CA Paris, 1re ch. H, 24 septembre 2008, n° 2007-15305
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Moronvalle
Défendeur :
Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, Président du Conseil de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Mouillard
Avoués :
Me Huyghe, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Quennehen, Thieffry
Pour l'organisation de la formation professionnelle des adultes et des jeunes, la région Picardie a eu recours, jusqu'en 2003, à un dispositif consistant, tout d'abord, à appliquer une procédure de sélection des actions de formation professionnelle qualifiantes et pré-qualifiantes, dénommée procédure de "labellisation". Ensuite, l'accueil et l'orientation des demandeurs d'emploi vers les actions "labellisées" étaient effectués par un réseau mis en place par l'Association régionale des espaces d'accueil pour la formation (ci-après l'AREAF), créée en 1998 et composée de responsables d'entreprises, de représentants de syndicats des salariés et du patronat et de partenaires de la formation professionnelle. En outre, la "cellule d'appui pédagogique", un groupe de douze experts, des opérateurs publics ou privés parmi lesquels figurait l'AFP A, avait reçu pour mission d'accompagner les organismes de formation dans la constitution d'une offre modularisée et personnalisée et intervenait à ce titre dans la procédure de "labellisation".
Cette procédure se déroulait ainsi :
- pré-instruction de l'offre de formation par les services de la région pour en apprécier la recevabilité au regard des critères régionaux,
- audit préalable par la cellule d'appui pédagogique,
- passage devant le comité technique de "labellisation" qu'émettait un avis et définissait le nombre maximum de parcours de formation et les tarifs qui seraient appliqués à l'action de formation,
- décision des élus régionaux de "labelliser" ou non l'action de formation,
- en cas de décision favorable, signature d'une convention de "labellisation" avec l'organisme de formation.
M. Moronvalle, qui exerce l'activité de créateur graphique sous l'enseigne "Studio Espace Création", a été ainsi "labellisé" par contrat du 3 octobre 1997, renouvelé le 11 février 1998, devant expirer le 31 décembre 1998. En mai 1998, la région lui a demandé de ne plus prendre de nouveaux stagiaires. Estimant être victime d'agissements discriminatoires et préjudiciables de la part de la région et des différents organes intervenant au titre de la formation professionnelle, M. Moronvalle a saisi les juridictions administrative et judiciaire et a alerté la DRCCRP, qui a fait diligenter une enquête. Ses demandes d'indemnisation ont été rejetées, tant par la juridiction correctionnelle d'Amiens que par la Cour administrative d'appel de Douai, mais le rapport d'enquête, déposé le 22 décembre 2004, concluait au caractère anticoncurrentiel du dispositif de "labellisation" et de sélection des organismes de formation mis en place par la région Picardie et imputait des pratiques anticoncurrentielles à la cellule d'appui pédagogique, à l'AREAF et à l'AFPA au stade de l'orientation des demandeurs d'emploi.
Par lettre du 8 mars 2005, M. Moronvalle a donc saisi le Conseil de la concurrence des pratiques mises en œuvre par la région Picardie, en lui demandant de se prononcer sur celles mises en évidence dans le rapport d'enquête administrative du 22 décembre 2004.
Après avoir recueilli les observations de M. Moronvalle et du ministre chargé de l'Economie sur une proposition de non-lieu en application de l'article L. 464-6 du Code de commerce, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 07-D-27 du 31 juillet 2007, statué comme suit :
"Article 1 : La saisine est rejetée comme irrecevable en tant qu'elle porte sur des pratiques reprochées à la région Picardie.
Article 2 : II n'y a pas lieu, en ce qui concerne les autres pratiques alléguées, de poursuivre la procédure."
