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Décisions

CJCE, 26 mars 1996, n° C-392/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

The Queen

Défendeur :

British Telecommunications plc

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Edward, Puissochet

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Mancini, Schockweiler, Moitinho de Almeida, Gulmann, Murray

Avocats :

Mes Sharpe, Davies, Green

CJCE n° C-392/93

26 mars 1996

LA COUR,

1 Par ordonnance du 28 juillet 1993, parvenue à la Cour le 23 août suivant, la High Court of Justice, Queen's Bench Division, Divisional Court (ci-après la Divisional Court), a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, quatre questions sur l'interprétation de l'article 8, paragraphe 1, de la directive 90-531-CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 297, p. 1, ci-après la directive).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un recours introduit par British Telecommunications plc (ci-après BT) à l'encontre du Gouvernement du Royaume-Uni et visant à l'annulation de l'annexe 2 des Utilities Supply and Works Contracts Regulations 1992 (ci-après les règlements de 1992) qui ont mis en œuvre l'article 8, paragraphe 1, de la directive.

3 D'après l'article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive, les activités relevant de son champ d'application sont notamment la mise à disposition ou l'exploitation de réseaux publics de télécommunication ou la fourniture d'un ou de plusieurs services publics de télécommunications.

4 Selon l'article 2, paragraphe 1, sous b), la directive s'applique aux entités adjudicatrices qui, lorsqu'elles ne sont pas des pouvoirs publics ou des entreprises publiques, exercent, parmi leurs activités, une des activités visées au paragraphe 2 ou plusieurs de ces activités et bénéficient de droits spéciaux ou exclusifs délivrés par une autorité compétente d'un État membre. L'article 2, paragraphe 3, sous a), précise en outre qu'aux fins de l'application du paragraphe 1, sous b), une entité adjudicatrice bénéficie de droits spéciaux ou exclusifs, notamment lorsque, pour la construction des réseaux ou la mise en place des installations visées au paragraphe 2, cette entité peut jouir d'une procédure d'expropriation publique ou d'une mise en servitude, ou utiliser le sol, le sous-sol et l'espace au-dessus de la voie publique pour mettre en place les équipements de réseaux.

5 Aux termes de l'article 2, paragraphe 6, les entités adjudicatrices énumérées aux annexes I à X répondent aux critères énoncés ci-avant. L'annexe X, qui concerne précisément les Entités adjudicatrices dans le domaine des télécommunications, mentionne, notamment, pour le Royaume-Uni, BT, Mercury Communications Ltd (ci-après Mercury), et City of Kingston upon Hull (ci-après Hull).

6 L'article 8 de la directive dispose:

1. La présente directive ne s'applique pas aux marchés qu'une entité adjudicatrice ... passe pour ses achats destinés exclusivement à lui permettre d'assurer un ou plusieurs services de télécommunications lorsque d'autres entités sont libres d'offrir les mêmes services dans la même aire géographique et dans des conditions substantiellement identiques.

2. Les entités adjudicatrices communiquent à la Commission, sur sa demande, les services qu'elles considèrent comme exclus en vertu du paragraphe 1. La Commission peut publier périodiquement, à titre d'information, au Journal officiel des Communautés européennes, la liste de services qu'elle considère comme exclus. A cet égard, la Commission respecte le caractère commercial sensible que ces entités adjudicatrices feraient valoir lors de la transmission des informations.

7 L'article 33, paragraphe 1, sous d), prévoit enfin:

1. Les entités adjudicatrices conservent les informations appropriées sur chaque marché leur permettant de justifier ultérieurement les décisions concernant:

...

d) la non-application des dispositions des titres II, III et IV en vertu des dérogations prévues au titre I.

8 Au Royaume-Uni, l'article 8, paragraphe 1, de la directive a été transposé par l'article 7, paragraphe 1, des règlements de 1992, selon lequel Ces règlements ne sauraient s'appliquer aux appels d'offre en vue de la passation d'un contrat par une entité précisée à l'annexe 2 à la seule fin de lui permettre de fournir un ou plusieurs services de télécommunications spécifiés à la partie de l'annexe 2 où cette entité est mentionnée.

