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Décisions

TPICE, président, 30 avril 2008, n° T-65/08 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Royaume d'Espagne

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jaeger

TPICE n° T-65/08 R

30 avril 2008

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Cadre juridique

1 L'article 21, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1), établit la compétence exclusive de la Commission pour arrêter les décisions prévues audit règlement et interdit aux États membres d'appliquer leur législation nationale sur la concurrence aux concentrations de dimension communautaire.

2 Le paragraphe 4 de ce même article dispose toutefois :

" Nonobstant les paragraphes 2 et 3, les États membres peuvent prendre les mesures appropriées pour assurer la protection d'intérêts légitimes autres que ceux qui sont pris en considération par le présent règlement et compatibles avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire.

Sont considérées comme intérêts légitimes, au sens du premier alinéa, la sécurité publique, la pluralité des médias et les règles prudentielles.

Tout autre intérêt public doit être communiqué par l'État membre concerné à la Commission et reconnu par celle-ci après examen de sa compatibilité avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire avant que les mesures visées ci-dessus ne puissent être prises [...] "

Faits à l'origine du litige

3 Le 26 mars 2007, Acciona, SA, société de droit espagnol active notamment dans le développement et la production d'énergie renouvelable, et Enel SpA, société de droit italien active notamment dans la production, la distribution et la fourniture d'électricité, se sont engagées à présenter une offre publique d'achat (OPA) portant sur la totalité du capital social d'Endesa, SA, société de droit espagnol active notamment dans le secteur de l'électricité, et visant à obtenir le contrôle conjoint de celle-ci.

4 Le 3 mai 2007, Enel et Acciona ont demandé une autorisation pour la mise en œuvre de ladite opération à la Comisión Nacional de la Energía (commission nationale de l'énergie espagnole, ci-après la " CNE "), qui, par décision du 4 juillet 2007, a octroyé son autorisation tout en la subordonnant au respect de dix conditions.

5 Le 31 mai 2007, Enel et Acciona ont notifié la proposition d'acquisition du contrôle conjoint d'Endesa (ci-après la " concentration en cause ") à la Commission, qui, par décision du 5 juillet 2007 adoptée sur le fondement de l'article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 139-2004, a déclaré que la transaction proposée constituait une concentration de dimension communautaire et qu'elle était compatible avec le Marché commun.

6 Le 21 septembre 2007, la Commission a adressé une lettre aux autorités espagnoles par laquelle elle leur notifiait sa conclusion préliminaire selon laquelle certaines des conditions imposées par la CNE étaient incompatibles avec l'article 21 du règlement n° 139-2004.

7 Par décision du 19 octobre 2007, le ministre de l'Industrie, du Tourisme et du Commerce espagnol, statuant sur le recours administratif formé conjointement par Enel et Acciona à l'encontre de la décision de la CNE du 4 juillet 2007, a modifié ou supprimé certaines des conditions imposées par cette dernière.

8 Par lettre du 22 octobre 2007, les autorités espagnoles ont répondu à la Commission que les conditions imposées, telles qu'elles avaient été modifiées par le ministre, n'empiétaient pas sur la compétence de la Commission en matière de concentration entre entreprises.

9 Insatisfaite des explications fournies par les autorités espagnoles, la Commission a adopté la décision du 5 décembre 2007, concernant une procédure au titre de l'article 21 du règlement n° 139-2004 (affaire COMP/M.4685 Enel/Acciona/Endesa) (ci-après la " décision attaquée ").

10 Dans la décision attaquée, la Commission a conclu que le Royaume d'Espagne avait enfreint l'article 21 du règlement n° 139-2004 et, notamment, les paragraphes 2 à 4 de cet article. En effet, premièrement, le Royaume d'Espagne n'aurait pas été en droit de prendre de mesures à l'égard des parties à la concentration en cause sans avoir au préalable communiqué à la Commission ces conditions et avoir reçu l'autorisation de cette dernière. Deuxièmement, les conditions imposées par la CNE dans sa décision du 4 juillet 2007, telles que modifiées par la décision du ministre de l'Industrie, du Tourisme et du Commerce espagnol du 19 octobre 2007 (ci-après les " conditions imposées "), violeraient les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux et au droit d'établissement ainsi que, en ce qui concerne la cinquième condition, celles relatives à la libre circulation des marchandises. De ce fait, la Commission a enjoint aux autorités espagnoles de procéder sans délai et, en tout cas, au plus tard le 10 janvier 2008, au retrait des conditions imposées.

11 Par lettre du 9 janvier 2008, le Royaume d'Espagne a répondu, d'une part, qu'il n'avait pas communiqué préalablement à la Commission la décision de la CNE du 4 juillet 2007, car les conditions qui y étaient contenues relevaient d'une cause de sécurité publique au sens de l'article 21, paragraphe 4, du règlement n° 139-2004, et, d'autre part, que les conditions imposées étaient conformes au droit communautaire.

12 Le 1er février 2008, la Commission a entamé la procédure d'infraction prévue à l'article 226 CE, en adressant au Royaume d'Espagne une lettre de mise en demeure l'invitant à déposer, dans un délai de quinze jours ouvrables, ses observations.

Procédure et conclusions des parties

13 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 février 2008, le Royaume d'Espagne a introduit un recours visant à l'annulation de la décision attaquée.

14 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le Royaume d'Espagne a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut à ce qu'il plaise au président du Tribunal :

- ordonner le sursis à l'exécution de la décision attaquée jusqu'à ce que le Tribunal statue sur la demande de mesures provisoires ;

- ordonner le sursis à l'exécution de la décision attaquée jusqu'à ce que le Tribunal statue au fond sur le recours au principal ;

- condamner la Commission aux dépens.

