CA Paris, 5e ch. B, 16 octobre 2008, n° 05-10213
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CNH France (SA)
Défendeur :
Locsud (Sté), Benoit Management et Participation (Sté), Benoit
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Deurbergue
Conseillers :
Mme Le Bail, M. Picque
Avoués :
SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Bricogne, Bourgeon
Vu l'appel interjeté, le 3 mai 2005, par la société CNH France d'un jugement du Tribunal de commerce de Paris, du 3 mars 2005, qui, faisant partiellement droit aux prétentions de la société Benoît Matériels Agricoles, l'a condamnée à payer à cette société 300 000 euro de dommages et intérêts et a débouté la société Benoît Matériels et Jean-Pierre Benoît de leurs demandes;
Vu les conclusions de la société CNH France, du 3 juillet 2008, qui prie la cour de confirmer le jugement, sauf sur la condamnation prononcée à son encontre au profit de la société Benoît Matériels Agricoles, à titre principal, de rejeter les prétentions de cette société aux motifs qu'elle a régulièrement mis fin aux contrats de concession sans commettre d'abus et qu'elle n'a pas rompu abusivement les pourparlers postérieurs à la résiliation ou au non-renouvellement desdits contrats, à titre subsidiaire, de rejeter les demandes de dommages et intérêts aux motifs que les préjudices allégués ne sont pas justifiés et reposent sur des évaluations erronées ou excessives et qu'il n'y a pas de lien de causalité direct entre ceux-ci et les fautes reprochées, et de condamner solidairement la société Locsud venant aux droits de la société Benoît Matériels Agricoles (BMA), la société Benoit Management et Participation (anciennement Benoît Matériels BM puis Benoît Matériels Holding BMH) et Jean-Pierre Benoît à lui payer une indemnité de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société Locsud, de la société Benoit Management et Participation (BMP) et de Jean-Pierre Benoît, du 3 juillet 2008, qui demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé brutale la rupture des contrats de concession et les relations commerciales poursuivies depuis 1950 et, le réformant pour le surplus, de condamner CNH, pour avoir résilié de manière déloyale et abusive lesdits contrats et ne pas avoir exécuté son engagement de négocier une conclusion raisonnable et équitable à la situation dans laquelle elle avait brutalement et abusivement placée BMA, à réparer les préjudices qu'elle avait ainsi causés et à payer à titre de dommages et intérêts, respectivement, à Locsud 1 214 000 euro, à BMP 1 329 550 euro et à Jean-Pierre Benoît 139 010 euro, de leur allouer une indemnité de procédure de 10 000 euro;
Sur ce, LA COUR,
Rappel des faits, de la procédure et des moyens des parties:
Considérant que la société Benoît matériel (BM) était concessionnaire de CNH France (anciennement Case New Holland SA), constructeur et importateur notamment de machines agricoles, et distribuait des tracteurs et des matériels agricoles de marque New Holland sur un territoire couvrant une partie des départements des Bouches du Rhône, du Gard, de l'Hérault et du Vaucluse; que BM exerçait par ailleurs une activité de distribution et de location de matériels de manutention industriels; qu'en raison de difficultés financières, cette société a fait l'objet, en 1994, d'un plan de règlement amiable; qu'au cours de l'année 1999 elle a été restructurée par la création de deux filiales distinctes, l'une, BMI, pour la branche manutention et industrie, l'autre, BMA, pour la branche agricole, à laquelle a été confiée, en location-gérance, l'exploitation de l'activité précitée par BM qui est devenue en 2001 une holding (BMH, ensuite BMP en 2003);
Qu'au début de l'année 2000, deux contrats de concession ont été conclus avec BMA:
- le premier, à durée indéterminée, pour la distribution de tracteurs et de matériels agricoles;
- le second, à durée déterminée d'un an renouvelable par tacite reconduction, pour la distribution de téléchargeurs;
Que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 mai 2001, CNH a notifié la résiliation avec un préavis de 12 mois du premier contrat qui devait donc prendre fin le 15 mai 2002, et a informé BMA qu'elle ne renouvellerait pas le second contrat qui expirait le 31 décembre 2001;
