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Conseil Conc., 29 octobre 2008, n° 08-D-25

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Toulemont-Dakouré, par M. Nasse vice-président président de séance, Mme Pinot, MM. Bidaud, Combe, Dalin, Piot, membres.

Conseil Conc. n° 08-D-25

29 octobre 2008

Le Conseil de la concurrence (Section I),

Vu la saisine d'office du 27 juin 2006 concernant des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle ; Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment l'article 81 CE ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu la décision du rapporteur général du 30 octobre 2006 procédant à la disjonction de la présente affaire en deux saisines portant respectivement les numéros 06/0044-1 F, relative à des pratiques mises en œuvre par des sociétés du secteur de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et 06/0044-2 F (06/0077 F), relative aux seules pratiques mises en œuvre par la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ; Vu les observations présentées par Pierre Fabre SA et Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, les représentants de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques et de la société Pierre Fabre SA et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 17 septembre 2008 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par une décision en date du 27 juin 2006, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle. Par une décision n° 07-D-07 en date du 8 mars 2007, le Conseil a accepté et rendu obligatoires les engagements proposés par les entreprises concernées, à l'exception du groupe Pierre Fabre, consistant à modifier leurs contrats de distribution sélective afin de prévoir la possibilité pour les membres de leur réseau de vendre leurs produits sur Internet.

2. L'examen des pratiques du groupe Pierre Fabre a été disjoint par le rapporteur général le 30 octobre 2006. La procédure contentieuse à l'encontre de ce dernier a donc suivi son cours sous le numéro 06/0044-2 F.

B. LA PORTÉE DE LA DÉCISION N° 07-D-07

3. Il convient de préciser d'emblée que la décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007 par laquelle le Conseil, après avoir accepté et rendu obligatoires les engagements proposés par les autres fabricants, a classé l'affaire les concernant sur le fondement du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, n'a fait que constater que la mise en œuvre des engagements souscrits répondait aux préoccupations de concurrence mises en évidence au cours de l'instruction de l'affaire. Elle n'a procédé à aucune qualification des pratiques au regard des articles L. 420-1 du Code de commerce ou 81 du traité. Elle ne saurait donc constituer un précédent qui puisse lier le Conseil dans son appréciation des pratiques en cause dans la présente affaire.

C. LE SECTEUR CONCERNÉ

1. LES PRODUITS

4. Les produits concernés par la saisine sont les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle distribués par l'intermédiaire de systèmes de distribution sélective et offerts avec le conseil d'un pharmacien.

5. Ils font partie du secteur plus large des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle définis par l'article L. 5131-1 du Code de la santé publique selon lequel : " On entend par produit cosmétique toute substance ou préparation destinée à être mise en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain, notamment l'épiderme, les systèmes pileux et capillaire, les ongles, les lèvres, les organes génitaux externes, ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d'en modifier l'aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles ". A ce titre, ils sont soumis à certaines exigences législatives relatives à leur composition ou leur étiquetage. Toutefois, ils n'entrent pas dans la catégorie des médicaments qui, d'après l'article L. 5111-1 du même Code, " possèdent des propriétés préventives ou curatives à l'égard des maladies humaines " ; ils ne sont pas soumis au monopole des pharmaciens prévu à l'article L. 4211-1 du Code de la santé publique. La réglementation publique ne s'oppose donc pas à ce que ces produits soient librement commercialisés en dehors du circuit officinal.

6. En 2007, les ventes, en France, des produits cosmétiques vendus "sur conseil pharmaceutique", c'est-à-dire bénéficiant du conseil offert par un diplômé en pharmacie, se sont élevées à plus de 1,66 milliard d'euro, se répartissant entre les produits de beauté pour femme, pour homme, pour bébé, les produits capillaires, d'hygiène buccale et de soins et enfin les parfums.

2. LES FABRICANTS

7. Sur le marché des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, la concurrence inter marque apparaît vive en raison, notamment, de la nature des produits pour lesquels l'innovation joue un rôle majeur. Ainsi, dans les cinq dernières années, de nouvelles marques ont pu conquérir des parts de marché de l'ordre de 2 à 3 points, à l'instar de Nuxe ou Caudalie. Oenobiol s'est concentré sur les compléments alimentaires. Les deux groupes Pierre Fabre et Cosmétique Active France, filiale de l'Oréal, restent prépondérants avec respectivement 20 % et 18,6 % de parts de marché en 2007 en raison tant de leur ancienneté que de leur "portefeuille" de marques. Johnson & Johnson Consumer France occupe la troisième place en 2005.

3. LES DISTRIBUTEURS

8. Les canaux de distribution sont majoritairement les pharmacies, les parapharmacies indépendantes ou intégrées à l'intérieur des grandes surfaces alimentaires ainsi que les parfumeries. Cependant, les pharmacies restent le canal de commercialisation privilégié par les laboratoires avec plus de deux tiers des ventes. Détenant un monopole de distribution jusqu'à la fin des années 1980, elles disposent d'un maillage territorial inégalé qui leur attribue un avantage déterminant dans la distribution. S'ajoute à cet atout l'image positive apportée par la présence du pharmacien et de la proximité de la vente, au sein de l'officine, de médicaments délivrés sur ordonnance médicale.

4. LA VENTE EN LIGNE

9. D'après les données administratives figurant au dossier, les ventes sur Internet, tous produits et services confondus, continuent leur forte progression et ont dépassé en France la barre des 16 milliards d'euro en 2007 (en hausse de 35 % par rapport à 2006 avec 180 millions de transactions). Chaque acheteur en ligne dépense 800 euro par an en moyenne et effectue près de neuf commandes via Internet. Le nombre de sites marchands a connu une forte hausse avec 13 000 nouveaux sites marchands en 2007, soit une augmentation de 54 %. Il apparaît que les sites intéressant la mode et la beauté ont continué à croître en 2007. Le commerce en ligne a capté 21 millions d'acheteurs au premier semestre 2008, pour une dépense totale de 10 milliards d'euro selon la FEDAV (Fédération de la vente à distance). De plus, selon les données de l'ARCEP, le nombre d'abonnements à Internet haut débit s'élevait fin juin 2008 à 16,7 millions, avec un accroissement annuel de 2,5 millions, soit 18 %.

10. Il est encore trop tôt pour mesurer l'évolution des ventes sur Internet des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, les premiers contrats de distribution autorisant ce mode de distribution n'ayant été signés qu'à la suite de la décision du Conseil de la concurrence, intervenue à la fin 2007. Les fournisseurs ont déclaré ne pas avoir le recul nécessaire pour estimer de telles ventes. Cependant, de grandes marques de luxe dans le domaine de la parfumerie, de la joaillerie ou des accessoires ont développé récemment, en France ou à l'étranger, leurs propres sites de vente sur Internet. Ce développement récent s'appuie sur le constat que le "coeur de clientèle" des marques haut de gamme achète massivement sur Internet.