9 La partie B de l'annexe 2 susmentionnée se présente comme suit: British Telecommunications plcKingston Communications (Hull) plc2. Tous les services publics de télécommunications autres que les services mentionnés ci-après lorsqu'ils sont fournis dans l'aire géographique pour laquelle le fournisseur est licencié comme opérateur public de télécommunications: les services de base de téléphonie vocale, les services de base de transmission des données, la fourniture de circuits privés en location et les services maritimes.

10 L'article 7, paragraphe 2, ajoute: Un service public tel que mentionné à l'annexe 2 devra faire parvenir un rapport au ministre pour transmission ultérieure à la Commission décrivant les services de télécommunications publiques qu'il fournit et dont il considère qu'ils sont des services tels que prévus à la partie de l'annexe 2 dans laquelle ce service public est mentionné.

11 BT est une société par actions à responsabilité limitée, fondée le 1 er avril 1984 en vertu du British Telecommunications Act de 1984 (loi de 1984 sur les télécommunications). Elle s'est ainsi vu transférer la propriété ainsi que tous les droits et obligations de l'ancienne société de droit public, appelée elle aussi British Telecommunications, qui avait elle-même, en vertu du British Telecommunications Act de 1981, succédé au Post Office, ce dernier ayant détenu jusqu'à cette date le monopole exclusif de la gestion des systèmes de télécommunications sur presque tout le territoire.

12 Dans le domaine des services de télécommunications de signaux moyennant liaisons fixes (parmi lesquels figure la téléphonie vocale avec terminaux fixes), le Gouvernement du Royaume-Uni a, à la suite de la loi de 1984 sur les télécommunications, accordé les licences nécessaires à BT et à Mercury. Afin de garantir une concurrence plus large, l'interconnexion des deux réseaux a été imposée par la loi de 1984 sur les télécommunications. BT et Mercury ont ainsi obtenu l'exclusivité de l'exploitation des services de télécommunications par liaisons fixes jusqu'en 1990 (période du duopole).

13 La politique du duopole a été abandonnée dans ce secteur au début des années 1990. De nombreuses licences ont été délivrées par le Gouvernement du Royaume-Uni. Toutefois, en 1992, BT contrôlait encore 90 % de l'activité téléphonique, tandis que Mercury en contrôlait 7 % et les nouveaux prestataires seulement 3 %. De 1984 à juillet 1993, le gouvernement a progressivement cédé les actions qu'il détenait encore dans le capital de BT.

14 La licence accordée à BT pour 25 ans lui impose de fournir des services de téléphonie vocale à quiconque lui en fait la demande dans l'ensemble du Royaume-Uni, sauf quelques exceptions, même si la demande est insuffisante pour couvrir les coûts encourus (obligation de service universel). BT est la seule, parmi les titulaires d'une licence, à être soumise à une réglementation portant sur les variations de ses tarifs (price cap).

15 Par la transposition qu'ils font de l'article 8 de la directive, les règlements de 1992 ont exclu de l'obligation de s'y conformer presque tous les opérateurs du secteur, y compris Mercury, pour les marchés relatifs à la fourniture de services de télécommunications. Seule BT (et Hull dans la zone couverte par sa concession) demeure soumise aux dispositions de la directive, mais uniquement pour les services de base de téléphonie vocale, les services de base de transmission de données, la fourniture de circuits privés en location et les services maritimes.

16 Par le recours qu'elle a introduit devant la Divisional Court, BT sollicite l'annulation de l'annexe 2 des règlements de 1992 au motif que l'article 7, paragraphe 1, et cette annexe constituent une mise en œuvre erronée de l'article 8 de la directive. BT estime en effet que le Gouvernement du Royaume-Uni aurait dû transposer les critères figurant à l'article 8, paragraphe 1, de la directive, plutôt que procéder à leur application. En déterminant pour chaque entité adjudicatrice quels sont les services fournis qui peuvent répondre à ces critères, le Gouvernement du Royaume-Uni aurait privé BT du pouvoir de décision que la directive lui reconnaît.