Que, cependant, à la demande de BMA un protocole d'accord a été conclu le 9 novembre 2001 fixant la fin des deux contrats au 11 novembre 2001, portant aussi sur les modalités de règlement des sommes dues par BMA à CNH, "chacune des parties réservant intégralement ses autres droits au titre des différends relatés dans le préambule" qui évoquait en particulier les reproches faits à CNH d'une résiliation abusive des contrats de concession et d'une rupture brutale de pourparlers;
Que BMA est alors devenue concessionnaire des marques Grégoire, Massey Fergusson, Fendy et Valua, un mois après la cessation de ses relations avec CNH et sur un territoire supérieur à celui sur lequel elle exerçait son activité auparavant;
Considérant que BMA, BMP et Jean-Pierre Benoît, soutenant que CNH en résiliant de manière abusive et déloyale les contrats de concession et en opposant de manière injustifiée, à la fin de l'année 1999, un refus d'agrément au rapprochement de BMA avec le groupe Lavail, avait engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de BMA et délictuelle à l'égard de BMP et de Jean-Pierre Benoît, l'ont assignée devant le Tribunal de commerce de Paris, qui a retenu qu'il n'y avait pas eu de refus d'agrément du groupe Lavail, puisque celui-ci n'avait pas été présenté dans les formes, d'une part, et que la dénonciation des contrats n'était pas abusive ni déloyale, puisque CNH avait respecté les dispositions contractuelles, d'autre part, et a cependant estimé que cette rupture était brutale, parce qu'elle intervenait après 50 années de relations commerciales et qu'elle pouvait avoir un effet nocif sur la notoriété et le carnet de commandes du concessionnaire, et que CNH aurait dû accompagner sa décision de rupture d'un plus long préavis ou du règlement d'une indemnité pour services rendus, une telle indemnité étant destinée à réparer le pretium doloris subi par BMA;
Considérant qu'en appel BMA et BMP augmentent leurs prétentions tandis que Jean-Pierre Benoît ramène sa demande de 154 583 euro à 139 010 euro;
Considérant que BMA, BMP et Jean-Pierre Benoît rappellent préalablement que la société Benoît matériels a commencé à distribuer les tracteurs et matériels agricoles du groupe Fiat dès 1948 et est devenue concessionnaire en 1950; que sur les 4 derniers exercices précédant la rupture des relations contractuelles son chiffre d'affaires moyen a été de 21 500 000 euro pour un effectif global de 80 personnes, le chiffre d'affaires de l'activité agricole étant de 18 500 000 euro pour un effectif de 66 personnes;
Qu'ils expliquent qu'en février 1999, après en avoir informé CNH qui préconisait d'ailleurs une telle mesure, le dirigeant de la société Benoît matériel a décidé une restructuration juridique consistant à scinder les activités de distribution des matériels agricoles de celles de distribution des matériels de manutention et industriels, ce qui permettait notamment de disposer d'une entité patrimoniale pour les actionnaires familiaux et de faciliter toute opportunité de cession et de rapprochement, M. Jean-Pierre Benoît étant alors âgé de 59 ans; que CNH a donné son accord à cette restructuration;
Que, sur ce point, les intimés font valoir que la finalisation de l'activité de distribution des matériels agricoles n'a été réalisée qu'à la suite du refus de CNH d'agréer le rapprochement avec le groupe Lavail, concessionnaire New Holland dans la région toulousaine, qui devait prendre une participation majoritaire dans BM, avec à terme une acquisition totale, et que ce rapprochement aurait évité la restructuration juridique et financière qui a dû être effectuée, tout en assurant la pérennité de la représentation régionale de la marque New Holland, observant que cette demande de filialisation avait été formulée par CNH dès 1994 dans un courrier adressé le 14 février à Me Ripert précisant les conditions de son accord au moratoire dans le cadre de la procédure de conciliation en cours, et avait été constamment révoquée lors des réunions annuelles Résultats et Perspectives organisés par le groupe Benoît avec ses principaux partenaires;
Qu'ils soutiennent que la rupture et le non-renouvellement des contrats intervenant sans motif légitime le trimestre suivant leur signature sont incompatibles avec les engagements convenus sur les perspectives d'une poursuite des relations contractuelles et dans l'optique d'une cession ou d'une transmission à moyen terme, et sont donc abusifs, soulignant que la filialisation a requis la constitution d'une caution bancaire à hauteur de 1,9 MF pour la garantie des encours accordés à la nouvelle société et une mobilisation de fonds propres à concurrence de 10 MF;