15 Dans ses observations écrites déposées au greffe du Tribunal le 6 mars 2008, la Commission s'est engagée à ne pas entreprendre de nouvelles démarches dans le cadre de la procédure d'infraction qu'elle a entamée à l'égard du Royaume d'Espagne jusqu'à ce qu'il soit statué sur la présente demande en référé. Le premier chef de conclusions du Royaume d'Espagne étant ainsi devenu sans objet, il n'y a plus lieu pour le juge des référés de statuer à cet égard.

16 Dans ces conditions, la Commission conclut à ce qu'il plaise au président du Tribunal :

- rejeter la demande de mesures provisoires ;

- condamner le Royaume d'Espagne aux dépens.

17 Par lettre du greffe du 18 mars 2008, le juge des référés a, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, posé des questions écrites au Royaume d'Espagne, qui y a répondu dans le délai imparti.

En droit

18 En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d'une part, et de l'article 225, paragraphe 1, CE, d'autre part, le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution d'un acte attaqué devant lui ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

19 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l'objet du litige, les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi des mesures provisoires auxquelles elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s'il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu'ils sont urgents en ce sens qu'il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu'ils soient édictés et sortent leurs effets dès avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l'une d'elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268-96 P(R), Rec. p. I-4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C-445-00 R, Rec. p. I-1461, point 73, et la jurisprudence citée).

20 En outre, dans le cadre de cet examen d'ensemble, le juge des référés dispose d'un large pouvoir d'appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l'espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l'ordre de cet examen, dès lors qu'aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d'analyse préétabli [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C-149-95 P(R), Rec. p. I-2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C-459-06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

21 Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu'il soit utile d'entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

Sur le fumus boni juris

22 Il ressort de la présente demande en référé que, dans son recours au principal, le Royaume d'Espagne soulève trois moyens : premièrement, la Commission n'aurait pas de compétence pour adopter la décision attaquée, le seul instrument disponible en cas de prétendue violation de l'article 21 du règlement n° 139-2004 étant la procédure d'infraction prévue à l'article 226 CE ; deuxièmement, la décision attaquée serait entachée d'une insuffisance de motivation, dans la mesure où la Commission n'examinerait pas les motifs liés à la sécurité publique sur lesquels se fondent les conditions imposées ; troisièmement, la décision attaquée enfreindrait l'article 21, paragraphe 4, du règlement n° 139-2004, en ce que les autorités espagnoles n'auraient pas été tenues de communiquer à la Commission la décision de la CNE, laquelle aurait visé à protéger la sécurité publique, soit un intérêt légitime au sens de l'article 21, paragraphe 4, du règlement n° 139-2004.

Sur le premier moyen

23 Il convient de rappeler que l'article 21, paragraphe 4, du règlement n° 139-2004 prévoit, à son premier alinéa, que les États membres peuvent prendre les mesures appropriées pour assurer la protection d'intérêts légitimes autres que ceux qui sont pris en considération par ledit règlement et compatibles avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire. Le deuxième alinéa précise que sont considérées comme intérêts légitimes, la sécurité publique, la pluralité des médias et les règles prudentielles. Enfin, en vertu du troisième alinéa, tout autre intérêt public doit être communiqué par l'État membre concerné à la Commission et reconnu par celle-ci après examen de sa compatibilité avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire avant que les mesures visées ci-dessus ne puissent être prises.

24 En l'espèce, le Royaume d'Espagne prétend, en substance, que la Commission n'est pas en droit de statuer par décision prise sur le fondement de l'article 21 du règlement n° 139-2004 sur la question de savoir si les mesures adoptées par un État membre à l'égard des parties à une concentration déclarée compatible avec le Marché commun relèvent ou non d'un intérêt légitime tel que la sécurité publique.

25 À cet égard, force est de constater que, comme le suggère à juste titre la Commission, selon la jurisprudence de la Cour concernant les dispositions en substance identiques à celles en cause dans la présente affaire figurant à l'article 21, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), pour assurer l'efficacité du contrôle des intérêts publics autres que ceux prévus au deuxième alinéa de ladite disposition, il faut reconnaître à la Commission le pouvoir de se prononcer par voie de décision sur la compatibilité de ces intérêts avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire, que lesdits intérêts lui aient été communiqués ou non. En effet, si, en l'absence de communication de l'État membre concerné, la Commission était réduite à pouvoir introduire un recours en manquement au sens de l'article 226 CE, il serait impossible d'obtenir une décision communautaire dans les brefs délais visés par le règlement sur les concentrations avec, comme conséquence, une augmentation du risque qu'une telle décision n'intervienne qu'après que les mesures nationales ont déjà définitivement compromis l'opération de concentration de dimension communautaire (arrêt de la Cour du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C-42-01, Rec. p. I-6079, points 55 et 57).

26 En outre, il ressort de la jurisprudence qu'il est inévitable que la Commission examine si les mesures nationales concernées sont justifiées par l'un des intérêts prévus à l'article 21, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement n° 139-2004. En effet, si, ce faisant, elle constate que l'État membre a adopté les mesures en question pour assurer la protection d'un des intérêts légitimes énumérés audit alinéa, elle n'aura pas à pousser plus avant son examen et à vérifier si lesdites mesures sont justifiées au regard de tout autre intérêt public visé au troisième alinéa (arrêts de la Cour Portugal/Commission, précité, point 59, et du 6 mars 2008, Commission/Espagne, C-196-07, non publié au Recueil, point 37).

