CA Lyon, 3e ch. civ. B, 2 novembre 2006, n° 05-02587
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Temaco (SA)
Défendeur :
Teixagol (SARL), Decourteix, Bauland (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flise
Conseillers :
Mme Devalette, M. Maunier
Avoués :
Me de Fourcroy, SCP Dutrievoz
Avocats :
SCP Lamy & Associés, Me Roy
Le 23 octobre 2001 la société Teixagol a confié à la société Temaco la distribution exclusive de conteneurs de collecte de déchets ménagers et notamment de conteneurs de marque City.
Le 3 mai 2002 la cour de céans, saisie d'une action en contrefaçon introduite par un tiers à la présente instance, a fait interdiction à la société Teixagol de fabriquer et de commercialiser les conteneurs de marque City.
La société Teixagol a par la suite reproché à la société Temaco d'avoir rompu les relations contractuelles de manière unilatérale et fautive au mois de septembre 2002.
Le dirigeant de la société Teixagol, M. Jean-Louis Decourteix, a, quant à lui, reproché à la société Temaco un comportement déloyal ainsi qu'une rupture abusive de pourparlers de rapprochement.
Assignée devant le Tribunal de commerce de Lyon, la société Temaco s'est reconventionnellement plainte d'un comportement fautif de la société Teixagol et de M. Jean-Louis Decourteix.
Par jugement en date du 28 février 2005 le Tribunal de commerce de Lyon a:
- débouté la société Temaco de sa demande de retrait de la pièce n° 5 de la partie adverse,
- condamné la société Temaco à payer à la société Teixagol une somme principale de 1 280 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- débouté M. Jean-Louis Decourteix, et la société Temaco de l'ensemble de leurs demandes,
- fait application des dispositions de l'article 700 nouveau Code de procédure civile en faveur de la société Teixagol.
La société Temaco a interjeté appel de cette décision le 14 avril 2005.
Aux termes de ses dernières écritures, qui ont été déposées le 28 juillet 2006 et qui sont expressément visées par la cour, elle conclut à l'infirmation partielle du jugement entrepris et demande:
- que les prétentions initiales de la société Teixagol soient écartées comme mal fondées,
- que les prétentions nouvelles de la société Teixagol et de Monsieur Jean-Louis Decourteix, soient déclarées irrecevables,
- que la société Teixagol et Monsieur Jean-Louis Decourteix, soient condamnés solidairement à lui payer une somme de 478 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 nouveau Code de procédure civile.
Elle explique :
- que le contrat de distribution s'est, dans un premier temps normalement exécuté et a porté presqu'exclusivement sur des colonnes de la gamme City,
- que la société Teixagol, qui avait affirmé, dans le contrat de distribution, être la propriétaire des dessins et modèles, ne l'a jamais avertie de l'introduction en 1999 d'une instance en contrefaçon et ne l'a pas informée non plus de sa situation financière réelle,
- que la décision du 3 mai 2002 l'a plongée dans un grand désarroi dans la mesure où elle détenait encore 139 colonnes City et où elle avait versé des avances d'un montant de 367 000 euro et lui a fait éprouver des craintes pour sa propre réputation professionnelle,
- qu'ayant accepté que les avances soient affectées à la commande de colonnes de la nouvelle gamme Envol, elle n'a reçu livraison (partielle) de ces produits qu'aux mois de juillet et d'octobre 2002,
- qu'en l'absence de fabrication immédiate des colonnes de la gamme Envol, aucune nouvelle commande n'a pu être passée avant le mois de juillet 2002,
- que la nouvelle commande passée le 16 juillet 2002 n'a été suivie d'aucune livraison alors même qu'une avance de 40 000 euro a été versée,
- qu'au mois de septembre 2002 elle n'a pas accepté de passer de nouvelle commande sans perspectives raisonnables,
- qu'elle a déclaré une créance d'un montant de 662 000 euro au passif de la société Teixagol,
- qu'il a été mis fin de facto aux relations entre les parties par le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 29 octobre 2002 prononçant le redressement judiciaire de la société Teixagol.
Elle soutient que la pièce n° 5 de la partie adverse est un document falsifié qui doit être écarté des débats.
