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Décisions

CJCE, 19 janvier 1993, n° C-101/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kakouris (faisant fonction)

Présidents de chambre :

MM. Zuleeg, Murray

Avocat général :

M. Gulmann

Juges :

MM. Mancini, Schockweiler, Moitinho de Almeida, Grévisse, Díez de Velasco, Kapteyn

Avocat :

Me Ferri

CJCE n° C-101/91

19 janvier 1993

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 mars 1991, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours tendant à faire constater que, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour exécuter l'arrêt du 21 février 1989, Commission/Italie (203-87, Rec. p. 371), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 171 du traité.

2 Par dérogation à l'article 2 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), le Conseil a, par décision 81-890-CEE du 3 novembre 1981 (JO L 322, p. 40), autorisé la République italienne, jusqu'au 31 décembre 1981, à exonérer certaines opérations de la taxe sur la valeur ajoutée, avec remboursement des taxes payées au stade antérieur, dans le cadre des aides en faveur des victimes des tremblements de terre dans le sud de la République italienne.

3 Le Conseil a ultérieurement prorogé cette autorisation jusqu'au 31 décembre 1983. Par des décrets-lois annuels et par la loi n° 12 du 21 janvier 1988, la République italienne a cependant maintenu l'exonération en cause jusqu'au 31 décembre 1988.

4 Sur recours en constatation de manquement, la Cour a, par l'arrêt 203-87 précité, déclaré et arrêté que, en accordant, pour la période comprise entre le 1er janvier 1984 et le 31 décembre 1988, une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée, avec remboursement des taxes versées au stade antérieur, pour certaines opérations effectuées en faveur des victimes du tremblement de terre en Campanie et au Basilicate, la République italienne avait enfreint les dispositions de l'article 2 de la sixième directive, précitée.

5 Les autorités italiennes ont cependant prorogé à plusieurs reprises le régime d'exonération litigieux, tout d'abord jusqu'au 31 décembre 1989, puis jusqu'au 31 décembre 1992.

6 Dès le 30 mai 1989, la Commission a attiré l'attention de la République italienne sur la non-exécution de l'arrêt 203-87, qu'elle considérait comme contraire à l'article 171 du traité.

7 Constatant que le Gouvernement italien ne l'avait pas informée de l'adoption de dispositions rendant la législation italienne conforme au droit communautaire, la Commission a, par lettre de mise en demeure du 4 décembre 1989, invité la République italienne, en application de l'article 169 du traité, à lui communiquer ses observations sur le point de vue de la Commission.

8 Par lettre du 7 juin 1990, la République italienne a confirmé à la Commission le maintien du régime d'exonération litigieux en avançant certains arguments qui n'ont pas été de nature à amener la Commission à modifier sa position.

9 La Commission a donc notifié le 2 juillet 1990 à la République italienne l'avis motivé au sens de l'article 169 du traité concluant qu'elle avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 171 du traité et l'invitant à prendre les mesures requises dans le mois suivant la notification de l'avis motivé.

10 La République italienne ne s'étant pas conformée à cet avis motivé, la Commission a introduit le présent recours.

11 Pour un plus ample exposé des antécédents du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

12 La Commission allègue que non seulement le délai dont disposait la République italienne pour se conformer à l'arrêt 203-87, précité, est largement dépassé, mais encore que l'État membre concerné a adopté des mesures spécifiques visant à prolonger l'infraction dans le temps, au lieu de l'éliminer conformément à l'arrêt. Une telle action serait contraire aux dispositions de l'article 171 du traité et comporterait en même temps une violation grave du devoir général de collaboration qui incombe à cet État membre en vertu de l'article 5 du traité.

13 Le Gouvernement italien admet que le régime d'exonération fiscale rendu applicable jusqu'au 31 décembre 1992 est le même que celui sur lequel la Cour de justice s'est prononcée dans l'arrêt 203-87. Toutefois, le dispositif de l'arrêt aurait limité ses effets à l'application du régime d'exonération litigieux au cours de la période comprise entre le ler janvier 1984 et le 31 décembre 1988. En conséquence, l'application du régime en cause au cours d'une période postérieure ne pourrait pas être considérée comme une violation de l'obligation d'exécution de cet arrêt au sens de l'article 171.