27 À la lumière de cette jurisprudence de la Cour, il y a lieu de constater que, à première vue, l'article 21, paragraphe 4, du règlement n° 139-2004 ne confie pas à l'État membre concerné le soin d'apprécier la question de savoir si des mesures nationales s'adressant aux parties à une concentration déclarée compatible avec le Marché commun visent à protéger la sécurité publique, cette appréciation relevant au contraire de la compétence de la Commission.

28 Le premier des moyens invoqués par le Royaume d'Espagne ne semblant donc pas, prima facie et sur la base des informations dont le juge des référés dispose à ce stade, pouvoir justifier l'annulation de la décision attaquée et fonder ainsi le fumus boni juris, il convient d'examiner le deuxième moyen.

Sur le deuxième moyen

29 Le Royaume d'Espagne fait valoir que la décision attaquée est entachée d'une insuffisance de motivation du fait que la Commission n'aurait apporté aucun argument réfutant l'analyse effectuée sous l'angle technique et économique par la CNE et confirmée ensuite par la décision du ministre. La décision attaquée se bornerait à rappeler que la notion de sécurité publique, en ce qu'elle constitue une exception aux principes fondamentaux de libre circulation et de liberté d'établissement, doit être interprétée au sens strict, sans aborder l'examen des raisons liées à la protection de la sécurité publique ayant conduit les autorités espagnoles à soumettre à certaines conditions la concentration en cause.

30 À cet égard, le juge des référés rappelle que, si l'objectif de garantir la sécurité de l'approvisionnement en énergie en cas de crise, sur le territoire de l'État membre en cause, peut constituer une raison de sécurité publique et justifier, éventuellement, une entrave à l'une des libertés fondamentales prévues par le traité, les exigences de sécurité publique doivent être entendues strictement, de sorte que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la Communauté européenne. Ainsi, la sécurité publique ne saurait être invoquée qu'en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (voir arrêt de la Cour du 14 février 2008, Commission/Espagne, C-274-06, non publié au Recueil, points 38 et 39, et la jurisprudence citée).

31 En l'espèce, il convient d'observer que, dans la décision attaquée, notamment au considérant 53, la Commission a d'abord affirmé que le fait de soumettre une concentration déclarée compatible avec le Marché commun à un nombre de conditions limitant la liberté économique des parties à ladite concentration constituait une restriction à la libre circulation des capitaux et au droit d'établissement. Ensuite, aux considérants 57 à 59, la Commission a rappelé les principes régissant la possibilité de restreindre la portée des libertés fondamentales prévues par le traité, notamment la jurisprudence selon laquelle, même dans l'hypothèse où des mesures nationales relèveraient d'une raison impérieuse d'intérêt général telle que la nécessité d'assurer la sécurité de l'approvisionnement en énergie invoquée en l'espèce par le Royaume d'Espagne, pour que les mesures soient justifiées, les principes de non-discrimination et de proportionnalité doivent être respectés (arrêt de la Cour du 4 juin 2002, Commission/Belgique, C-503-99, Rec. p. I-4809, point 45). Sur cette base, la Commission, aux considérants 60 à 123 de la décision attaquée, a examiné, pour chacune des conditions imposées, la question de savoir si la restriction des libertés fondamentales en découlant pouvait ou non être admise.

32 Ainsi, dans la mesure où la Commission semble avoir fourni une motivation détaillée visant à démontrer qu'aucune des conditions imposées ne pouvait être considérée comme justifiée au sens de la jurisprudence rappelée ci-dessus, il y a lieu de conclure que, à première vue, la décision attaquée n'est pas entachée d'une insuffisance de motivation.

33 Il en est d'autant plus ainsi que, selon une jurisprudence constante, l'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I-1719, point 63, et du 1er février 2007, Sison/Conseil, C-266-05 P, Rec. p. I-1233, point 80).

34 Or, en l'espèce, ainsi que le relève à juste titre la Commission, la décision attaquée s'insère dans un contexte bien connu par le Royaume d'Espagne. En effet, premièrement, elle porte sur un cas d'application des dispositions nationales ayant étendu les pouvoirs de surveillance de la CNE et qui font l'objet du recours introduit par la Commission au titre de l'article 226 CE dans l'affaire Commission/Espagne, C-207-07, actuellement pendante devant la Cour, pour faire constater la violation des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux.

35 Deuxièmement, des conditions identiques ou similaires avaient déjà été imposées par le Royaume d'Espagne à l'égard d'une précédente opération de concentration portant sur Endesa et déclarée compatible avec le Marché commun par décision de la Commission du 25 avril 2006 (affaire COMP/M.4110 - E.ON/Endesa). Par décisions du 26 septembre et du 20 décembre 2006 (affaire COMP/M.4197 - E.ON/Endesa), la Commission avait considéré que ces conditions constituaient une violation de l'article 21 du règlement n° 139-2004 et intimé au Royaume d'Espagne de les retirer. Le Royaume d'Espagne ne s'étant pas conformé auxdites décisions, sans par ailleurs les attaquer devant le Tribunal, la Commission a saisi la Cour d'un recours en manquement. Cette dernière a, par arrêt du 6 mars 2008, Commission/Espagne, précité, constaté que le Royaume d'Espagne avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu desdites décisions de la Commission.

