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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 1 avril 2008, n° 05-02931

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

JBEG (SARL)

Défendeur :

Brasserie Kronenbourg (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Hoffbeck

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

SCP Cahn & Associés, Mes Crovisier, Houssain

CA Colmar n° 05-02931

1 avril 2008

Selon un acte sous-seing privé du 16 mars 1994, Monsieur Besseyre a souscrit auprès de la société Brasserie Kronenbourg (ci-après dénommée la Brasserie Kronenbourg) une convention de fourniture de bières aux termes de laquelle il consentait une exclusivité d'approvisionnement à la brasserie, en contrepartie de la remise d'un avantage financier de 300 000 F (45 734,71 euro), puis de la mise à disposition d'un tirage-pression d'une valeur de 65 329,10 F (9 959,36 euro) selon avenant du 12 octobre 1994.

Par acte notarié du 8 février 2002, Monsieur Besseyre a vendu à la société JBEG son fonds de commerce de café-bar connu sous l'enseigne "Les Caves du Ralliement" à Angers.

A l'occasion de cette vente, la société JBEG a expressément déclaré reprendre le contrat de fourniture de bières dont elle admettait avoir connaissance.

Après la signature de l'acte de vente du fonds de commerce, la société JBEG ne s'est plus approvisionnée en bière auprès de l'établissement distributeur désigné au contrat, et ce en dépit d'une mise en demeure du 12 février 2002.

Le 24 juillet 2002, la Brasserie Kronenbourg a fait assigner la société JBEG devant la Chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire de la convention de fourniture de bière et de l'avenant du 12 octobre 1994, ainsi que pour obtenir la réparation de son préjudice et la restitution des avantages consentis.

La société JBEG a demandé au tribunal de surseoir à statuer, compte tenu de l'existence de difficultés propres à l'application des règles du droit communautaire et d'interroger la Commission européenne, subsidiairement de dire et juger que le contrat de bière lui était inopposable, de débouter la Brasserie Kronenbourg de ses prétentions et de prononcer la nullité du contrat de bière depuis le 1er février 2002, tant en application de l'article 81 du traité de Rome que des articles L. 330-3 et L. 442-6-I, 1er du Code de commerce.

Par un jugement du 4 février 2005, la juridiction saisie :

- a dit n'y avoir lieu à recueillir l'avis de la Commission européenne ;

- a prononcé la résiliation judiciaire de la convocation de fourniture de bière du 16 mars 1994 reprise par la société JBEG et de l'avenant du 12 octobre 1994, aux torts et griefs exclusifs de la société JBEG ;

- a condamné la société JBEG à payer à la Brasserie Kronenbourg la somme de 33 174,94 euro, augmentée des intérêts au taux légal (au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation) ;

- l'a condamnée à payer à la Brasserie Kronenbourg les sommes de 22 079,70 euro et 4 808,15 euro, augmentées des intérêts au taux légal (au titre du remboursement des avantages consentis) ;

- l'a enfin condamnée à payer à la Brasserie Kronenbourg la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et a ordonné l'exécution provisoire.

Statuant sur l'application du droit communautaire, les premiers juges retiennent :

- que l'article 81 CE n'est applicable que dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'être affecté ;

- que les accords portant sur l'achat exclusif de bière ne créent en principe de barrières significatives à la pénétration du marché national que lorsqu'ils couvrent une proportion significative du marché ;

- que cette part de marché doit être appréciée en tenant compte du réseau d'accords en cause, ainsi que des réseaux parallèles d'accords ayant des effets similaires ;

- que l'article 3 du règlement CE 2790-1999 auquel l'accord de fourniture de bière est soumis prévoit, dans le cas d'accords verticaux contenant des obligations de fourniture exclusive, que l'exemption prévue par l'article 2 est applicable à condition que la part du marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché pertinent sur lequel il vend les biens ou services contractuels ;

