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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 20 novembre 2007, n° 07-05217

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Tomécanic-Benetière (SA)

Défendeur :

Castorama France (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Fossier

Conseillers :

M. Deleneuville, Mme Neve de Mevergnies

Avoués :

Selarl Eric Laforce, SCP Deleforge Franchi

Avocats :

Mes Henriot-Bellargent, Pouille Groulez, Lequai, Renaudier

T. com. Lille, du 12 juill. 2007

12 juillet 2007

La société Tomécanic-Benetière (ci-après Tomécanic) est une société familiale créée en 1963 qui fabrique des outillages spécialisés pour le bâtiment et notamment pour la pose de carrelages, qu'elle commercialise auprès d'une clientèle principalement constituée de réseaux de revendeurs pour le bricolage et des professionnels du bâtiment.

Tomécanic produit à ce sujet un constat d'huissier remontant au 7 janvier 1999, qui témoigne d'une authentique activité industrielle de fabrication dans son usine d'une surface de 8 000 m2 implantée à Dôle, dont les 2/3 environ sont consacrés à des activités de production.

Le groupe Castorama France (Castorama + Brico-Dépôt) représentait jusqu'au début 2006, 41 % de l'activité totale de Tomécanic. Castorama représentait, à elle seule, de l'ordre de 25 % du chiffre d'affaires global de Tomécanic et était l'un de ses plus anciens acheteurs (environ 1975). Le chiffre d'affaires réalisé avec Brico-Dépôt s'élevait à 1 495 513 euro hors taxe pour 2004, année qui précède la rupture des relations commerciales qui fait l'objet principal du présent litige.

Le chiffre d'affaires était passé de 1 059 870 euro en 2002 à 1 495 513 euro en 2004.

Indépendamment des produits fabriqués par Tomécanic pour Castorama élaborée sous marque éponyme (ci-après, les MDD), la gamme des produits offerte par Tomécanic a été élaborée en accord avec Castorama et Brico-Dépôt. Tomécanic a notamment mis au point un nouveau modèle de coupe-carreaux électrique Premium, devenu MDD.

C'est dans ce contexte que Tomécanic recevait de Castorama une lettre simple du 28 juin 2005 qui l'informait de la décision de Castorama de mettre en place une procédure d'appel d'offres pour la fourniture des produits jusque-là fournis par Tomécanic en outillage pour le carrelage.

Il était prévu, par la fourniture d'un Cd-Rom ad hoc, que Tomécanic serait invitée à participer à l'appel d'offres. Tomécanic soumissionnait le 29 juillet 2005, la veille de la date limite indiquée par Castorama. L'offre d'un tiers non identifié était retenue et Tomécanic était invitée à faire une contre-proposition avant le 10 novembre 2005. Un différend [sur] les modalités du prix (net, net-net ou triple net) séparait les parties mais Tomécanic mettait au point une nouvelle offre dans le délai requis (4 novembre).

Par lettre RAR du 18 novembre 2005, Castorama notifiait à Tomécanic le déférencement de certains produits (listés en annexe) à compter du 1er septembre 2006. La même mesure était prise par lettre RAR du 2 mars 2006 pour l'ensemble des produits MDD à compter du 2 mars 2007.

Par lettre RAR du 20 juillet 2006, Tomécanic manifestait son désaccord, relevant que Brico Dépôt, société du même groupe que Castorama, avant pris un an avant la même décision dans d'identiques conditions, et que Tomécanic perdait ainsi presque la moitié de son chiffre, du fait d'un acteur économiquement unique. Tomécanic relevait en outre la discordance dans le calcul du temps de préavis selon les produits et demandait l'alignement sur le plus long des deux. Un échange de courriers avait à nouveau lieu, les 9 août et 22 septembre 2006, sans modification des positions respectives des parties.

Tomécanic a fait assigner Castorama pour obtenir réparation de son préjudice, qu'elle décrit de ces divers chefs :

- nécessité d'engager un plan social affectant 36 salariés, soit le tiers de l'effectif ;

- perte de 713 769 euro dans les résultats de 2006 ; la stabilisation n'a été retrouvée qu'à la fin de 2007 ;

- procédure d'alerte déclenchée par le commissaire aux comptes ;

- dès la fin décembre 2006, Tomécanic a été en mesure d'établir la perte de chiffre d'affaires supportée sur l'ensemble de l'exercice.