Considérant que les intimés reprochent aussi à CNH la brutalité de la rupture des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce caractérisée par l'insuffisance des préavis appliqués au regard de l'ancienneté et de l'importance du courant d'affaires, d'une part, et l'absence de préavis utile, celui-ci se trouvant réduit à 6 mois, puisque la décision de mettre un terme à leurs relations a été divulguée immédiatement à la clientèle par CNH, et la société Viau et les Etablissements Michel qui allaient être retenus comme nouveaux concessionnaires, ce qui a entraîné pour BMA une baisse importante des commandes, d'autre part, à cela s'ajoutant, compte tenu de la date de cessation du contrat, l'impossibilité de poursuivre la vente des machines à vendanger de marque Braud qui représentait le tiers de l'activité de l'entreprise;
Que les intimés précisent que la circonstance que les parties ont signé un protocole abrégeant le délai de préavis et la fin du deuxième contrat n'exonère pas CNH de sa responsabilité dans la rupture brutale de leurs relations commerciales;
Considérant que les intimés font encore grief à CNH de ne pas avoir respecté l'obligation de résultat prise en son nom, aux termes d'une lettre d'intention du président du groupe CNH Monde auquel elle appartient, datée du 20 juin 2001, évoquant l'ouverture de négociations "pour arriver à une conclusion raisonnable et équitable"; que, d'abord, elle a de fait imposé les repreneurs potentiels, la société Viau et les Etablissements Michel Motoculture, à l'égard desquels elle s'était engagée à leur attribuer la représentation de ses gammes de matériels agricoles, avant même la notification de la résiliation et du non-renouvellement des contrats, ce en contradiction de l'article 15-2-1; qu'elle seule était en mesure de faire aboutir les négociations avec les partenaires qu'elle avait choisis et que c'est son incapacité à obtenir l'accord de ceux-ci qui l'a conduite à revenir sur ses engagements, non les demandes de BMA qualifiées à tort d'excessives;
Considérant que les intimés concluent enfin que ces fautes engagent la responsabilité de CNH à l'égard de BMA sur un fondement contractuel et à l'égard de BMP et de Jean-Pierre Benoît sur un fondement délictuel et demandent à titre de réparation:
BMA : une somme globale de 1 214 000 euro correspondant à son manque à gagner.
BMP : une somme globale de 1 329 550 euro correspondant à la perte sur la valorisation du fonds de commerce, le manque à gagner sur les fonds laissés à la disposition de BMA, et la minoration des loyers sur les immeubles du Pontet, de Nîmes et d'Arles,
Jean-Pierre Benoît une somme totale de 139 010 euro au titre de sa perte sur salaires, de l'écart sur le montant de sa retraite, et de son préjudice moral;
Considérant que CNH réplique qu'elle a mis fin à la concession conformément aux stipulations du contrat, en respectant le préavis d'une durée de 12 mois pour le contrat à durée indéterminée et en accordant un délai de prévenance de 7 mois au lieu des 3 prévus pour le contrat à durée déterminée; qu'elle rappelle qu'elle n'était pas tenue de motiver la résiliation ou le non-renouvellement des conventions, que cependant suite à la décision de restructuration prise de sa seule initiative par Jean-Pierre Benoît, celui-ci pour trouver une solution de cession ou de transmission pour permettre sa succession, comme cela ressort de sa lettre du 9 avril 2001 et, alors qu'aucun projet n'avait abouti et que ce dernier lui avait écrit qu'il se donnait 3 ou 4 ans pour trouver une solution, elle a constaté que l'avenir de la concession et la distribution de ses produits n'étaient toujours pas organisés et assurés;