17 BT réclame en outre l'indemnisation du préjudice qu'elle prétend avoir subi en raison de la transposition incorrecte de la directive, à savoir les coûts supplémentaires qu'elle a supportés pour se conformer aux règlements de 1992. Ceux-ci l'auraient par ailleurs empêchée de conclure des opérations rentables et auraient engendré des désavantages sur le plan commercial et de la concurrence découlant de l'obligation, à laquelle ne sont pas tenus les autres opérateurs du secteur, de publier au Journal officiel ses projets en matière de marchés et de contrats de fournitures.

18 Dans le cadre du recours introduit par BT, la Divisional Court a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes:

1) Une interprétation correcte de la directive 90-531 implique-t-elle qu'il est loisible à un État membre, en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu par l'article 189 du traité, de désigner lui-même, dans le cadre de la mise en œuvre de l'article 8, paragraphe 1, de cette directive, les services de télécommunications fournis par chaque entité adjudicatrice auxquels s'applique l'exemption prévue à cet article et ceux auxquels elle ne s'applique pas?

2) a) Les termes lorsque d'autres entités sont libres d'offrir les mêmes services dans la même aire géographique et dans des conditions substantiellement identiques de l'article 8, paragraphe 1, s'appliquent-ils uniquement à une liberté et à des conditions de nature législative ou réglementaire?

b) Si la question 2 a) appelle une réponse négative:

i) quels sont les autres domaines auxquels ces termes se réfèrent; et

ii) la position d'une entité adjudicatrice sur le marché pour un service de télécommunications donné est-elle pertinente à ces fins; et

iii) si cette position est pertinente, dans quelle mesure et dans quelles circonstances peut-elle être déterminante?

c) Les réponses aux questions ii) et iii) à l'alinéa b) ci-dessus sont-elles affectées par le fait qu'une entité est soumise à des contraintes d'ordre réglementaire et, si oui, dans quelle mesure?

3) Si la question 1 appelle une réponse affirmative:

a) dans l'éventualité d'un litige entre une entité adjudicatrice et les autorités nationales chargées de la mise en œuvre de l'article 8, paragraphe 1, comment la juridiction nationale saisie du litige peut-elle s'assurer que les critères d'exemption prévus à l'article 8, paragraphe 1, sont appliqués correctement et, notamment, doit-elle substituer sa propre appréciation de l'application de l'exemption prévue à l'article 8, paragraphe 1, à celle des autorités nationales chargées de la mise en œuvre dudit article;

b) si la juridiction nationale estime que les définitions de certains services de télécommunications, adoptées par les autorités nationales chargées de la mise en œuvre de l'article 8, paragraphe 1, en vue de décider si un service donné est ou non couvert par l'exemption, sont de telle nature qu'il est impossible à une entité adjudicatrice de déterminer si un service donné est couvert ou non par ladite définition, la directive 90-531 ou des principes généraux du droit communautaire, notamment le principe général de sécurité juridique, ont-ils été violés?

c) lorsqu'il définit certains services de télécommunications, un État membre est-il en droit d'adopter des définitions fondées sur des descriptions des moyens techniques permettant de fournir un service donné plutôt que sur la description du service lui-même?

4) Si un État membre a mis en œuvre de manière erronée l'article 8, paragraphe 1, de la directive 90-531 du Conseil, cet État membre est-il tenu, en droit communautaire, d'indemniser l'entité adjudicatrice des préjudices qu'elle a subis en raison de pertes encourues du fait de cette erreur et si oui, dans quelles conditions cette obligation naît-elle?

Sur la première question

19 Par sa première question, la Divisional Court demande en substance si un État membre peut, lorsqu'il transpose la directive, déterminer les services de télécommunications exclus du champ d'application de la directive en vertu de l'article 8, paragraphe 1, ou si cette détermination incombe aux entités adjudicatrices elles-mêmes.

20 Les Gouvernements allemand, français, italien et du Royaume-Uni estiment que la directive n'empêche pas les États membres de désigner les services de télécommunications fournis par chaque entité adjudicatrice auxquels s'applique l'exemption prévue à l'article 8, paragraphe 1. En agissant de cette manière, ils précisent le contenu de cette disposition et permettent un contrôle juridictionnel qui serait sinon inexistant.