36 Troisièmement, la décision attaquée a été adoptée à la suite d'une évaluation préliminaire que la Commission a transmise au Royaume d'Espagne le 21 septembre 2007. Ce dernier a, par lettre du 23 octobre 2007, répondu à ladite évaluation préliminaire en faisant valoir des arguments qui, à première vue, ont été examinés par la Commission dans la décision attaquée.

37 Il ressort de ce qui précède que le deuxième moyen invoqué par le Royaume d'Espagne ne saurait, tout comme le premier, permettre d'établir l'existence d'un fumus boni juris. Il reste toutefois à examiner, en ce qui concerne le troisième des moyens soulevés dans le recours au principal, si la Commission, en adoptant la décision attaquée sur la base de la motivation qu'elle a fournie quant à chacune des conditions imposées, a, à première vue, méconnu le droit reconnu à chaque État membre de prendre, dans le respect des principes susmentionnés, les mesures propres à garantir la sécurité de l'approvisionnement en énergie.

Sur le troisième moyen

38 Le Royaume d'Espagne soutient qu'il n'était pas tenu de communiquer à la Commission les conditions auxquelles la CNE entendait soumettre la concentration en cause, étant donné que ces conditions relevaient d'un intérêt légitime, telle la protection de la sécurité publique, au sens de l'article 21 du règlement n° 139-2004. Pour chacune des conditions imposées faisant l'objet d'une contestation par la Commission dans la décision attaquée, à savoir la première, la deuxième, la troisième, la cinquième et la sixième conditions, le Royaume d'Espagne explique en quoi consiste le danger pour la sécurité de l'approvisionnement en énergie que la condition en cause a pour but d'éviter.

39 Ainsi que le relève la Commission et au vu de la réponse qui semble, à première vue, devoir être apportée au premier moyen, le troisième moyen doit être compris en ce sens que la Commission aurait violé l'article 21 du règlement n° 139-2004 en considérant que les conditions imposées n'étaient pas justifiées au regard de l'intérêt légitime de sécurité publique reconnu par ledit article.

40 Dès lors, il y a lieu d'examiner, prima facie, le bien-fondé du raisonnement de la Commission à l'égard de chacune des conditions imposées faisant l'objet d'une contestation (voir point 38 ci-dessus), dans l'ordre que le juge des référés considère comme étant le plus opportun.

41 S'agissant de la première condition, il y a lieu de rappeler qu'elle vise à maintenir Endesa comme entreprise autonome, ayant une entière responsabilité opérationnelle dans l'exécution de son plan d'entreprise. Selon le Royaume d'Espagne, cette condition est légitime dans la mesure où elle vise à protéger ses intérêts en matière de sécurité d'approvisionnement en énergie contre le risque que, à défaut d'une autonomie de gestion d'Endesa, Enel et Acciona privilégient, dans la mise en œuvre de leur stratégie d'entreprise, des intérêts étrangers.

42 Le juge des référés estime que, à première vue, la thèse du Royaume d'Espagne n'est pas fondée. En effet, ce dernier, ainsi que le relève la Commission, ne semble pas avoir avancé d'élément de nature à permettre d'établir prima facie que, contrairement aux arguments développés par la Commission aux considérants 60 à 79 de la décision attaquée, la condition en cause était nécessaire pour garantir un approvisionnement minimal d'énergie sur le territoire espagnol et qu'elle respectait le principe de proportionnalité. Force est, dès lors, d'exclure l'existence d'un fumus boni juris en ce qui concerne cette condition.

43 S'agissant de la cinquième condition, elle oblige Enel et Acciona, pendant une période de cinq ans à compter de la concentration en cause, à garantir que la consommation annuelle totale de charbon national des centrales électriques appartenant à Endesa et utilisant actuellement ce combustible ne descende pas en dessous des quantités prévues pour lesdites centrales dans le cadre du plan de réserves stratégiques du charbon et du nouveau modèle de développement intégral et durable des bassins miniers pour la période 2006-2012, pour autant que les conditions et circonstances actuelles se maintiennent.

44 Le Royaume d'Espagne fait valoir que, en l'absence d'obligation de consommation de charbon national pour les entreprises productrices d'électricité, il existe un risque que, Endesa détenant le plus grand nombre de centrales thermiques consommant du charbon national, la concentration en cause ait une incidence négative sur la sécurité d'approvisionnement en énergie et, plus particulièrement, sur la politique sectorielle relative à l'encouragement de la consommation de ressources énergétiques nationales et de la consommation de charbon.

45 À cet égard, il y a lieu de constater, prima facie, que, comme le relève la Commission, le Royaume d'Espagne, d'une part, ne semble pas expliquer en quoi cette condition serait devenue nécessaire à la suite de la concentration en cause et, d'autre part, ne semble pas contester le bien-fondé des arguments développés dans la décision attaquée (considérants 106 à 111) pour démontrer que d'autres mesures moins restrictives déjà adoptées par le Royaume d'Espagne pour soutenir l'utilisation du charbon national ne suffiraient pas pour répondre aux prétendus risques pour l'approvisionnement en énergie visés par la condition en cause. De ce fait, il y a lieu de conclure à l'absence de fumus boni juris à cet égard.

46 S'agissant de la sixième condition, elle impose à Enel et à Acciona de maintenir, pendant une période de cinq ans à compter de la concentration en cause, les sociétés qui gèrent actuellement les actifs de production, de transport et de distribution d'énergie insulaires et hors péninsule au sein du groupe Endesa.

