CJCE, 4 avril 1968, n° 34-67
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Firma Gebrüder Lück, Cologne-Braunsfeld
Défendeur :
Hauptzollamt Köln-Rheinau
LA COUR,
Attendu que par ordonnance du 6 septembre 1967, parvenue à la Cour le 5 octobre 1967, le Finanzgericht de Düsseldorf a, en vertu de l'article 177 du traité CEE, posé trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 95 dudit traité ;
Qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi que le litige au principal concerne l'application de taux moyens, au sens de l'article 97 du traité, par un Etat membre percevant, au moment où le litige est né, la taxe sur le chiffre d'affaires d'après le système de la taxe cumulative à cascade ;
Que si, en conséquence, les questions posées ne concernent l'application de l'article 95 qu'à travers celle de l'article 97 du traité, l'ordonnance de renvoi n'a, cependant, pas soumis à la Cour la question de savoir si l'article 97 comporte des dispositions susceptibles d'engendrer, dans le chef des justiciables, des droits que les juridictions internes devraient sauvegarder ;
Que le juge de renvoi a, en effet, estimé que l'article 97 ne constituerait qu'une règle spéciale d'adaptation de l'article 95 et, partant, ne modifierait en rien les droits que les justiciables peuvent tirer de cette dernière disposition ;
Attendu que, par arrêt du 3 avril 1968 rendu dans l'affaire 28-67 sur le renvoi du Bundesfinanzhof, la Cour a dit pour droit que l'article 97 n'engendre pas pour les justiciables des droits individuels que les juridictions internes devraient sauvegarder ;
Qu'il convient donc de renvoyer le Finanzgericht de Düsseldorf à l'interprétation donnée par ledit arrêt et de ne retenir que la première et la troisième question préjudicielle ;
Attendu que la première question tend à savoir si, par la notion d'impositions qui frappent directement les produits nationaux, l'article 95 vise la charge fiscale résultant du taux fixé par la loi ou bien la charge réelle, telle qu'elle apparait, compte tenu des exemptions moyennes dont bénéficient les produits similaires ou groupes de produits similaires ;
Que la question vise notamment les exemptions ou ristournes accordées aux produits nationaux destinés à l'exportation, dont l'octroi serait de nature à alléger la charge fiscale globale grevant la production nationale de produits similaires ;
Attendu que l'article 95 interdit de mettre les produits en provenance d'autres Etats membres dans une position désavantageuse à l'égard des produits du pays d'importation qui sont commercialisés sur le territoire de ce pays ;
Qu'il faut dès lors exclure de la comparaison la production nationale pour autant qu'elle est exportée et ne participe pas à la compétition sur le territoire national ;
Qu'ainsi seule la charge fiscale grevant le produit national commercialisé sur le territoire peut entrer en ligne de compte pour déterminer quelles impositions frappent le produit national et constituent le plafond admis par l'article 95 du traité ;
Qu'en conséquence, les impositions qui frappent le produit national au sens de l'article 95 du traité, sont celles qui résultent du taux appliqué en vertu de la loi ;
Attendu que la troisième question tend à élucider les conséquences de la primauté de la règle communautaire, c'est-à-dire en l'espèce de l'article 95 du traité, à l'égard des dispositions du droit national incompatibles avec cette règle ;
Qu'elle concerne notamment le point de savoir si le juge doit considérer ces dispositions comme non-applicables pour autant qu'elles sont incompatibles avec la règle de droit communautaire ou s'il doit les déclarer nulles à dater de l'échéance du délai indiqué à l'article 95, alinéa 3 ;
Attendu que si l'effet reconnu à l'article 95 du traité exclut l'application de toute mesure d'ordre interne incompatible avec ce texte, cet article ne limite cependant pas le pouvoir des juridictions nationales compétentes d'appliquer, parmi les divers procédés de l'ordre juridique interne, ceux qui sont appropriés pour sauvegarder les droits individuels conférés par le droit communautaire ;
Que, notamment lorsqu'une imposition intérieure n'est incompatible avec l'article 95, alinéa 1, qu'au-delà d'un certain montant, il appartient à la juridiction nationale de décider, selon les règles de son droit national, si cette illégalité affecte l'imposition en son entier, ou seulement dans la mesure où elle dépasse ledit montant ;
Que, dès lors, le choix entre les solutions indiquées par la question et même toutes autres appartient au juge de renvoi ;
Sur les dépens
Attendu que les frais exposés par les Gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume des Pays-Bas et la Commission des Communautés européennes qui ont soumis leurs observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
Que la procédure revêt, à l'égard des parties en cause, le caractère d'un incident soulevé au cours d'un litige pendant devant le Finanzgericht de Düsseldorf et que la décision sur les dépens appartient, dès lors, à cette juridiction ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht de Düsseldorf, conformément à l'ordonnance de cette juridiction du 6 septembre 1967,
Dit pour droit :
1) L'article 97, alinéa 1, applicable lorsque les Etats membres qui perçoivent la taxe sur le chiffre d'affaires d'après le système de la taxe cumulative ont effectivement exercé la faculté y reconnue, n'engendre pas pour les justiciables des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder ;
2) Les impositions qui frappent le produit national au sens de l'article 95 du traité sont celles qui résultent du taux appliqué en vertu de la loi ;
3) L'article 95 du traité ne limite pas les pouvoirs des juridictions nationales compétentes d'appliquer, parmi les divers procédés de l'ordre juridique interne, ceux qui sont appropriés pour sauvegarder les droits individuels conférés par le droit communautaire ;
Et décide :
Il appartient à la juridiction de renvoi de statuer sur les dépens de la présente instance.