CA Paris, 5e ch. B, 13 septembre 2007, n° 05-12371
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Presse Paris Services (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Le Bail
Avoués :
SCP Naboudet-Vogel Hatet-Sauval, SCP Ribaut
Avocats :
Mes Choisel de Monti, Desandre Navarre
Vu l'appel interjeté par la société Presse Paris Services du jugement prononcé le 20 mai 2005 par le Tribunal de commerce de Paris (RG 200409597);
Vu les dernières écritures signifiées le 10 avril 2007 par la SNC Presse Paris Services, ci-après SPPS, appelante;
Vu les dernières écritures signifiées le 25 avril 2007 par M. Jean-Claude X, intimé et appelant à titre incident;
Vu l'ordonnance de clôture de l'instruction intervenue le 23 mai 2007;
Sur ce:
Considérant que M. Jean-Claude X, kiosquier depuis une dizaine d'années, exerçait son activité depuis 1997 dans un emplacement concédé par la Ville de Paris, 26 boulevard Bonne Nouvelle 75010 Paris, la société SPPS, substituée à l'ancien diffuseur NMPP depuis le 1er janvier 2004, lui livrant journaux et publications;
Considérant que, le 22 juin 2004, M. X a été interpellé par des policiers agissant sur commission rogatoire de Mme Clément, juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Paris, et placé en garde à vue;
Considérant que, le 31 août 2004, la SPPS a fait remettre par huissier à M. X une lettre mettant fin à leurs relations contractuelles, à effet du 30 septembre suivant, précisant notamment:
"La police a découvert un réseau véritable parallèle de distribution de la presse nationale en dehors des circuits " officiels " de distribution, réseau basé sur l'escroquerie, l'abus de confiance et le vol.
Vous faites partie des kiosquiers qui ont été interpellés et mis en examen.
Il semblerait d'ailleurs que vous ayez reconnu les faits.
Vous n'êtes pas sans savoir que la relation contractuelle entre le dépositaire et le diffuseur a comme caractéristique essentielle d'être un contrat de dépositaire, commissionnaire ducroire des éditeurs. Il repose sur la confiance.
Votre participation active au réseau parallèle précité a irrémédiablement ruiné la confiance que nous vous avions accordée.
Comme vous le savez votre contrat a été consenti intuitu personae et révocable ad nutum sous préavis de 48 heures.
Sa révocabilité ad nutum nous aurait permis de le résilier sans motif.
En tout état de cause, vos agissements constituent une faute grave et par la présente, nous vous informons que nous mettons un terme à nos relations contractuelles avec effet au 30 septembre 2004. "; que la SPPS a effectivement cessé toute livraison de journaux et publications à M. X à compter du 1er octobre 2004;
Considérant que la SPPS poursuit l'infirmation du jugement rendu le 20 mai 2005 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a dit l'article L. 442-6,I,5° du Code de commerce applicable au cas d'espèce et l'a condamnée à payer à M. X, pour rupture brutale de leur relation commerciale, la somme de 32 021 euro;
Considérant que M. X, appelant à titre incident, conclut à la réformation du jugement déféré en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive, et demande que la SPPS soit condamnée à lui payer à ce titre 30 000 euro à titre de dommages et intérêts ; qu'il demande en outre à la cour, réformant de jugement entrepris, de débouter la SPPS de sa demande de paiement de la somme de 7 336,21 euro à titre du solde du compte entre les parties;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6,I,5°, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan" (...) "de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. "
