CA Paris, 14e ch. A, 10 janvier 2007, n° 06-13189
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
La Française des Jeux (SA)
Défendeur :
Syndicat des casinos modernes de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulon
Conseillers :
Mme Percheron, M. Blanquart
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Monin-d'Auriac de Brons
Avocats :
Mes Alquezar, Benichou, Wery
Faits constants
Un décret 78-1067 du 9 novembre 1978 a confié la gestion et l'organisation de loteries autorisées à la SA société Française des Jeux (FDJ).
Le syndicat des Casinos modernes de France (SCMF) a été créé le 10 octobre 1995 par 20 sociétés exploitant des casinos, et compte aujourd'hui 62 adhérents sur 190 casinos français. Il a pour objet "l'étude et la défense des intérêts économiques matériels et moraux de ses membres".
La loi du 15 juin 1907 réglemente les casinos qui ne sont pas autorisés à mettre en place des sites de jeux sur internet.
La SCMF estimant que les mesures adoptées par l'Etat français en faveur de la FDJ sont contraires aux articles 82 et 86 du traité instituant la Communauté européenne qui interdit les abus de position dominante (alors que l'Etat est actionnaire majoritaire de FDJ) a déposé plainte devant la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne.
FDJ propose des jeux sur un site internet www.fdieux.com.
Le 11 avril 2006, la FDJ a fait paraître un communiqué de presse qui figure sur son site internet, précisant notamment que "son site n'est accessible qu'aux résidents français ayant plus de 18 ans".
Par ordonnance du 12 juin 2006, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris:
- disait non fondée la fin de non recevoir de la FDJ pour défaut d'intérêt à agir,
- enjoignait à la FDJ de cesser pendant un délai de 6 mois durant lequel les parties devront saisir le juge du fond, toute diffusion du communiqué ... sur son site internet...,
- condamnait FDJ à payer 7 500 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
Le 13 juillet 2006, FDJ interjetait appel.
L'ordonnance de clôture était rendue le 28 novembre 2006.
Prétentions et moyens de FDJ
Par dernières conclusions du 20 novembre 2006 auxquelles il convient de se reporter, FDJ invoque l'absence d'intérêt à agir du syndicat intimé entraînant l'irrecevabilité de la demande originale puisque:
- la publicité litigieuse ne peut lui faire grief (la clientèle des deux parties n'étant pas commune),
- les deux parties ne sont pas concurrentes (les casinos ne peuvent mettre en ligne des jeux sur internet).
A titre subsidiaire elle précise:
- que pour accéder aux jeux sur son site le candidat doit être identifié, être titulaire d'un compte bancaire de résident, et déclarer sur l'honneur être majeur,
- qu'il n'y a pas de trouble manifestement illicite puisque:
* le communiqué n'était pas une publicité,
* de toutes façons cette publicité ne serait pas mensongère.
Elle demande:
- la réformation de l'ordonnance,
- le débouté du SCMF,
- 8 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
Cette partie entend bénéficier des dispositions de l'article 699 du NCPC.
Prétentions et moyens du SCMF
Par dernières conclusions du 2 novembre 2006 auxquelles il convient de se reporter, la SCMF soutient :
- avoir un intérêt à agir,
- que la situation concurrentielle résulte notamment :
* d'un rapport du Sénat,
* d'une convergence fondée sur le principe du pur hasard,
* d'une convergence qui se révèle dans les jeux en ligne qui évoquent les casinos,
- qu'exiger une clientèle commune et des produits substituables est "une aberration lorsqu'on agit en monopole",
- que le site est totalement accessible aux mineurs sans limitation (à l'exception de la mise d'argent en ligne) ce qui est contraire au décret 2006-174 du 17 février 2006,
- que le communiqué est une publicité, et une publicité trompeuse, et que le juge du premier degré ne pouvait faire une distinction entre le site de FDJ lui-même, et le service des jeux sur ce site, (le lecteur du communiqué a l'impression que le site lui-même est interdit aux mineurs alors que seule la mise d'argent en ligne l'est).
Il demande :
- de confirmer l'ordonnance et notamment l'injonction faite à FDJ de cesser toute diffusion de communiqué sur son site,
- de faire droit à son appel incident en enjoignant à FDJ d'insérer sur son site un communiqué reproduisant l'ordonnance,
- l'autorisation de publier le dispositif de l'ordonnance dans deux quotidiens d'audience nationale,
- 10 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
Cette partie entend bénéficier des dispositions de l'article 699 du NCPC.
Sur quoi, LA COUR
Sur la publicité mensongère qui violerait une loi protégeant les mineurs
Considérant qu'il résulte de l'article L. 411-11 du Code du travail que les syndicats professionnels ont le droit d'ester en justice et peuvent ... exercer tous les droits relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente ; que l'action intentée par la SCMF (syndicat représentatif cf lettre du 4 novembre 1998 pièce 15 du dossier SCMF) fondée sur la violation du décret 2006-174 du 17 février 2006 (qui prévoit en son article 1er que l'un des objectifs de la loi est de "veiller à ne pas inciter les mineurs de moins de 16 ans à jouer") n'est pas ouverte au SCMF puisqu'une telle action ne concerne pas l'intérêt collectif de la profession que ce syndicat représente, mais l'intérêt général de la société relevant de la seule initiative du Ministère public;
Sur la publicité mensongère qui constituerait un acte de concurrence déloyale
Considérant en revanche que la SCMF dispose d'un intérêt légitime comme le prévoit l'article 31 du NCPC au succès de sa prétention fondée sur la concurrence déloyale;
Qu'une telle concurrence suppose une faute que celui qui l'invoque doit prouver;
Considérant qu'à la "lecture du communiqué de la FDJ le public" n'a pas, contrairement à ce qu'affirme la SCMF (page 32 de ses conclusions), "l'impression que le site lui-même est interdit aux mineurs alors que seule la mise d'argent en ligne l'est" puisque pour lire ledit communiqué il faut être déjà sur le site ; que la rédaction et la parution du communiqué litigieux qui ne sont pas fautive aux yeux du juge des référés, ne peuvent être constitutives d'un acte de concurrence déloyale;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de FDJ les frais non compris dans les dépens; qu'il y a lieu de lui accorder 5 000 euro à ce titre.
Par ces motifs, Infirme la décision entreprise; Statuant à nouveau; Dit n'y avoir lieu à référé; Y ajoutant : Condamne le Syndicat des casinos modernes de France - SCMF à payer 5 000 euro à la SA La société Française des Jeux au titre de l'article 700 du NCPC; Condamne le Syndicat des casinos modernes de France - SCMF aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du NCPC.