Les conséquences de la rupture ont été aggravées par la décision concomitante de Brico-Dépôt de rompre ses relations commerciales avec Tomécanic;

Le préjudice de Tomécanic atteint ainsi 2 115 750 euro de perte de chiffre d'affaires et 650 000 euro pour diverses incidences de la rupture.

Par jugement rendu le 12 juillet 2007, le Tribunal de commerce de Lille n'a fait droit que partiellement à ses demandes en condamnant Castorama à lui payer la somme de 107 435,98 euro, mais a dit que Tomécanic était elle-même redevable de la somme de 477 456,57 euro TTC au titre de participations publicitaires de Tomécanic dans certains magasins Castorama.

La SA Tomécanic Benetiere a interjeté appel le 10 août 2007. La SAS Castorama France a demandé la confirmation pure et simple, outre le paiement de 10 000 euro pour frais de sa défense exposés en appel. Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens et prétentions, selon ce qu'autorise l'article 455 NCPC.

Sur quoi, LA COUR

A - Rupture sans préavis suffisant

1° - Sur la norme applicable (prééminence de la loi sur l'accord Unibal-FMB)

Aux termes de l'article L. 442-6 1 5° du Code de commerce, la rupture de relations commerciales établie ne peut intervenir " sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. "

Le secteur du bricolage est un des secteurs dans lesquels un accord interprofessionnel (l'accord FMB/UNIBAL) est intervenu pour préconiser des délais de préavis.

Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que l'accord FMB/UNIBAL ne reprenait ni des délais minimums, comme le faisait valoir Tomécanic, ni des délais maximums, comme le prétendait Brico-Dépôt, mais qu'il s'agissait simplement " d'une référence comme il est indiqué expressément en préambule de cet accord ".

Tout en affirmant que les délais préconisés par l'accord FMB/UNIBAL ne constituaient qu'une simple référence, le Tribunal s'est contredit en leur donnant force obligatoire au motif, erroné, d'un "accord entre les parties" pour l'appliquer.

Néanmoins, la loi n'entend pas que les juges, en plafonnant les délais à respecter par l'auteur de la rupture, aboutissent paradoxalement à accorder à la victime du déréférencement moins que ce à quoi elle pourrait prétendre en l'absence d'accord. L'existence d'un accord interprofessionnel ne dispense pas la juridiction saisie d'examiner de façon concrète si le préavis était suffisant pour permettre au partenaire de trouver une solution alternative. Par suite, les délais de préavis figurant dans l'accord FMB/UNIBAL ne sont pas des délais maximum de préavis mais " des références à respecter ", ce qui signifie qu'il s'agit de délais minimums s'imposant aux signataires. Ceci résulte des termes de l'accord, ainsi que des dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, aux termes desquelles l'auteur de la rupture doit tenir compte à la fois de la durée de la relation commerciale et respecter " la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ". Il faut ajouter que l'accord FMB/UNIBAL fixe des durées de préavis qui ne tiennent pas compte de la situation de dépendance économique dans laquelle la victime de la rupture peut se trouver, ainsi que cela résulte expressément du préambule de l'accord. Ceci ne peut être interprété comme créant une exception aux dispositions légales sur la dépendance économique. Une telle conclusion n'aurait aucun fondement juridique, alors surtout que l'abus de dépendance économique fait l'objet d'une disposition distincte de l'article L. 442-6 1 5°.

Aux termes de l'accord UNIBAL/FMB, un préavis d'une durée comprise entre 6 et 12 mois doit être respecté lorsque les relations commerciales ont duré plus de 5 ans et que le déréférencement porte sur 75 % à 100 % du chiffre d'affaires total réalisé entre les parties. Dans le cas présent, le délai indicatif était par conséquent d'une année ; mais il pouvait varier à la hausse, sur la preuve de la dépendance économique du fournisseur et de l'ancienneté réelle de la relation commerciale, dont il va être maintenant traité.

