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Décisions

CJCE, 4e ch., 16 octobre 2008, n° C-313/07

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kirtruna SL, Vigano

Défendeur :

Red Elite de Electrodomésticos SA, Fernández de Heredia, Sabini Celio, Oliván Bascones, Electro Calvet SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Lenaerts

Avocat général :

M. Bot

Juges :

Mme Silva de Lapuerta, MM. Juhász, Malenovský, von Danwitz

Avocats :

Mes Miret Corretgé, Morales Sabalete, Carreño León

CJCE n° C-313/07

16 octobre 2008

LA COUR (quatrième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 3 et 5 de la directive 2001-23-CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements (JO L 82, p. 16).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre des procédures d'expulsion de locaux commerciaux situés à Sitges, près de Barcelone, introduites par la société Kirtruna SL (ci-après "Kirtruna") et Mme Vigano, propriétaires et bailleurs de ceux-ci, contre Red Elite de Electrodomésticos SA (ci-après "Red Elite de Electrodomésticos"), ses administrateurs judiciaires, et Electro Calvet SA (ci-après "Electro Calvet").

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Le troisième considérant de la directive 2001-23 énonce que "[d]es dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise en particulier pour assurer le maintien de leurs droits".

4 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de cette directive:

"La présente directive est applicable à tout transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'entreprise ou d'établissement à un autre employeur résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion."

5 L'article 2 de la directive 2001-23 dispose:

"1. Aux fins de la présente directive, on entend par:

a) 'cédant': toute personne physique ou morale qui, du fait d'un transfert au sens de l'article 1er, paragraphe 1, perd la qualité d'employeur à l'égard de l'entreprise, de l'établissement ou de la partie d'entreprise ou d'établissement;

b) 'cessionnaire': toute personne physique ou morale qui, du fait d'un transfert au sens de l'article 1er, paragraphe 1, acquiert la qualité d'employeur à l'égard de l'entreprise, de l'établissement ou de la partie d'entreprise ou d'établissement;

[...]

"2. La présente directive ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition du contrat ou de la relation de travail.

[...]"

6 L'article 3 de cette directive prévoit:

"1. Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.

[...]"

7 Selon l'article 4, paragraphe 1, de ladite directive:

"Le transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement ne constitue pas en lui-même un motif [de] licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi."

8 L'article 5 de la directive 2001-23 énonce:

"1. Sauf si les États membres en disposent autrement, les articles 3 et 4 ne s'appliquent pas au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'entreprise ou d'établissement lorsque le cédant fait l'objet d'une procédure de faillite ou d'une procédure d'insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d'une autorité publique compétente (qui peut être un syndic autorisé par une autorité compétente).

2. Lorsque les articles 3 et 4 s'appliquent à un transfert au cours d'une procédure d'insolvabilité engagée à l'égard d'un cédant (que cette procédure ait ou non été engagée en vue de la liquidation des biens du cédant), et à condition que cette procédure se trouve sous le contrôle d'une autorité publique compétente (qui peut être un syndic désigné par la législation nationale), un État membre peut prévoir que:

a) nonobstant l'article 3, paragraphe 1, les obligations du cédant résultant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail, qui sont dues avant la date du transfert ou avant l'ouverture de la procédure d'insolvabilité, ne sont pas transférées au cessionnaire, à condition que cette procédure entraîne, en vertu de la législation de cet État membre, une protection au moins équivalente à celle prévue dans les situations visées par la directive 80-987-CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur [JO L 283, p. 23]

[...]"

La réglementation nationale

9 La succession d'entreprise est réglementée par le décret royal législatif 1/1995, du 24 mars 1995, relatif à l'approbation du texte refondu de la loi portant statut des travailleurs (Estatuto de los Trabajadores, BOE n° 75, du 29 mars 1995, p. 9654), dans sa version résultant de la loi 12/2001, du 9 juillet 2001 (BOE n° 164, du 10 juillet 2001, p. 24890, ci-après le "statut des travailleurs").

10 L'article 44, paragraphe 1, de ce statut prévoit:

"Le transfert d'une entreprise, d'un centre de travail ou d'une unité de production autonome de cette entreprise ne met pas, par lui-même, fin à la relation d'emploi; le nouvel employeur est subrogé dans les droits et obligations de l'employeur précédent au titre du contrat de travail et de la sécurité sociale, y compris les engagements liés aux pensions, dans les conditions prévues par la réglementation spécifique applicable et, en général, toutes les obligations en matière de protection sociale complémentaire qu'aurait souscrites le cédant."