- que l'article 2 précise que l'exemption s'applique dans la mesure où ces accords contiennent des restrictions de concurrence tombant sous le coup de l'article 81 § 1 ;

- que la société JBEG ne démontre d'aucune façon que le contrat de bière qu'elle a repris affecte de manière sensible le commerce entre Etats membres, qu'il a pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun ;

- qu'elle ne démontre pas davantage que la Brasserie Kronenbourg dispose de plus de 30 % de parts du marché de la bière en France ;

- que le contrat litigieux, conclu en 1994 pour une durée de dix ans, bénéficiait à l'époque de l'exemption prévue par le règlement CEE 1984-83 ; qu'il était en cours à la date du parution du règlement CE 2790-1999 ;

- que l'article 5 du nouveau règlement précise que l'exemption prévue par son article 2 ne s'applique pas aux obligations contenues dans les accords verticaux dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans ;

- que l'article 12 du même règlement indique toutefois que celui-ci est entré en vigueur le 1er juin 2000, qu'il s'est substitué au règlement CEE 1984-83, mais que les accords en cours remplissant les conditions du précédent règlement restent valables jusqu'au 31 décembre 2001 ; qu'à la date du 1er janvier 2002, il restait 26 mois jusqu'à l'issue du contrat de bière ; que le contrat était donc conforme aux conditions d'exemption prévues par l'article 5 du règlement 2790-99 ;

- qu'en tout état de cause, l'accord verbal qui ne serait pas exempté encourrait, au cas il serait établi qu'il affecterait la concurrence, la nullité de plein droit (article 81 § 2 du traité) et aurait pour effet de remettre les parties dans leur état antérieur et supposerait la restitution des avantages perçus ;

- qu'en l'absence de toute preuve permettant d'établir que le contrat litigieux contrevient aux dispositions de l'article 81 § 1 du traité, il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de la convention de fourniture de bière et de son avenant.

Selon une déclaration enregistrée au greffe le 7 juin 2005, la société JBEG a interjeté appel de ce jugement.

Par une ordonnance du 4 août 2005, le Premier Président a ordonné le sursis à l'exécution provisoire, moyennant fourniture par l'appelant d'une caution bancaire.

Par ses dernières conclusions déposées le 16 novembre 2007, la société JBEG demande à la cour de :

Vu les articles 81 et suivants du traité de Rome,

Vu le règlement 2790-99 du 22 décembre 1999 des Communautés européennes,

Vu le règlement CE 1-2003 du 16 décembre 2002,

Vu l'article 18 alinéa 1er de la loi n° 77-806 du 19 juillet 1977,

Vu les articles L. 330-3, L. 420-1 et L. 442-6-I 1er du Code de commerce,

Vu les articles 1131 et 1152 du Code civil,

- infirmer le jugement entrepris ;

En conséquence,

A titre principal,

- surseoir à statuer, compte tenu de l'existence de difficultés propres à l'application des règles du droit communautaire de la concurrence ;

- interroger la Commission européenne en application du règlement CE 1-2003 aux fins de solliciter qu'elle donne son avis sur les questions suivantes :

+ Dans la situation d'un marché national où l'on compte de très nombreuses entreprises liées par des accords verticaux, l'effet cumulatif résultant de l'existence de ces accords conduit-il à conclure qu'un accord vertical signé entre deux nationaux d'un même pays entre dans le champ d'application de la réglementation communautaire et particulièrement de l'article 81 du traité ?

+ En cas de réponse positive, et en présence d'un accord vertical passé antérieurement au 1er juin 2000 avec un fournisseur disposant de plus de 30 % de parts de marché, les obligations de ce contrat continuent-elles ou non à produire leurs effets au-delà du 31 décembre 2001, si l'accord porte sur 100 % des besoins en bières du débitant ?

+ Au cas où les obligations de ce contrat portant sur 100 % des bières (fûts, bouteilles et autres conditionnements) ne survivraient pas au-delà du 31 décembre 2001, et compte tenu de l'effet cumulatif visé à la question n° 1, la demande d'indemnité d'un fournisseur disposant de plus de 30 % de parts de marché est-elle légitime ou encourt-elle la nullité ?