Considérant que les premiers juges ont relevé à bon droit que les termes de cet article, vu la généralité de l'expression "relation commerciale", ne permettent pas d'instaurer des réserves ou des exceptions selon le type de contrat, notamment de son caractère intuitu personae ; que la notion de "relation commerciale établie" vise une situation contractuelle née de la pratique instaurée entre les parties entretenant des relations d'affaires stables, suivies et anciennes, quelles que soient leurs formes, et peut donc se matérialiser dans la conclusion, successive et sans interruption dans le temps, de différents contrats d'agrément de diffuseur de presse; qu'en l'espèce, il est constant que M. X entretenait, depuis 1992, une relation commerciale matérialisée par la conclusion successive, et sans interruption dans le temps, de différents contrats de presse, peu important, pour l'application de l'article susvisé, qu'à l'issue de la relations les parties aient été liées par un contrat à durée déterminée, qui n'a pas été renouvelé, par suite de la dénonciation expresse formalisée le 31 août 2004 ; que l'article L. 442-6,I,5° sur lequel M. X fonde sa demande est donc bien applicable à l'espèce;
Considérant que la prétention de SPPS à écarter l'application de l'article L. 442-6,I,5° du Code de commerce en arguant des dispositions de l'article L. 420-4 du même Code ne saurait prospérer, le litige ne portant pas sur d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles, et la rupture des relations entre les parties n'ayant pas eu pour motif un refus de M. X de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées;
Considérant, s'agissant de la demande d'indemnité pour rupture abusive du contrat, que M. X demande la réformation du jugement déféré en ce qu'il l'a débouté, mais n'apporte pas d'éléments, ne développe pas d'arguments, susceptibles de remettre en cause la décision des premiers juges qui ont dit que la rupture de ce contrat n'était pas abusive, après avoir pertinemment relevé que le contrat de diffuseur de presse est un contrat intuitu personae, que SPPS fonde sa rupture sur sa perte de confiance en M. X, et qu'eu égard au fort intuitu personae afférent à ce type de contrat, une telle rupture était possible bien que la procédure pénale soit toujours en cours ; que, certes, un abus dans l'exercice d'une révocation ad nutum peut être sanctionné, mais qu'il appartient à celui qui l'allègue de rapporter la preuve de l'intention de nuire de son auteur ou de la légèreté blâmable, susceptible de se rattacher à des circonstances vexatoires ou intempestives ; qu'il résulte des pièces versées aux débats que SPPS n'a pas violé le principe de présomption d'innocence tel que défini par l'article 9-1 du Code civil, n'ayant, notamment, pas présenté publiquement M. X comme coupable des infractions objet de l'instruction;
Considérant que le jugement querellé doit en revanche être réformé en ce qu'il a condamné SPPS au paiement d'une indemnité de 32 021 euro pour rupture brutale du contrat;
Considérant qu'il n'est versé aux débats aucun contrat signé par les parties, qu'il est seulement produit la lettre circulaire adressée le 8 décembre 2003 par NMPP aux kiosquiers, indiquant que, à compter du 1er janvier 2004, SPPS, en qualité de dépositaire central de presse, assurerait auprès de ceux-ci, la distribution, la comptabilisation et l'encaissement des journaux et publications pour le compte de NMPP et de SAEM Transports Presse " dans les mêmes conditions qu'actuellement " ; qu'il convient donc de rechercher si le préavis d'un mois donné par SPPS respecte la durée minimale déterminée, en référence aux usages du commerce, par les accords interprofessionnels, et tient compte de la durée de la relation commerciale;
Considérant qu'il résulte d'un contrat-type dépositaire-diffuseur de presse pour la province, que SPPS verse aux débats, que ce contrat ne peut être résilié, par le dépositaire (en l'espèce SPPS) avec un préavis inférieur à 48 heures, par le diffuseur (en l'espèce, M. X) avec un préavis inférieur à un mois;