14 L'argumentation de la République italienne ne peut être accueillie. Il y a lieu, en effet, d'interpréter le dispositif de l'arrêt 203-87 à la lumière des motifs qui en constituent le soutien nécessaire. Or le point 10 de cet arrêt n'a aucunement limité dans le temps la constatation de manquement, mais a au contraire clairement précisé que la République italienne avait enfreint l'article 2 de la directive précitée en prolongeant, sans y être autorisée par le Conseil, le régime d'exonération fiscale en cause au-delà de la date d'échéance de la dérogation transitoire fixée par le Conseil au 31 décembre 1983.

15 Le maintien en vigueur de l'exonération fiscale en question après le 31 décembre 1988 constitue par conséquent le prolongement de la violation initiale que la République italienne a commise à partir du 1er janvier 1984 à l'encontre de l'article 2 de la directive précitée, et que la Cour a déjà constatée dans l'arrêt 203-87.

16 Le Gouvernement italien objecte en second lieu que le régime d'exonération litigieux, qui a été accordé pour les travaux de reconstruction des zones sinistrées, ne peut pas violer le droit communautaire puisqu'il est susceptible de relever de l'article 92, paragraphe 2, sous b), du traité qui déclare compatibles avec le Marché commun les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles et dont relève le régime d'exonération en cause.

17 La Commission réplique qu'un tel argument constitue une tentative inadmissible de rouvrir un débat déjà clos par l'arrêt 203-87, précité, qui est revêtu de la chose jugée et n'a pas pris en considération cet argument que la République italienne avait soulevé tardivement.

18 Il suffit de constater à cet égard que le débat judiciaire dans la présente affaire a été effectivement circonscrit par l'arrêt 203-87, précité, et que le présent recours ne saurait être utilisé pour remettre en cause ce qui a été définitivement jugé.

19 Il y a donc lieu de rejeter les arguments présentés par le Gouvernement italien.

20 Il convient en outre de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir notamment arrêt du 30 janvier 1992, Commission/Grèce, C-328-90, Rec. p. I-425, point 6), même si l'article 171 du traité ne précise pas le délai dans lequel doit intervenir l'exécution d'un arrêt constatant le manquement d'un État membre à ses obligations, l'intérêt qui s'attache à une application immédiate et uniforme du droit communautaire exige que cette exécution soit entamée immédiatement et aboutisse dans des délais aussi brefs que possible.

21 Au vu de ce qui précède, il convient de constater que, en ne prenant pas les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt 203-87, précité, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 171 du traité.

22 La Cour relève au demeurant que le présent manquement est constitué, non pas seulement par l'abstention d'adopter certaines mesures pour se conformer à un arrêt de la Cour, mais par l'adoption même de mesures spécifiques destinées à proroger un régime d'exonération fiscale déclaré contraire au droit communautaire par un arrêt de la Cour revêtu de l'autorité de chose jugée.

23 Un tel comportement constitue, ainsi que le soutient à bon droit la Commission, une violation caractérisée et inadmissible de l'obligation incombant aux États membres en vertu de l'article 5, deuxième alinéa, du traité, de s'abstenir de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité, et affecte par là même jusqu'aux bases essentielles de l'ordre juridique communautaire.

24 Enfin, il y a lieu de rappeler qu'en tout état de cause la constatation qu'un État membre a manqué à ses obligations communautaires implique pour les autorités tant judiciaires qu'administratives de cet État membre, d'une part, prohibition de plein droit d'appliquer le régime d'exonération fiscale incompatible et, d'autre part, obligation de prendre toutes dispositions pour faciliter la réalisation du plein effet du droit communautaire (arrêts du 13 juillet 1972, Commission/Italie, 48-71, Rec. p. 529, point 7, et du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo, 103-88, Rec. p. 1839, point 33).

Sur les dépens

25 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La République italienne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête:

1) En ne prenant pas les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice du 21 février 1989, Commission/Italie (203-87), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 171 du traité CEE.

2) La République italienne est condamnée aux dépens.