Elle conteste la validité du contrat de distribution en soutenant d'une part qu'elle a été victime d'un dol et d'autre part que le contrat a perdu sa cause lorsque les produits de la gamme City n'ont plus été commercialisables.
Elle conteste avoir commis une faute quelconque en ne poursuivant pas des pourparlers engagés en vue du rachat d'une branche d'activité de la société Teixagol.
Elle décrit comme bien antérieures à leur collaboration les difficultés financières rencontrées par la société Teixagol et critique l'évaluation faite par les intimés de leur préjudice.
Elle évalue à 378 024 euro son propre préjudice financier et à 100 000 euro le préjudice consécutif aux efforts accomplis pour distribuer, en compromettant sa propre image commerciale, des produits finalement interdits à la vente.
Aux termes de ses dernières écritures, qui ont été déposées le 12 septembre 2006 et qui sont expressément visées par la cour, la société Teixagol et son commissaire à l'exécution du plan demandent que soit confirmé le principe de la condamnation prononcée contre la société Temaco et portent à 7 946 000 euro le montant de leur demande de dommages et intérêts.
Ils sollicitent l'application en leur faveur des dispositions de l'article 700 nouveau Code de procédure civile.
Ils reprochent à la société Temaco de ne pas avoir mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour atteindre l'objectif fixé par le contrat de distribution (2 000 unités par an), d'avoir privilégié pour son approvisionnement sa filiale Eco Ouest, d'avoir abusé d'une relation de dépendance consécutive à l'exclusivité consentie, d'avoir interrompu brutalement ses commandes et d'avoir fait naître l'illusion d'un partenariat possible.
Ils imputent au comportement de la société Temaco une perte d'activité et une dégradation d'image qui ont conduit au dépôt de bilan.
Ils contestent avoir celé à la société Teixagol l'existence d'une instance en contrefaçon.
Pour écarter le grief d'absence de cause ils tirent argument du fait que le contrat de distribution portait sur d'autres produits que ceux de la gamme City et du fait que la société Temaco a accepté de commander des produits de la gamme Envol.
Aux termes de ses dernières écritures, qui ont été déposées le 12 septembre 2006 et qui sont expressément visées par la cour, Monsieur Jean-Louis Decourteix qui a interjeté appel principal, s'associe aux demandes présentées en faveur de la société Teixagol et réclame pour lui-même des dommages et intérêts d'un montant de 3 095 000 euro.
Il reproche à la société Temaco d'avoir interrompu des pourparlers d'acquisition qui étaient, selon lui, anciens et déjà fort avancés, et d'avoir concomitamment mis un terme au contrat de distribution.
Il précise qu'il était depuis 1999 détenteur de 66 % du capital social de la société Teixagol et depuis 1994, époque de sa création, l'unique animateur de cette société.
Il décompose son préjudice de la façon suivante : dévalorisation de sa participation majoritaire, perte de son compte-courant d'associé, exécution de ses engagements de caution à l'égard d'une banque, perte de revenus, atteinte à sa réputation professionnelle et traumatisme personnel.
Il sollicite l'application en sa faveur des dispositions de l'article 700 nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 septembre 2006.