11 Cependant, conformément à l'article 57 bis du statut des travailleurs, en cas de procédure collective, les conditions spécifiques prévues par la loi 22/2003, du 9 juillet 2003, sur la faillite (Ley Concursal, BOE n° 164, du 10 juillet 2003, p. 26905, ci-après la "loi sur la faillite") sont d'application dans les cas de modification, de suspension et d'extinction collectives des contrats de travail et de transfert d'entreprise.

12 La loi sur la faillite prévoit deux issues possibles à une procédure d'insolvabilité, à savoir l'accord ou la liquidation. Lors de la phase de liquidation, les articles 148 et 149 de cette loi s'appliquent, prévoyant un régime juridique différent selon qu'un plan de liquidation a été élaboré et approuvé ou non.

13 Aux termes de l'article 149 de cette loi:

"1. Lorsqu'aucun plan de liquidation n'est approuvé ou, le cas échéant, pour les aspects non prévus par un tel plan, les opérations de liquidation suivent les règles suivantes:

a) L'ensemble des établissements, exploitations et autres unités de production de biens ou de services appartenant au débiteur doit être cédé comme un tout, sauf si le juge estime, à la suite du rapport de l'administrateur judiciaire, qu'une division préalable ou la cession isolée de tout ou partie des éléments répondent mieux aux intérêts de la masse des créanciers. [...]

2. Du point de vue de l'emploi, il y a succession d'entreprise lorsque la cession visée au paragraphe 1, sous a) aboutit au maintien de l'identité d'une entité économique, prise en tant qu'ensemble de moyens organisés en vue de la poursuite d'une activité économique essentielle ou accessoire. Dans ce cas, le juge peut décider que l'acquéreur n'est pas subrogé dans l'obligation de verser les impayés de salaires ou d'indemnités antérieurs à la cession et qui ont été pris en charge par le Fondo de garantía salarial (Fonds de garantie des salaires) conformément à l'article 33 du statut des travailleurs. [...]"

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Red Elite de Electrodomésticos est une entreprise commerciale dont l'activité principale est la vente d'électroménager. Avant la procédure au principal, elle comptait plus de 40 magasins et employait plus de 400 personnes.

15 En 2005, Red Elite de Electrodomésticos a déposé une demande volontaire de procédure collective auprès du Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona. Bien que divers plans de viabilisation aient été envisagés et des accords proposés aux créanciers, ces derniers les ont rejetés.

16 Ainsi, la phase de liquidation a été ouverte par décision du 12 juin 2006.

17 Simultanément, à l'ouverture de la phase de liquidation, il a été décidé, par ordonnance du 12 juin 2006, d'attribuer directement une partie des magasins et d'autres établissements de Red Elite de Electrodomésticos à Electro Calvet, qui s'est subrogée dans les contrats de 127 employés et de 27 établissements, en s'engageant à maintenir leurs contrats de travail. L'ordonnance précisait, notamment, que la liquidation portait uniquement sur la cession des actifs de la société liquidée, celle-ci continuant d'assumer ses passifs de toute sorte et que les seules obligations légalement imputables à Electro Calvet étaient celles qui résultaient du transfert de contrats de travail prévues à l'article 149 de la loi sur la faillite. Enfin, selon cette ordonnance, l'attribution de la partie d'entreprise en activité était subordonnée au respect simultané des éventuels droits des bailleurs des lieux concernés en combinaison avec les droits reconnus par cette décision à Electro Calvet et à des tiers en ce qui concerne l'activité commerciale.

18 Kirtruna et Mme Vigano sont propriétaires des locaux commerciaux situés à Sitges, près de Barcelone, et loués à Red Elite de Electrodomésticos, qui les utilisait en tant que siège de l'un de ses magasins. Ce magasin fait partie de l'unité de production cédée à Electro Calvet en vertu de l'ordonnance susvisée du 12 juin 2006, et cette société a donc repris les locaux de ce magasin.