D. L'ENTREPRISE CONCERNÉE PAR LA SAISINE

1. L'ORGANISATION DU GROUPE

11. Le groupe Pierre Fabre commercialise des gammes de produits variés en pharmacie, homéopathie et en parapharmacie, en France comme à l'étranger.

12. La société Pierre Fabre SA (PFSA), holding du groupe, possède plusieurs filiales dont Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (PFDC), qui possède à son tour plusieurs filiales dont les laboratoires de cosmétiques, Avène, Klorane, Galénic et Ducray. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle.

13. La société Pierre Fabre SA détient la société anonyme à directoire et conseil de surveillance Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à 99, 91 %. M. Pierre X... est actionnaire principal, président et directeur général de PFSA et président du conseil de surveillance de PFDC. M. Jacques Y... est actionnaire, administrateur et directeur général délégué de PFSA. Il est également actionnaire et président du directoire de PFDC.

14. L'objet de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique est " la fabrication, la promotion, la vente, la distribution en gros et au détail de spécialités à visée notamment dermatologique ; la distribution, la promotion, la vente en gros et au détail, la transformation, directement ou indirectement, en France, dans les territoires d'Outre-mer et à l'étranger : de tous produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et notamment de soins, de beauté, de parapharmacie, simples ou composés, de produits capillaires et cosmétiques, parfums ; de tous articles de parfumerie et d'hygiène ; de tous produits notamment ingérables autres que les médicaments destinés à favoriser la protection, le maintien en bon état ou la modification de l'aspect des parties superficielles du corps humain ; l'étude, la recherche et le développement des produits susvisés ".

15. Par ailleurs, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a signé des conventions d'assistance générale et d'assistance technique avec la maison-mère Pierre Fabre SA. Il y est stipulé que la société Pierre Fabre SA fait bénéficier la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique de son savoir-faire et de ses compétences en matière stratégique, opérationnelle, administrative et financière. Ainsi, la société Pierre Fabre s'engage auprès de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à apporter son conseil et son assistance dans divers domaines, dont la définition des orientations stratégiques, l'ingénierie juridique et financière, ainsi que les services informatiques.

16. Il est aussi précisé dans les contrats de distribution que Pierre Fabre Dermo-Cosmétique accepte l'assistance et les conseils de la société Pierre Fabre SA, holding du groupe.

17. Le groupe Pierre Fabre distribue majoritairement ses produits par l'intermédiaire des pharmaciens, sur le marché français comme sur le marché européen. En effet, la vente en officine représente, avec plus de 60 % de distribution directe et 10 % de ventes par l'intermédiaire des répartiteurs, 70 % de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle.

18. Le chiffre d'affaires consolidé du groupe s'élève, en 2007, à 1 682 millions d'euro, dont 921 millions d'euro réalisés en France. Le chiffre d'affaires de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique s'élevait, en 2007, à 336 millions d'euro en France et à 614 millions avec les exportations.

2. LES CONTRATS DE DISTRIBUTION DES PRODUITS COSMÉTIQUES ET D'HYGIÈNE CORPORELLE

19. Les contrats de distribution du groupe Pierre Fabre, relatifs à la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, concernant les marques Klorane, Avène, Galénic et Ducray, et émis par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, précisent que les ventes doivent être réalisées dans un espace physique, dont les critères sont définis avec précision, et avec la présence obligatoire d'un diplômé en pharmacie. Les articles 1.1 et 1.2 des conditions générales de distribution et de vente des quatre marques précitées stipulent en effet : " Le distributeur agréé doit justifier de la présence physique et permanente dans son point de vente, et pendant toute l'amplitude horaire d'ouverture de celui-ci, d'au moins une personne spécialement qualifiée par sa formation pour :

- acquérir une parfaite connaissance des caractéristiques techniques et scientifiques des Produits (...), nécessaire à la bonne exécution des obligations d'exercice professionnel définie au paragraphe 1.4 ci-après,

- donner, de façon habituelle et constante, au consommateur toutes informations relatives à la bonne utilisation des Produits (...)

- conseiller instantanément et sur le point de vente, le Produit (...) le plus adapté au problème spécifique d'hygiène ou de soin, notamment de la peau et des phanères, qui lui est soumis.

Cette personne qualifiée doit être titulaire pour ce faire, du diplôme de Pharmacien délivré ou reconnu en France ".

" Le distributeur agréé doit s'engager à ne délivrer les Produits (...) que dans un point de vente matérialisé et individualisé (...) ".

20. Cette exigence a été rappelée par les représentants du groupe Pierre Fabre au cours de leur audition : " Oui, nous exigeons la présence d'un personnel diplômé en pharmacie ou équivalent reconnu dans les points de vente. C'est une condition d'agrément pour la distribution de nos produits. Il y a une formation régulière de notre personnel à l'utilisation des produits en particulier lors du lancement d'un nouveau produit ".

21. Elle exclut de facto toutes les formes de vente par l'intermédiaire d'Internet.

22. Au cours de leur audition du 11 mars 2008 par la rapporteure, les représentants de Pierre Fabre SA et Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (ci-après PFDC) ont expliqué les raisons ayant conduit le groupe Pierre Fabre à interdire la vente de ses produits sur Internet : " La conception de ces produits nécessite le conseil d'un spécialiste pharmacien du fait de l'activité de ces produits développés dans une optique de soins. L'effet corollaire est que si des circuits sans conseil se développent, les pharmacies vont refuser de rendre le conseil. Nos produits répondent à des problématiques de peau particulières, comme des peaux intolérantes, avec un risque de réaction allergique. Nous considérons de ce fait que la vente sur Internet ne répondrait pas aux attentes des consommateurs et des professionnels de santé sur nos produits et par conséquent aux exigences que nous fixons dans nos conditions générales de vente. Ces produits sont aussi recommandés par le corps médical (pédiatres, dermatologues)(... ) ".

23. PFDC interdit la vente de ses produits sur Internet en raison de la nature des produits développés dans une optique de soins et auxquels l'entreprise souhaite associer une image médicale. Selon cette société, cette exigence suppose la présence d'un professionnel de santé, le pharmacien, qui, afin d'apporter aux consommateurs les recommandations appropriées, doit voir les clients pour évaluer leurs pathologies, et exclut la vente sur Internet.

24. PFDC indique aussi vouloir éviter le développement parallèle de circuits de distribution ne dispensant pas de conseil, que le groupe estime négatif à la fois pour son image et pour les pharmaciens fournissant ce service.

E. LE GRIEF NOTIFIÉ

25. Sur la base de ces constatations, il a été fait grief à la société Pierre Fabre SA et à sa filiale la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique d'empêcher leurs distributeurs agréés de vendre sur Internet les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle de marques Klorane, Avène, Ducray et Galénic, en infraction avec les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité.