Qu'elle fait valoir successivement qu'elle n'a pas imposé de filialisation et que c'est le groupe Benoît seul qui a pris l'initiative d'une restructuration, qu'elle ne s'est pas opposée à un tel projet sous réserve que la nouvelle filiale réponde aux normes financières et commerciales de son réseau de distribution exclusive (lettre du 25 novembre 1999); que s'agissant du rapprochement avec le groupe Lavail aucun projet précis et clair ne lui a été soumis dans les conditions prévues à l'article 15-2-1 du contrat, qu'à supposer qu'elle ait émis un avis négatif, s'agissant d'un contrat de distribution exclusive, elle était libre du choix de son partenaire, et qu'il n'y a enfin aucun lien entre cette tentative de solution et la résiliation intervenue deux ans plus tard; qu'elle a par ailleurs fait savoir qu'elle donnerait son accord pour une cession à la société Viau ou aux Etablissements Michel Motoculture, à l'époque concessionnaires de marques concurrentes (Massey Ferguson et Grégoire) dans la région et que l'échec des négociations avec la première société ne lui est pas imputable; que, de plus, elle ne s'est jamais engagée sur la poursuite des relations contractuelles au moment des opérations de restructuration ni à verser une indemnité de 5 MF, comme cela a été soutenu en première instance et a toujours refusé d'acquérir tout ou partie de BMA puisqu'elle n'a pas de succursales et qu'elle ne commercialise pas directement ses produits auprès des clients; qu'elle n'était pas tenue d'assurer la transmission ou la cession de l'activité de BMA dont elle n'était pas propriétaire, qu'en sa qualité de concédant elle n'était pas tenue d'une obligation d'assistance du concessionnaire en vue de sa reconversion lors de la rupture mais seulement de respecter le préavis contractuel, ce qu'elle a fait, et qu'elle n'a pris aucun engagement en vue de l'aboutissement des pourparlers; qu'elle conteste aussi avoir été à l'origine des rumeurs de cession;
Qu'elle souligne que BMA a, parallèlement aux discussions avec la société Viau, entrepris sa reconversion et l'a réussie à l'issue des préavis, ses vendeurs participant dès septembre 2001 à des démonstrations de machines à vendanger Grégoire et a de plus sollicité la réduction des délais de préavis au 12 novembre 2001 et dès le lendemain est devenue concessionnaire de marques concurrentes sur un territoire supérieur à celui concédé auparavant; qu'aucune des fautes reprochées n'est donc caractérisée;
Qu'enfin, il n'y a pas, selon elle de lien de causalité entre les fautes alléguées et les préjudices invoqués, puisque BMA a rapidement retrouvé des fournisseurs et n'a d'ailleurs pas demandé que le préavis soit prolongé, et que les préjudices allégués ne sont pas établis;
Sur la résiliation:
Considérant que la résiliation des deux contrats de concession est intervenue dans le respect de l'article 3 pour celui concernant les téléchargeurs, avec un délai de dénonciation de 7 mois, supérieur à celui prévu de 3 mois, et conformément à l'article 3-1 pour celui concernant les matériels agricoles, prévoyant "un préavis d'au moins douze mois, sauf application d'une autre clause de résiliation contractuelle";
Qu'il ne résulte pas des multiples correspondances échangées par les parties que CNH ait incité ou ait laissé le groupe Benoît s'engager dans une restructuration juridique et financière pour, exclusivement, satisfaire aux normes de son réseau, tout en remettant ultérieurement en cause la pérennité de la concession par la résiliation ou la dénonciation des contrats à court terme, de manière incompatible avec les engagements convenus;
Qu'en effet, cette restructuration était aussi dictée pour M. Benoît par des considérations d'autre nature, notamment détaillées dans sa lettre à CNH du 11 novembre 1999, dont notamment répondre "au souci des actionnaires familiaux ne travaillant pas dans l'entreprise, de disposer d'une structure plus patrimoniale et moins liée à l'exploitation directe", et "impliquer et motiver davantage le personnel sur l'activité et la clientèle et l'intéresser de façon plus efficace aux résultats qui lui sont propres";
Que ces deux motifs sont d'ailleurs repris par M. Benoît, dans sa lettre du 9 avril 2001, où, plus particulièrement, il explique que n'ayant pas parmi ses enfants ou son environnement familial proche de personnes susceptibles de prendre à terme sa succession, il a commencé à réfléchir aux solutions permettant de pérenniser ses diverses activités et "dans cette optique, procéd(er) à une réorganisation de la structure juridique de (son) groupe";
Qu'il évoque encore dans ce courrier son objectif de transmission de l'entreprise grâce aux structures créées : "et, s'il y a lieu, saisir par branches d'activités les opportunités éventuelles de rapprochement, partenariat ou cession, acquisition présentant un intérêt pour toutes les parties concernées";