2° - Sur la dépendance économique de Tomécanic

Chacun des critères jurisprudentiels de la dépendance économique sont remplis dans le cas présent :

- la part du chiffre d'affaires réalisé avec Brico-Dépôt et Castorama est très importante ; Tomécanic est en droit d'écrire, au vu des faits énoncés en tête du présent arrêt et que Castorama n'a même pas cherché à contredire, que "le poids de Castorama dans le chiffre d'affaires de Tomécanic doit être mesuré en prenant en considération le poids de l'ensemble Castorama + Brico-Dépôt. Cet ensemble pesait jusqu'au début 2006 41 % de l'activité totale de Tomécanic. Même isolée de Brico-Dépôt, la part de Castorama dans le chiffre d'affaires de Tomécanic demeure très importante (environ 25 % du chiffre d'affaire global hors RFA).

Castorama et Brico-Dépôt représentent la première enseigne du marché français du bricolage, avec une part de marché s'élevant en 2006 à plus de 35 % dans le circuit de la grande distribution, lequel est largement prédominant (67 % du marché total),

Dans son avis n° 97-A-04 du 21 janvier 1997, le Conseil de la concurrence a dressé un bilan du degré de concentration atteint en France en 1996 dans le secteur de la grande distribution. S'agissant du secteur du bricolage, il a relevé " qu'un vaste mouvement de concentration a favorisé l'émergence de quelques grandes enseignes (Leroy Merlin, Castorama, Mr Bricolage, Bricomarché ...) qui détiennent la majeure partie du marché."

Le poids de Castorama et de Brico-Dépôt dans son chiffre d'affaires est le reflet du poids de ces deux entreprises sur le marché. Castorama et Brico-Dépôt sont avec Leroy-Merlin les 3 premières enseignes sur le marché français".

Castorama relève que le chiffre d'affaires de Tomécanic aurait seulement baissé de moins de 10 % en 2006 par rapport à 2005, alors qu'en 2006, les relations avec Brico-Dépôt se sont terminées totalement et celles avec Castorama partiellement. Assimilant cette baisse à un quasi-maintien du chiffre d'affaires de Tomécanic, elle en conclut que Tomécanic serait parvenue à compenser sans difficultés la perte de 41% du chiffre d'affaires représentée par Castorama et Brico-Dépôt. Cette affirmation est contraire à la réalité car les relations avec Castorama se sont poursuivies en 2006 sauf pour l'outillage à mains déréférencé au 1er septembre 2006. C'est donc sur l'année 2007 que la perte de chiffre d'affaires subie par Tomécanic se mesure pleinement. La perte de chiffre d'affaires de Tomécanic (hors Benetière) est de l'ordre de - 40 % en 2007 par rapport à 2006, ainsi que Tomécanic en justifie (Pièce Tomécanic n° 119).

Tomécanic était par conséquent dans une situation de dépendance économique importante à l'égard de Brico-Dépôt et Castorama.

2° bis - Sur le différend avec Brico-Dépôt

Vainement Castorama cherche à faire ignorer par la cour les termes du différend parallèle avec Brico-Dépôt.

Certes les deux instances sont demeurées distinctes sur le plan procédural. Certes les deux sociétés sont juridiquement distinctes. Certes encore, leurs activités sont identiques mais destinées à des clientèles différentes : le bricoleur dans le cas de Castorama, le professionnel dans le cas de Brico-Dépôt.

Mais dans l'analyse d'une rupture, il n'est pas possible de gommer le contexte économique ; en quoi, Tomécanic est en droit de faire valoir, pour l'examen de sa dépendance comme pour l'évaluation des conséquences de la rupture, la gémellité des deux entités Brico-Dépôt/Castorama.

3° - Sur la durée de la relation commerciale

Le tribunal a estimé que les relations entre les parties avaient été d'environ 30 ans. Castorama ne cherche pas à avancer un chiffre moindre (ses conclusions, parag. 1.3, évoquent "de nombreuses années").

4° - Sur la durée en conséquence du préavis

En raison tant de la dépendance économique de son fournisseur par rapport à elle, qui en avait une exacte conscience, et par rapport à la durée très longue de la relation commerciale, la société Castorama ne pouvait pas se contenter de retenir le haut de la fourchette prévue dans l'accord UNIBAL/FMB. La durée de 5 années envisagée par l'accord UNIBAL/FMB est très inférieure à la période longue (30 ans) pendant laquelle Tomécanic a livré Castorama.