26. Ce grief concerne l'interdiction faite par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, à ses distributeurs agréés qui disposent de points de vente physiques avec la présence obligatoire d'un pharmacien, de développer la vente de leurs produits par Internet.

II. Discussion

A. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

27. Les parties soulignent que le grief aurait dû être imputé uniquement à Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (PFDC) et non à Pierre Fabre SA, la maison-mère de la précédente.

28. Le Conseil note que Pierre Fabre SA, holding du groupe, n'intervient pas dans la détermination des politiques commerciales et financières de PFDC, qui définit seule ses orientations stratégiques. En particulier, les contrats de distribution, dont une des clauses fait précisément l'objet de la présente procédure, sont conçus, négociés et conclus en toute autonomie par PFDC.

29. Compte tenu de ces éléments, le Conseil considère que la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, qui a été destinataire du grief, est l'auteur des pratiques en cause et qu'il convient de mettre hors de cause la société Pierre Fabre SA.

B. SUR LA DÉFINITION DU MARCHÉ PERTINENT

30. Les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques se distinguent non seulement des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle par leur image haut de gamme et leur positionnement en prix, mais aussi des produits de marque vendus en parfumerie.

31. Ces produits bénéficient effectivement d'un positionnement en prix ainsi que d'une image médicalisée et haut de gamme qui les différencient des autres produits cosmétiques commercialisés dans les grandes surfaces alimentaires ou les grands magasins. Ainsi que le soulignait le Conseil dans sa décision n° 87-D-15 du 9 juin 1987, ces produits "sont vendus sous de multiples marques dont le principal critère de différenciation est leur mode de distribution. On distingue quatre circuits : la pharmacie (...), la diffusion sélective, (...), la grande diffusion (...) et la vente directe (...). La part respective des ventes effectuées par chaque mode de distribution varie cependant en fonction des segments du marché (...). Les niveaux moyens de prix observés dans les divers circuits de distribution sont très différents (...). Plusieurs autres études versées au dossier montrent que le consommateur attribue à chaque circuit de distribution des qualités spécifiques. Le choix d'un circuit de distribution par la clientèle semble étroitement dépendant de l'image de marque qui s'attache aux produits. Mais cette image est elle-même fonction du mode de diffusion des produits et de l'importance des investissements".

32. Par ailleurs, d'après les déclarations recueillies au cours de l'instruction auprès des laboratoires, les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle vendus sur conseil pharmaceutique, soit en pharmacie, soit en parapharmacie, soit enfin en parfumerie, pour la vente desquels la présence d'un diplômé en pharmacie est imposée contractuellement par les laboratoires, font l'objet de tests dermatologiques et cliniques réalisés par les laboratoires préalablement à leur mise sur le marché. En cela, ils diffèrent des produits de marque mis en vente dans les seules parfumeries, comme la marque Clinique.

33. Les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle vendus sur conseil d'un pharmacien constituent donc un marché pertinent, compte tenu de la spécificité de leurs modes de commercialisation (pharmacie, parapharmacie et parfumerie avec présence d'un diplômé en pharmacie), de leur image " médicalisée ", de leur positionnement en prix, et enfin des tests cliniques préalables à leur commercialisation. Ce marché est de dimension nationale.

34. La délimitation du marché pertinent n'a pas été contestée par les parties mises en cause.

C. SUR L'AFFECTATION DU COMMERCE INTRACOMMUNAUTAIRE

35. Selon les lignes directrices de la Commission européenne relative à la notion d'affectation du commerce (2004-C 101-07), trois éléments doivent être démontrés pour établir que les pratiques sont susceptibles d'affecter sensiblement le commerce intracommunautaire : l'existence d'échanges entre États membres portant sur les produits faisant l'objet de la pratique (premier point), l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges (deuxième point) et le caractère sensible de cette possible affectation (troisième point).

36. S'agissant des deux premiers points, la pratique en cause consistant dans la présence dans les contrats de distribution sélective de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique d'une clause revenant à interdire aux membres de son réseau de vendre les produits de ce laboratoire sur Internet, elle est, par sa nature même, susceptible d'affecter le courant des échanges intracommunautaires. Cette pratique revient en effet à interdire aux plus de 23 000 points de vente répartis sur le territoire français, membres du réseau de distribution du groupe Pierre Fabre, de répondre à des commandes émanant de consommateurs d'autres pays membres et ainsi, de cloisonner le marché au seul territoire français en entravant le développement direct d'échanges intracommunautaires auxquels Internet offre l'opportunité d'un développement.

37. Cette analyse a été confirmée par la Cour d'appel de Paris qui, dans un arrêt du 16 octobre 2007 (société Bijourama) a jugé, dans une affaire relative à la vente de montres, que les restrictions aux ventes par Internet apportées à un réseau de distribution sélective étaient susceptibles d'affecter le commerce intra communautaire : " qu'en l'espèce, sont en cause les conditions dans lesquelles les membres du réseau Festina France peuvent vendre sur Internet les montres fournies par cette société, et la question de savoir si des revendeurs " pure players " comme Bijourama sont en droit d'effectuer de telles ventes ; que du fait de l'importance du réseau de distribution de Festina France, de sa répartition sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones frontalières et de la vocation de l'ensemble de ses distributeurs à vendre sur Internet qui par nature est ouvert au commerce transfrontalier, les questions de concurrence soulevées sont susceptibles d'affecter le commerce intracommunautaire et relèvent donc de l'application du droit communautaire de la concurrence ".

38. S'agissant du troisième point, le paragraphe 53 des lignes directrices de la Commission européenne relatives à la notion d'affectation du commerce (2004-C 101-07) énumère les deux seuils alternatifs au delà desquels un accord est présumé affecter sensiblement le commerce entre Etats membres :

* la part de marché totale des parties sur le marché communautaire en cause affecté par l'accord excède 5 % ;

* ou, dans le cas d'accords verticaux, le chiffre d'affaires annuel total réalisé dans la Communauté par le fournisseur avec les produits concernés par l'accord excède 40 millions d'euro.

39. Ce seuil de 40 millions d'euro est calculé, selon le paragraphe 54 des lignes directrices, sur la base des ventes totales hors taxes réalisées dans la Communauté, durant l'exercice écoulé, par l'entreprise en cause avec les produits concernés par l'accord.

40. En l'espèce, le chiffre d'affaires du groupe Pierre Fabre réalisé en 2007 dans la Communauté avec les produits concernés par la clause litigieuse excède largement le seuil de 40 millions, comme l'indiquent les données figurant au paragraphe 18.

41. Il résulte de ce qui précède que les pratiques sont présumées affecter sensiblement le commerce intra communautaire. Cette présomption n'est pas renversée par les sociétés mises en cause qui ne contestent d'ailleurs pas l'application du droit communautaire dans la présente espèce.