21 Les Gouvernements allemand et du Royaume-Uni considèrent en outre qu'une telle mise en œuvre de l'article 8, paragraphe 1, peut s'avérer particulièrement nécessaire lorsque des divergences existent entre un État membre et une entité adjudicatrice quant à la définition du champ d'application de l'exclusion, ce qui serait d'ailleurs le cas en l'espèce. Le Gouvernement allemand ajoute que les États membres se trouvent dans une position bien plus favorable que la Commission pour apprécier si la situation du marché des télécommunications est concurrentielle dans le cas d'un service déterminé et que, dès lors, une concrétisation par ces États de l'article 8, paragraphe 1, permet d'exercer un contrôle plus efficace que celui qui est effectué par la Commission sur la base des informations obtenues conformément au paragraphe 2 du même article.

22 Enfin, ce dernier gouvernement en particulier souligne que les articles 8, paragraphe 2, et 33, paragraphe 1, sous d), ne permettraient pas de conclure que seules les entités adjudicatrices peuvent déterminer les services qui sont à considérer comme exclus. En effet, ce ne serait pas parce que ces entités sont, en vertu de ces dispositions, tenues de fournir des informations à la Commission sur les services exclus, ainsi que de garder les informations appropriées sur chaque marché leur permettant de justifier ultérieurement la non-application des titres II, III et IV de la directive, que les États membres ne pourraient pas être considérés comme habilités à déterminer eux-mêmes le champ de l'exception prévue à l'article 8, paragraphe 1.

23 Cette argumentation ne saurait être accueillie.

24 En effet, l'article 8, paragraphe 2, comme d'ailleurs les articles 6, paragraphe 3, et 7, paragraphe 2, de la directive, prévoit que les entités adjudicatrices communiquent à la Commission, à la demande de celle-ci, les services qu'elles considèrent comme exclus en vertu des articles précités. S'il appartenait aux États membres de déterminer les services en cause, les services ainsi exclus de l'application de la directive devraient également être communiqués par ces États à la Commission afin qu'elle accomplisse la charge qui lui incombe en vertu desdits paragraphes.

25 Dès lors que la directive n'a pas prévu, à l'instar de l'article 3, paragraphe 4, une telle obligation pour les États membres, la décision de déterminer les services exclus conformément à l'article 8, paragraphe 1, appartient aux seules entités adjudicatrices.

26 Une telle interprétation trouve confirmation dans l'objectif poursuivi par la directive 92-13-CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 76, p. 14, ci-après la directive 92-13), qui est d'assurer une protection juridique adéquate des fournisseurs ou des entrepreneurs en cas de violation du droit communautaire en matière de marchés publics (voir, en ce sens, le cinquième considérant de la directive 92-13).

27 En effet, si la décision d'exclure certains services de l'application de la directive appartenait aux États membres, les opérateurs économiques ne pourraient pas bénéficier des instruments juridiques prévus dans la directive 92-13 en cas de violation des règles communautaires sur les marchés publics par les entreprises adjudicatrices, et notamment du droit à des dommages-intérêts et aux mesures de contrainte que l'article 2, paragraphe 1, prévoit pour prévenir ou faire cesser toute infraction.

28 Enfin, l'interprétation retenue permet d'assurer l'égalité de traitement des entités adjudicatrices et de leurs fournisseurs qui restent ainsi soumis aux mêmes règles.

29 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question qu'un État membre ne peut pas, lorsqu'il transpose la directive, déterminer les services de télécommunications exclus du champ d'application de la directive en vertu de l'article 8, paragraphe 1, cette prérogative appartenant aux entités adjudicatrices elles-mêmes.