Celle-ci devait encore tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et en particulier de la situation de dépendance économique dans laquelle Tomécanic se trouvait à son égard. Elle devait également tenir compte des investissements réalisés par Tomécanic tout au long des relations par Tomécanic pour adapter son outil industriel aux demandes spécifiques de Castorama et du temps nécessaire à sa reconversion, compte tenu de l'absence de source alternative comparable sur le marché.

Castorama devait ainsi s'assurer que la durée minimale préconisée par l'accord UNIBAL/FMB était suffisante au regard des dispositions des articles L. 442-6, I, 5° et L. 442-6-I-2° b) du Code de commerce, l'accord UNIBAL/FMB ne pouvant donner moins que ce qui est accordé par la loi.

En définitive, c'est un délai minimum de 18 mois qui aurait dû être observé dans le cas présent par Brico-Dépôt eu égard à:

- la durée des relations commerciales entre les parties,

- l'ensemble des investissements réalisés par Tomécanic pour satisfaire la demande de Castorama,

- la concomitance avec le déréférencement total de Tomécanic par Castorama société du même groupe que Brico-Dépôt,

- l'importance du chiffre d'affaires déréférencé dans le chiffre d'affaires total de Tomécanic (plus de 40 %),

- la situation de dépendance économique de Tomécanic à l'égard de Castorama + Brico-Dépôt, qui constitue une circonstance aggravante de la rupture brutale des relations.

5° - Sur la différence de durée et de point de départ du préavis selon les produits

Ainsi que l'ont indiqué les premiers juges, la loi ne prévoit d'augmentation du délai de préavis pour les produits MDD que s'agissant des préavis très brefs. Telle n'est pas la circonstance de l'espèce.

Quant au point de départ de chaque préavis, les premiers juges ont retenu la date du 28 juin 2005. Cette date n'est que celle de l'annonce d'un appel d'offre pour certains des produits fournis par Tomécanic à Castorama. Cette annonce (contrairement à ce que fera Brico-Dépôt) ne comporte aucune menace de déférencement, ainsi qu'il a été dit dans l'exposé des faits qui commence le présent arrêt.

Dès lors, ce sont les deux LRAR, l'une du 18 novembre 2005, l'autre du 2 mars 2006, qui constituent les points de départ des préavis.

6° - Sur le doublement du préavis

En application de l'article L. 442-6 l 5° du Code de commerce, tel que modifié par la loi du 2 août 2005, la durée minimale de préavis est doublée dans le cas de rupture résultant d'une mise en concurrence par enchères à distance dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de 6 mois et elle est d'au moins un an dans les autres cas.

Les circonstances de l'espèce n'ont pas mis en œuvre le processus des enchères à distance, qui use de la voie électronique et non pas de la soumission par courrier.

7° - Sur le caractère brutal de la rupture

L'accord FMB/UNIBAL requiert que l'annonce de toute rupture des relations commerciales soit précédée d'une rencontre entre interlocuteurs pouvant engager la responsabilité de l'entreprise, provoquée par la partie ayant pris cette décision afin d'en exposer les raisons à l'autre partie. Cet entretien doit être suivi de l'envoi d'une lettre recommandée confirmant ses raisons qui aux termes de l'accord FMB/UNIBAL marque le point de départ du délai de préavis.

Tomécanic ne justifie pas que Castorama ait manqué au respect de ces formes requises par cet accord, plus protectrices que les dispositions de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce.

8° - Sur le préjudice de Tomécanic

La perte subie par Tomécanic comprend la marge brute qui aurait dû être réalisée par Tomécanic pendant la durée du préavis qui n'a pas été observée ; un préjudice économique de reconversion ; une atteinte à l'image.

La perte de marge sera calculée sur 8 mois et demi (18 mois de préavis dû moins 9 mois et demi de préavis observé) pour les produits visés dans l'annexe à la lettre de rupture du 18 novembre 2005 ; et sur 6 mois (18 mois moins 12 mois de préavis observé) pour les autres produits, concernés par la lettre du 2 mars 2006.