+ La part de marché d'un fournisseur au sens du règlement 99 doit-elle être entendue comme sa part du marché dans les échanges intracommunautaires concernant ce produit, ou doit-elle être entendue comme sa part du marché pertinent qui, le cas échéant, peut être un marché national ?

- interroger le Conseil de la concurrence français sur le marché de la distribution de la bière et plus particulièrement sur les parts de marché de Kronenbourg dans les cafés hôtels restaurants et dans les "chaînés" ;

A titre subsidiaire,

- dire et juger la Brasserie Kronenbourg autant irrecevable que mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- constater, au besoin dire et juger que la convention de fourniture de bière datée du 16 mars 1994, et la lettre inventaire constituant avenant à la convention précitée datée du 12 octobre 1994, conclues entre la Brasserie Kronenbourg et Monsieur Besseyre, sont inopposables à la société JBEG, ceci d'autant plus que la Brasserie Kronenbourg n'a pas accepté l'intervention de la société JBEG au moment de la cession ;

- débouter en conséquence la Brasserie Kronenbourg de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- prononcer la nullité du contrat litigieux à partir du 1er janvier 2002 en application de l'article 81 du traité de Rome, et débouter ainsi la Brasserie Kronenbourg de l'ensemble des ses demandes, fins et conclusions ;

A titre infiniment subsidiaire,

Si par impossible, la cour devait considérer que la convention de fourniture de bière et l'avenant étaient opposables à la société JBEG,

- constater, au besoin dire et juger que la Brasserie Kronenbourg ne pourra que demander des dommages-intérêts dont le montant est fixé forfaitairement à 20 % du prix des quantités de bière manquante valorisées sur la base de la dernière facturation, et réduire la clause pénale en application de l'article 1152 du Code civil ;

- dire et juger que la Brasserie Kronenbourg autant irrecevable que mal fondée en sa demande de paiement au titre d'une prétendue restitution d'investissement, en raison de l'existence d'une clause pénale et, en tout état de cause, réduire dans de très notables proportions le montant de cette restitution en tenant compte de l'amortissement du matériel et de la valeur de reprise ;

En toute hypothèse,

- condamner la Brasserie Kronenbourg à verser à la société JBEG la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner en tous les dépens de la procédure.

Par ses dernières conclusions déposées le 11 mai 2007, la société Brasseries Kronenbourg demande à la cour de confirmer le principe de la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société JBEG et, dans le cadre d'un appel incident, reprend intégralement ses prétentions initiales. Elle réclame en outre le paiement par la partie adverse d'une somme de 6 000 euro au titre des frais de première instance et d'une somme de 3 000 euro pour les frais d'appel relevant de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens ;

1. Sur la recevabilité de la demande :

Attendu que l'appelante soulève l'irrecevabilité de la demande, en l'absence de droit à agir de la Brasserie Kronenbourg à son encontre, motifs pris que le contrat de bière du 16 mars 1994 a été passé entre le brasseur et Monsieur Besseyre et que, consécutivement à la cession du fonds de commerce intervenue en date du 8 février 2002 au profit de la société JBEG, la Brasserie Kronenbourg n'a pas expressément accepté le débiteur substitué ; que la simple indication faite par un débiteur d'une personne qui doit payer à sa place n'opère pas novation ; qu'en tout état de cause, ne se trouve pas démontrée la rencontre des consentements intervenue entre le cessionnaire et le créancier initial ;

Attendu cependant que la Brasserie Kronenbourg ne s'est jamais prévalue d'une novation par substitution acceptée d'un débiteur par un autre ; qu'elle prétend au contraire disposer de deux débiteurs ;

Attendu que le contrat de bière renferme la stipulation suivante :

"S'il (le débitant de boissons) décidait de vendre, donner en location, en gérance ou céder l'établissement..., il devrait préalablement en informer les Brasseries Kronenbourg par lettre recommandée, en indiquant le nom et l'adresse du successeur envisagé.

