Y.

Pour les 6 autres, il s'agissait de fournisseurs référencés par le groupement d'achat B ou la centrale d'achat pour la région Ouest. Les accords commerciaux sont alors matérialisés dans des contrats de coopération commerciale négociés au niveau du groupe, et appliqués par chaque hypermarché qui facture les prestations qu'il exécute en faveur des fournisseurs en exécution de ces contrats.

L'article L. 441-3 du Code de commerce prévoit qu'une facture est obligatoire pour toute prestation de service, qu'elle doit mentionner notamment la date de celle-ci, la dénomination précise du service rendu et son prix unitaire hors taxes. La loi précise aussi que la facture doit être établie dès que la prestation est réalisée. Il est reproché à la SA Y et aux personnes physiques ayant délégation de pouvoir pour veiller au respect de cette règlementation d'avoir émis des factures de prestation de service en violation des obligations de l'article L. 441-3.

Devant la cour, la prévenue conclut à sa relaxe. Elle fait plaider que compte tenu de l'interprétation stricte des textes d'incrimination, et du contenu de l'article L. 441-3 du Code de commerce, seul le contenu formel des factures peut être examiné par la juridiction pénale, alors que tant le procès-verbal de la DGCCRF que le réquisitoire et l'ordonnance de renvoi vont au-delà en tentant de faire accroire à l'existence de prestations de services fictives, débat qui n'a pas sa place devant la juridiction pénale et relève de la juridiction consulaire en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui prévoit une sanction purement civile. Ils demandent en conséquence que le tribunal qui " statue en s'arrogeant les compétences pénales et civiles " soit, pour ce motif, censuré.

Affirmant que la seule obligation légale du prestataire de service est de faire figurer sur la facture la dénomination précise du service, elle en déduit que les factures doivent simplement nommer les services, mais nullement les décrire, et estime que les circulaires des 16 mai 2003 et 8 décembre 2005 et la jurisprudence postérieure ont parfaitement admis la licéité d'expressions telles que " Mise en avant ", " animation de gamme " ou "optimisation de linéaires " qui ont pour les professionnels un contenu suffisamment précis. Elle termine ses explications par une critique des interventions législatives en la matière.

Sur quoi,

Considérant que la cour ne saurait se prononcer sur le bien fondé ou la pertinence d'évolutions législatives, qu'il lui appartient simplement d'appliquer les textes en vigueur, étant observé par ailleurs que le principe d'interprétation stricte de la loi pénale n'interdit nullement à la juridiction, pour apprécier au plus juste la gravité des faits et la peine à appliquer, de se pencher sur le mobile de l'infraction et partant, comme l'a fait le tribunal sur l'existence, au delà de l'imprécision des factures, de prestations réelles ou fictives, même si par ailleurs d'autres textes prévoient en la matière des sanctions civiles ;

Considérant en l'espèce que les inspecteurs de la DGCCRF ont examiné 31 factures émises au cours de l'année 2001 pour un montant total de 75 877,79 euro, représentant pour chacun des fournisseurs pendant la période concernée par le contrôle au minimum 15 % du chiffre d'affaire réalisé par l'hypermarché sur les produits de ces fournisseurs ;

Que malgré l'obligation légale de dénomination précise du service rendu, ces documents mentionnent systématiquement des termes génériques tels que optimisation linéaire gamme, pâtes lot 3, - solde TG pâtes, mise en avant sauces, Nouveauté 2001, TG gamme épices, TG box herbes de Provence, mise en avant gamme barquettes, MEA Plancoët accord St-Alix ;

Que la prévenue, qui n'avait pas contesté la matérialité de l'infraction devant le premier juge, ne peut sérieusement soutenir que des libellés aussi sommaires correspondent, même dans le cadre de rapports entre professionnels, à une prestation de service identifiable ;

Que l'ensemble de ces factures ne comporte aucun prix unitaire, porte sur une période longue, trimestrielle ou annuelle, ce qui ne permet pas de savoir quelle était précisément l'opération commerciale qui a été réalisée, les produits sur lesquels elle a porté, la date ou la durée réelle de l'action de promotion ;

Que l'imprécision de ces factures est doublée d'une imprécision toute aussi grande des contrats de coopération commerciale qui y sont annexés conformément à la loi ;

Considérant qu'à la date du 28 juin, la SA Y n'avait pas encore établi les factures relatives aux prestations de services réalisées au premier trimestre 2002 ;

Que les fonctionnaires de la DGCCRF ont procédé à l'audition des responsables de la commercialisation des produits concernés à la société Y ;

Qu'interrogé par les inspecteurs, Monsieur F, chef du rayon épicerie reconnaissait notamment à propos du fournisseur Gyma épicerie que les indications portées sur les factures étaient " des mentions passe-partout " qui regroupaient des budgets accordés à divers titres, l'essentiel étant de facturer une prestation correspondant avec un pourcentage négocié en amont. Monsieur G, chef du rayon liquide précisait aussi, concernant les factures du fournisseur "Celliers Associés" que les factures émises correspondaient globalement à la mise en œuvre des budgets déterminés dans les accords, sans pouvoir rattacher une facture à une opération promotionnelle spécifique ;

Que les contrôleurs ont établi que ces factures correspondaient à un pourcentage du chiffre d'affaire réalisé et avaient une périodicité annuelle ou trimestrielle régulière ; que c'est du reste l'argument de l'adossement de la facture au chiffre d'affaire réalisé, et la nécessité de le contrôler en présence du représentant du fournisseur qui était mis en avant par Monsieur D, directeur du magasin le 28 juin 2002 pour expliquer l'absence de facturation relative à la coopération commerciale postérieure au 31/12/2001 ;

Que le premier juge qui en a déduit que ces factures ont bien été émises en violation des dispositions de l'article L. 441-3 du Code de commerce est à juste titre entré en voie de condamnation; qu'il convient en conséquence de confirmer la décision, tant sur la culpabilité que sur la peine qui tient exactement compte de la gravité des faits et de leur ampleur ;

Dispositif : LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de SA Y (prise en la personne de son représentant légal M. Jean X, PDG) et de la Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes, En la forme : Reçoit les appels, Au fond : Confirme le jugement. Y ajoutant, Déclare irrecevables les constitutions de parties civiles Alain D et Dominique E ; Le Président n'a pas donné à la condamnée absente l'avis prévu à l'article 707-3 du Code de procédure pénale ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euro dont est redevable le condamné, en vertu de l'article 800-1 du Code de procédure pénale et de l'article 1018 A du Code général des impôts.