Tomécanic avance, sans être clairement contredite, le chiffre mensuel de 75 950 euro pour les produits déréférencés en 2005, et de 68 716,66 euro pour les produits déréférencés en 2006. Ses pièces n° 38 à 40 corroborent cette évaluation.

Le total dû par Castorama atteint dès lors 1 057 874,96 euro.

Le préjudice de reconversion, qui consiste dans l'obligation pour Tomécanic de rechercher de nouveaux marchés et d'y adapter au besoin son outil de production, ne doit pas faire double emploi avec l'abus de dépendance économique dont il sera question plus loin et qui a pu amener Tomécanic à se conformer profondément aux attentes de Castorama pendant trente ans. La cour allouera à Tomécanic à titre d'indemnisation de son préjudice financier et économique, raisonnablement estimés à 30 000 euro.

Le préjudice de perte d'image doit être réparé car la distribution des produits de Tomécanic dans les magasins Castorama leur donnait une notoriété qui se trouve aujourd'hui perdue. La clientèle habituelle de Castorama étant celle des particuliers, très sensible à la marque et à l'origine française des produits, le préjudice d'image à Tomécanic est élevé. Il sera alloué à ce titre des dommages et intérêts de 40 000 euro.

B - Abus dans la rupture

Tomécanic, au rebours de ce qu'elle prétend, n'a pas été manifestement trompée par une procédure d'appel d'offre qui se serait avérée truquée ou imaginaire.

Elle a reçu régulièrement des éléments pour y participer.

Le temps pour ses réponses a été suffisant.

Le déréférencement est intervenu en deux temps, assez éloignés, de sorte qu'il est difficile de soutenir l'idée d'une manœuvre expéditive pour se débarrasser d'un fournisseur trop cher.

Il n'est pas permis à la cour, sinon par l'effet d'une intime conviction mal venue, de prétendre que Castorama avait pris sa décision de déréférencement avant même juin 2005.

C - Abus de dépendance économique

Il résulte de l'exposé des faits par la cour et de l'analyse des conditions de la rupture brutale, ci-dessus, que Tomécanic était en état de dépendance économique par rapport à Castorama et plus globalement par rapport au groupe Castorama.

Tomécanic fait la preuve que tout au long des relations commerciales, Castorama a abusé de cette dépendance économique, l'abus apparaissant du seul fait des sacrifices imposés au fournisseur pour finalement rompre dans des conditions illicites.

Il est ainsi avéré que Castorama a exigé de son fournisseur des prix stables qui ne tenaient pas compte de l'augmentation du coût des matières premières. Les autres prétentions de Tomécanic (conditions de paiement anormales, avantages sans contrepartie) ne sont étayées par aucune pièce.

S'agissant du refus de réviser les tarifs en 2005 et en 2006 après avoir imposé à Tomécanic une baisse importante des prix, Castorama a manqué à la bonne foi contractuelle en refusant de renégocier les prix, compte tenu de l'évolution du cours des matières premières survenue postérieurement, sans que les parties aient pu le prévoir.

Le refus de prendre en considération la demande de révision des tarifs a coûté en 2005 et 2006 près de 45 000 euro de perte de marge à Tomécanic, chiffre que Castorama est en peine de contester de manière pertinente. Mais il faut tenir compte de ce que si elle s'était obligée à réviser ses tarifs au profit de Tomécanic, Castorama aurait sans doute perdu en chiffre d'affaires et diminué ses commandes. Castorama sera condamnée à payer à Tomécanic la somme de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi suite à son manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs.

En revanche, la demande de 8 503 euro pour frais exposés à l'occasion de l'ouverture de magasins Casto est nouvelle en cause d'appel et comme telle irrecevable.

D - Sur la demande reconventionnelle de Castorama

Castorama avait formé une demande reconventionnelle à hauteur de 372 575,41 euro TTC, après compensation entre les sommes qu'elle reconnaissait devoir à Tomécanic pour 104 881,16 euro TTC (factures) et les sommes dont elle prétendait qu'elles lui seraient dues par Tomécanic au titre de la ristourne de 15 % pour les années 2006 et 2007 (477 456,57 euro TTC).

Le tribunal a accueilli la première demande (factures), avec cette précision que la créance de Tomécanic s'élevait en réalité à 107 439,98 euro TTC.