47 Le Royaume d'Espagne fait valoir que cette condition est liée au fait que les installations de production, de transport et de distribution des systèmes électriques insulaires et hors péninsule sont exploitées par Endesa sous un régime de quasi-exclusivité. En particulier, compte tenu de ce que la mise en œuvre d'activités de génération d'électricité dans les systèmes électriques insulaires et hors péninsule engendre des coûts supérieurs à ceux du système péninsulaire et que la rentabilité de ces activités n'est pas garantie dans un cadre libéralisé, l'engagement du propriétaire de ces actifs d'effectuer les investissements nécessaires afin de garantir la fourniture d'énergie par ces systèmes s'avérerait essentiel. Or, cet engagement ne peut être pris, selon le Royaume d'Espagne, que par des entreprises ayant une vocation de permanence sur le territoire concerné, la réglementation particulière applicable à ces activités ne garantissant pas d'office que les coûts supplémentaires seront récupérés de manière immédiate.

48 Le juge des référés constate que, ainsi que le souligne à juste titre la Commission, le Royaume d'Espagne reste, à première vue, en défaut d'expliquer en quoi cette condition, qui n'était pas prévue auparavant, deviendrait nécessaire à la suite de la concentration en cause. En outre, le Royaume d'Espagne, qui s'est borné à invoquer le risque que la concentration en cause nuise aux investissements relatifs aux infrastructures de production, de transport et de distribution des systèmes électriques insulaires et hors péninsule assumés par Endesa, n'a, à première vue, démontré ni que la condition en cause visait à répondre à une menace réelle et suffisamment grave (voir arrêt du 14 février 2008, Commission/Espagne, précité, point 39, et la jurisprudence citée), ni qu'elle respectait le principe de proportionnalité. Force est dès lors de constater l'absence de fumus boni juris en ce qui concerne cette condition.

49 S'agissant des deuxième et troisième conditions, elles sont examinées en même temps par les parties. La deuxième condition prévoit qu'Enel et Acciona maintiennent Endesa suffisamment capitalisée, en gardant un ratio d'endettement inférieur à un certain seuil et en informant la CNE de l'évolution dudit ratio. La troisième condition impose à Endesa, d'une part, de réaliser tous les investissements déjà planifiés dans les activités régulées de gaz et d'électricité et, d'autre part, de ne distribuer de dividendes que lorsque les ressources obtenues par les entreprises du groupe Endesa qui exécutent des activités régulées sont suffisantes pour financer les investissements prévus et l'amortissement de la dette.

50 Le Royaume d'Espagne soutient que ces conditions visent à garantir que la situation financière d'Endesa permette à tout moment de faire face aux engagements assumés par elle, en éliminant ainsi les risques entourant la réalisation effective desdits engagements. Il précise que ces conditions ne sont pas discriminatoires, étant donné que le changement de contrôle d'Endesa est susceptible d'avoir une incidence sur sa situation financière. En effet, Enel et Acciona, pour financer la dette qu'elles ont contractée pour procéder à la concentration en cause, pourraient être tentées d'augmenter l'endettement d'Endesa au détriment des investissements dans les activités régulées. Les limites relatives à la distribution de dividendes viseraient au maintien de la sécurité de l'approvisionnement, en empêchant tout financement croisé au profit d'Enel et d'Acciona.

51 À cet égard, il y a lieu d'observer que, dans la décision attaquée, la Commission reproche notamment au Royaume d'Espagne le fait que lesdites conditions sont discriminatoires en ce que, d'une part, elles n'ont pas été imposées à Endesa avant la concentration en cause et, d'autre part, elles ne visent pas les autres entreprises présentes en Espagne dans le secteur de l'énergie (considérants 86, 92 et 95). En outre, la Commission reproche au Royaume d'Espagne de ne pas avoir fourni le moindre élément de preuve au soutien de la thèse selon laquelle les dividendes d'Endesa seraient, pour Enel et Acciona, la ressource principale permettant de faire face à leur endettement et selon laquelle lesdites entreprises ne sauraient trouver au sein de leurs groupes financiers les ressources nécessaires pour couvrir l'endettement découlant de la concentration en cause (considérant 91).

52 Dans la demande en référé, le Royaume d'Espagne soutient que les conditions en cause ne sont pas discriminatoires dans la mesure où le changement de contrôle d'Endesa peut avoir une incidence sur sa situation financière.

53 À cet égard, le juge des référés rappelle que le principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt de la Cour du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, C-87-03 et C-100-03, Rec. p. I-2915, point 48, et la jurisprudence citée).

54 En l'espèce, il est constant qu'Endesa a été soumise, après la concentration en cause, à des conditions qui ne lui avaient pas été imposées auparavant et qui ne sont et n'ont jamais été imposées aux autres entreprises actives en Espagne dans le secteur de l'énergie. Or, une telle situation ne serait compatible avec le principe de non-discrimination que dans l'hypothèse où le traitement différent réservé à Endesa après la concentration en cause pourrait être considéré comme étant objectivement justifié.

55 Certes, il n'est pas exclu qu'une modification de l'actionnariat d'une entreprise puisse justifier que celle-ci soit traitée différemment. Toutefois, le juge des référés observe que, en l'espèce, il existe des éléments susceptibles, à première vue, d'amener à la conclusion que la différence de traitement constatée n'est pas objectivement justifiée, dans la mesure où le Royaume d'Espagne n'a pas établi, à première vue, qu'elle était nécessaire pour garantir la sécurité de l'approvisionnement en énergie sur le territoire espagnol.