Il s'engage à mettre à la charge de son acquéreur, locataire ou autre successeur, les obligations qu'il assume par le présent contrat et d'en apporter la justification aux Brasseries Kronenbourg. Il demeurera, en tout état de cause, responsable de l'exécution de ses obligations par son successeur" ;

Attendu qu'il ressort de l'extrait de l'acte notarié de cession du fonds reçu le 8 février 2002, produit en annexes, que Monsieur Besseyre a respecté l'obligation qui avait été mise à sa charge de faire supporter dorénavant les obligations du contrat du bière par son successeur, la société JBEG ; que le cessionnaire s'est ainsi expressément engagé "à reprendre ce contrat de fourniture dont il déclare avoir connaissance";

Attendu de même que le notaire a mentionné que par lettre recommandée avec accusé de réception, annexée à l'acte, le projet de la cession avait été régulièrement notifié à la Brasserie Kronenbourg ;

Attendu qu'il en résulte que Monsieur Besseyre, débiteur initial, qui était autorisé à le faire, a délégué à la Brasserie Kronenbourg, en cours d'exécution du contrat, la poursuite de l'exécution de ses obligations par la société JBEG ; que cette délégation imparfaite ouvre le droit à la Brasserie Kronenbourg de poursuivre le second débiteur, et ce même si elle n'a pas renoncé à poursuivre le débiteur initial, puisque n'ayant pas expressément accepté une substitution de débiteur ;

Attendu que le moyen d'irrecevabilité sera donc rejeté ;

2. Sur l'application du droit communautaire :

Attendu que l'appelant invoque l'article 81 paragraphe 1 du traité instituant l'Union européenne, qui stipule que sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, ainsi que le paragraphe 2 qui déclare de tels accord nuls de plein droit ;

Attendu que se trouve en litige une convention de fourniture du 16 mars 1994, par laquelle le débitant de boissons s'est engagé à s'approvisionner exclusivement, par l'intermédiaire d'un entrepositaire désigné, en bière commercialisée par la Brasserie Kronenbourg "sous n'importe quelle forme (fûts, bouteilles ou autres conditionnements)" et parmi les marques désignées au contrat, pour un volume de 1 800 hl, en contrepartie de quoi la Brasserie Kronenbourg lui a consenti un avantage financier de 300 000 F (45 734,71 euro), puis la mise à disposition, selon avenant du 12 octobre 1994), d'un tirage-pression d'une valeur de 65 329,10 F (9 959,36 euro) ;

Attendu que, comme la Cour de justice des Communautés européennes l'a relevé dans l'arrêt Delimitis du 28 février 1991, et ainsi que l'a ultérieurement rappelé la Commission dans une Communication du 27 avril 2004 (Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux arts 81 et 82 du traité / paragraphe 49), l'appréciation des effets d'un tel accord implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d'autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence ; qu'il convient d'analyser les effets que produit un contrat de fourniture de bière, en combinaison avec d'autres contrats de même type, sur les possibilités, pour les concurrents nationaux ou originaires d'autres Etats Membres, de s'implanter sur le marché de la consommation de la bière ou d'y agrandir leur part de marché et, partant sur la gamme de produits offerts aux consommateurs ;

Attendu que cela suppose que soit préalablement délimité le marché en cause ;

Attendu que l'application du critère de l'affectation du commerce est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause, le commerce entre Etats membres pouvant également être affecté dans des cas où le marché en cause est national (Lignes Directrices du 27 avril 2004 / paragraphe 22) ;

Attendu en l'occurrence que l'activité économique concernée est la vente de bière dans les débits de boissons, soit les CHR (cafés, hôtels, restaurants) ;

Attendu que, sur le plan géographique, ces "contrats de bière" sont en général conclus au niveau national ;