LA COUR :
Vu le recours en annulation et en réformation de cette décision, formé par M. Moronvalle le 31 août 2007 ;
Vu les conclusions d'intervention volontaire de l'AFPA, en date du 17 décembre 2007;
Vu le mémoire déposé le 28 septembre 2007 par M. Moronvalle à l'appui de son recours par lequel le requérant demande à la cour d'annuler et subsidiairement de réformer la décision en sa totalité, de juger qu'il y a eu inégalité de traitement entre son centre de formation et les autres centres de formation publics et privés de Picardie concurrents, de juger que la région Picardie a commis des fautes engageant sa responsabilité en ayant de telles pratiques anticoncurrentielles, de renvoyer l'affaire devant le Conseil de la concurrence aux fins de poursuite de la procédure ;
Vu les mémoires en réponse et récapitulatif déposés par l'AFPA les 14 et 18 février 2008, tendant au rejet du recours ;
Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 27 février 2008 ;
Vu le courrier du 4 mars 2008 par lequel le ministre chargé de l'Economie informe la cour que, partageant l'analyse du Conseil, il n'entend pas user de la faculté que lui réservent les articles R. 464-18 et R. 464-19 du Code de commerce de déposer des observations écrites et orales ;
Vu les conclusions écrites du Ministère public mises à la disposition des parties avant l'audience, tendant au rejet du recours ;
Ouï à l'audience publique du 24 juin 2008, en leurs observations orales, le conseil du requérant qui a été mis en mesure de répliquer, celui de l'AFP A ainsi que le représentant du Conseil de la concurrence ;
Sur ce :
Sur la compétence
Considérant que M. Moronvalle fait valoir que c'est à tort que le Conseil de la concurrence s'est fondé sur la notion de subvention pour décider que l'octroi de subventions aux organismes de formation caractérise l'exercice de prérogatives de puissance publique, alors qu'il s'agit de contrats ; qu'il ne pouvait non plus se déclarer incompétent pour se prononcer sur la fixation autoritaire des tarifs, au motif qu'il s'agissait de la rémunération d'une mission de service public, ni refuser d'exercer son contrôle sur le respect du Code des marchés publics par l'Etat, alors que le respect des accords commerciaux internationaux régulièrement ratifiés et les directives du droit communautaire lui imposent de contrôler l'exercice du libre jeu de la concurrence même envers l'Etat ;
Mais considérant que si, dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services, les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe, au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a fait l'exacte application de ce principe en se déclarant incompétent pour connaître des décisions par lesquelles la région Picardie - qui s'est vu transférer la compétence en matière de formation professionnelle des adultes puis des jeunes par les lois de décentralisation des 7 janvier 1983, 20 décembre 1993 et 13 août 2004, complétées par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 et la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 - a organisé le service public de la formation professionnelle en faisant usage de ses prérogatives de puissance publique, qu'il s'agisse du choix de ne pas appliquer (jusqu'en 2003) le Code des marchés publics pour sélectionner les offres de formation et de mettre en place une procédure de "labellisation" ainsi qu'une procédure d'orientation des demandeurs d'emploi par l'intermédiaire d'un réseau d'accueil spécifique, de la politique tarifaire adoptée unilatéralement, de l'octroi de subventions aux organismes de formation en fonction d'une grille tarifaire plutôt que du versement de prix en règlement d'un marché, enfin des décisions de "labelliser" ou non une action des formation ; qu'au demeurant, les dispositions du droit communautaire n'ont pas vocation à s'appliquer à la présente affaire, les pratiques, seraient-elles établies, n'étant pas susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres ;
Sur les pratiques
- sur la forme :
Considérant que M. Moronvalle objecte que c'est faussement que le Conseil de la concurrence prétend qu'il n'a pas été saisi d'un mémoire complémentaire de la SARL Aisne Formation Picardie, puisqu'il en produit le récépissé, et que les pages 14, 34 et 55 du rapport d'enquête ne sont pas vierges, contrairement à ce qu'affirme le Conseil, qui a donc ainsi commis une erreur de droit qui doit être censurée par la cour ;