D. SUR LES PRATIQUES

1° L'analyse des accords verticaux

42. Compte tenu de la potentialité d'affectation sensible du commerce intra communautaire, la licéité du système de distribution sélective mis en place par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique sera examinée non seulement sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce, mais aussi de l'article 81 du traité.

43. L'article 81, paragraphe 1, interdit " tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (...) ". De même, l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe " les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalition ", " lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu la concurrence sur un marché ".

44. Les accords restrictifs de concurrence peuvent restreindre la concurrence par leur objet ou par leurs effets, la démonstration de l'objet anticoncurrentiel dispensant de prouver l'existence d'effets anticoncurrentiels (Cour de justice, 30 juin 1966, Société technique minière ; 17 juillet 1997, Ferrière Nord, C-219-95, points 14 et 15) (a). Les accords comportant des " restrictions caractérisées ", au sens du règlement européen (CE) n° 2790-99 en date du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, sont exclus de l'exemption par catégorie prévue par ce texte, mais peuvent, s'ils apportent une contribution suffisante au progrès économique, bénéficier d'une exemption individuelle, dans les conditions définies au paragraphe 3 de l'article 81 du traité ou à l'article L. 420-4 du Code de commerce (b).

a) Les restrictions de concurrence par objet

45. Selon l'article 21 des lignes directrices de la Commission concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3 du traité (2004-C 101-08), " les accords ayant pour objet de restreindre le jeu de la concurrence sont ceux qui, par nature, ont la capacité de le faire. Il s'agit de restrictions qui, au regard des objectifs poursuivis par les règles communautaires de concurrence, sont tellement susceptibles d'avoir des effets négatifs sur la concurrence qu'il est inutile, aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, de démontrer qu'elles ont des effets concrets sur le marché. Cette présomption repose sur la gravité de la restriction et sur l'expérience qui montre que les restrictions de concurrence par objet sont susceptibles d'avoir des effets négatifs sur le marché et de mettre en péril les objectifs poursuivis par les règles communautaires de concurrence. (...) ".

46. En vertu d'une jurisprudence constante tant des juridictions que des autorités de concurrence communautaires et nationales, les pratiques qui imposent des prix de revente ou limitent la production ou les ventes, ont nécessairement un objet anticoncurrentiel, sans qu'il soit besoin de mesurer leurs effets concrets.

47. Selon l'article 23 des lignes directrices précitées, " (...). En règle générale, la Commission considère comme des restrictions par objet celles qui sont interdites dans les règlements d'exemption par catégorie ou sont définies comme étant des restrictions caractérisées dans les lignes directrices et communications. (...) ".

48. S'agissant des accords verticaux, ainsi que le Conseil le rappelait dans son étude thématique du rapport annuel 2003 intitulée " objet, effet et intention anticoncurrentiels " (page 60), ces restrictions caractérisées sont énumérées aux articles 4 et 5 du règlement n° 2790-1999 du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité CE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées.

49. Ce règlement d'exemptions par catégorie crée une présomption de légalité pour les accords verticaux lorsque la part de marché que détient le fournisseur sur le marché pertinent sur lequel il vend ses biens et services ne dépasse pas 30 %. Cette présomption de légalité tombe lorsque ces accords comportent des restrictions caractérisées, énumérées à l'article 4 : ces restrictions consistent en "la restriction de la capacité de l'acheteur de déterminer son prix de vente (...)" (a) ; de "la restriction concernant le territoire dans lequel, ou la clientèle à laquelle, l'acheteur peut vendre les biens ou services contractuels" (b) ; "de la restriction des ventes actives ou passives au sein d'un réseau de distribution sélective" (c) ; "et enfin de la restriction des livraisons croisées au sein d'un réseau de distribution sélective" (d).

50. Le règlement classe en particulier, parmi les restrictions emportant la non-application de l'exemption par catégorie aux accords verticaux, " les restrictions des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d'un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité d'interdire à un membre du système d'opérer à partir d'un lieu d'établissement non autorisé " (point c).

51. Les accords comportant de telles restrictions, qui ne peuvent bénéficier de l'exemption catégorielle du règlement, sont néanmoins susceptibles de bénéficier d'une exemption individuelle.

b) L'exemption individuelle prévue au paragraphe 3 de l'article 81 du traité et à l'article L. 420-4 du Code de commerce

52. Le paragraphe 3 de l'article 81 du traité dispose que " les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables : à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises (...) qui contribue(nt) à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs ;

b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ".

53. Le 2° du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce prévoit que " ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : (...) dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause (...) ".

54. La démonstration que ces conditions sont réunies incombe aux entreprises auteurs des pratiques.

2° L'appréciation de la pratique

55. Les deux étapes rappelées plus haut seront suivies pour les besoins de la démonstration : le caractère restrictif de concurrence par objet de la pratique en cause au sens des articles 81 §1 du traité et L. 420-1 du Code de commerce ; l'examen des justifications apportées par les parties en cause au regard du paragraphe 3 de l'article 81 du traité et du 2° du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce.

a) La restriction de concurrence et son éventuelle exemption " par catégorie "

56. Les contrats de distribution sélective signés entre PFDC et ses distributeurs prévoient que la vente de ses produits cosmétiques et d'hygiène corporelle sera exclusivement effectuée au sein d'un espace physique, en présence d'un docteur en pharmacie. Ce système prohibe donc la vente par Internet.

57. En imposant à ses distributeurs agréés une interdiction de vente des produits sur Internet, la société PFDC limite d'emblée la liberté commerciale de ses distributeurs en excluant un moyen de commercialisation de ses produits cosmétiques et d'hygiène corporelle. De ce fait, elle restreint le choix des consommateurs désireux d'acheter par Internet et empêche les ventes aux acheteurs finaux qui ne sont pas localisés dans la zone de chalandise " physique " du distributeur agréé. L'utilisation d'Internet permet en effet aux consommateurs de visiter le site d'un distributeur, de commander le produit et de se le faire livrer, sans avoir à se déplacer.

58. L'interdiction faite aux distributeurs agréés de vendre les produits du groupe Pierre Fabre par Internet prive ceux-ci de la faculté de prospecter des clients par l'envoi de messages ou de satisfaire à des demandes non sollicitées adressées sur leur site. Cette pratique équivaut donc à une limitation des ventes actives et passives des distributeurs.

59. L'interdiction de vente sur Internet qui limite les ventes au sein d'un réseau de distribution sélective a nécessairement un objet restrictif de concurrence, qui vient s'ajouter à la limitation de concurrence inhérente au choix même d'un système de distribution sélective par le fabricant, qui limite le nombre de distributeurs habilités à distribuer le produit et empêche les distributeurs de vendre ces biens à des distributeurs non agréés.