Sur la deuxième question

30 Par sa deuxième question, la Divisional Court demande si la condition posée par l'article 8, paragraphe 1, selon laquelle d'autres entités sont libres d'offrir les mêmes services dans la même aire géographique et dans des conditions substantiellement identiques, doit seulement être vérifiée en droit ou si elle doit aussi l'être en fait. Dans cette dernière hypothèse, la juridiction de renvoi demande quels sont les éléments dont il convient de tenir compte pour apprécier si la situation du marché des télécommunications est effectivement concurrentielle dans le cas d'un service déterminé.

31 BT soutient que la condition figurant à l'article 8, paragraphe 1, est remplie, dès lors que des dispositions législatives ou réglementaires garantissent en droit la libre concurrence dans le secteur concerné, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si une telle concurrence existe effectivement.

32 A cet égard, il y a lieu d'observer que le libellé de l'article 8, paragraphe 1, ainsi que l'objectif poursuivi par cette disposition s'opposent à cette interprétation. La condition que les autres entités adjudicatrices puissent offrir les mêmes services dans des conditions substantiellement identiques est en effet formulée en des termes généraux par l'article 8, paragraphe 1. En outre, le treizième considérant de la directive affirme que les activités des entités adjudicatrices doivent, pour pouvoir être exclues du champ d'application de la directive, être directement exposées à la concurrence sur des marchés dont l'accès n'est pas limité.

33 La condition posée par l'article 8, paragraphe 1, doit dès lors être interprétée en ce sens que les autres entités adjudicatrices doivent non seulement être autorisées à opérer sur le marché des services en cause, dont l'accès n'est pas limité par la loi, mais qu'elles doivent aussi être effectivement à même de fournir les services en cause aux mêmes conditions que l'entité adjudicatrice.

34 Dans ces conditions, la décision d'exclure certains services du champ d'application de la directive doit être prise au cas par cas, en tenant compte notamment de toutes leurs caractéristiques, de l'existence de services de substitution, des conditions de prix, de la position dominante de l'entité adjudicatrice sur le marché ainsi que de l'existence d'éventuelles contraintes légales.

35 Il convient, dès lors, de répondre à la deuxième question, que la condition posée par l'article 8, paragraphe 1, de la directive, selon laquelle d'autres entités sont libres d'offrir les mêmes services dans la même aire géographique et dans des conditions substantiellement identiques, doit être vérifiée en droit et en fait, compte tenu notamment de toutes les caractéristiques des services concernés, de l'existence de services de substitution, des conditions de prix, de la position dominante de l'entité adjudicatrice sur le marché ainsi que d'éventuelles contraintes légales.

Sur la troisième question

36 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n'est pas nécessaire de répondre à la troisième question.

Sur la quatrième question

37 Par sa quatrième question, la Divisional Court cherche à savoir si le droit communautaire oblige un État membre, qui, lors de la transposition de la directive dans son droit national, a lui-même déterminé les services d'une entité adjudicatrice qui en sont exclus conformément à l'article 8, à indemniser cette entreprise des dommages qu'elle aurait encourus du fait de l'erreur ainsi commise.

38 A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité (arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6-90 et C-9-90, Rec. p. I-5357, point 35, et du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46-93 et C-48-93, non encore publié au Recueil, point 31). Il en résulte qu'un tel principe est valable pour toute hypothèse de violation du droit communautaire par un État membre (arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 32).

39 Il y a lieu de rappeler que, dans le dernier arrêt cité, la Cour a également jugé, à propos d'une violation du droit communautaire imputable à un État membre agissant dans un domaine où il dispose d'une large marge d'appréciation pour opérer des choix normatifs, qu'un droit à réparation est reconnu par le droit communautaire dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation est suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées (points 50 et 51).

40 Il convient d'appliquer ces conditions à l'hypothèse soumise à la Cour par le juge de renvoi, c'est-à-dire celle où un État membre transpose incorrectement une directive communautaire dans son droit national. En effet, des conditions restrictives d'engagement de la responsabilité de l'État membre se justifient, dans cette hypothèse, par les motifs déjà retenus par la Cour pour justifier les conditions restrictives d'engagement de la responsabilité extra contractuelle des institutions ou des États membres lorsqu'ils exercent leur activité normative dans des domaines relevant du droit communautaire et dans lesquels ils disposent d'un large pouvoir d'appréciation, notamment par le souci que l'exercice de cette activité normative ne soit pas entravé par la perspective d'actions en dommages-intérêts chaque fois que l'intérêt général commande, pour ces institutions ou ces États membres, de prendre des mesures susceptibles de porter atteinte aux intérêts de particuliers (voir, notamment, arrêts du 25 mai 1978, HNL e.a./Conseil et Commission, 83-76, 94-76, 4-77, 15-77 et 40-77, Rec. p. 1209, points 5 et 6, et Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 45).