19 À la suite de cette ordonnance, Kirtruna et Mme Vigano ont introduit, devant la juridiction de renvoi, une demande d'expulsion pour transfert de bail non autorisé contre Red Elite de Electrodomésticos, les administrateurs judiciaires de celle-ci et Electro Calvet. Elles soutiennent que, en vertu du contrat de bail, elles doivent donner leur autorisation à la cession du bail et qu'aucune disposition légale ne les oblige à accepter son transfert à Electro Calvet.

20 L'article 32 de la loi 29/1994, du 24 novembre 1994, sur les baux en zone urbaine (Ley de Arrendamientos Urbanos, BOE n° 282, du 25 novembre 1994, p. 36129) établirait certes comme règle générale que le locataire peut céder le contrat de bail de local commercial sans que le consentement du bailleur ne soit nécessaire. Cependant, l'application de cette disposition serait expressément exclue pour les contrats de location litigieux qui stipulent que toute cession du contrat devra être consentie par le bailleur et que, dans le cas contraire, celui-ci aura la possibilité d'en demander la résiliation.

21 La juridiction de renvoi a estimé que, s'il était fait droit à cette demande d'expulsion, Electro Calvet serait tenue de quitter les lieux et donc de cesser ses activités, ce qui risquerait d'entraîner l'extinction des contrats de travail au détriment des travailleurs du magasin concerné.

22 À cet égard, elle s'interroge sur l'incidence de la directive 2001-23 sur le transfert d'actifs entre Red Elite de Electrodomésticos et Electro Calvet.

23 Dans ces conditions, le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) La garantie pour l'acquéreur d'une entreprise en situation d'insolvabilité, ou d'une unité de production de cette entreprise, de ne pas assumer les dettes découlant des contrats ou des relations de travail lorsque la procédure d'insolvabilité entraîne une protection au moins équivalente à celle prévue dans les directives communautaires, s'applique-t-elle uniquement et exclusivement aux obligations directement liées aux contrats ou relations de travail ou bien, dans le cadre d'une protection complète des droits des travailleurs et du maintien de l'emploi, cette garantie doit-elle s'étendre à d'autres contrats qui, sans être des contrats de travail au sens strict, affectent cependant les locaux dans lesquels l'activité de l'entreprise est exercée ou certains moyens ou instruments de production indispensables à la poursuite de cette activité ?

2) Toujours dans ce cadre de la protection des droits des travailleurs, le juge saisi de la procédure d'insolvabilité et chargé de statuer sur l'attribution peut-il octroyer cette garantie à l'acquéreur de l'unité de production non seulement pour les droits résultant des contrats de travail, mais aussi pour d'autres contrats ou obligations du débiteur insolvable qui sont indispensables à la poursuite de l'activité ?

3) Lorsqu'un opérateur acquiert une entreprise en situation d'insolvabilité, ou une unité de production de celle-ci, en s'engageant à maintenir tout ou partie des contrats de travail et en assumant les obligations résultant de ces derniers, a-t-il la garantie qu'on ne pourra lui opposer ou qu'on ne lui transférera pas d'autres obligations du cédant liées aux contrats ou aux relations dans lesquelles il est subrogé, en particulier des dettes fiscales ou de sécurité sociale ou des droits que pourraient exercer les titulaires de droits et obligations résultant de contrats conclus par le débiteur insolvable et transférés à l'acquéreur globalement ou avec l'unité de production ?

4) En définitive, en ce qui concerne le transfert d'unités de production ou d'entreprises déclarées juridiquement ou administrativement insolvables et en liquidation, la directive 2001-23 peut-elle être interprétée comme protégeant non seulement les contrats de travail, mais aussi d'autres contrats affectant directement et immédiatement le maintien des premiers ?

5) Enfin, en tant qu'il se réfère à la succession d'entreprise, l'article 149, paragraphe 2, de la loi sur la faillite n'entre-t-il pas en contradiction avec l'article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001-23, dans la mesure où la subrogation transfère au cessionnaire les obligations que les contrats de travail faisaient directement ou indirectement peser sur le débiteur insolvable, en particulier les dettes que ce dernier pourrait encore avoir auprès de la sécurité sociale ?"

Sur la recevabilité

24 Dans leurs observations, la Commission des Communautés européennes et Mme Vigano ont exprimé des doutes sur la recevabilité des questions préjudicielles qui, selon elles, seraient inutiles pour la solution du litige au principal.

