CA Paris, 25e ch. B, 16 novembre 2007, n° 05-10165
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cuisine Pratique (SA)
Défendeur :
JM Bruneau (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
M. Laurent-Atthalin, Mme Delmas-Goyon
Avoués :
SCP Gaultier-Kistner, SCP Baufume-Galland-Vignes
Avocats :
Mes Azancot, Nogret-Carrega
LA COUR est saisie de l'appel, déclaré le 02.05.2005, d'un jugement rendu, le 13.04.2005, par le Tribunal de grande instance d'Evry.
L'objet du litige porte principalement sur la demande de la SA Cuisine Pratique dirigée contre la SA JM Bruneau en paiement de diverses sommes, au titre du préjudice subi par la rupture brutale, par cette dernière en mai 2002 de relations contractuelles établies, selon elle, depuis 1989, par suite du déréférencement de son catalogue trimestriel à compter de septembre 2002.
Le tribunal a statué, ainsi qu'il suit:
- déboute la SA Cuisine Pratique de l'ensemble de ses demandes,
- condamne la SA Cuisine Pratique à payer 5 000 euro à la SA JM Bruneau au titre de l'article 700 du NCPC
- déboute la SA JM Bruneau de ses demandes formées plus amples ou contraires aux motifs,
- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,
- condamne la SA Cuisine Pratique aux entiers dépens.
Au soutien de sa décision, le tribunal a retenu que:
Au vu des pièces produites, Cuisine Pratique n'établit pas que les produits fournis ont eu pour effet de fidéliser la clientèle de JM Bruneau qui s'approvisionne depuis plusieurs années et avant même d'avoir commencé ses relations avec Cuisine Pratique auprès d'un autre fabricant de claustras,
Vainement Cuisine Pratique prétend que JM Bruneau aurait faussé la concurrence en ne l'informant pas que le prix moins cher pratiqué par un concurrent concernait des articles plus simples, puisque, d'une part, cette dernière l'avait prévenue le 05.04.2002 de ce que ce concurrent proposait des articles aux caractéristiques identiques en sollicitant une contre-proposition, d'autre part, que Cuisine Pratique, qui a en le temps nécessaire de faire une telle contre-proposition s'y refusera,
Est tout aussi inopérant le moyen tiré d'une présentation de son concurrent à la même place et avec la même publicité, puisque, une modification de l'emplacement des types de produits n'est pas possible et que la présentation des produits a été modifiée en faisant apparaître le terme "nouvelle gamme",
La faute reprochée à JM Bruneau quant à la durée du préavis et le préjudice s'y rattachant ne sont pas établis, dès lors, d'une part, que Cuisine Pratique s'est abstenue de faire une offre compétitive, d'autre part, que la rupture a été notifiée par écrit cinq mois avant la parution du catalogue suivant, étant observé que le contrat ne stipulait aucune clause spécifique à cet égard, de troisième part, que JM Bruneau justifie avoir continué ses commandes en mai et juin 2002, de quatrième part, que l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait Cuisine Pratique n'est pas établi, le volume d'affaires réalisé par Cuisine Pratique avec JM Bruneau, représentant 5 % de son chiffre d'affaires et Cuisine Pratique livrant aussi des claustras à un autre vendeur sur catalogue, la société Viking, et enfin que Cuisine Pratique ne justifie ni d'un stock invendu ni de pertes directes liées à la durée du délai de préavis de rupture,
Il n'y a lieu à publication du jugement dans trois revues spécialisées, cette demande étant sans intérêt, contraire aux motifs du présent jugement et sans objet,
JM Bruneau qui n'établit ni le caractère abusif de la procédure ni le préjudice qui en résulterait est déboutée de sa demande de dommages et intérêts;
La SA Cuisine Pratique, appelante, demande à la cour de:
Vu les articles 1382 du Code civil et L. 442-6-I-5° du Code de commerce,
- recevoir la société Cuisine Pratique en son appel,
- infirmer ledit jugement,
- dire et juger que la société JM Bruneau a commis à l'égard de la société Cuisine Pratique des fautes engageant gravement sa responsabilité à l'égard de cette dernière, et notamment des actes de concurrence déloyale, un comportement "parasitaire", ainsi que la rupture brutale et illégale des relations commerciales suivies,
- condamner la société JM Bruneau à régler à la société Cuisine Pratique une somme de 90 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à la concluante,
- condamner la société JM Bruneau à régler à la société Cuisine Pratique une somme de 4 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC,
- condamner la société JM Bruneau en tous les dépens de première instance et d'appel.