Le point important de la demande reconventionnelle de Castorama portait sur le paiement de la remise de fin d'année pour 2006 et 2007.

Tomécanic contestait devoir à Brico-Dépôt cette remise partiellement pour 2006 et en totalité pour 2007.

A l'appui de sa position, Tomécanic faisait valoir qu'elle ne saurait être tenue de verser une remise qui avait pour contrepartie son référencement, alors qu'elle a subi un déréférencement de ses produits en 2005 et 2006.

Le jugement a rejeté la contestation soulevée par Tomécanic et fait droit à la demande de Brico-Dépôt, en relevant que "les produits de la SA Tomécanic Benetière ont bien figuré dans les rayons de Castorama jusqu'au terme de la période de préavis, soit mars 2007".

La cour infirmera le jugement sur ce point. En effet, aux termes de l'accord commercial conclu en 2005, la ristourne de fin d'année consistait dans une remise liée à la négociation commerciale, au référencement et à la codification des produits centralisés. Or Castorama a notifié à Tomécanic son déréférencement par lettre RAR du 18 novembre 2005. En application des règles relatives aux contrats (articles 1134 et 1183 et suivants du Code civil), le déréférencement prive la remise de son objet pour 2006 et 2007, mais pas pour 2005.

Cependant, Brico-Dépôt ne saurait exiger le versement d'une remise qui est contraire aux dispositions de l'article L. 442-6 I 1° et 2° du Code de commerce en raison de son caractère manifestement disproportionné et discriminatoire.

En effet, du fait de l'état de dépendance économique dans lequel Tomécanic était à son égard, Brico-Dépôt et Castorama ont obtenu d'elle un avantage qui n'a pas d'équivalent chez les autres clients de Tomécanic. Certes ces clients réalisent un chiffre d'affaires moins important mais, dans tous les cas, le taux des remises de fin d'année est inférieur à 8 %, ce qui fait ressortir le caractère manifestement disproportionné du taux obtenu par Brico-Dépôt et Castorama.

En conséquence, Tomécanic ne saurait être tenue de régler les remises litigieuses.

Elle ne prétend pas à restitution de RFA qui auraient été payées à tort par elle ; il lui en sera donné acte.

E - Accessoires

Tomécanic étant bien fondée en son appel, il lui sera alloué une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC, pour chacun des deux stades de la procédure.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, Infirme le jugement rendu à Lille le 12 juillet 2007, sauf en ce qu'il a dit que Castorama était redevable de la somme de 107 435,98 euro TTC à l'égard de Tomécanic au titre de factures impayées ; Statuant à nouveau, 1°) - Sur les demandes principales de Tomécanic Dit que la société Castorama a rompu sans préavis suffisant ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Benetière, Dit que la société Castorama a abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle la société Tomécanic-Benetière se trouvait à son égard, Dit que la société Castorama a manqué à son obligation de renégocier de bonne foi les tarifs en 2005 et 2006, Condamne en conséquence la société Castorama à payer à la société Tomécanic-Benetière en réparation : - la somme de 1 057 874,96 euro à titre de perte de marge brute du fait du non-respect du préavis, - la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice financier de reconversion subi par la société Tomécanic-Benetière, du fait de la rupture brutale, - la somme de 40 000 euro en réparation du préjudice d'image subi par la société Tomécanic-Benetière du fait de la rupture brutale, - la somme de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des pratiques constitutives d'abus de dépendance économique et du manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs ; Déboute Castorama de ses prétentions contraires et déboute Tomécanic pour sa demande au titre d'un abus dans les conditions formelles de la rupture et de toute autre demande ; 2°) - Sur la demande reconventionnelle de Castorama, Constate que la créance de la société Tomécanic à l'encontre de la société Castorama s'élève à la somme de 107 439,98 euro TTC, et la déboute pour le surplus, Dit que les remises de fin d'année sont illicites et déboute Castorama de ce chef ; Condamne la société Castorama à payer à la société Tomécanic-Benetière une indemnité de deux fois 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau de Code procédure civile pour ses frais irrépétibles, d'une part en première instance, d'autre part en appel ; Condamne la société [Castorama] en tous les dépens et dit que les avoués constitués bénéficieront des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.