Sur ce
Attendu que la validité d'un engagement contractuel doit s'apprécier à la date à laquelle il est contracté;
Attendu qu'en l'espèce il n'est pas démontré ni même précisément allégué par la société Teixagol et par Monsieur Jean-Louis Decourteix que le 23 octobre 2001, date de la conclusion de la convention de distribution, la société Temaco était informée de l'introduction et de la poursuite d'une instance en contrefaçon concernant les produits de la marque City;
Que toutes les pièces versées aux débats font au contraire apparaître une information postérieure à cette date;
Attendu que la société Temaco se trouve dès lors bien fondée à de plaindre du manque de loyauté d'un cocontractant qui aurait dû lui fournir des renseignements d'autant plus précis qu'à s'en tenir aux propres déclarations de la société Teixagol et de Monsieur Jean-Louis Decourteix, la possibilité de relations encore plus étroites entre les parties (passant par une opération de rachat d'une branche d'activité au moins de la société Teixagol) était sérieusement étudiée;
Attendu qu'il n'est pas établi cependant que la société Temaco, si elle avait été informée de l'introduction d'une instance qui n'avait pas prospéré devant les premiers juges, aurait, en tenant compte simplement du risque de réformation en appel de la décision déboutant l'auteur de l'action en contrefaçon, renoncé à l'instauration de relations contractuelles avec une société dont l'activité présentait pour elle, ainsi qu'elle le reconnaît, un intérêt certain;
Que la demande d'annulation du contrat de distribution fondée sur les dispositions de l'article 1116 du Code civil doit, par conséquent, être écartée;
Attendu que de l'examen des commandes passées par la société Temaco avant le mois de mai 2002 il ressort que le courant d'affaires entre les parties portait essentiellement sur les produits de marque City (370 unités commandées entre le mois d'octobre 2001 et le mois de février 2002);
Qu'il est, par conséquent, tout à fait compréhensible que l'interdiction de commercialiser des produits de marque City ait plongé dans l'embarras la société Temaco, qui avait versé à la commande des acomptes d'un montant égal à 50 % du prix et qui avait encore en stock des produits de marque City;
Attendu que la société Teixagol et Monsieur Jean-Louis Decourteix apparaît actuellement particulièrement mal fondée à se plaindre d'un manque de zèle de son distributeur;
Attendu qu'en effet, pour la période antérieure au 3 mai 2002, il ne peut être reproché à la société Temaco de ne pas avoir atteint en quelques mois les objectifs fixés pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2002 et ce d'autant moins qu'ayant appris à la fin de l'année 2001 l'introduction d'une instance en contrefaçon, elle pouvait légitimement s'interroger sur l'avenir des produits de marque City;
Attendu que, pour la période postérieure au 3 mai 2002, il est certain que si la société Temaco a bien accepté de distribuer les produits de la nouvelle gamme Envol et ne peut, par conséquent, prétendre que la poursuite de ses relations avec la société Teixagol était dénuée de cause, il n'en demeure pas moins que ce nouvel engagement est le résultat du comportement fautif de la société Teixagol, qui a conduit son distributeur à supporter les conséquences d'une contrefaçon à laquelle il était totalement étranger;
Qu'il ressort de surcroît des pièces et des indications précises fournies par la société Temaco que la société Teixagol n'a pas été en mesure de livrer à la date convenue l'intégralité des produits de la nouvelle gamme Envol commandés par le distributeur (cf commande 2 394 livrée partiellement et hors délai 9 unités sur 132 et au mois d'octobre 2002 au lieu du mois de juillet 2002);
Attendu que, dans un tel contexte, le fait pour Temaco d'avoir pu, à partir du mois de septembre 2002, exprimer sa lassitude (en refusant de confirmer de nouvelles commandes dans l'immédiat) et d'avoir pu, à partir du mois d'octobre 2002, décider de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs (ne commercialisant d'ailleurs pas des produits exactement semblables) ne revêt pas un caractère fautif;
Attendu que la pièce n° 5 des intimées n'a pas à être écartée mais doit seulement être complétée par la pièce n° 24 de l'appelante, dont elle ne constituait manifestement qu'un extrait et qui, datée du 30 octobre 2002, ne fait que confirmer la réalité d'un comportement insusceptible de reproche;
Attendu que le jugement entrepris doit, par conséquent, être infirmé en ce qu'il a consacré la responsabilité de société Temaco dans la rupture du contrat de distribution et en ce qu'il l'a condamnée au paiement de dommages et intérêts;
Que la société Teixagol sera déboutée des demandes fondées sur cette rupture;
Que les demandes présentées par Monsieur Jean-Louis Decourteix de ce chef pour la première fois en appel seront déclarées irrecevables;
Attendu qu'ont été écartées les demandes de la société Temaco tendant à l'annulation du contrat de distribution pour dol ou pour absence de cause;