56 En effet, premièrement, le Royaume d'Espagne lui-même formule au conditionnel la crainte que le changement de contrôle d'Endesa puisse avoir une incidence sur la situation financière de cette dernière, alors que, selon la jurisprudence, la sécurité publique ne saurait être invoquée qu'en cas de menace réelle et suffisamment grave (voir arrêt de la Cour du 14 février 2008, Commission/Espagne, précité, point 39, et la jurisprudence citée).

57 Deuxièmement, si l'obligation de ne pas dépasser un certain ratio d'endettement était véritablement nécessaire pour garantir la stabilité financière d'une entreprise active dans le secteur de l'énergie, cette condition devrait, à première vue, s'appliquer de manière générale à toutes les entreprises espagnoles présentes dans le secteur intéressé. En effet, ainsi que l'a mis en avant la Commission au considérant 92 de la décision attaquée, le ratio d'endettement d'une entreprise peut augmenter indépendamment de tout changement ayant trait à son actionnariat.

58 Troisièmement, s'agissant plus précisément de la troisième des conditions imposées, force est de constater que le Royaume d'Espagne admet lui-même qu'Enel et Acciona se sont engagées à ce que la répartition de dividendes par Endesa ait lieu dans le plus grand respect des investissements prévus dans des activités régulées afin de contribuer à la sécurité de l'approvisionnement.

59 Or, un tel engagement réduit la probabilité de l'existence d'une menace réelle et suffisamment grave pour la sécurité publique.

60 Certes, ainsi que le souligne le Royaume d'Espagne dans sa réponse aux questions posées par le juge des référés, l'engagement pris par Enel et Acciona, dont l'exécution ne pourrait être aisément contrôlée ni exigée par les autorités espagnoles, ne saurait se voir reconnaître la même portée que la troisième condition. Il n'en reste pas moins que, d'une part, le respect de cet engagement semble être suffisant pour mettre le Royaume d'Espagne à l'abri de toute menace réelle et suffisamment grave pour l'approvisionnement en énergie sur son territoire et, d'autre part, le Royaume d'Espagne ne semble pas avoir apporté le moindre élément susceptible de prouver qu'Enel et Acciona auraient violé cet engagement ou qu'elles auraient eu l'intention de le faire.

61 En effet, loin de réfuter les différents arguments et observations formulés par la Commission dans la décision attaquée, notamment au considérant 91, le Royaume d'Espagne n'a, dans la présente demande en référé, ni indiqué dans quelle proportion le rachat d'Endesa a été financé par des emprunts ainsi que leurs conditions de remboursement tant en termes de durée qu'en termes de taux, ni développé une analyse économique ou comptable démontrant, par des données chiffrées telles que le ratio d'endettement d'Enel et d'Acciona et leur cash flow, que ces dernières sociétés n'étaient pas en mesure de financer la concentration en cause avec des moyens autres que les ressources d'Endesa.

62 Toutefois, l'examen des deuxième et troisième conditions soulève des questions compliquées impliquant l'appréciation de nombreux éléments de nature factuelle ou économique et nécessite donc une analyse approfondie ainsi qu'une discussion contradictoire qui ne sauraient être menées par le juge des référés dans le cadre d'un examen du bien-fondé, à première vue, du recours au principal (voir, en ce sens, ordonnances de la Cour du 29 juin 1994, Commission/Grèce, C-120-94 R, Rec. p. I-3037, point 70, et du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T-151-01 R, Rec. p. II-3295, point 185).

63 Dans ces circonstances, il ne saurait être considéré que le troisième moyen soulevé par le Royaume d'Espagne est, en ce qui concerne la deuxième et la troisième des conditions imposées, prima facie, dépourvu de tout fondement.

Sur l'urgence et la mise en balance des intérêts

Arguments des parties

64 Le Royaume d'Espagne soutient que, si l'application des conditions imposées était suspendue, Enel et Acciona ne seraient pas tenues de maintenir Endesa en tant qu'entreprise autonome, dûment capitalisée, ni d'utiliser prioritairement les ressources financières provenant de ses activités régulées pour effectuer les investissements qu'elles se sont elles-mêmes engagées à réaliser, ni d'accomplir certaines obligations associées aux actifs stratégiques de production d'électricité. Il existerait ainsi un danger sérieux, à court et à moyen terme, pour la sécurité de l'approvisionnement en énergie.

65 Il en serait d'autant plus ainsi que la conjoncture financière internationale actuelle a entraîné une baisse importante des valeurs sur les principaux marchés boursiers et une détérioration généralisée des conditions de financement des entreprises. En particulier, selon les données produites par le Royaume d'Espagne, le coût du financement d'Enel et d'Acciona a sensiblement augmenté alors que la capitalisation boursière de marché desdites entreprises a subi une forte chute.

66 Ces circonstances augmenteraient le risque qu'Acciona et Enel, qui, dans le but de réaliser la concentration en cause, ont souscrit des emprunts auprès d'établissements financiers, prélèvent des dividendes d'Endesa afin de maintenir leur solvabilité patrimoniale et financière, au détriment de la capacité de cette dernière entreprise à investir dans les activités régulées.

67 Le Royaume d'Espagne souligne l'existence d'un lien étroit entre la sécurité d'approvisionnement en énergie et la capacité d'investissement des entreprises actives dans ce secteur. En particulier, il met en exergue que, bien qu'une insuffisance d'investissement à un moment donné n'ait pas d'effets immédiats sur la sécurité d'approvisionnement, il n'en reste pas moins qu'il est difficile, voire impossible, de remédier rapidement à ladite insuffisance lorsqu'un problème d'approvisionnement se concrétise, étant donné que la décision d'effectuer des investissements en infrastructures qui pourrait être prise à ce moment ne produirait de résultats qu'à moyen terme.