Attendu qu'il y a donc lieu de prendre en considération le marché national de la distribution de la bière dans des débits de boissons (CHR) ;

Attendu que, par un Avis n° 96-A-09, le Conseil de la concurrence relève que : "il existe sur la marché de la bière destinée aux cafés-hôtels-restaurants de fortes barrières à l'entrée ; qu'à celles communes à l'ensemble du secteur de la bière, telles que celles qui découlent du caractère fortement capitalistique du processus de production ou du caractère mature de ce marché, il convient d'ajouter les barrières spécifiques constituées par les réseaux intégrés d'entrepositaires-grossistes, l'existence de contrats d'approvisionnement exclusifs passés avec les débitants de boissons par les trois brasseurs, qui détiennent ensemble 90 % de ce marché (dont Kronenbourg), la forte concentration de l'offre qui ne permet que difficilement l'acquisition d'une brasserie déjà implantée sur le marché pour le pénétrer, et la forte fidélité aux marques qui caractérise ce marché ; que cette situation rend difficile l'accès de nouveaux concurrents sur ce marché ainsi que le développement de ceux qui y sont déjà présents" ;

Attendu que cette position se trouve confortée dans un autre Avis du 18 mai 2004 (relatif à plusieurs acquisitions d'entrepôts réalisées par le Groupe Scottich & Newcastle/Kronenbourg dans le secteur de la distribution de bières dans le circuit CHR), libellé en ces termes : "il existe un risque de verrouillage de l'accès à la distribution des brasseurs non intégrés sur les marchés locaux sur lesquels la majeure partie de la distribution de la bière est contrôlée par un ou plusieurs brasseurs ; l'intégration verticale des deux premiers brasseurs, qui détiennent près de 60-70 % du marché de la distribution de bières au niveau national, dont 20-30 % pour le réseau de Kronenbourg, produit des effets cumulatifs ; les barrières à l'entrée sur les marchés de la distribution de la bière, l'absence d'alternative à la distribution par des entrepositaires-grossistes et l'incapacité des CHR à faire contrepoids, permettent aux brasseurs intégrés de verrouiller l'accès à la distribution dès lors que les distributeurs indépendants n'offrent plus un débouché suffisant";

Attendu qu'un tel verrouillage emporte inévitablement, en raison à la fois du nombre de CHR liés par des contrats de bière (70 à 80 % selon l'Avis susvisé du 18 mai 2004) et du volume total de bière en fût vendu sous exclusivité (50 à 60 % selon le même Avis), des difficultés notables d'accès au marché de vente de bières non seulement pour les concurrents nationaux, mais également étrangers, en particulier ceux implantés dans les Etats membres;

Attendu en tout état de cause que la société intimée n'est pas fondée à soutenir que le contrat repris par la société JBEG n'aurait pas verrouillé ni contribué à verrouiller le marché pertinent, compte tenu de l'infinie faiblesse des volumes de bière soumis à l'exclusivité et de l'ouverture du marché à la concurrence en raison du contenu des contrats de bière-type Kronenbourg, dénués de toute clause de non-concurrence au sens de l'article 1er b) du règlement 2790-1999, dans la mesure où les autres contrats de fourniture de bière conclus depuis le 1er janvier 2000 n'obligeraient pas le détaillant à s'approvisionner pour plus de 80 % de ses achats annuels de bières auprès de la Brasserie Kronenbourg ; qu'en effet, la spécificité du contrat litigieux, qui a maintenu à la charge du débitant de boissons l'obligation de se fournir auprès du dépositaire désigné pour la totalité de son approvisionnement en bière, influe uniquement, ainsi que cela sera vu plus loin, sur la privation de l'exemption automatique prévue par le règlement 2790-1999 du 22 décembre 1999, mais ne fait pas échapper le contrat à l'effet cumulatif attaché au réseau d'accords verticaux du même type;