La SA JM Bruneau, intimée, demande à la cour de:
- recevoir JM Bruneau en ses présentes écritures et l'y dire bien fondée.
- débouter Cuisine Pratique de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement déféré en ses dispositions ne faisant pas grief à la concluante,
Y ajoutant,
- condamner Cuisine Pratique au paiement de 5 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens.
La cour, en ce qui concerne, les faits, la procédure, les moyens et prétentions des parties, se réfère au jugement et aux conclusions d'appel.
Sur ce
Considérant que, pour critiquer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, la SA Cuisine Pratique, prétend que:
- JM Bruneau a accompli des actes de concurrence déloyale et eu un comportement parasitaire, dès lors que:
* alors qu'elle avait réalisé un travail de création ayant permis de fidéliser la clientèle de JM Bruneau, cette dernière qui lui avait interdit d'autres circuits de vente, profitant de sa position très forte sur le marché, a exercé sur elle une pression lourde pour la contraindre à baisser ses prix en la menaçant de se fournir chez un concurrent pratiquant des prix moindres, sans lui révéler que ces prix se rapportaient à des articles plus simples,
* le tribunal a affirmé faussement que JM Bruneau se fournissait avant l'établissement de leurs relations contractuelles avec Bessiere alors qu'il ressort des pièces produites que cette dernière n'a fourni de claustras à JM Bruneau qu'en 2000 alors qu'elle même justifie de relations depuis 1986,
- la rupture des relations est fautive par application de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce, dès lors que:
* les relations commerciales étaient établies depuis plus de 15 ans, et avaient donné lieu à des conventions écrites en 1989 et 1995,
* subitement, par lettre du 22.05.2002, lui a été notifié un retrait du catalogue, sans aucun préavis, ce dernier ne pouvant résulter de la parution du catalogue en septembre puisque la sélection de JM Bruneau pour ce catalogue s'effectuait au 15.06.2002, en sorte que la rupture lui a été notifiée à peine 15 jours avant cette échéance,
* ce retrait a été effectué non à raison d'une rupture de la relation de confiance mais par souci de rentabilité,
* les commandes des mois de mai et juin n'ont pas été passées dans le cadre du préavis mais pour satisfaire des clients qui avaient déjà commandé,
- elle est fondée à solliciter au titre de la réparation du préjudice subi une somme de 90 000 euro au regard, d'une part, d'un courant d'affaires moyen annuel entre ces deux sociétés pour les trois dernières années complètes de plus de 900 000 FF TTC, d'autre part, du caractère brutal de la rupture qui ne lui a pas permis en temps utile de se retourner vers d'autres clients,
Considérant que SA JM Bruneau réplique que:
- sur la prétendue concurrence déloyale et le comportement parasitaire allégué,
* Cuisine Pratique n'a fourni au catalogue JM Bruneau les claustras litigieux qu'à compter de 1991 et une convention écrite n'a été signée qu'en 1995,
* les contraintes de modification des 1 000 références de produits du catalogue selon un préavis de 2 à 3 mois étaient parfaitement connues des fournisseurs et notamment de Cuisine Pratique ou Bessiere (anciennement MOST) ce que confirme le déréférencement du claustra basic naturel verni dont a fait l'objet Cuisine Pratique en juin 1999 pour le catalogue de septembre 1999, pour des raisons de rentabilité, au profit de Bessiere,
* la fidélisation alléguée n'est pas établie, au regard, d'une part, de la baisse constante du chiffre d'affaires qui était revenu en 1999 à celui de 1994, d'autre part, des caractéristiques identiques du produit destiné à des professionnels, à raison de sa fonctionnalité même, chez d'autres distributeurs,
* sur le grief tiré de ce que Cuisine Pratique n'avait pas été informé de ce que les produits concurrents prétendument moins chers se rapportaient à des articles plus simples, il importe d'observer que:
¤ le 05.04.2002 JM Bruneau avisait Cuisine Pratique de l'existence d'une offre concurrente 15 % moins cher,
¤ le 08.04.2002 Cuisine Pratique reprochait des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale de ce fournisseur, en indiquant à JM Bruneau, ne pas souhaiter en l'état, au regard de l'ancienneté des relations, une action judiciaire contre elle, mais en lui demandant de confirmer et par retour une renonciation à donner une quelconque suite à l'offre illégale,
¤ le 09.04.2002, JM Bruneau déniait le caractère contrefaisant des claustras du fournisseur concurrent, qui visuellement totalement différents avaient des caractéristiques identiques.