68 Enfin, le Royaume d'Espagne fait valoir qu'il est urgent de faire droit à la présente demande en référé en ce que, à défaut de sursis à l'exécution de la décision attaquée, il devra bientôt se défendre devant la Cour dans le cadre de la procédure d'infraction que la Commission a entamée à son égard, et ce avant que le Tribunal ne se soit prononcé sur la légalité de la décision attaquée.

69 La Commission conteste les arguments invoqués par le Royaume d'Espagne au soutien de l'urgence qu'il y aurait à faire droit à la présente demande en référé.

70 En ce qui concerne la mise en balance des intérêts, le Royaume d'Espagne n'a pas abordé cette question, alors que la Commission a, quant à elle, fait valoir que la pondération des intérêts en présence confirme que la présente demande en référé doit être rejetée.

Appréciation du juge des référés

71 Selon une jurisprudence constante, la finalité de la procédure en référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d'éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge communautaire. Pour atteindre cet objectif, l'urgence doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire [voir ordonnance du président de la Cour du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros, C-7-04 P(R), Rec. p. I-8739, point 36, et la jurisprudence citée].

72 À la lumière de ces considérations, l'argument du Royaume d'Espagne ayant trait à la procédure d'infraction en cours doit être rejeté.

73 En effet, il ne saurait être soutenu que le fait de devoir se défendre devant la Cour dans le cadre d'un recours en manquement portant sur l'inexécution d'une décision dont la légalité fait l'objet d'un recours en annulation devant le Tribunal constitue un préjudice grave et irréparable caractérisant l'urgence et justifiant de faire droit à une demande en référé. Bien au contraire, l'existence d'une telle situation est envisagée dans le statut de la Cour de justice qui, dans son article 54, troisième alinéa, prévoit les moyens permettant d'éviter le déroulement des deux procédures simultanément. En particulier, lorsque la Cour et le Tribunal sont saisis d'affaires ayant le même objet, soulevant la même question d'interprétation ou mettant en cause la validité du même acte, le Tribunal peut suspendre la procédure jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour ou, inversement, cette dernière peut décider de suspendre la procédure dont elle est saisie, avec l'effet que la procédure devant le Tribunal se poursuit.

74 Quant aux autres arguments invoqués par le Royaume d'Espagne, il y a lieu de rappeler qu'il appartient à la partie qui sollicite la mesure provisoire d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice grave et irréparable. Pour pouvoir apprécier si le préjudice qu'appréhende ladite partie présente un caractère grave et irréparable et justifie, par conséquent, la suspension, à titre exceptionnel, de l'exécution d'une décision, le juge des référés doit disposer d'indications concrètes permettant d'apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l'absence des mesures demandées. Il n'est toutefois pas nécessaire que l'imminence du préjudice allégué soit établie avec une certitude absolue. Il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d'un ensemble de facteurs, qu'elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnance du président du Tribunal du 18 octobre 2001, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T-196-01 R, Rec. p. II-3107, points 32 et 33, et la jurisprudence citée). De ce fait, un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu'il est fondé sur la survenance d'événements futurs et incertains, ne saurait justifier l'octroi des mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 16 février 2007, Hongrie/Commission, T-310-06 R, non publiée au Recueil, point 50, et la jurisprudence citée).

75 Or, dans la demande en référé, le Royaume d'Espagne n'a pas fourni d'éléments concrets suffisants pour étayer sa thèse, selon laquelle le préjudice grave et irréparable invoqué était susceptible de se réaliser avec un degré de probabilité suffisant.

76 Certes, la circonstance que les effets d'une insuffisance d'investissement, dans l'immédiat, dans les activités régulées, ne produirait d'effets qu'à moyen terme ne permet pas d'exclure, contrairement à ce que prétend la Commission, que le préjudice invoqué puisse être grave et irréparable. Toutefois, force est de constater que le Royaume d'Espagne n'a pas prouvé que cette insuffisance d'investissement était en train de survenir ou qu'elle surviendrait avec un degré de probabilité suffisant avant que le Tribunal n'ait statué sur le recours au principal.

77 En effet, le Royaume d'Espagne invoque le risque qu'Enel et Acciona utilisent les ressources d'Endesa à d'autres fins que celles propres à garantir l'approvisionnement en énergie en Espagne. Toutefois, il se borne à avancer à cet égard des suppositions qui ne sont étayées par aucune donnée économique pertinente.

78 À cet égard, s'il ne saurait être nié que la capitalisation boursière des trois entreprises concernées est actuellement en baisse, il convient d'observer que, ainsi que le souligne la Commission, les données produites par le Royaume d'Espagne doivent être replacées dans un contexte général. Il apparaît alors, d'une part, que le cours de l'action d'Enel a évolué de manière conforme à l'indice Mibtel de la bourse de Milan dans la période récente, voire de manière plus favorable que ledit indice sur l'année, et, d'autre part, que le cours de l'action d'Acciona, tout en subissant une baisse plus importante que celle de l'indice Ibex 35 de la bourse de Madrid dans la période récente, a augmenté sur l'année, et ce même si l'indice de référence a baissé au cours de la même période. En ce qui concerne Endesa, le cours de son action a connu une baisse semblable à celle de l'indice de la bourse de Madrid.

79 Quant au coût du financement d'Enel et d'Acciona, le Royaume d'Espagne n'a pas apporté d'élément prouvant que ces entreprises ne sauraient faire face à leur endettement par le biais de ressources autres que celles d'Endesa, ni même que l'utilisation des dividendes de cette dernière constituerait la stratégie économiquement la plus appropriée pour lesdites entreprises.