60. La part de marché des produits Pierre Fabre étant inférieure à 30 %, il y a lieu de rechercher si la pratique restrictive de concurrence est exemptable par catégorie, ce qui nécessite qu'elle ne comporte pas de restriction caractérisée. Bien que la pratique d'interdiction de vente par Internet ne soit pas expressément visée dans le règlement communautaire, elle équivaut, comme il a été dit au paragraphe 65, à une interdiction de ventes actives et passives. En conséquence, pratiquée au sein d'un réseau de distribution sélective, elle constitue, en vertu du c) de l'article 4 du règlement une restriction caractérisée : sont telles " les restrictions des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d'un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité d'interdire à un membre du système d'opérer à partir d'un lieu d'établissement non autorisé ". Ces restrictions ne peuvent bénéficier de l'exemption automatique du règlement.

61. La Commission a précisé au point 54 des lignes directrices sur les restrictions verticales (2000-C 291-01) : " La restriction caractérisée visée à l'article 4, point c, du règlement d'exemption par catégorie concerne la restriction des ventes actives ou passives aux utilisateurs finals, qu'il s'agisse d'utilisateurs finals professionnels ou de consommateurs finals, par les membres d'un système de distribution sélective. Cela signifie qu'aucune limitation ne peut être imposée aux distributeurs membres d'un réseau de distribution sélective, tel qu'il est défini à l'article 1er point d), du règlement quant aux utilisateurs ou aux agents d'achat agissant au nom de ces utilisateurs, auxquels ils sont autorisés à vendre. Dans un système de distribution sélective, par exemple, le distributeur devrait être aussi libre de faire de la publicité et de vendre via internet... " (C'est le Conseil qui souligne).

La réponse aux moyens des parties

62. La société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique souligne que, selon la lecture qu'elle fait de l'article 4) c), l'animateur d'un réseau conserve le droit d'interdire des ventes par un distributeur agréé " à partir d'un lieu d'établissement non autorisé ", afin que les critères posés par le réseau ne soient pas contournés. Elle en conclut que l'interdiction de vendre sur Internet est précisément couverte par cette exception, Internet étant en l'occurrence un établissement non autorisé puisque virtuel. L'interdiction de vente par Internet ne constituerait donc pas une restriction caractérisée au sens du règlement (premier point). Pierre Fabre Dermo-Cosmétique dénie toute valeur juridique aux lignes directrices (deuxième point), mais expose que si l'interdiction de vente sur Internet était une restriction caractérisée au sens du règlement, aucune justification ne serait admise dans les lignes directrices, au stade de l'examen des conditions du paragraphe 1 de l'article 81 ; or, au point 51, celles-ci disposent que " l'interdiction catégorique de vendre sur internet ou sur catalogue n'est admissible que si elle est objectivement justifiée " (troisième point). Pierre Fabre Dermo-Cosmétique prétend ensuite qu'à supposer même l'interdiction de vente par Internet constitutive d'une pratique restrictive caractérisée, il incomberait à l'autorité de concurrence de démontrer l'objet ou l'effet de la pratique grâce à un examen individuel de la pratique que la rapporteure n'aurait pas effectué en l'espèce (quatrième point). Les parties ajoutent que, compte tenu du maillage exceptionnel et homogène constitué par les points de vente physiques des distributeurs (23 000), tous les consommateurs ont accès aux revendeurs Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et qu'ainsi, la pratique est dépourvue de tout effet sur la concurrence intra marque : " l'option supplémentaire d'Internet n'apportera aucun effet concret puisque les consommateurs finals ont déjà de multiples revendeurs à leur disposition, qu'ils peuvent mettre en concurrence " (cinquième point). Enfin, elles citent un certain nombre de jugements et d'arrêts qui établiraient, selon elles, la licéité de l'interdiction de vente par Internet par un fournisseur (sixième point).

63. Mais sur le premier point, il convient de noter qu'un site Internet n'est pas un lieu de commercialisation mais un moyen de vente alternatif utilisé, comme la vente directe en magasin ou la vente par correspondance, par les distributeurs d'un réseau disposant de points de vente physiques. Ainsi que le déclarait un pharmacien au cours de l'instruction, la vente sur Internet " n'est qu'une façon différente, moderne, d'entrer dans mon officine autre que la porte d'entrée, le téléphone, le fax ou le courrier et qui en sont les moyens classiques " (cotes 539 et 540).

64. Cette position est confortée par le paragraphe 54 des lignes directrices sur les restrictions verticales qui commente ces dispositions en ces termes : " En outre, dans le cas de la distribution sélective, des restrictions peuvent limiter la capacité d'un distributeur de déterminer la localisation de ses locaux commerciaux. Ainsi, il peut être interdit aux distributeurs sélectionnés d'exercer leur activité dans des locaux différents ou d'ouvrir un nouveau magasin dans un autre lieu. Si le point de vente du distributeur est mobile (point de vente aménagé dans un véhicule) une zone peut lui être assignée en dehors de laquelle il ne peut utiliser son point de vente mobile " (C'est le Conseil qui souligne).

65. Sur le deuxième point, s'il est exact que les lignes directrices de la Commission ne sont pas contraignantes pour les juridictions ou les autorités de concurrence des Etats membres, elles exposent l'interprétation de la Commission sur les textes qu'elles ont pour objet de commenter (règlement de 1999 ou paragraphe 3 de l'article 81 par exemple) et les orientations de sa pratique décisionnelle, à la lumière de la jurisprudence communautaire. Elles constituent donc des guides d'analyse utiles pour l'application de ces textes, garantissant dans une certaine mesure l'application uniforme du droit communautaire au sein du réseau des autorités de concurrence européennes dont la Commission est la garante, sous le contrôle des juridictions communautaires.

66. Sur le troisième point, il convient de noter que les justifications admises à l'interdiction de vente par Internet ne sont prévues que pour la distribution exclusive. En effet, par nature, ces systèmes de distribution permettent d'attribuer une zone territoriale exclusive aux distributeurs. Il est interdit aux distributeurs exclusifs de prospecter activement les clients des autres distributeurs exclusifs (interdiction de ventes actives) ; il leur est simplement permis de répondre passivement aux demandes de ces clients, sans les avoir au préalable sollicités, (ventes passives possibles). Dans ces cas, " une restriction à l'utilisation d'Internet par les distributeurs (exclusifs) ne serait compatible avec le règlement d'exemption par catégorie que dans la mesure où la promotion ou la vente via Internet entraînent la réalisation de ventes actives vers les territoires exclusifs ou aux clientèles exclusives d'autres distributeurs " (point 51 des lignes directrices qui interprètent le b) de l'article 4 du règlement). Selon ce point 51, une interdiction totale de vente par Internet ne pourrait être envisagée que " si elle est objectivement justifiée ". Même si la Commission ne mentionne pas explicitement ce qu'il faut entendre par cette expression, elle se réfère à l'interdiction de sites spécialement conçus pour atteindre la clientèle exclusive des autres distributeurs.