Que la décision de filialisation même si cette mesure était souhaitée ou préconisée, n'a pas été imposée par CNH dont la seule exigence, au demeurant légitime et qu'elle avait expressément formulée, était que "la nouvelle entité juridique réponde à (ses) normes tant financières que commerciales" (lettre du 29 novembre 1999); que CNH s'est d'ailleurs comportée loyalement en acceptant de transférer les contrats de concession à BMA;
Considérant que s'agissant du grief d'avoir fait échec au rapprochement avec le groupe Lavail, force est de constater que les négociations avaient été suffisamment concluantes pour qu'elles donnent lieu, le 18 octobre 1999 à la signature d'un protocole entre le dirigeant de ce groupe et M. Benoît, ès qualités de président de BM, prévoyant la création d'une société nouvelle - avec entrée dans son capital de M. Lavail ou de son groupe - à laquelle devait être transférée l'activité agricole, mais qui, compte tenu du caractère intuitu personae du contrat de concession, requérait l'autorisation de CNH; que cette autorisation n'ayant pas été accordée à la date butoir prévue, le protocole est devenu caduc;
Que, cependant, sur ce point, CNH fait valoir non sans raison - cet argument ayant d'ailleurs été retenu par le tribunal - que M. Benoît ne lui a pas communiqué le texte du protocole; que ce fait n'est pas dénié, M. Benoît se bornant à expliquer qu'il avait " présenté brièvement cet accord " une première fois au directeur général de New Holland France, à l'occasion d'une réunion de concessionnaires le 22 octobre 1999, puis lors d'une réunion consacrée à ce sujet le 4 novembre 1999, mais que le principe même de l'association envisagée avait été refusé par le concédant et que ses modalités n'avaient donc pas d'intérêt pour lui;
Que pour que ce refus puisse être considéré comme abusif, encore aurait-il fallu que M. Benoît respecte lui-même les dispositions du contrat (art. 15-2-1) exigeant notamment en cas de modification dans la répartition du capital social du concessionnaire ou du changement des personnes propriétaires et/ou des associés ou actionnaires et/ou des personnes qui assurent la gestion effective du concessionnaire, une notification au concédant "des modifications, changements ou remplacements envisagés, ainsi que de tous documents ou informations relatifs, permettant d'en apprécier la réalité et la portée, au moins trois mois avant la date souhaitée pour leur mise en œuvre, de telle façon que le concédant puisse faire connaître son avis par écrit";
Que M. Benoît n'ayant pas respecté cette procédure, CNH n'a donc pas été en mesure d'étudier sérieusement les modalités du rapprochement envisagé avec le groupe Lavail et qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir donné son accord; Qu'elle n'a pas commis d'abus ni ne s'est montrée déloyale à cet égard;
Considérant que CNH reconnaît avoir proposé à BMA d'engager des pourparlers avec la société Viau et les Etablissements Michel Motoculture et affirme n'avoir pris aucun engagement en vue de leur réussite;
Que, certes, aucun reproche ne peut lui être fait à cet égard;
Qu'elle-même ne peut pour autant faire grief à M. Benoît de l'échec d'un accord avec la société Viau et de ne pas avoir négocié avec les établissements Michel motoculture, ces deux entreprises distributrices de marques concurrentes de New Holland étant de moindre importance économique, et M. Viau n'ayant pas donné suite aux discussions entreprises;
Considérant, par ailleurs, que les intimés ne peuvent pas prétendre que BMA "n'a jamais été demanderesse d'une solution de cession", solution qu'elle a évoquée à plusieurs reprises dans ses correspondances avec CNH; qu'ils ne peuvent non plus soutenir que CNH aurait contrainte BMA à rechercher une solution de cession, et qu'elle l'aurait placée "sciemment dans une position d'infériorité dans la négociation dans laquelle elle entendait l'amener pour éviter qu'elle ne se maintienne avec une marque concurrente sur le marché local";
Que si tel avait été le cas, CNH aurait certainement refusé la réduction du préavis contractuel de résiliation ou de dénonciation, ce afin d'empêcher BMA de distribuer les marques concurrentes Massey Fergusson et Grégoire, six mois après la notification de la résiliation ou de la dénonciation des contrats;
Qu'ainsi, BMA, BMP et Jean-Pierre Benoît n'établissent pas que CNH a rompu abusivement et de manière déloyale les conventions qui les liaient;
Qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement sur ce point;
Sur la brusque rupture:
Considérant que, alors que M. Benoît, dans sa lettre du 9 avril 2001, énonçait les trois axes possibles de sa démarche pour trouver "la meilleure solution assurant la pérennité et le développement de BMA, tant pour ses actionnaires que pour son personnel et que pour les constructeurs et les fournisseurs représentés, au premier plan desquels New Holland", dans sa réponse du 15 mai 2001, CNH se montre très peu explicite sur sa décision de mettre un terme aux contrats de concession; qu'elle se borne à relever qu'aucune des solutions proposées quant à l'évolution des relations contractuelles des parties n'était satisfaisante et qu'elle se devait de " saisir toutes les opportunités susceptibles d'assurer la pérennité ";
Considérant que BMA, BMP et Jean-Pierre Benoît recherchent la responsabilité de CNH pour avoir rompu brutalement leur relation commerciale établie depuis 50 ans sans préavis suffisant et même utile;
Considérant qu'il n'est pas contesté, et c'est ce que le tribunal a retenu, que CNR a procédé à la résiliation et au non-renouvellement des contrats dans le strict respect de ses obligations;
Que, toutefois, la notion de relation commerciale établie vise une situation contractuelle née de la pratique instaurée entre des parties entretenant des relations d'affaires stables, suivies et anciennes quelle que soit leur forme, et que le seul respect, pour les contrats en cours, du préavis contractuel pour le contrat à durée indéterminée ou de prévenance pour le contrat à durée déterminée n'est pas suffisant à exonérer le concédant du manquement de brusque rupture qui lui est imputé;
Qu'il ne suffit pas, comme le fait CNH d'affirmer qu'elle a respecté les délais propres à permettre au concessionnaire d'organiser sa reconversion et que cette reconversion a été réussie, preuve en étant que BMA n'a pas demandé la prolongation des délais contractuels mais, au contraire, que le préavis du contrat à durée indéterminée soit réduit et que le contrat à durée déterminée n'aille pas jusqu'à son terme;
Qu'il doit être recherché si au regard de la durée de la relation commerciale, ces délais étaient suffisants et raisonnables, mais aussi, comme le demandent BMA, BMP et Jean-Pierre Benoît, si les circonstances de la rupture ne leur ont pas retiré tout effet utile;
Or considérant que ces délais n'ont été suffisants au regard de l'ancienneté de la relation commerciale entre BMA qui a été bénéficiaire de l'apport des actifs de BM d'une part, et les sociétés ayant assuré la distribution des matériels du groupe Fiat, aux droits desquelles se trouvait New Holland et en dernier lieu CNH, d'autre part;
Qu'ils n'ont pas plus été suffisants au regard de l'importance de l'activité de BMA, puisque la distribution exclusive des tracteurs et machines agricoles représentait pour celle-ci environ 80 % de son chiffre d'affaires au moment de la rupture;
Considérant aussi qu'ils n'ont pas eu d'effet utile;
Qu'en effet, aux termes de l'article 3-2 du contrat à durée indéterminée, six mois après la notification de la résiliation, le concessionnaire n'était plus tenu par l'exclusivité de distribution au bénéfice du concédant et que celui-ci pouvait nommer un nouveau concessionnaire pour le territoire dont l'activité s'exerçait alors concomitamment à celle du concessionnaire pendant la durée du préavis restant à courir;
Que CNH a immédiatement saisi les "opportunités" qui se présentaient, puisqu'elle a immédiatement confié à la société Viau et aux Etablissements Michel Motoculture la distribution de ses gammes de matériels agricoles sur le territoire antérieurement concédé exclusivement à BMA; que cette décision avait été divulguée à la clientèle, notamment dans un article de la revue Machinisme et réseaux paru en juillet 2001, et que CNH n'a pas démenti les rumeurs parmi la clientèle, dont M. Benoît a fait état dans sa lettre du 9 avril 2001, d'une reprise de la concession par les deux nouveaux concessionnaires précités avant même qu'elle ne soit effective;
Que, compte tenu de la date à laquelle la résiliation devait prendre effet et de la perte d'exclusivité intervenant 6 mois après la notification de cette résiliation, et de la date à laquelle les viticulteurs ont l'habitude de passer leurs commandes, notamment pour les machines à vendanger, BMA ne pouvait espérer conserver ses parts de marché en étant en concurrence avec la société Viau et les Etablissements Michel Motoculture et, comme la clientèle était informée du changement de concessionnaires, elle a enregistré une baisse de ses commandes des deux tiers au 31 octobre 2001 par rapport à la moyenne des deux exercices précédents et n'a pu réaliser la vente des machines à vendanger de marque Braud fournies par CNH qui représentait une part non négligeable de son activité;