Attendu ainsi qu'il est établi que les accords du même type que celui en litige sont globalement susceptibles d'affecter de façon sensible le commerce entre Etats membres et qu'ils ont pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun ;

Attendu en conséquence que ces accords sont en principe incompatibles avec le Marché commun en application de l'article 81 § 1 du traité sur l'Union européenne ;

3. Sur le bénéfice d'un règlement d'exemption :

Attendu que sera préalablement relevée la contradiction ressortant des écritures de la société intimée, qui d'une part discute longuement de la part réelle qu'elle détiendrait sur le marché pertinent et se réfère expressément aux dispositions de l'article 3 § 1 de ce texte prévoyant une exemption automatique lorsque la part du marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché pertinent, ce qui signifie qu'elle admet que le contrat de bière litigieux entre dans le champ d'application du règlement 2790-1999, et qui d'autre part estime néanmoins que ce texte européen "n'a pas à s'appliquer" (page 7 de ses conclusions) en se fondant sur les dispositions de l'article 12 dudit règlement ;

Attendu que les conclusions de la société intimée apparaissent pour le moins comme peu claires ;

Attendu qu'il est constant que le contrat de bière litigieux a été conclu le 16 mars 1994, sous l'égide du règlement CEE n° 1984-83 de la Commission du 22 juin 1983 relatif à l'application de l'article 85 § 3 du traité (devenu l'article 81) ; qu'ayant été conclu pour une durée de dix ans, est entre-temps intervenu le nouveau règlement CE n° 2790-1999 de la Commission du 22 décembre 1999 ;

Attendu que c'est l'article 12 du règlement 2790-1999 qui régit la période de transition ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, l'interdiction énoncée à l'article 81 § 1 du traité ne s'applique pas, pendant la période du 1er juin 2000 au 31 décembre 2001, aux accords déjà en vigueur au 31 mai 2000 qui ne remplissent pas les conditions d'exemption prévues par le présent règlement, mais qui remplissent les conditions d'exemption prévues par les règlements précédents ;

Attendu que, dans les Lignes Directrices sur les restrictions verticales du 13 octobre 2000 (paragraphe 70), la Commission a interprété ces dispositions transitoires en ce sens que les accords nés antérieurement et qui satisfaisaient aux conditions d'exemption prévues par les règlements par catégorie qui ont expiré le 31 mai 2000 (comme le règlement 1984-83) peuvent continuer à bénéficier des dispositions des règlements antérieurs jusqu'au 31 décembre 2001 ;

Attendu qu'il en résulte qu'en principe, les accords soumis aux règlements d'exemption par catégorie antérieurs ne pouvaient plus bénéficier de cette exemption à partir du 1er janvier 2002 ;

Attendu toutefois que la Commission atténue la rigueur de son interprétation en ces termes :

"Les accords conclus par des fournisseurs dont la part de marché ne dépasse pas 30 % et qui ont signé avec leurs acheteurs des accords de non-concurrence pour une durée supérieure à cinq ans sont ainsi couverts par le règlement d'exemption par catégorie si, au 1er janvier 2002, la durée de ces accords de non-concurrence qui reste à courir ne dépasse pas cinq ans" ;

Attendu ainsi que, pour un contrat de bière conclu, comme en l'espèce, avant le 1er juin 2000 et dont la durée restant à courir au 1er janvier 2002 n'excède pas cinq ans, l'accord n'est plus soumis au règlement 1984-83 à partir du 1er janvier 2002, mais peut entrer dans la champ d'application du nouveau règlement 2790-1999 si la part de marché du brasseur est inférieure à 30 % ;

Attendu que, dans ses conclusions d'intimée, la Brasserie Kronenbourg explique que les pièces produites ne permettent pas, comme l'a retenu le tribunal, de démontrer que la part du marché détenue par elle est supérieure à 30 % et met en avant que le délai de cinq ans prévu à l'article 12 a été "parfaitement respecté", laissant ainsi supposer (mais elle ne le dit pas) qu'elle pourrait bénéficier de l'exemption automatique prévue par le nouveau règlement;