67. Sur les quatrième et cinquième points, il convient de renvoyer aux explications figurant aux paragraphes 44 et suivants de la présente décision : les pratiques caractérisées au sens du règlement d'exemption constituent des restrictions de concurrence par objet, sans qu'il soit nécessaire de démontrer plus en détail en quoi cet objet est restrictif de concurrence, ni d'analyser les effets des pratiques.

68. Sur le sixième point enfin, il convient d'examiner les décisions ou arrêts cités par les parties.

69. Les parties prétendent que certains précédents ont déjà évalué ce type de clause et n'ont retenu aucune restriction de concurrence. En particulier, dans sa décision du 16 décembre 1991, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (IV/33.242- Yves Saint Laurent Parfums), la Commission aurait considéré que l'interdiction de vente par correspondance imposée à ses distributeurs par la société Yves Saint Laurent ne constituait pas une restriction de concurrence. Les parties font aussi valoir que le Tribunal de commerce de Paris a, le 30 juin 2008, condamné les sociétés eBay Inc et eBay international pour avoir commercialisé en ligne des produits qui ne pouvaient être revendus que dans des points de vente physiques, du fait de la spécificité des produits en cause.

70. Mais il est manifeste que les cas cités sont inopérants en l'espèce. D'une part, une comparaison avec la vente par correspondance doit être écartée (décision Yves Saint Laurent) car celle-ci ne peut offrir au consommateur ni la vitrine de présentation, ni l'interaction, au travers notamment de l'existence d'une " hot line " et de l'utilisation de films, qu'est susceptible d'offrir un site de vente en ligne. D'autre part, le jugement du Tribunal de commerce de Paris concerne les sociétés de vente eBay Inc et eBay international qui sont des plates-formes de vente en ligne ne répondant à aucun des critères de la distribution sélective imposés par les fabricants de parfums en cause ; elles ne disposent d'aucun point de vente physique et commercialisent des produits de toutes sortes. Ces plates-formes mettent en effet en relation des acheteurs et des vendeurs dont certains ne sont pas agréés et vendent donc illicitement des produits. Leur situation est donc très différente de celle de distributeurs agréés disposant d'un point de vente physique répondant à l'intégralité du cahier des charges imposé par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, et auxquels la vente sur Internet est interdite.

71. Les cas de jurisprudence évoqués par les parties ne contredisent donc pas l'analyse du Conseil, qui se trouve, au contraire, confortée par des précédents communautaires. La Commission a déjà eu l'occasion de se prononcer sur l'interdiction de vente par Internet à propos du système de distribution sélective mis en place par la société B&W Loudspeakers qui fabrique et commercialise des enceintes de qualité. Dans une lettre adressée le 4 décembre 2000 à cette société, la Commission a considéré que l'interdiction de vendre sur Internet faite aux membres d'un réseau de distribution sélective devait être considérée comme une restriction caractérisée au sens de l'article 4 du règlement n° 2790-99 et a demandé au fabricant de modifier son contrat de distribution sélective, notamment sur ce point. Le communiqué de presse du 24 juin 2002 de la Commission montre que la Commission a accepté d'autoriser le système de distribution sélective mis en place par cette société après qu'elle ait modifié ses contrats afin d'autoriser les ventes sur Internet (communiqué IP/02/916).

72. Par ailleurs, la Commission a, le 17 mai 2001, autorisé le système de distribution sélective de la société Yves Saint Laurent Parfums (YSLP). Le communiqué de presse relatif à cette décision est ainsi rédigé : " La Commission a souligné dans ses lignes directrices l'importance de l'Internet pour la compétitivité de l'économie européenne et encourage une large diffusion de ce moyen moderne de communication et de commercialisation. En particulier, elle considère qu'une interdiction de vente par Internet, même dans un système de distribution sélective, est une restriction des ventes aux consommateurs qui ne pourrait être couverte par le règlement de 1999. Le système YSLP satisfait aux conditions d'exemption posées par ce règlement. En effet, YSLP a fixé des critères de sélection autorisant ses détaillants agréés, exploitant préalablement un point de vente physique, à vendre leurs produits également par Internet ". Même si ces affaires ont fait l'objet d'une simple lettre administrative de classement, l'opinion exprimée par la Commission à cette occasion constitue un élément utile pour les autorités de concurrence lorsqu'elles examinent un accord.

b) Sur l'exemption individuelle

73. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique prétend que la pratique litigieuse contribue à améliorer la distribution des produits dermo-cosmétiques en prévenant les risques de contrefaçon (premier point), et de parasitisme entre officines agréées (deuxième point). Elle garantirait le bien-être du consommateur grâce à la présence physique du pharmacien lors de la délivrance du produit (troisième point). Enfin, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique expose que la distribution par Internet n'apportera aucun surcroît de concurrence sur le marché des produits dermo-cosmétiques et notamment aucune baisse des prix de détail (quatrième point).

74. Mais il incombe à l'auteur d'une pratique restrictive de concurrence qui veut bénéficier d'une exemption individuelle sur le fondement du paragraphe 3 de l'article 81 du traité et du 2° du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce, de démontrer le progrès économique découlant de cette pratique et le caractère indispensable de la restriction de concurrence pour obtenir ces avantages. Ainsi que l'a rappelé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 17 juin 1992 (Compagnie générale de vidéocommunication) : " il appartient aux auteurs des pratiques anticoncurrentielles de démontrer, non seulement que ces actions comportent des avantages économiques, mais encore que ceux-ci sont suffisants pour compenser les incidences des pratiques sur la concurrence ".

75. Sur le premier point, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ne démontre pas en quoi la restriction de concurrence litigieuse serait nécessaire pour garantir une meilleure surveillance de son réseau de distribution. En effet, la possibilité, reconnue à la société mise en cause, de réserver à ses propres distributeurs agréés la vente des produits par Internet permet d'atteindre cet objectif. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique pourrait contrôler la qualité des sites de ses propres distributeurs agréés et combattre plus facilement les ventes sur les sites non autorisés. Cet argument a été soutenu par le directeur juridique des Laboratoires Liérac, fabricant de dermo-cosmétiques, qui, dans un courrier daté du 10 septembre 2008 versé aux débats, écrivait (page deux) : " Cependant, pour répondre à la prolifération d'acteurs incontournables agissant depuis l'extérieur de l'Union européenne, il nous a semblé opportun d' " occuper le terrain du commerce en ligne " d'une façon plus conforme à nos critères de distribution ".