25 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure instituée par l'article 234 CE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d'interprétation du droit communautaire qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu'elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêts du 16 juillet 1992, Meilicke, C-83-91, Rec. p. I-4871, point 22, et du 5 février 2004, Schneider, C-380-01, Rec. p. I-1389, point 20).

26 Dans le cadre de cette coopération, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt Schneider, précité, point 21 et jurisprudence citée).

27 Il s'ensuit que les questions relatives à l'interprétation du droit communautaire posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu'il définit sous sa responsabilité, et dont il n'appartient pas à la Cour de vérifier l'exactitude, bénéficient d'une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C-94-04 et C-202-04, Rec. p. I-11421, point 25, ainsi que du 7 juin 2007, van der Weerd e.a., C-222-05 à C-225-05, Rec. p. I-4233, point 22).

28 En premier lieu, la Commission a mis en doute la recevabilité de la cinquième question en raison de son caractère hypothétique. Étant donné que le litige au principal ne porterait pas sur les obligations du cessionnaire liées directement ou indirectement aux contrats de travail, il serait dépourvu de pertinence pour ce litige de demander à la Cour si l'article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001-23 s'oppose à une disposition telle que l'article 149, paragraphe 2, de la loi sur la faillite, qui prévoit le transfert de telles obligations au cessionnaire.

29 Ce motif d'irrecevabilité concerne également la troisième question. En effet, par les troisième et cinquième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001-23 doit être interprété en ce sens que, lorsqu'un opérateur acquiert une entreprise en situation d'insolvabilité en s'engageant à maintenir les contrats de travail des travailleurs concernés et en assumant les obligations résultant de ces contrats, cette disposition exige qu'il ne lui soit pas opposé d'autres obligations du cédant liées à ces contrats, en particulier des dettes fiscales ou de sécurité sociale.

30 Il convient de relever que le litige au principal a pour objet des demandes d'expulsion d'un locataire de locaux commerciaux. En revanche, rien dans le dossier ne permet d'affirmer que la juridiction de renvoi a été saisie d'un litige qui porterait sur l'existence ou l'étendue de la subrogation dans les obligations concernant les contrats de travail, telles que des dettes auprès de l'administration fiscale et de la sécurité sociale.

31 Dès lors que les troisième et cinquième questions ne portent pas sur le rapport juridique entre des bailleurs et des locataires de locaux commerciaux mais sur l'éventuel transfert desdites obligations liées aux contrats de travail, ces questions ne sont manifestement pas pertinentes pour résoudre le litige au principal.

32 Il s'ensuit que les troisième et cinquième questions sont hypothétiques et que, par conséquent, elles ne sont pas recevables.

33 En second lieu, Mme Vigano soutient que les questions préjudicielles sont irrecevables au motif que la juridiction de renvoi n'a pas établi correctement les faits à l'origine du litige au principal. En outre, elles ne seraient pas pertinentes pour ce litige puisque la directive 2001-23 ne serait en l'espèce pas applicable de sorte qu'elle ne constituerait pas le fondement essentiel pour sa résolution. Ledit litige devrait être tranché exclusivement sur le fondement du droit espagnol.

34 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que la présomption de pertinence des questions préjudicielles ne saurait être renversée par la simple circonstance que l'une des parties au principal conteste certains faits dont il n'appartient pas à la Cour de vérifier l'exactitude et dont dépend la définition de l'objet du litige (arrêts précités Cipolla e.a., point 26, ainsi que van der Weerd e.a., point 23).

35 Contrairement à ce que soutient Mme Vigano, la demande de décision préjudicielle ne peut donc être jugée irrecevable au seul motif que la juridiction s'est fondée sur des faits prétendument erronés.

36 Le second motif d'irrecevabilité invoqué par Mme Vigano doit être également écarté. Ainsi qu'il ressort du troisième considérant et de l'article 3 de la directive 2001-23, celle-ci vise à protéger les travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise, en particulier pour assurer le maintien de leurs droits. Le litige au principal porte précisément sur un transfert d'entreprise entre deux personnes morales, ce transfert étant susceptible de porter atteinte à la situation de leurs travailleurs.