Considérant que M. X dénie toute efficacité à ce contrat-type, prévu pour la province et non pour Paris, soulignant qu'en tout état de cause, il ne lui a pas été donné la possibilité, prévue audit contrat-type, de présenter ses observations préalablement à la résiliation; qu'il ne produit toutefois aucun élément susceptible d'établir les usages professionnels afférents à la vente de la Presse, spécialement s'agissant de la durée du préavis ; qu'il se borne à demander la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit qu'eu égard à la durée de la relation (12 ans), à la dépendance économique à l'égard de SPPS, bien que cette société n'ait pas été son distributeur exclusif, et à l'absence d'accord interprofessionnel en la matière, une période de 12 mois aurait été une durée de préavis raisonnable, propre à permettre à M. X de donner à son activité une orientation nouvelle suite à la rupture du contrat;
Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, il résulte de plusieurs décisions de justice versées aux débats, visant des contrats de distribution de presse, qu'un préavis de 48 heures, pour la résiliation d'un tel contrat, correspond à un usage de la profession, notamment à Paris ; qu'un tel préavis, eu égard à la nature particulière de la distribution de la presse en France, organisée par la loi du 2 avril 1947, a d'ailleurs reçu l'aval du Conseil Supérieur des Messageries de Presse, ainsi qu'il résulte du rapport moral de son président en date du 22/02/1983;
Considérant que SPPS, en procédant à la résiliation du contrat de M. X pour perte de confiance avec un préavis d'un mois, a accordé à celui-ci un délai supérieur aux usages, et agi sans précipitation; que l'existence d'une relation commerciale stable et ancienne (12 ans) ne permettait pas à M. X de prétendre à une durée supérieure; qu'il y a lieu en conséquence, réformant le jugement entrepris sur ce point, de débouter M. X de sa demande d'indemnité pour rupture brutale de contrat;
Considérant que M. X poursuit aussi la réformation du jugement déféré en ce qu'il a fait droit à la demande reconventionnelle de paiement présentée par SPPS au titre de son solde débiteur ; qu'il soutient qu'au vu des pièces versées aux débats, il ne peut être débiteur de plus de 3 812,98 euro;
Considérant que, là non plus, M. X ne produit pas d'éléments permettant de remettre en cause la décision des premiers juges qui, au vu des justificatifs produits pas SPPS, et notamment du procès-verbal constatant la reprise de 58 paquets de marchandises dressé contradictoirement par huissier le 8 novembre 2004, du relevé de compte définitif de M. X arrêté le 26/11/2004 et des relevés hebdomadaires afférents dressés par SPPS, ont dit que M. X devait à SPPS la somme de 7 336,31 euro (17 100,60 euro au titre des livraisons pour les semaines 37 à 40 incluse moins 9 426,46 euro au titre de la reprise des invendus);
Considérant que le "bordereau d'invendus du 30/09/04" dont argue M. X pour contester le relevé informatique établi par SPPS par lecture des codes barre, même portant en première page la signature de M. Bragard représentant de SPPS, ne constitue que le document déclaratif du diffuseur, et non un inventaire contradictoire ; que spécialement, les nombreuses mentions manuscrites, qui n'ont fait l'objet d'aucune approbation, s'opposent à ce que toute force probante soit reconnue à ce document;
Que le jugement querellé sera en conséquence confirmé en ce qu'il a intégralement fait droit à la demande de paiement faite par SPPS à hauteur 7 336,31 euro ; qu'il y aura lieu toutefois à émendement sur le point de départ des intérêts, qui courront à compter du 21 janvier 2005, date de dépôt de la demande reconventionnelle de SPPS;
Considérant qu'aucun motif tiré de l'équité ou de la situation économique des parties ne justifie qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'espèce, que les parties seront en conséquence déboutées de leurs demandes à ce litre;
Par ces motifs, Réformant partiellement le jugement déféré, Déboute M. X de ses demandes de dommages et intérêts, tant au titre d'une rupture abusive que d'une rupture brutale de relations commerciales établies, Condamne M. X à payer à SPPS la somme de 7 336,31 euro au titre du solde du compte entre les parties, avec intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2005, Déboute les parties de leurs autres demandes contraires aux motifs ci-dessus, Condamne M. X aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux règles de l'aide juridictionnelle.