¤ Cuisine Pratique qui avait le temps de faire une contre-proposition s'en est abstenue, en sorte que devant son silence, elle l'a informée, le 22.05.2002, du référencement des claustras au catalogue de septembre 2002,
- le grief de non-respect du préavis de rupture n'est pas caractérisé, dès lors que:
* le contrat ne stipulait aucun délai de préavis et qu'un délai de 5 mois séparait la parution du catalogue de la notification de la rupture,
* Cuisine Pratique n'a donné aucune suite à l'offre de contre-proposition qui lui avait été faite le 09.04.2002, en réponse à la mise en demeure que lui avait adressée cette dernière le 08.04.2002,
* JM Bruneau a continué de passer des commandes en mai et juin 2002,
* sa politique commerciale ne contraint pas son fournisseur à détenir des stocks tandis qu'elle ne s'engage sur aucune quantité minimale, étant observé que le tribunal a relevé l'absence de démonstration par Cuisine Pratique de stocks invendus ou de pertes liées à la durée du préavis de rupture,
* Cuisine Pratique ne remet pas en cause devant la cour son absence d'état de dépendance économique;
Considérant que, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation que c'est avec raison que le tribunal a débouté Cuisine Pratique de toutes ses demandes;
Qu'il suffit d'ajouter que:
- pas plus devant la cour que devant le tribunal la SA Cuisine Pratique n'a établi par des pièces précises le travail et de recherche et de création qu'elle aurait réalisé pour la réalisation de la gamme dont s'agit étant observé que différents catalogues d'autres distributeurs révèlent des fabrications similaires et qu'eu égard à leur fonctionnalité même les différences ne pouvaient être que de détail,
- c'est exactement que le tribunal a retenu que Cuisine Pratique ne justifiait d'aucune fidélisation de la clientèle de JM Bruneau, - même s'il n'est pas justifié devant la cour par JM Bruneau l'établissement pour les claustras litigieux, de relations commerciales avec un autre fournisseur, avant celles développées entre les parties, dès lors, que pour ces produits - claustras séparatifs d'espaces de travail - dont le type est commercialisé par plusieurs autres distributeurs sur catalogue, le courant d'affaires entre les parties, ce qui n'est pas utilement contredit, était en constante baisse depuis 1998 (159 135 euro) pour atteindre pour la dernière année complète avant la rupture 95 240 euro revenant ainsi à un chiffre sensiblement inférieur à celui de 1995,
- est dénuée de portée l'argumentation tirée de ce que la SA JM Bruneau aurait dissimulé que la différence de prix des modèles concurrents résulteraient de ce que ceux-ci étaient plus simples, dès lors, que la SA Cuisine Pratique se limite à cet égard à de simples affirmations et s'abstient de produire un quelconque élément de nature à établir en quoi les modèles concurrents seraient plus simples et dans quelle mesure les simplifications éventuellement apportées auraient une incidence sur le prix du modèle;
- il ressort des correspondances échangées que:
* Le 05.04.2002 JM Bruneau informait Cuisine Pratique qu'un fournisseur concurrent réalisait des claustras identiques à celles de sa gamme, que ces claustras étaient, après étude technique, d'excellente qualité pour un prix inférieur de 15 % environ, et sollicitait de Cuisine Pratique, en urgence une contre-proposition,
* le 08.04.2002 Cuisine Pratique qualifiait la proposition concurrente d'acte de contrefaçon et de concurrence déloyale, mettait en demeure JM Bruneau de lui révéler les coordonnées de ce fournisseur, évoquait des poursuites contre ce prétendu contrefacteur, indiquait, au regard de l'ancienneté de leurs relations commerciales, ne pas souhaiter envisager une action judiciaire contre JM Bruneau tout en lui demandant de confirmer formellement et par retour une renonciation à donner une quelconque suite à l'offre illégale qui lui était formulée;
