CA Lyon, 3e ch. civ. B, 24 janvier 2008, n° 06-06998
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gemini France (SAS), Comarme Marchetti (Sté)
Défendeur :
Ridec (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flise
Conseillers :
Mme Devalette, M. Maunier
Avoués :
Me Barriquand, de Fourcroy
Avocats :
Mes Chauplannaz, Benhamou
La société Ridec est depuis 1987 le distributeur des produits et de machines de marque Comarme destinés à l'emballage. Elle assurait la maintenance et le service après-vente de l'ensemble du parc machines.
A partir de mai 2002, la société Comarme Marchetti, de droit italien, a confié l'importation exclusive de ses produits à la société Gemini, créée à cet effet (filiale à 50 %).
La société Ridec a donc instauré des relations commerciales avec cette société intermédiaire sans qu'aucun contrat formel n'ait été établi.
Au cours de l'année 2004, les relations entre ces trois sociétés se sont dégradées notamment en raison de l'intervention directe des sociétés Comarme et Gemini chez un de ses clients, la société Pietra.
Parallèlement, la société Gemini a changé ses conditions de règlement en exigeant un paiement comptant à la commande de ses produits alors que depuis 2002 le règlement s'effectuait à 90 jours plus 15.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 septembre 2004, la société Gemini a rompu ses relations avec la société Ridec en dénonçant "un accord d'exclusivité réciproque".
Par pli recommandé du 29 septembre 2004, la société Ridec a contesté ce prétendu accord et informé la société Gemini qu'elle considérait qu'il s'agissait d'une rupture brutale et unilatérale des relations commerciales.
Par exploit en date du 17 décembre 2004, la société Ridec a assigné la société Gemini et la société Comarme Marchetti devant le Tribunal de commerce de Lyon en paiement de 180 000 euro de dommages-intérêts pour le préjudice commercial occasionné par la rupture abusive des relations commerciales outre 50 000 euro de préjudice moral et une indemnité de procédure.
Par jugement du 19 septembre 2006, le tribunal de commerce:
- a dit que le courrier du 8 juillet 2002 ne revêt pas un caractère contractuel,
- a dit que les griefs contenus dans le courrier du 7 septembre 2004 sont mal fondés,
- a dit que la rupture était imputable à la société Gemini,
- a condamné la société Gemini et la société Comarme à payer solidairement,
- à la société Ridec la somme de 66 396,60 euro à titre de dommages-intérêts,
- a ordonné à la société Ridec de rendre le chèque de garantie de 15 000 euro à la société Gemini,
- a condamné la société Ridec à payer un solde de factures de 6 422,73 euro à la société Gemini et l'a déboutée de sa demande au titre du préjudice moral,
- a ordonné la compensation des sommes dues,
- a condamné la société Gemini et Comarme à payer chacune 500 euro d'indemnité de procédure.
Par déclaration du 7 novembre 2006, les sociétés Gemini et Comarme ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières écritures, déposées le 6 septembre 2007 et qui sont expressément visées par la cour, les sociétés appelantes demandent la confirmation du jugement sur le rejet de la somme demandée à titre de préjudice moral, sur la condamnation à restitution du chèque de garantie et sur la condamnation en paiement du solde de factures.
Pour le surplus, elles demandent l'infirmation du jugement et sollicitent:
- que la lettre du 8 juillet 2002 soit considérée comme constituant un engagement d'exclusivité réciproque,
- qu'il soit jugé que c'est la société Ridec qui na pas respecté cet engagement qui a été ainsi régulièrement dénoncé par lettre du 7 septembre 2004, ce qui ne constitue pas une rupture brutale et abusive,
- que la société Ridec qui ne justifie pas d'un préjudice soit déboutée de toutes ses demandes,
- que la société Ridec soit condamnée à leur verser la somme de 22 132 euro en réparation de leur préjudice financier; outre 3 000 euro d'indemnité de procédure.
Elles rappellent qu'aucun contrat de distribution n'a été signé à l'origine entre la société Comarme et la société Ridec qui était un simple distributeur comme 10 autres en France et qu'en 2002, la société Ridec a bien accepté de poursuivre ses relations commerciales via la société intermédiaire Gemini.
Elles affirment ensuite que la lettre du 8 juillet 2002 instaurait un accord d'exclusivité réciproque, même si cette lettre n'a pas été formellement suivie d'une lettre d'acceptation de la société Ridec qui parle elle-même de contrat de distribution de fait et qui ne s'est pas insurgée sur les prétendues modifications importantes et les a acceptées tacitement en poursuivant les relations commerciales.
