CJCE, 14 juillet 1988, n° 187-85
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fédération de l'industrie de l'huilerie de la CEE
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Camara de la Industria Aceitera de la Republica Argentina
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bosco (faisant fonction)
Présidents de chambre :
MM. Due, Moitinho De Almeida, Rodriguez Iglesias
Avocat général :
M. Mancini
Juges :
MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Galmot, Kakouris, Joliet, Schockweiler
Avocats :
Mes Ehle, Feldmann, Schiller, Nehm, Rabe, de Cannart D'Hamale
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 juin 1985, la Fédération de l'industrie de l'huilerie de la CEE (ci-après "Fediol ") a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision 85-239 de la Commission, du 18 avril 1985, par laquelle celle-ci a clôturé la procédure antisubventions, ouverte sur plainte de la requérante, concernant les importations de tourteaux de soja originaires d'Argentine, pour la période allant du 1er octobre 1982 au 30 septembre 1983 (JO L 108, p. 28).
2 La plainte de Fediol, déposée par lettre du 9 août 1983, conformément à l'article 5 du règlement n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 201, p. 1), portait sur les quatre pratiques suivantes : a) financement préférentiel des exportations de tourteaux de soja ; b) remboursement de taxes et d'impôts directs et indirects ; c) impôts différentiels à l'exportation des produits du complexe de soja et d) obstacles à l'exportation de fèves de soja.
3 Dans sa décision du 18 avril 1985, susmentionnée, la Commission a constaté que les deux premières pratiques n'avaient pas eu lieu pendant la période d'enquête. Quant aux deux dernières pratiques, la Commission a estimé qu'elles ne constituaient pas des subventions au sens de l'article 3 du règlement n° 2176-84.
4 Le recours met en cause cette décision de la Commission pour autant qu'elle a clôturé la procédure antisubventions en ce qui concerne ces deux dernières pratiques, à savoir les impôts et taxes différentiels à l'exportation des produits du complexe de soja et les obstacles à l'exportation des fèves de soja.
5 Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la portée du contrôle juridictionnel
6 Eu égard aux observations de la Commission et de la partie intervenante sur les limites éventuelles d'un contrôle juridictionnel de la décision, il convient de constater qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour (voir notamment l'arrêt du 4 octobre 1983, Fediol/Commission, 191-82, Rec. p. 2913) que, même en présence d'un pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission dans la matière en cause, la Cour est appelée à vérifier si celle-ci a respecté les garanties procédurales accordées aux plaignants par les dispositions communautaires en question, si elle n'a pas commis d'erreurs manifestes dans son appréciation des faits, ou omis de prendre en considération des éléments essentiels qui seraient de nature à faire croire à l'existence d'un effet de subvention, ou fait entrer dans sa motivation des considérations constitutives d'un détournement de pouvoir. C'est dans ce cadre qu'il convient d'examiner les moyens de la requérante selon lesquels la Commission a omis de prendre en considération des éléments essentiels qui seraient de nature à faire croire à l'existence d'une subvention, au sens de l'article 3 du règlement n° 2176-84.
Quant aux taxes différentielles à l'exportation des produits du complexe soja
7 Dans l'acte attaqué (point 7), la Commission relate que, selon Fediol, conformément à une résolution n° 8 du 5 juillet 1982 du ministère argentin de l'Economie, les fèves de soja sont frappées d'une taxe de 25 % à l'exportation et les produits de trituration, dont les tourteaux de soja, d'une taxe de 10 % ; cette taxation différentielle aurait pour effet de restreindre l'exportation de fèves et de garantir ainsi à l'industrie argentine un approvisionnement en matière première à bas prix. Cet avantage, en termes de prix de revient, constituerait un avantage à l'exportation des tourteaux de soja vers la Communauté, auquel s'ajouterait l'avantage résultant de leur taxation inferieure par rapport aux fèves.
8 La Commission a constaté dans l'acte attaqué que la résolution n° 8, précitée, a effectivement été appliquée au cours de la période d'enquête et que ses dispositions correspondent aux éléments factuels de l'allégation de Fediol. Elle admet que de telles dispositions peuvent conduire à une distorsion de la concurrence ou du commerce. La Commission précise, à cet égard, qu'elle est consciente du fait que l'imposition ou l'élimination, par une autorité publique, d'un désavantage relatif au commerce extérieur - notamment sous la forme de taxes ou de restrictions à l'exportation - peut conduire à une distorsion de la concurrence ou du commerce pour le produit qui en fait l'objet ou pour les produits en amont ou en aval.
9 Cependant, selon la motivation sur ce point de l'acte attaqué, "en matière de commerce international, la subvention se caractérise ... par une contribution financière des autorités publiques ..., une charge pour le Trésor public" qui "constitue une condition nécessaire de l'existence de toute subvention ...", et "...le concept de charge ... inclut la renonciation par les autorités publiques à des impôts ou autres charges dus par un contribuable ..." ; or, en l'espèce, une telle charge n'existerait pas et, en particulier, il n'y aurait pas de renonciation par les autorités publiques argentines à des créances fiscales exigibles.