80 Dans la mesure où toute l'argumentation du Royaume d'Espagne repose sur un comportement économique supposé des entreprises en cause, sans que les éléments permettant de prévoir avec un degré de probabilité suffisant qu'un tel comportement sera adopté aient été apportés, il y a lieu de conclure que l'urgence de la mesure sollicitée n'a pas été établie (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 16 juillet 1993, France/Commission, C-296-93 R, Rec. p. I-4181, point 26).

81 Par ailleurs, même à supposer prouvée l'existence d'un préjudice grave et irréparable, il appartiendrait au Royaume d'Espagne d'établir que la mise en balance des intérêts en cause justifierait de faire droit à sa demande.

82 À cet égard, il convient de rappeler que, lorsque, dans le cadre d'une demande de mesures provisoires, le juge des référés devant lequel il est fait état du risque pour le demandeur de subir un préjudice grave et irréparable met en balance les différents intérêts en cause, il lui faut notamment examiner si l'annulation éventuelle de la décision litigieuse par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l'exécution de cette décision serait de nature à faire obstacle à son plein effet au cas où le recours au principal serait rejeté (ordonnance du président du Tribunal du 20 juillet 2006, Globe/Commission, T-114-06 R, Rec. p. II-2627, point 147 ; voir également, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C-182-03 R et C-217-03 R, Rec. p. I-6887, point 142).

83 Or, en l'espèce, le juge des référés estime que, de ce point de vue, la balance des intérêts est équilibrée. En effet, à supposer que l'exécution immédiate de la décision attaquée permette à Enel et à Acciona de modifier la stratégie d'investissement d'Endesa, l'annulation de ladite décision par le juge du fond ne neutraliserait pas immédiatement les effets de ce changement, en raison du délai qui sépare naturellement le moment où une décision d'investissement est prise et celui où les investissements effectués produisent des résultats concrets. Selon la même logique, le rejet du recours au principal ne permettrait pas à Enel et à Acciona, dans l'hypothèse où l'exécution de la décision attaquée serait suspendue, de tirer profit, dès la date de la décision du Tribunal sur l'affaire au principal, des éventuelles modifications qu'elles pourraient enfin apporter à la stratégie des investissements d'Endesa, un laps de temps étant nécessaire avant que ces modifications ne produisent de résultats concrets.

84 Quant aux autres intérêts en jeu, il y a lieu de prendre en compte l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des décisions prises dans le cadre des dispositions communautaires en matière de concentrations et les intérêts des tiers qui seraient directement affectés par une éventuelle suspension de l'exécution de la décision attaquée (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 janvier 2001, Petrolessence et SG2R/Commission, T-342-00 R, Rec. p. II-67, point 51)

85 À cet égard, tout d'abord, il convient d'observer que l'adoption de dispositions communautaires en matière d'opérations de concentration d'entreprises a comme but principal d'assurer l'efficacité du contrôle desdites opérations, en fonction de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le Marché commun, et la sécurité juridique aux entreprises soumises à l'application de ces dispositions (ordonnance Petrolessence et SG2R/Commission, précitée, point 52 ; voir, également, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 2 décembre 1994, Union Carbide/Commission, T-322-94 R, Rec. p. II-1159, point 36).

86 Ensuite, il y a lieu de rappeler que, dans une situation comme celle de l'espèce, où les mesures demandées au juge des référés peuvent avoir une incidence grave sur les droits et les intérêts de tiers, telles Enel et Acciona, lesquelles par ailleurs ne sont pas parties au litige et n'ont donc pas pu être entendues, de telles mesures ne sauraient se justifier que dans des circonstances exceptionnelles. S'agissant de demandes introduites par des entreprises, la jurisprudence a précisé que de telles mesures ne sauraient se justifier que s'il apparaissait que, en leur absence, les requérantes seraient exposées à une situation susceptible de mettre en péril leur propre existence (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 6 juillet 1993, CCE Vittel et CE Pierval/Commission, T-12-93 R, Rec. p. II-785, point 20, et Petrolessence et SG2R/Commission, précitée, point 53).

87 Dans le cas d'espèce, dans la mesure où le requérant est un État membre qui demande le sursis à l'exécution de la décision attaquée pour garantir la sécurité de l'approvisionnement en énergie sur son territoire, le juge des référés estime que la balance des intérêts ne pourrait pencher en faveur de l'octroi de la mesure provisoire demandée que dans l'hypothèse où l'existence d'une urgence et d'un fumus boni juris particulièrement forts aurait été constatée.

88 Or, ainsi qu'il a été démontré ci-dessus, d'une part, le Royaume d'Espagne n'a pas fourni d'indications concrètes susceptibles d'établir que la réalisation d'un préjudice grave et irréparable était prévisible avec un degré de probabilité suffisant et, d'autre part, le fumus boni juris consiste seulement en ce que la partie du troisième moyen concernant la deuxième et la troisième des conditions imposées ne saurait, prima facie, être considérée comme dépourvue de tout fondement.

89 Dans ces conditions, la balance des intérêts s'oppose à l'octroi du sursis sollicité.

90 Il ressort de l'ensemble des considérations qui précèdent que, la condition relative à l'urgence n'étant pas satisfaite et la balance des intérêts penchant en faveur de l'absence de suspension de l'exécution de la décision attaquée, il y a lieu de rejeter la présente demande en référé.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.