Dans le cadre de ce contrat d'exclusivité réciproque, elles contestent avoir modifié les conditions de paiement des factures et confirment une détérioration des relations courant 2004, en raison du comportement peu professionnel de la société Ridec vis-à-vis du client Pietra du fait de la non-restitution par elle du chèque de garantie de 15 000 euro et du non-paiement du solde de factures de 21 422,73 euro, malgré mise en demeure du 3 août 2004, ce solde n'ayant été ramené à 6 422,73 euro qu'après règlement de 15 000 euro intervenu le 27 août 2004.
Concernant toujours le client Pietra, elles indiquent que c'est à la demande de ce client et à la suite d'erreurs de la société Ridec, qu'elles ont accepté d'intervenir directement pour ce client, afin de le satisfaire.
Dans ces circonstances, elles considèrent que la lettre du 7 septembre 2004 qui récapitule tous les griefs formulés contre la société Ridec et dénonce l'accord ne constitue pas une rupture abusive des relations contractuelles:
- car les 4 griefs sont fondés : défaut de réalisation du chiffre d'affaires, non-respect des conditions de paiement (à réception avec escompte de 3 %), non-respect de l'engagement d'exclusivité par vente d'un matériel concurrent, non-respect du secteur géographique attribué),
- car la société Ridec ne peut invoquer un contrat d'exclusivité contre la société Gemini pour le client Le Dauphin tout en contestant une exclusivité à sa charge,
- car elle a conclu, moins d'un mois après la lettre où elle prend acte de la rupture, un accord de partenariat avec le principal concurrent, la société Soco System, avec lequel elle était en contact depuis longtemps, ce qui explique qu'elle ait tout fait pour se défaire du contrat d'exclusivité avec la société Gemini,
- car l'absence de préavis se justifiait par la gravité des manquements de la société Ridec, par la durée très brève des relations (2 ans avec la société Gemini et par la signature très rapprochée par la société Ridec d'un nouveau partenariat,
- car la société Ridec ne prouve pas son préjudice dans une rupture dont elle est seule responsable, notamment son préjudice moral et chiffre son préjudice financier à 180 000 euro en se basant sur un chiffres d'affaires erroné.
Les sociétés Comarme et Gemini indiquent que le comportement déloyal de la société Ridec leur a causé un préjudice sur l'année 2005 correspondant à une perte de marge brute de 22 132 euro.
Aux termes de ses seules écritures, déposées le 19 juin 2007 et qui sont expressément visées par la cour, la société Ridec demande la confirmation du jugement sauf sur le quantum du préjudice subi qu'elle réclame à hauteur de 18 000 euro (en fait 180 000 euro) pour le préjudice financier et de 50 000 euro pour le préjudice moral outre 2 000 euro d'indemnité de procédure.
Concernant les relations contractuelles, la société Ridec considère qu'elles ont déjà été modifiées en 2002 par la création d'une société intermédiaire, la société Gemini, sans formalisation d'un prétendu accord d'exclusivité réciproque contenu dans la lettre du 8 juillet 2002 qu'elle n'a jamais accepté et que la société Gemini elle-même n'a jamais appliqué, de sorte que ces relations s'inscrivaient dans le cadre suivant:
- exclusivité de distribution des produits Comarme par Ridec mais sans exclusivité d'approvisionnement par celle-ci,
- pas de secteur géographique ni d'objectifs,
- conditions de règlement à 90 jours.
Elle maintient que ces relations ont été rompues abusivement par la société Gemini qui s'est ainsi accaparée le réseau de distribution de son distributeur, ce qui constitue un acte de concurrence déloyale:
- car les griefs relatifs au non-respect d'un contrat d'exclusivité réciproque inexistant ne sont pas fondés,
- car il n'y a pas eu de délai de préavis, après 17 ans de relations contractuelles,
- car la prétendue gestion calamiteuse du dossier Pietra est un prétexte, les erreurs techniques étant imputables aux sociétés Comarme et Gemini, pour prendre contact directement avec ce client et lui proposer un changement du magasin, ce qui a donné lieu au chèque de garantie.
Sur son préjudice, la société Ridec indique qu'elle a perdu a minima une marge annuelle de 60 000 euro sur trois ans d'activité soit 180 000 euro qui prend en compte également l'absence de préavis. Elle conteste à cet égard, les chiffres retenus par le tribunal de commerce sur la base des seuls éléments fournis par la partie adverse et indique qu'elle a subi des difficultés et une perte d'image vis-à-vis de sa clientèle en raison de la rupture, sur le poste SAV et les contrats de maintenance.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 octobre 2007.
Sur ce:
Sur la nature des relations contractuelles et l'imputabilité de leur rupture:
En l'absence de production, de part et d'autre, de documents relatifs à la période antérieure à l'interposition de la société Gemini, en tant qu'importateur en France des produits Comarme, il est néanmoins constant que ces relations commerciales entre la société Comarme Marchetti et la société Ridec étaient anciennes, comme remontant à 1987 et se déroulaient, de fait sinon contractuellement, dans le cadre d'un contrat de distribution exclusive des produits et machines Comarme par la société Ridec sur un secteur non limité, sans objectifs définis et selon des modalités de rémunération non précisées par les parties.