76. Sur le deuxième point, il convient de rappeler que le parasitisme consiste dans le fait, pour une entreprise, de tirer bénéfice des actions ou des efforts engagés par une autre, sans en partager les coûts. Le consommateur peut notamment se rendre dans les points de vente physiques où le produit est mis en valeur, peut être testé et peut faire l'objet de démonstration ou de conseils. Ces services à la clientèle sont le fruit d'investissements du point de vente ou du réseau. Le consommateur peut ensuite être tenté, une fois son choix arrêté, d'aller sur Internet pour acheter le produit. La vente sur Internet peut donc être, dans certaines circonstances, source de désavantages entre vendeurs et, si elle est susceptible d'entraîner indirectement la disparition ou la raréfaction de certains services ou de certains vendeurs, peut induire des effets moins positifs pour le consommateur. Tel serait par exemple le cas si des distributeurs vendaient par Internet sans disposer de magasins physiques (" pure players ").

77. En l'espèce, le choix, par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, d'un système de distribution sélective, avec présence d'un pharmacien dans les lieux de vente, garantit que le service de conseil est dispensé dans toutes les officines agréées et que chacune en supporte le coût. Il est dès lors impossible qu'une pharmacie agréée qui disposerait d'un site Internet puisse tirer bénéfice des conseils dispensés par une autre officine agréée sans en partager les coûts. L'éventualité évoquée par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique que certaines officines n'auraient pas les moyens de se doter d'un site et souffriraient du " parasitisme " des autres, les consommateurs demandant des conseils dans les premières et achetant sur les sites des secondes, n'est étayée d'aucun commencement de preuve. Au demeurant, si cette pratique était avérée, elle ne pourrait être qualifiée de " parasitisme ". La différence d'équipements entre officines n'aurait aucun effet sur le comportement des consommateurs, selon les hypothèses retenues par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique elle-même, selon lesquelles la distribution par Internet ne génèrerait aucune baisse des prix de détail et donc aucune incitation pour les consommateurs.

78. Sur le troisième point, le Conseil note que les cosmétiques ne sont pas des médicaments : la réglementation particulière dont ils font l'objet concerne les normes qui s'appliquent à leur fabrication et non à leur distribution qui est libre. En outre, l'établissement d'un diagnostic n'entre pas dans les pouvoirs d'un pharmacien, seul le médecin y étant autorisé.

S'il est exact que l'usage de produits cosmétiques est souvent prescrit par le médecin lors d'un traitement dermatologique, c'est à titre d'accompagnement et non à titre curatif, cet accompagnement restant sous la responsabilité du médecin.

79. Par ailleurs, dans un arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C-322-01, Rec. p. I-14887), la Cour de justice des Communautés européennes a écarté les arguments tenant à la nature des produits en cause, s'agissant des restrictions apportées à la distribution par Internet de médicaments non soumis à prescription médicale, au regard du principe de la libre circulation des marchandises. Elle a jugé que constituait une restriction non justifiée à ce principe la règlementation qui interdisait aux pharmaciens de vendre par Internet des médicaments non soumis à ordonnance dans l'Etat membre où se situait l'acheteur : " S'agissant des médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale, aucune des justifications invoquées ne pourrait valablement fonder l'interdiction absolue de leur vente par correspondance. En premier lieu, en ce qui concerne la nécessité d'informer et de conseiller le client lors de l'achat d'un médicament, la possibilité de prévoir une information et un conseil suffisants ne saurait être exclue. En outre, ainsi que le relèvent à juste titre les défendeurs au principal, l'achat par Internet pourrait présenter des avantages, tels que la possibilité de passer commande à partir de la maison ou du bureau, sans nécessité de déplacement, et de formuler calmement les questions à poser aux pharmaciens, avantages qui doivent être pris en considération. Quant à l'argument selon lequel la capacité de réagir des "pharmaciens virtuels" serait moindre que celle des pharmaciens d'officine, les désavantages qui ont été invoqués à cet égard concernent, d'une part, la possible mauvaise utilisation du médicament concerné et, d'autre part, l'abus potentiel de ce dernier. En ce qui concerne la possible mauvaise utilisation du médicament, un tel risque pourrait être diminué grâce à l'augmentation des éléments interactifs existant sur Internet devant être utilisés par le client avant que celui-ci ne puisse procéder à un achat. S'agissant de la possibilité d'abus, il n'est pas évident que, pour ceux qui souhaitent acquérir de façon abusive des médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale, l'achat effectué dans des pharmacies traditionnelles présente, en réalité, plus de difficultés que l'achat par Internet. En deuxième lieu, en ce qui concerne la catégorie de médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale, les considérations relatives à leur délivrance ne sont pas de nature à justifier l'interdiction absolue de leur vente par correspondance ".

80. Tous ces arguments sont a fortiori transposables pour les produits dermo-cosmétiques, qui ne sont pas des médicaments.

81. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ne démontre pas davantage en quoi la pratique litigieuse serait nécessaire pour permettre le système de surveillance intitulé " cosmétovigilance ". La cosmétovigilance contraint les professionnels de santé à signaler les effets indésirables des produits cosmétiques. Selon Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, seul le contact visuel entre le pharmacien et les utilisateurs de produits permettrait d'assurer cette surveillance. Mais les effets négatifs liés à l'utilisation des produits ne sont détectables qu'une fois le produit acheté, quel que soit le moyen d'acquisition, et non au moment de l'achat. Le patient aura donc tendance à consulter un médecin en cas d'effets négatifs du produit. Le document de l'Afssaps fourni par les parties mentionne d'ailleurs que plus de 60 % des signalements émanent des médecins et non des pharmaciens, qui ne sont responsables que de 10 % de ceux-ci (soit une dizaine de signalements par an pour l'ensemble des 23 000 officines). De plus, parmi la centaine de signalements d'effets indésirables détectés chaque année, figurent principalement les tatouages et les produits contenant de la vitamine K1, non commercialisés par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique.

82. Sur le quatrième point, la circonstance que la distribution par Internet n'entraîne pas nécessairement de baisse des prix de détail, au demeurant non démontrée par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, est indifférente en l'espèce. En effet, en l'absence de la restriction litigieuse, les gains pour les consommateurs pourraient aussi résider dans l'amélioration du service proposé par les distributeurs et pas seulement dans la baisse des prix. La possibilité d'acheter les produits sur Internet apporte en effet aux consommateurs un service supplémentaire par rapport à l'achat dans les magasins physiques : commander et acheter les produits à distance, sans limitation de temps. L'utilisation d'Internet facilite également l'accès à l'information sur les produits et permet aux consommateurs de procéder à des comparaisons de prix.

83. Il résulte de ce qui précède que la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique n'a pas fait la démonstration que les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 81 du traité ou au 2° du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce sont remplies.

c) Conclusion

84. Il résulte de ce qui précède que l'interdiction faite par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à ses distributeurs agréés de vendre par le biais d'Internet constitue une restriction de concurrence contraire aux articles 81 du traité et L. 420-1 du Code de commerce.

Sur les suites à donner

85. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. (...). Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions soit en cas de non-respect des engagements qu'il a acceptés.

Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. (...).

Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.

Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise. Il peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée. "

86. Aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce, " le Conseil, lorsqu'il statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3, peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs des pratiques prohibées ".