Mais considérant que M. Moronvalle ne précise pas en quoi le mémoire qu'aurait déposé devant le Conseil une société tierce, étrangère à la procédure, et les pages 14, 34, et 55 du rapport d'enquête qui lui auraient été dissimulées auraient été de nature à affecter les débats relatifs à la présente affaire ; qu'à défaut de grief en résultant, les irrégularités prétendues n'ont pu vicier la procédure ;
- sur le fond :
Considérant que M. Moronvalle reproche au Conseil d'avoir écarté les pratiques anticoncurrentielles imputées par le rapport administratif tant à la cellule d'appui pédagogique qu'à l'AREAF et à l'AFPA dans l'orientation des demandeurs d'emploi alors que selon lui, les chiffres concernant les actions "labellisées" et les "passeports" bureautiques et langues ''parlent d'eux-mêmes'' et le Conseil s'est gravement mépris sur le sens à donner aux parts de marché réalisées par les organismes de formation membres de la cellule d'appui pédagogique ; qu'il ajoute que diverses personnalités se sont étonnées des circonstances inexpliquées de sa ''délabellisation'' et qu'il "ne comprend toujours pas pourquoi le Conseil de la concurrence a fait litière de (l')important travail de démonstration" de ''l'enquêteur de la DRCCRF qui avait parfaitement mis en valeur l'absence de neutralité de la cellule d'appui pédagogique dans le processus de "délabellisation" dont il a fait l'objet ; qu'il fait valoir, à propos des pratiques de l'AREAP et de l'AFPA dans l'orientation des demandeurs d'emploi, que le fait que Studio Espace Création n'était pas proposé auprès des demandeurs d'emploi, bien que "labellisé", tandis que d'autres centres étaient très vivement conseillés caractérise "l'exploitation abusive d'une situation déposition dominante encouragée par la région Picardie (article L. 420-2 du Code de commerce), "que le fait qu'il ait été privé de stagiaire à compter de mai 2008, et non du 31 décembre 1998 comme le Conseil le mentionne exactement, constitue une restriction, une atteinte au libre jeu de la concurrence, prévue à l'article L. 420-1 du Code de commerce, et que divers éléments établissant que M. Lepretre, responsable de la formation adulte à la région, souhaitait la fermeture du centre et sa "délabellisation" démontrent que les pratiques de l'AREAF et de l'AFPA sont répréhensibles, contrairement à ce que le Conseil de la concurrence a considéré ; qu'il estime enfin que le Conseil aurait dû instruire la demande de la SARL Aisne Formation Picardie, qui l'avait saisi, contrairement à ce qu'il a prétendu, et dont la demande de "labellisation n'a pas été examinée" car elle établissait un lien entre le gérant d'une société avec laquelle elle était en litige et la société requérante, et ceci alors même que M. Flamant devenu responsable informatique de la nouvelle société n'avait pas été condamné et ne l'est toujours pas à ce jour à notre connaissance" ;
Mais considérant que le Conseil de la concurrence a recherché si étaient avérées à la charge des membres composant la cellule d'appui pédagogique, comme de l'AREAF et de l'AFPA, des pratiques consistant à limiter ou tenter de limiter l'accès de centres de formation concurrents au marché de la formation professionnelle financé par la région Picardie ; qu'il a pour ce faire analysé le rôle de chacun des organismes mis en cause et vérifié tout d'abord, si les experts de la cellule d'appui pédagogique ne s'étaient pas entendus pour privilégier les actions de formation mises en place par les centres de formation auxquels ils appartiennent, ou par d'autre centres qu'ils auraient décidé de favoriser en particulier les GRETA ou l'AFPA ; que l'analyse des parts de marché à laquelle il a procédé a révélé qu'en l'état d'un marché très atomisé, aucune corrélation ne pouvait être mise en évidence entre les audits réalisés par la cellule d'appui pédagogique et le montant des subventions perçues par les centres de formation, la plus importante des part des subventions (18,20 %) ayant été allouée aux dix GRETA implantés dans la région, soit 1,8 % par établissement, tandis que l'AFPA en avait perçu 6,04 % soit 1,2 % pour chacun de ses cinq établissements ; qu'il a encore relevé que de nombreuses actions proposées par les GRETA et l'AFPA figuraient dans la liste des actions pré-qualifiantes et qualifiantes non retenues pour composer l'offre "labellisée" pour l'année 2002 et que, pour ce qui est des formations "passeports" en langue et bureautique, si les GRETA avaient obtenu 43,87 % des subventions, le dossier a révélé qu'il s'agissait d'un choix de la région Picardie, effectué après appel à projet et fondé sur "l'environnement en coût et matériel plus favorable" lequel "se ressentait dans les prix des formation et dans les marges fixés par la région", de sorte que la cellule d'appui pédagogique y était étrangère ;