* le 09.04.2002 JM Bruneau répliquait que les claustras allégués de contrefaçon avaient des caractéristiques techniques identiques mais étaient visuellement totalement différents, sur le marché des claustras, d'autres fabricants lui proposaient des produits de leur conception et fabrication qu'il estime être concurrentiels, en l'espèce les produits visés, qui ne sont pas une contrefaçon, ont un tarif plus attractif et une qualité égale, que dans la conjoncture actuelle et dans le respect de sa politique commerciale, elle ne pouvait ignorer une telle offre, tandis que, compte tenu de l'ancienneté de leurs relations, elle tenait à l'en informer pour lui permettre d'étudier une contre-proposition, en concluant en espérant que cette démarche qui ne s'inscrit nullement dans le cadre d'une concurrence déloyale ou une contrefaçon quelconque serait comprise et en restant à disposition,
* le 22.05.2002 JM Bruneau indiquait pour des raisons de rentabilité se trouver dans l'obligation de retirer de son catalogue de septembre 2002 8 types de claustras et quatre types de jeu de pieds,
* le 27.06.2002 Cuisine Pratique, par son conseil, évoquait une rupture fautive des relations contractuelles,
- au regard de telles circonstances, la SA Cuisine Pratique, a pris l'initiative de la rupture, dès lors, d'une part, qu'il ne résulte d'aucune pièce que les produits concurrents étaient contrefaisants, d'autre part, que sur l'offre de JM Bruneau, qui était fondée à mettre fin aux relations contractuelles dès lors qu'elle respectait les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, de faire une contre-proposition, au regard d'une offre d'un concurrent susceptible de retenir son attention, la SA Cuisine Pratique a adopté une attitude délibérément contentieuse dès le 08.04.2002, en enjoignant à son contractant de ne pas donner suite à une "offre illégale", de troisième part, qu'en dépit du ton conciliant de JM Bruneau qui s'évince de sa lettre du 09.04.2002, Cuisine Pratique qui n'ignorait pas l'urgence d'une réponse puisque cette urgence lui avait été signalée dès le 09.04.2002, et qu'elle indique elle-même que la sélection de JM Bruneau devait être arrêtée pour le catalogue de septembre 2002 dès le 15.06.2002, s'est abstenue de toute réponse, de quatrième part, que dans de telles circonstances, JM Bruneau, ne pouvait tirer que les conséquences d'une telle attitude exclusive de toute poursuite loyale des relations contractuelles, en notifiant de fait, par écrit la rupture des relations contractuelles, et enfin qu'il s'en suit, qu'à raison de l'attitude même, laquelle est fautive, de la SA Cuisine Pratique, il ne peut être utilement reproché à la SA JM Bruneau de n'avoir pas respecté un délai suffisant de préavis;
Considérant que par ces motifs, le jugement qui n'est pas autrement critiqué, est confirmé;
Considérant que l'équité commande de condamner la SA Cuisine Pratique à payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC, le jugement étant confirmé sur cet article;
Considérant que la SA Cuisine Pratique est condamnée aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens;
Par ces motifs, Dans la limite de l'appel, Confirme le jugement; Y ajoutant; Condamne la SA Cuisine Pratique à payer à la SA JM Bruneau, la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC. Rejette le surplus des demandes; Condamne la SA Cuisine Pratique aux dépens d'appel; Admet la SCP Baufume Galland au bénéfice de l'article 699 du NCPC.