Que doit également être écartée la demande reconventionnelle de dommages et intérêts présentée sur le même fondement par la société Temaco, qui, de surcroît, ne fournit d'explications précises ni sur le montant du préjudice allégué par elle ni sur le lien de causalité entre le manque de loyauté de la société Teixagol et ce préjudice;
Attendu que, pour démontrer l'existence entre les parties de pourparlers d'achat anciens et avancés, la société Teixagol et Monsieur Jean-Louis Decourteix se prévalent du contenu de leurs pièces 10, 19, 22, 23 et 31 qui n'apparaît pas probant;
Qu'en effet la pièce n° 19 est un courrier du 28 juin 2001 qui émane de Monsieur Jean-Louis Decourteix lui-même;
Que la pièce n° 31 (à laquelle s'ajoute la pièce rectificative n° 43) émane du propre expert-comptable de la société Teixagol et ne contient aucune relation circonstanciée de l'évolution des pourparlers;
Que la pièce n° 22 émane du même expert-comptable et, si elle fait état d'un calendrier prévisionnel d'acquisition, ne permet pas de déterminer si ce calendrier a été élaboré en concertation avec la société Temaco (dont il est bien précisé que l'accord n'a pas encore été obtenu) ou s'il répond seulement aux souhaits de la société Teixagol;
Que la pièce n° 23, est constituée d'un fax en date du 10 juillet 2002 auquel se trouve jointe une "note" qui n'est ni datée ni signée et qui, de surcroît, se contente de tracer les grandes lignes d'un projet de rapprochement sans en préciser les délais et les modalités exacts;
Que la double pièce n° 10 intitulée "conseil d'administration Temaco 15 novembre 2001" et "conseil d'administration Temaco 29 avril 2002" n'a pas la forme de procès-verbaux réguliers et ne relate, de surcroît, la prise d'aucune décision définitive puisqu'il est au contraire précisé que les données concernant la société Teixagol ne sont pas encore disponibles;
Attendu que, de manière plus générale, il ressort de l'ensemble des pièces versées aux débats que, si l'acquisition d'une ou plusieurs branches de l'activité de la société Teixagol a bien été envisagée par la société Temaco, la concrétisation d'un tel projet, dont les bases précises n'avaient même pas encore été jetées, était loin d'être effective lorsque la société Temaco a rompu ses relations avec la société Teixagol;
Attendu que ne se trouvent, de surcroît, démontrées ni la mauvaise foi ni la légèreté de la société Temaco qui, à s'en tenir aux documents produits, n'a jamais formulé de promesse fallacieuse et qui, en concluant un contrat de distribution, a simplement manifesté l'intention de franchir, dans l'établissement de ses relations avec la société Teixagol, une étape au cours de laquelle des pourparlers devaient se poursuivre mais dont la concrétisation effective du projet d'achat n'était pas le prolongement nécessaire;
Qu'enfin la condamnation de la société Teixagol pour contrefaçon a constitué un élément nouveau qui a pu valablement exercer une influence négative sur la poursuite des pourparlers en cours;
Attendu que le jugement entrepris doit, par conséquent, être confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Jean-Louis Decourteix, de la demande de dommages et intérêts qu'il fondait sur une rupture fautive de pourparlers;
Que les demandes présentées par la société Teixagol de ce chef pour la première fois en appel seront déclarées irrecevables;
Attendu que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 Nouveau Code de procédure civile en faveur de la société Temaco;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a consacré la responsabilité de la société Temaco, dans la rupture du contrat de distribution et en ce qu'il l'a condamnée au paiement de dommages et intérêts, en ce qu'il a fait application des dispositions de l'article 700 nouveau Code de procédure civile en faveur de la société Teixagol et en ce qu'il a condamné la société Temaco, aux dépens; Statuant à nouveau dans cette limite : Déboute la société Teixagol de la demande de dommages et intérêts fondée sur une rupture fautive du contrat de distribution ainsi que la demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 nouveau Code de procédure civile; Condamne in solidum la société Teixagol et Monsieur Jean-Louis Decourteix aux dépens de première instance; Confirme en toutes ses autres dispositions le jugement entrepris; Y ajoutant : Déclare irrecevables les demandes nouvelles (telles que rappelées ci-dessus) présentées pour la première fois en appel par la société Teixagol et Monsieur Jean-Louis Decourteix; Déboute la société Temaco de sa demande d'annulation du contrat de distribution ainsi que de sa demande de dommages et intérêts; Condamne in solidum la société Teixagol et Monsieur Jean-Louis Decourteix à payer à la société Temaco, une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne in solidum la société Teixagol et Monsieur Jean-Louis Decourteix, aux dépens d'appel qui seront distraits au profit de Maître De Fourcroy, avoué.