Que, s'agissant ensuite de l'AREAF, le Conseil a relevé que cet organisme, qui ne recevait que les demandeurs de stage souhaitant bénéficier d'une formation financée par le Conseil régional, n'avait orienté vers ces formations qu'un tiers des personnes accueillies, de sorte que subsistait la possibilité pour les centres de formation non "labellisés" de former les 60 à 70 % de demandeurs d'emploi restants, et que, sur les 206 personnes qu'il employait, seuls 6 d'entre elles étaient mises à disposition par des organismes de formation ; qu'il a également constaté que l'examen des parts de subvention des organismes de formation participant au fonctionnement de l'AREAF ne révélait pas que l'un d'entre eux ait obtenu une part significative des subventions versées par la région Picardie ; qu'il en a déduit que n'était pas établie l'existence d'une entente anticoncurrentielle entre les membres de l'AREAF, qui aurait été relayée sur le terrain par les conseillers de cet organisme ;
Qu'il a observé enfin que, d'après les éléments figurant au dossier, l'AFPA, qui ne participait pas au fonctionnement de l'AREAF par la mise à disposition de conseiller et effectuait seulement un travail d'orientation dans le cadre du service intégré d'appui au projet professionnel mis en place par l'ANPE, n'avait orienté vers ses propres formations qu'un tiers des stagiaires reçus, n'hésitant pas à orienter les candidats vers d'autres centres de formation ; qu'il a déduit de ces constatations, jointes au caractère très éclaté du marché de la formation professionnelle, où l'AFPA ne recevait que 6,04 % des subventions, que n'était pas établie une entente anticoncurrentielle entre l'AFPA et l'AREAF qui aurait eu pour objet d'empêcher l'accès de certains organismes de formation au marché de la formation professionnelle financé par la région Picardie, ou de favoriser plus particulièrement l'AFPA ;
Qu'enfin, le Conseil a examiné la situation particulière du Cabinet Studio Espace Création, en relevant tout d'abord que la convention de "labellisation", signée le 11 février 1998 pour expirer le 31 décembre suivant, ne bénéficiait pas d'une clause de tacite reconduction, ni d'une clause garantissant un seuil minimal de prestations ou de rémunération ; qu'il a également fait état de la survenance de difficultés, des stagiaires ayant signalé des dysfonctionnements au sein du cabinet, de sorte qu'un représentant de la cellule d'appui pédagogique s'était rendu sur place, sans rendre un audit entièrement négatif d'ailleurs, puis a relaté qu'un conflit s'y était ajouté, concernant la rémunération, le studio Espace Création contestant le prix horaire de 100 francs par heure qui lui était imposé par la région Picardie ; qu'il a déduit de ces éléments que d'autres motifs qu'un objectif anticoncurrentiel avaient pu conduire à l'exclusion du Cabinet Studio Espace Création de la liste des organismes "labellisés", par une décision de la région dont il ne pouvait apprécier la légalité et qu'ainsi, aucune entente anticoncurrentielle entre les membres de l'AREAF au préjudice de Studio Espace Création n'était établie ;
Considérant qu'eu égard à cette analyse approfondie, complète et pertinente, des éléments du dossier, qu'aucune des critiques émises par M. Moronvalle ne discute utilement - en particulier s'agissant de l'hostilité patente d'un employé de la région Picardie, exclusive au contraire de toute implication des organismes externes dans le processus de "délabellisation" dont il se plaint, ou de la saisine d'une entreprise tierce, étrangère à la présente procédure - et que la cour fait sienne, la décision doit être approuvée et le recours rejeté ;
Par ces motifs, Rejette le recours formé par M. Moronvalle contre la décision n° 07-D-27 du 31 juillet 2007 du Conseil de la concurrence ; Condamne M. Moronvalle aux dépens.