Attendu cependant que, dans la présente affaire, il n'est même pas nécessaire de rechercher la part effective que détient la Brasserie Kronenbourg sur le marché pertinent, dans la mesure où, si le contrat de bière litigieux devait effectivement entrer dans le champ d'application du nouveau règlement (ce que la société intimée semble exclure elle-même en page 7 de ses conclusions, ainsi que cela a été relevé plus haut), l'exemption automatique prévue à l'article 2 du règlement 2790-1999 serait de toute manière écartée dès lors que l'accord litigieux renferme une "obligation directe ou indirecte de non-concurrence" telle que définie à l'article 1er b), c'est-à-dire lorsque l'accord impose à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'un autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens et services ;

Attendu au demeurant que, ainsi que cela a déjà été constaté à propos de l'application de l'article 81 § 1 du traité, la Brasserie Kronenbourg, pour rejeter tout effet cumulatif pouvant conduire à l'application du droit communautaire, fait valoir que le contrat litigieux est une exception parmi tous les autres contrats de bière en vigueur ; qu'elle écrit précisément que "l'immense majorité des contrats de fourniture de bières existant en février 2002, date de la reprise du contrat par la SARL JBEG, ne contenaient pas d'obligation d'approvisionnement exclusif au sens de l'article 1er b) du règlement n° 2790-99, ce qui excluait toute possibilité d'effet cumulatif et donc d'effet restrictif de concurrence intracommunautaire du contrat litigieux"; qu'elle admet donc implicitement que, pour la quasi-totalité des autres contrats de bière conclus dans des conditions similaires à celles du contrat litigieux, elle avait normalement procédé aux corrections rendues indispensables par le nouveau règlement, en permettant aux débitants de boissons de limiter leurs approvisionnements à 80 % de leurs achats annuels ; que ces ajustements se sont généralement réalisés en limitant l'obligation d'approvisionnement exclusif, pour la durée des contrats restant à courir, aux seules bières en fût ;

Attendu en l'occurrence que le contrat de bière oblige le débitant de boissons à s'approvisionner exclusivement pour toutes sortes de bière (fûts, bouteilles ou autres conditionnements), soit pour 100 % de ses besoins, auprès du dépositaire désigné par le brasseur ;

Attendu en conséquence que la Brasserie Kronenbourg d'une part n'invoque pas et ne peut plus se prévaloir depuis le 1er janvier 2002 de l'exemption par catégorie prévue par le règlement précédent n° 1984-83 ; que d'autre part, elle ne réunit pas davantage les conditions pour bénéficier d'une exemption automatique au titre du règlement 2790-1999, dont elle ne revendique d'ailleurs même pas clairement l'application ;

Attendu qu'elle serait encore recevable à solliciter une exemption individuelle, mais ne formule aucune véritable prétention à cet égard et omet d'engager toute discussion sur les conditions d'obtention d'une telle exemption ;

Attendu qu'il convient dès lors de prononcer l'annulation du contrat de bière et, infirmant le jugement entrepris, de débouter la Brasserie Kronenbourg de toutes ses prétentions relatives à l'application des clauses du contrat annulé ;

Attendu toutefois que les circonstances du litige et l'équité excluent qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu enfin que les entiers dépens devront être supportés par la Brasserie Kronenbourg ;

Par ces motifs, LA COUR, Constate que ni la régularité formelle ni la recevabilité de l'appel ne sont contestées; Au fond : Infirmant le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Annule le contrat de bière du 16 mai 1994 par application de l'article 81 § 2 du traité instituant l'Union européenne ; Déboute en conséquence la société Brasseries Kronenbourg de ses prétentions ; Rejette toutes autres prétentions des parties ; Condamne la société Brasseries Kronenbourg aux dépens de première instance et d'appel ; Ordonne la transmission d'une copie de la présente décision à la Commission européenne en application de l'article 15 du règlement CE n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002.