Livv
Décisions

Cass. com., 4 novembre 2008, n° 07-21.275

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Canal 9 (Sté)

Défendeur :

Les Indépendants (GIE), Président du Conseil de la concurrence, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Beaudonnet

Avocat général :

M. Raysséguier

Avocats :

SCP Boutet, SCP Monod, Colin

Cass. com. n° 07-21.275

4 novembre 2008

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 novembre 2007), que la société Canal 9, qui exploite la radio locale "Chante France", a demandé son adhésion au GIE Les Indépendants (le GIE) qui a pour objet d'agréger les audiences d'opérateurs radiophoniques de dimension locale afin de fournir aux annonceurs nationaux une offre d'espaces publicitaires groupés et qui est, à ce jour, le seul groupement permettant aux radios locales d'accéder efficacement au marché de la publicité nationale dont la vocation est d'être diffusée sur l'ensemble du territoire national sans limitation géographique ; que n'ayant pas obtenu de réponse et estimant remplir les conditions d'appartenance à ce groupement, la société Canal 9 a saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) dénonçant l'absence d'objectivité et de transparence des conditions d'adhésion au GIE et le traitement discriminatoire des candidatures, pratiques qui auraient pour effet l'impossibilité de fait pour elle d'accéder au marché de la publicité nationale ; qu'à la suite d'une évaluation préliminaire ayant conduit le rapporteur du Conseil à identifier des préoccupations de concurrence concernant certaines dispositions statutaires du GIE et leur mise en œuvre, ce dernier a proposé des engagements ; qu'à l'issue de la procédure prévue par les articles L. 464-2- I et R. 464-2 du Code de commerce, le Conseil a, par décision n° 06-D-29 du 6 octobre 2006, accepté les engagements du GIE et les a rendus obligatoires ; que la société Canal 9 a formé un recours contre cette décision ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Canal 9 fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil, alors, selon le moyen, que la procédure d'engagement ayant pour objet de mettre fin à des pratiques anticoncurrentielles révélées par évaluation préliminaire au moyen de l'acceptation par le Conseil de la concurrence d'engagements dont l'inexécution est sanctionnée pécuniairement relève de ce fait de la matière pénale au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales imposant une séparation des fonctions d'instruction et de jugement dont la méconnaissance peut être invoquée par la partie saisissante ; qu'en décidant le contraire, tout en constatant que le Conseil de la concurrence avait pris une part active aux débats sur les engagements du GIE Les Indépendants avant de rendre sa sentence, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 précité ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que l'évaluation préliminaire à laquelle procède le rapporteur, qui n'a pas pour objet de prouver la réalité et l'imputabilité d'infractions au droit de la concurrence en vue de les sanctionner, mais d'identifier des préoccupations de concurrence, susceptibles de constituer une pratique prohibée, afin qu'il y soit, le cas échéant, remédié, l'arrêt retient à juste titre que cette évaluation ne constitue pas un acte d'accusation au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et que le fait pour le Conseil, d'avoir, avant d'apprécier la pertinence des engagements pris par le GIE et de leur donner force exécutoire, pris une part active aux discussions ayant eu lieu après l'évaluation préliminaire dans les conditions de l'article R. 464-2 du Code de commerce, tient au caractère négocié de cette phase de la procédure et ne caractérise pas une immixtion du Conseil dans l'instruction de l'affaire ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches : - Vu les articles L. 463-1, L. 464-2, R. 464-2 du Code de commerce, ensemble les articles 16 et 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que lorsque la procédure d'engagements est mise en œuvre, les parties à la procédure doivent, sous réserve des dispositions de l'article L. 463-4 du Code de commerce, avoir accès à l'intégralité des documents sur lesquels s'est fondé le rapporteur pour établir l'évaluation préliminaire et à l'intégralité de ceux soumis au Conseil pour statuer sur les engagements ; qu'il appartient à la cour d'appel, saisie par une partie d'une demande tendant à l'annulation de la décision du Conseil faute pour elle d'avoir eu accès à l'intégralité du dossier, de vérifier, au besoin d'office, si le défaut de communication de certaines pièces a porté atteinte à ses intérêts ;

Attendu que, pour écarter l'argumentation de la société Canal 9, qui sollicitait l'annulation de la décision du Conseil en invoquant une violation du principe de la contradiction résultant du fait qu'elle n'avait eu communication ni de l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, ni de l'enquête administrative effectuée avant l'évaluation préliminaire du rapporteur, l'arrêt retient que la société Canal 9, qui avait connaissance par l'évaluation préliminaire de l'existence de ces deux documents, a souscrit sans réserve à cette évaluation sans soumettre au Conseil des observations tendant au respect de la contradiction et qu'ayant pour la première fois demandé à accéder à ces pièces après avoir déclaré son recours contre la décision du Conseil, la société Canal 9 n'a pas donné suite à la faculté qui lui avait été offerte par la cour d'appel d'en obtenir communication, que cette société ne saurait dès lors se plaindre d'une atteinte qu'elle a elle-même contribué à entretenir ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, en ses dispositions autres que celles relatives au principe d'impartialité, l'arrêt rendu le 6 novembre 2007, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.