37 En effet, si Electro Calvet était tenue de quitter les lieux en cause au principal à la suite du transfert de l'entité économique de Red Elite de Electrodomésticos, elle pourrait être contrainte de cesser les activités de cette entité, ce qui risquerait d'entraîner l'extinction des contrats de travail au détriment des travailleurs concernés. Compte tenu de l'objectif de la directive 2001-23, il n'apparaît pas de manière manifeste que la situation en cause au principal soit exclue du champ d'application de cette directive.

38 Dans ces conditions, l'objection d'irrecevabilité soulevée par Mme Vigano tirée de l'inapplicabilité de dispositions de la directive 2001-23 dans le litige au principal ne saurait être retenue.

Sur les première, deuxième et quatrième questions

39 Par ces questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001-23 exige, en cas de transfert d'entreprise, le maintien du contrat de bail d'un local commercial conclu par le cédant de l'entreprise avec un tiers lorsque la résiliation dudit contrat risque d'entraîner la résiliation des contrats de travail transférés au cessionnaire.

40 À titre liminaire, il convient de constater que, nonobstant la dérogation prévue à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2001-23, l'article 3 de cette directive a vocation à régir une situation telle que celle en cause au principal. Il ressort en effet de la législation nationale que les règles transposant cette disposition s'appliquent, en principe, au transfert d'une entreprise lorsque le cédant fait l'objet d'une procédure d'insolvabilité telle que celle impliquant Red Elite de Electrodomésticos.

41 Le libellé de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001-23, cité au point 6 du présent arrêt, énonce en termes clairs que ce sont les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d'un "contrat de travail ou d'une relation de travail" qui sont transférés au cessionnaire. Or, ainsi qu'il ressort également de l'article 2, paragraphe 1, de cette directive, un contrat de travail ou une relation de travail impliquent, selon ladite directive, un rapport juridique entre les employeurs et les travailleurs, en ayant pour objet la réglementation des conditions du travail. Le contrat de bail n'a pas à l'évidence un tel caractère puisqu'il établit le rapport juridique entre un bailleur et un locataire, en ayant pour objet la réglementation des conditions du bail.

42 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001-23 n'exige pas, en cas de transfert d'entreprise, le maintien du contrat de bail d'un local commercial conclu par le cédant de l'entreprise avec un tiers.

43 Certes, ainsi qu'il a été dit au point 36 du présent arrêt, la directive 2001-23 vise à protéger les travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise, en particulier pour assurer le maintien de leurs droits. Or, leurs relations de travail pourraient être menacées dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal. Faute de transfert automatique du contrat de bail, il existe en effet un risque que le cessionnaire d'entreprise soit tenu de quitter les lieux, de cesser ses activités et donc de résilier les contrats de travail des travailleurs concernés.

44 Toutefois, la nécessité d'atteindre cet objectif de protection des travailleurs ne saurait aller jusqu'à remettre en cause le libellé univoque de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001-23 et porter atteinte aux droits de tiers extérieurs à l'opération de transfert d'entreprise, en leur imposant une obligation de subir un transfert automatique du contrat de bail qui n'est pas clairement prévue par cette directive.

45 Cette conclusion est, par ailleurs, confirmée par l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2001-23. Cette disposition énonce que le transfert d'une entreprise ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire, mais qu'elle ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi.

46 Dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, l'éventuelle extinction des contrats de travail ne serait pas due au seul transfert d'entreprise. Elle serait causée par des circonstances supplémentaires telles que l'absence d'accord entre le cessionnaire et les bailleurs sur un nouveau contrat de bail, l'impossibilité de trouver un autre local commercial ou l'impossibilité de transférer le personnel dans d'autres magasins. Ces circonstances sont susceptibles d'être qualifiées de raisons économiques, techniques ou d'organisation au sens dudit article 4, paragraphe 1.

47 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux première, deuxième et quatrième questions que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001-23 n'exige pas, en cas de transfert d'entreprise, le maintien du contrat de bail d'un local commercial conclu par le cédant de l'entreprise avec un tiers bien que la résiliation dudit contrat risque d'entraîner l'extinction des contrats de travail transférés au cessionnaire.

Sur les dépens

48 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) dit pour droit:

L'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001-23-CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, n'exige pas, en cas de transfert d'entreprise, le maintien du contrat de bail d'un local commercial conclu par le cédant de l'entreprise avec un tiers bien que la résiliation dudit contrat risque d'entraîner l'extinction des contrats de travail transférés au cessionnaire.