Dans ce contexte, la lettre adressée par la société Gemini le 8 juillet 2002 en tant que nouveau partenaire interposé qui définit des modalités nouvelles de collaboration commerciale en terme de secteur géographique, d'objectif de chiffre d'affaires à réaliser et de tarifs des ventes, ne s'analyse pas comme un document rappelant le périmètre de relations antérieures mais comme une proposition de redéfinition de celles-ci exigeant nécessairement une acceptation écrite ou même tacite de la société Ridec.
Aucun élément du dossier n'établit que celle-ci ait accepté ces modifications substantielles dans la relation contractuelle, tous les documents produits démontrant au contraire que celle-ci s'est poursuivie selon les modalités antérieures, notamment au niveau du large champ d'intervention de la société Ridec et des modalités de paiement des factures par celle-ci (paiement à 90 jours) puisque la société Gemini à partir de décembre 2003, et à l'occasion d'un différend sur un problème d'affacturage, a annoncé à deux reprises un raccourcissement des délais de paiement de ces factures.
La lettre du 7 septembre 2004, dans laquelle la société Gemini annonce la rupture de ses relations contractuelles avec la société en invoquant des manquements de celle-ci aux obligations nouvelles visées dans la lettre du 8 juillet 2002, qui n'a pas de valeur contractuelle et qui n'a pas été mis en œuvre, constitue donc bien une rupture unilatérale, injustifiée et brutale, puisque sans préavis, de la part de la société Gemini et de la société Comarme qui ne s'est pas désolidarisée de cette démarche.
Cette rupture brutale de relations contractuelles anciennes s'est de surcroît cristallisée à la suite d'un différend né de l'intervention en direct par les sociétés Gemini et Comarme auprès de la société Pietra, cliente de la société Ridec, sans que cette intervention ne soit justifiée, selon les échanges de correspondance, par une quelconque défaillance de la société Ridec vis-à-vis de ce client et sans que, dans ce contexte, le refus, dans un premier temps, de la société Ridec de restituer le chèque de caution et de régler un solde de factures puisse être considéré comme fautif de la part de la société Ridec.
Le jugement qui a déclaré la rupture imputable aux sociétés Gemini et Comarme et qui a débouté celles-ci de leur demande de dommages-intérêts, faute de preuve d'une faute de la société Ridec, dont elles ont été, en revanche, condamnées à indemniser le préjudice, doit être confirmé.
Sur l'indemnisation du préjudice subi par la société Ridec:
Même si celle-ci a retrouvé, dans l'année de la rupture, un nouveau partenaire, en raison de l'expérience acquise dans la distribution des produits Comarme, sa perte de marge brute sur chiffre d'affaires sur la vente de ces produits a été exactement évaluée par les premiers juges, eu égard aux pièces produites et à la durée de la relation contractuelle qui n'a pu se rétablir que très progressivement avec un nouveau partenaire, à la somme de 66 396,60 euro, comprenant le défaut de préavis. Cette condamnation doit être prononcée in solidum à l'encontre des sociétés Gemini et Comarme qui ont toutes deux contribué à la réalisation de ce dommage.
Par ailleurs, la société Ridec, distributeur de longue date des produits Comarme a subi du fait de cette rupture abusive, un préjudice moral, pour, après avoir accepté la création d'un importateur intermédiaire, réductrice de sa marge, s'être retrouvée brutalement sans distributeur, sans faute de sa part et dans l'impossibilité d'assurer, auprès de ses clients, le service après-vente et la maintenance, ce dont elle a du s'expliquer auprès d'eux. Ce préjudice justifie une indemnisation à hauteur de 15 000 euro.
Le jugement, qui a rejeté ce dernier chef de demande, doit être infirmé.
Sur les autres demandes:
La société Ridec n'a pas formé appel incident sur sa condamnation à restituer le chèque de caution et à payer un solde de facture de 6 422,73 euro. Le jugement doit être confirmé sur ces chefs de demande y compris sur la compensation prononcée entre les créances respectives des parties qui englobera simplement la créance de dommages-intérêts pour préjudice moral de la société Ridec.
Les sociétés Gemini et Comarme doivent être condamnées in solidum à verser à la société Ridec une indemnité de procédure supplémentaire de 2 000 euro.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris, sauf sur le rejet de la demande de dommages-intérêts de la société Ridec; Et statuant à nouveau sur ce chef de demande, Condamne in solidum les sociétés Gemini France et Comarme Marchetti à payer à la société Ridec la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral; Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés Gemini France et Comarme Marchetti à verser à la société Ridec la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne in solidum les sociétés Gemini France et Comarme Marchetti aux dépens d'appel avec distraction au profit de Maître de Fourcroy, avoué.