Qu'il lui fallait donc au plus vite changer de fournisseurs pour assurer la pérennité de son entreprise, ce qu'elle a fait en reprenant la représentation des marques Massey Fergusson et Grégaire devenues disponibles mais dont les parts de marché étaient moindres que les marques concédées par CNH;
Qu'en réalité, BMA n'a disposé que d'un préavis de 6 mois pour opérer sa reconversion, ce à des conditions moins intéressantes que celles qu'elle connaissait auparavant;
Que si la préoccupation de CNH d'assurer la poursuite de la distribution de ses matériels était légitime et qu'elle n'était pas tenue d'une obligation d'assistance du concessionnaire en vue de sa reconversion, elle savait que le préavis était insuffisant pour permettre une reconversion dans des conditions raisonnables après 50 années de relations commerciales établies; que la rupture à son initiative de ces relations doit être qualifiée de brutale au sens de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce;
Que le jugement doit être confirmé sur ce point;
Sur l'engagement de la société New Holland France du 20 juin 2001:
Considérant que les intimés excipent d'une lettre du président du groupe CNH, M. Monferino, en réponse à une lettre de M. Benoît, aux termes de laquelle celui-ci aurait estimé nécessaire d'ouvrir des négociations afin d'arriver, nonobstant les décisions de résiliation "à une conclusion raisonnable et équitable de la négociation en cours pour permettre â votre société de terminer le rapport avec New Holland de manière satisfaisante pour les deux sociétés";
Que, toutefois, M. Monferino se borne à indiquer ensuite que M. Lodares (directeur général de New Holland France devenu vice-président du groupe Europe) avait "reçu les recommandations nécessaires", ces recommandations étant d'apporter une réponse à la lettre de M. Benoît;
Que les termes de ce courrier sont beaucoup trop évasifs pour constituer un engagement ferme d'arriver à un résultat et ne s'analysent pas en une lettre d'intention;
Que la responsabilité de CNH ne saurait donc être retenue de ce chef;
Sur le lien de causalité et les préjudices:
Considérant qu'il appartient aux intimés d'établir un lien de causalité entre la rupture brutale de leurs relations avec le concédant et leurs demandes de réparation;
Que ne sont réparables, en effet, que les dommages créés par la brutalité de la rupture, non les effets de la résiliation du contrat à durée indéterminé ou de la non-reconduction du contrat à durée déterminée, observation étant faite que la reconversion de BMA est un fait acquis;
Considérant que CNH critique le jugement en ce qu'il a estimé le préjudice de BMA à 300 000 euro sans que, selon elle, cela corresponde aux préjudices allégués et soit motivé, et en ce qu'il a qualifié à tort la somme allouée de "pretium doloris";
Qu'il n'est pas discuté par BMA que cette qualification est en effet impropre;
Considérant que les intimés expliquent avoir évité le dépôt de bilan en signant des contrats avec les "seuls fournisseurs libres" pour un potentiel inférieur pour les tracteurs et plus encore pour les machines à vendanger et en cédant précipitamment une participation majoritaire au groupe Sofilec, sur des bases très désavantageuses, compte tenu du contexte défavorable de la négociation, la holding BMH ayant dû accroître ses concours financiers à sa filiale, ce qu'elle n'aurait pas eu à faire si le rapprochement avec le groupe Lavail avait abouti;
Considérant que la demande de BMA porte sur une somme globale de 1 214 000 euro correspondant à son manque à gagner calculé sur la base d'un préavis de 36 mois, en tenant compte de l'ancienneté des relations commerciales, de la relation de dépendance dans laquelle elle se trouvait et des investissements réalisés un an et demi avant la rupture, au regard de la diminution de son excédent brut d'exploitation sur les années 2002, 2003 et 2004, par rapport à celui obtenu les 3 dernières années précédant la rupture, au titre de la résiliation des contrats, et intégrant:
- 305 160 euro au titre des coûts des plans sociaux et des licenciements sur la période 2002/2004.