41 S'il appartient, en principe, aux juridictions nationales de vérifier si les conditions de la responsabilité des États découlant de la violation du droit communautaire sont ou non réunies, il y a lieu de constater que, dans la présente affaire, la Cour dispose de tous les éléments nécessaires pour apprécier si les faits de l'espèce doivent être qualifiés de violation suffisamment caractérisée du droit communautaire.

42 Il découle de la jurisprudence de la Cour qu'une violation est suffisamment caractérisée lorsqu'une institution ou un État membre, dans l'exercice de son pouvoir normatif, a méconnu, de manière manifeste et grave, les limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs (arrêts HNL e.a./Conseil et Commission, précité, point 6, et Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 55). A cet égard, parmi les éléments que la juridiction compétente peut être amenée à prendre en considération, figure notamment le degré de clarté et de précision de la règle violée (arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, point 56).

43 En l'espèce, il y a lieu de constater que l'article 8, paragraphe 1, est imprécis et supportait raisonnablement, outre l'interprétation donnée par la Cour dans le présent arrêt, l'interprétation qu'en a donnée, de bonne foi, le Royaume-Uni en se fondant sur des arguments non dénués de toute pertinence (voir points 20 à 22 ci-dessus). Pareille interprétation, qui était également partagée par d'autres États membres, n'était pas manifestement contraire au texte de la directive ni à l'objectif qu'elle poursuit.

44 En outre, il convient en particulier de relever que le Royaume-Uni ne disposait d'aucune indication résultant de la jurisprudence de la Cour quant à l'interprétation de la disposition en cause, sur laquelle la Commission ne s'était pas davantage prononcée lors de l'adoption des règlements de 1992.

45 Dans ces conditions, le fait que, lors de la transposition de la directive, un État membre ait considéré qu'il était nécessaire de déterminer lui-même les services exclus de son champ d'application conformément à l'article 8, en violation de cette disposition, ne saurait être considéré comme une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire au sens de l'arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité.

46 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la quatrième question que le droit communautaire n'oblige pas un État membre, qui, lors de la transposition de la directive dans son droit national, a lui-même déterminé les services d'une entité adjudicatrice qui en sont exclus conformément à l'article 8, à indemniser cette entité des dommages qu'elle aurait encourus du fait de l'erreur ainsi commise.

Sur les dépens

47 Les frais exposés par les Gouvernements allemand, français et italien, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice, Queen's Bench Division, Divisional Court, par ordonnance du 28 juillet 1993, dit pour droit:

1) Un État membre ne peut pas, lorsqu'il transpose la directive, déterminer les services de télécommunications exclus du champ d'application de la directive 90-531-CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, en vertu de l'article 8, paragraphe 1, cette prérogative appartenant aux entités adjudicatrices elles-mêmes.

2) La condition posée par l'article 8, paragraphe 1, de la directive 90-531, selon laquelle d'autres entités sont libres d'offrir les mêmes services dans la même aire géographique et dans des conditions substantiellement identiques, doit être vérifiée en droit et en fait, compte tenu notamment de toutes les caractéristiques des services concernés, de l'existence de services de substitution, des conditions de prix, de la position dominante de l'entité adjudicatrice sur le marché ainsi que d'éventuelles contraintes légales.

3) Le droit communautaire n'oblige pas un État membre, qui, lors de la transposition de la directive 90-531 dans son droit national, a lui-même déterminé les services d'une entité adjudicatrice qui en sont exclus conformément à l'article 8, à indemniser cette entité des dommages qu'elle aurait encourus du fait de l'erreur ainsi commise.