10 Selon la requérante, la notion de subvention, au sens de l'article 3 du règlement n° 2176-84, ne supposerait pas nécessairement une charge pour le Trésor public, mais elle devrait être entendue d'une façon large : il y aurait subvention dès lors que l'ensemble des mesures prises auraient pour résultat de procurer un avantage à ses bénéficiaires.
11 Il convient de relever d'abord que la notion de subvention visée à l'article 3 du règlement n° 2176-84 n'est expressément définie ni dans ce règlement ni dans d'autres actes de la Communauté. Toutefois, une "liste exemplative" de subventions à l'exportation, à laquelle se réfère l'article 3, paragraphe 2, dudit règlement, se trouve dans son annexe. Cette liste caractérise, dans son dernier alinéa, comme subvention à l'exportation au sens de l'article XVI du GATT "toute autre charge pour le Trésor public". Il ressort tant des termes de cette disposition générale que des autres exemples mentionnent dans la liste, que la notion de subvention à l'exportation a été conçue, par le législateur communautaire, comme impliquant nécessairement une charge financière supportée directement ou indirectement par des organismes publics. Il ressort, en outre, de l'article 3, paragraphe 3, dudit règlement, qui exclut expressément de la notion de subvention l'exonération des marchandises de certaines impositions et impôts à l'occasion de leur exportation, que le concept de charge comprend non seulement l'hypothèse où l'Etat procède à un versement de fonds, mais aussi celle où il renonce au recouvrement des créances fiscales en introduisant ainsi une exception à une règle de taxation généralement applicable.
12 La notion de subvention ainsi comprise n'est pas en contradiction avec les obligations de la Communauté découlant du droit international, dont notamment le GATT et les accords conclus en son sein. Il convient d'observer à cet égard que, jusqu'à présent, ni le GATT ni l'accord relatif à l'interprétation et à l'application des articles VI, XVI et XXIII du GATT ne contiennent une définition expresse du terme "subvention", et que la liste mentionnée ci-dessus est une reproduction littérale de la "liste exemplative" annexée à ce dernier accord.
13 Il résulte de ce qui précède que la Commission n'a pas agi de manière erronée ou arbitraire en concluant que la notion de subvention, au sens de l'article 3 du règlement n° 2176-84, présuppose l'octroi d'un avantage économique, au moyen d'une charge pour le Trésor public.
14 La requérante soutient, ensuite, que si le système argentin de taxes différentielles ne constitue pas une subvention à l'exportation, il peut toutefois être analysé comme une subvention intérieure en faveur des tourteaux. En permettant l'abaissement du coût de production des tourteaux de soja, le système permettrait l'abaissement de leur prix de vente et constituerait ainsi une subvention intérieure. Or, une subvention intérieure devrait être qualifiée de subvention à la fabrication, au sens de l'article 3 du règlement n° 2176-84, équivalant à une subvention à l'exportation, si l'avantage économique accordé a des effets préjudiciables sur la concurrence normale, parce que pratiqué en faveur d'une entreprise ou, sectoriellement, d'un groupe d'entreprises. Ces conditions seraient remplies en l'espèce du fait que, par le système des taxes différentielles à l'exportation, l'exportation de tourteaux vers la Communauté à prix réduit se trouverait finalement encouragée.
15 La Commission et la partie intervenante soutiennent que, en tout état de cause, l'élément tenant à la contribution financière de l'Etat fait en l'occurrence défaut. En outre, le caractère sectoriel, inhérent à toute subvention interne, ferait également défaut, essentiellement en raison du fait que le système de taxation est applicable à un grand nombre de produits divers, relevant de plusieurs chapitres différents de la nomenclature douanière.
16 Les arguments de la Commission et de la partie intervenante doivent être accueillis, la requérante n'ayant pas établi que l'Etat argentin, afin de favoriser spécifiquement les tourteaux de soja, a été prive d'une recette qu'il aurait normalement perçue conformément au régime général de taxation.
17 Il y a donc lieu de rejeter ce moyen.
Quant aux obstacles à l'exportation des fèves de soja
18 Dans l'acte attaqué (point 8), il est mentionné qu'une éventuelle restriction à l'exportation de fèves ne constitue pas une subvention aux tourteaux, en raison de l'absence de charge pour le Trésor public.
19 La requérante expose que les exportations de fèves de soja sont entravées, parce qu'elles font l'objet, en Argentine, d'un régime de licences, d'enregistrement dans le cadre de quotas et de déchéances de cautions. Cette pratique aurait des effets similaires et convergents avec les effets de la pratique susmentionnée de taxes différentielles.
20 A cet égard, il suffit de relever que, en avançant ce moyen, la requérante part de la thèse qu'il peut y avoir subvention même en l'absence de charge pour le Trésor public. Cette thèse ayant été réfutée ci-dessus, il y a lieu de rejeter ce moyen.
21 Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
22 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombe en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.
Par ces motifs, LA COUR, déclare et arrête :
1) le recours est rejeté.
2) la requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.