- 103 000 euro au titre de la dépréciation du stock des pièces,
- 99 107 euro de frais de changement de panneaux sur 4 sites,
- 236 848 euro de pertes sur carnet de commandes,
- 24 355 euro au titre de la reprise indue de remises de volume sur machines vendanger;
Que, toutefois, les plans sociaux et les licenciements, la dépréciation du stock de pièces et les frais de changement de panneaux doivent être supportés par l'entreprise, dès lors qu'il a été régulièrement mis fin au contrat de concession et qu'elle a décidé de se réorganiser ; que ces postes ne dépendent pas directement du caractère brutal de la rupture;
Que la demande de BMA au titre d'une reprise indue de remises de volume sur machines à vendanger ne peut qu'être rejetée, puisque pour avoir droit à cette remise sur prime, il aurait fallu qu'elle parvienne à vendre 50 machines à vendanger, objectif qu'elle n'a pas atteint;
Considérant, certes, que BMA a enregistré une baisse de ses commandes; que cependant, c'est à juste titre que CNH critique la base de calcul du préjudice proposée, à partir du différentiel brut d'exploitation;
Qu'en effet, le préjudice de BMA correspond exclusivement à la marge brute qu'elle aurait dégagée pendant le délai de préavis prolongé d'un an à trois ans, compte tenu de l'ancienneté des relations et des possibilités limitées de se reconvertir dans la distribution de marques de matériels agricoles;
Que la moyenne de la marge brute réalisée au cours des trois années précédant la notification de la rupture en 2001 s'établit à environ 500 000 euro
Que c'est au montant de cette somme qu'il convient d'augmenter les dommages et intérêts que CNH devra payer à BMA;
Qu'il convient, en conséquence, de réformer le jugement sur ce point;
Considérant que BMP demande à être indemnisée de la perte sur la valorisation du fonds de commerce à concurrence de 1 027 790 euro, du manque à gagner sur les fonds laissés à la disposition de BMA à concurrence de 167 120 euro et de la minoration des loyers sur les immeubles du Pontet, de Nîmes et d'Arles à concurrence de 134 640 euro, soit au total : 1 329 550 euro;
Que, toutefois, sa demande ne peut être accueillie, puisqu'elle consiste pour une part à faire indemniser deux fois le même préjudice, à savoir la dévalorisation du fonds de commerce;
Qu'en effet, étant rappelé que BMP avait confié l'exploitation de son fonds de commerce en location-gérance à BMA, les dommages et intérêts alloués à sa filiale rétablissent la valorisation de celle-ci, ce qui a pour effet de reconstituer la valeur de la holding en rétablissant son capital social;
Considérant que pour ce qui concerne les immeubles du Pontet, de Nîmes et d'Arles, la baisse des loyers alléguée ne dépend pas directement du caractère brutal de la rupture mais se trouve liée à la décision de réorganisation du groupe prise par son dirigeant;
Considérant que s'agissant du manque à gagner sur les fonds laissés à la disposition de BMA, BMP ne communique aucune justification à l'appui de sa demande;
Qu'elle en sera donc déboutée et que le jugement sera confirmé de ce chef;
Considérant que Jean-Pierre Benoît réclame le paiement de :
- 61 160 euro au titre de sa perte sur salaires,
- 47 850 euro au titre de l'écart sur le montant de sa retraite,
- 30 000 euro au titre de son préjudice moral, soit au total : 139 010 euro;
Mais considérant qu'il recherchait une solution pour sa succession depuis 1995, comme le rappelle CNH et qu'il avait pris la décision de réorganiser l'entreprise en vue de faciliter sa cession ; qu'il ne justifie aucunement d'un lien direct entre le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies avec BMA et le fait qu'il aurait eu une diminution de salaires et qu'il a pris sa retraite;
Que ces circonstances excluent également l'existence d'un préjudice moral;
Qu'il doit être aussi débouté de ses demandes de dommages et intérêts;
Qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement sur ce point;
Sur les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile:
Considérant que l'équité commande en appel de condamner CNH à payer à la société Locsud une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter sa demande;
Par ces motifs, Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement, sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués à la société Locsud, anciennement Benoît Matériels Agricoles, Statuant à nouveau ; Condamne la société CNH France à payer à la société Locsud la somme de 500 000 euro à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie et 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, y compris au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société CNH France aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.