Sur la gravité des pratiques et le dommage à l'économie

87. Les parties allèguent que la pratique n'a eu aucun effet sur la concurrence intermarque et intramarque, en raison à la fois de la vivacité de la concurrence entre les fabricants de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle relevée par la décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007 et du maillage territorial exceptionnel des revendeurs des produits Pierre Fabre, rendant inutile l'apparition d'une autre voie de commercialisation des produits.

88. Mais les pratiques d'entente ayant pour objet et pour effet de faire obstacle à la concurrence et de limiter ou contrôler des débouchés font partie des pratiques que le Conseil juge préjudiciables au bon fonctionnement du marché.

89. Il y a lieu de rappeler que la pratique litigieuse est constitutive d'une " restriction caractérisée " au regard du règlement européen n° 2790 du 27 décembre 1999. Sans revêtir le degré de gravité d'une entente horizontale, elle est grave par nature car elle a pour conséquence de fermer une voie de commercialisation au détriment des consommateurs et des distributeurs.

90. Le dommage à l'économie s'apprécie en tenant compte de la durée des pratiques, de la taille du marché affecté, et de la potentialité des effets anticoncurrentiels des pratiques sur le marché concerné.

91. L'infraction est une infraction continue, la clause litigieuse des contrats de distribution sélective de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique n'ayant pas fait l'objet de modifications jusqu'à ce jour.

92. Le marché national des produits dermo-cosmétiques en circuits spécialisés (officines et parapharmacie) s'établissait en 2006 à 1,65 milliard d'euro. C'est un marché en progression, avec un fort potentiel de croissance, d'après l'étude Xerfi.

93. En interdisant la vente sur Internet par ses distributeurs agréés, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a limité la distribution de ses produits par un nouveau canal de distribution et a restreint la pression concurrentielle entre distributeurs, du fait du nombre réduit de points de vente agréés dans une même zone de chalandise. Ainsi, l'entrave au développement de ce mode de distribution a-t-il affaibli la concurrence intramarque.

Sur la situation particulière de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique

94. Le chiffre d'affaires consolidé du groupe s'élève, en 2007, à 1 682 millions d'euro, le chiffre d'affaires du groupe en France, à 921 millions d'euro. Le chiffre d'affaires total de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique en France atteint 336 millions d'euro en 2007.

95. Compte tenu des circonstances de l'espèce, le Conseil privilégie une solution consistant à rétablir rapidement les conditions de la concurrence sur le marché concerné et enjoint à titre principal à la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique de supprimer, dans ses contrats de distribution sélective, toutes les mentions équivalant à une interdiction de vente sur Internet de ses produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et de prévoir expressément dans ces contrats la possibilité pour ses distributeurs de recourir à ce mode de distribution, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.

96. Il y a lieu aussi d'enjoindre à la société d'avertir ses distributeurs de ces changements par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception à laquelle sera joint le résumé ci-dessous, précédé du titre : " Décision du Conseil de la concurrence concernant la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ".

97. " Dans une décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008, le Conseil de la concurrence a estimé que la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, en imposant à l'ensemble de ses distributeurs agréés une interdiction de vente par Internet, figurant dans ses conditions générales de distribution et de vente, a limité la liberté commerciale de ceux-ci en les privant d'un mode de commercialisation au fort potentiel de croissance et a indûment restreint le choix des consommateurs désireux de se procurer les produits par ce mode de distribution, qui permet de les acquérir 365 jours par an, 24 heures sur 24 et à partir de n'importe quel lieu sans déplacement. Cette pratique constitue une restriction de concurrence contraire aux articles 81 §1 du traité et L. 420-1 du Code de commerce.

La société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique n'a pu justifier sa pratique au regard des articles 81 § 3 du traité et L. 420-4 du Code de commerce. La société soutenait à titre principal que la nature, la technicité et la qualité de ses produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, développés dans une optique de soins, nécessitaient l'intervention d'un pharmacien dans les points de vente physiques et excluaient la possibilité de les distribuer par Internet. Mais le Conseil a relevé que ces produits n'étaient pas assimilables à des médicaments et ne présentaient aucun caractère curatif et que le respect de la qualité des produits Pierre Fabre était suffisamment garanti par le choix de la distribution sélective opéré par cette société. Le Conseil estime, à cet égard, que les critères de sélection du système de distribution sélective définis par Pierre Fabre et destinés à mettre en valeur ses produits peuvent être adaptés aux sites Internet.

En interdisant à ses distributeurs agréés de vendre les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle des marques Klorane, Avène, Ducray et Galénic via Internet, la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a privé les consommateurs des effets pro-concurrentiels qui peuvent être attendus de la vente en ligne des produits distribués par un réseau sélectif. Ce mode de commercialisation permet en effet d'offrir aux consommateurs des services que la vente dans les magasins physiques ne permet pas d'apporter, tels que la livraison à domicile ou la mise à disposition de l'acheteur, en temps réel, d'une abondante documentation, et a pour effet de stimuler la concurrence par les prix tout en incitant les distributeurs à fournir plus de services pour attirer ou fidéliser leur clientèle.

Le Conseil de la concurrence a enjoint à la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique de modifier dans un délai de trois mois ses contrats afin d'autoriser désormais la vente, par les distributeurs agréés, de ses produits par Internet. L'intégralité de la décision du Conseil est consultable sur le site du Conseil de la concurrence : www.conseil-concurrence.fr ".

98. Enfin, en tenant compte des considérations générales et individuelles rappelées plus haut, ainsi que de l'effet attendu des injonctions prononcées, il y a lieu de limiter la sanction infligée à la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à la somme de 17 000 euro.

Décision

Article 1er : La société Pierre Fabre SA est mise hors de cause.

Article 2 : Il est établi que la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité.

Article 3 : Il est enjoint à la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique de supprimer, dans ses contrats de distribution sélective, toutes les mentions équivalant à une interdiction de vente sur Internet de ses produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et de prévoir expressément la possibilité pour ses distributeurs de recourir à ce mode de distribution, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, un exemplaire des contrats modifiés.

Article 4 : Il est enjoint à la société Pierre Fabre Dermo Cosmétique de transmettre à l'ensemble de ses points de vente, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une lettre recommandée avec accusé de réception leur annonçant les modifications apportées à leurs contrats de distribution sélective, décrites à l'article 3, en y joignant le résumé de la décision figurant au point 96 de la décision. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, un exemplaire de cette lettre.

Article 5 : Il est enjoint à la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, si elle juge opportun d'encadrer la construction des sites Internet de son réseau de distribution en prévoyant des critères de présentation ou de configuration des sites, d'en informer le Conseil de la concurrence, sous pli recommandé adressé au bureau de la procédure, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 6 : Une sanction d'un montant de 17 000 euro est infligée à la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique.