CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 22 mars 2007, n° 05-19999
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Soleil Levant (SARL)
Défendeur :
Fourniture Accastillage Mécanique Manutention (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Jacques
Conseillers :
Mmes Auge, Bichot-Lacroix
Avoués :
SCP de Saint-Ferreol-Touboul, SCP Bottai-Gereux-Boulan
Avocats :
Mes Casanova, Sentenac
Procédure et prétentions des parties
La SARL Soleil Levant, constituée le 3 avril 1975, exploite à Saint-Raphaël, à l'extrémité du Port de Santa Lucia, un chantier naval, comportant des locaux de service pour le chantier, une aire de levage et de carénage des bateaux, avec un pont roulant pour sortie et mise à l'eau des bateaux ainsi que des locaux commerciaux dont elle a assuré la construction. Elle bénéficie d'une sous-concession du port consentie par la Société d'étude et de réalisation du port de plaisance de Saint-Raphaël - SERPP à qui elle verse une redevance.
En 1998 Monsieur Jean-Charles Morel, horticulteur, se porte acquéreur des parts de la SARL Soleil Levant pour son fils qui veut exploiter le chantier.
Cependant Christophe Morel choisit une autre voie professionnelle, de sorte que Monsieur Jean-Charles Morel va chercher à céder ses parts.
Mais la SARL Soleil Levant étant confrontée à deux litiges, d'une part avec un occupant des locaux commerciaux, d'autre part avec la SERPP sur le montant de la redevance, s'est vu contrainte de consentir seulement la location-gérance du chantier naval.
Par acte notarié du 11 mars 1999 la SARL Soleil Levant a donc donné en location-gérance à la SARL Fourniture Accastillage Mécanique Manutention - FAMM son fonds de commerce de chantier naval, stockage à sec, hivernage et entretien de bateaux, comprenant l'enseigne, le nom commercial, la clientèle, l'achalandage, les différents objets mobiliers et le matériel, moyennant un loyer annuel de 240 000 F HT, et le versement d'une caution de 400 000 F.
La location était prévue pour une durée de trois ans à compter du 1er mars 1999 pour se terminer le 28 février 2002, et à partir de cette date, était renouvelable d'année en année par tacite reconduction.
Le contrat sera renouvelé une fois mais prendra fin le 28 février 2004, après notification de congé par la SARL FAMM le 18 septembre 2003.
Le 19 mai 2003 la SARL Soleil Levant avait reçu un courrier de la SERPP lui reprochant de ne pas avoir assuré l'entretien et le bon état des parcelles qui lui avaient été amodiées ainsi que des ouvrages installés, (grue rouillée, pile en béton du portique légèrement désolidarisée, affaissement de la zone en bordure du quai etc... ) et la mettant en demeure d'accomplir un certain nombre de travaux dans un délai de deux mois sous peine de résiliation du contrat.
Estimant que la SARL FAMM était responsable de cet état de fait et avait commis des violations graves du contrat de location-gérance, en n'entretenant pas les lieux, ni le matériel, et en restituant un fonds vidé de toutes ses ressources humaines et de l'activité de réparation mécanique, la SARL Soleil Levant a fait assigner la SARL FAMM devant le Tribunal de commerce de Fréjus, par exploit du 30 avril 2004 afin de voir ordonner une expertise, pour chiffrer le coût de la remise en état des locaux et du matériel, évaluer les préjudices d'exploitation de la SARL Soleil Levant du fait des manquements de la SARL FAMM, au fond condamner la SARL FAMM à lui payer la somme de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts, et celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 NCPC.
Par exploit du 14 juin 2004 la SARL FAMM a fait assigner Monsieur Jean-Charles Morel et par exploit du 23 novembre 2004 la SARL Soleil Levant afin de les voir condamner à lui restituer le dépôt de garantie, soit la somme de 60 979,60 euro, voir condamner la SARL Soleil Levant à lui payer la somme de 80 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, outre la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 NCPC.
Par jugement du 10 octobre 2005, le Tribunal de commerce de Fréjus a débouté la SARL Soleil Levant de toutes ses demandes, et l'a condamnée à restituer le dépôt de garantie d'un montant de 60 979,60 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2004, ainsi que la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 NCPC.
La SARL Soleil Levant a interjeté appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 19 octobre 2005
La SARL Soleil Levant conclut de manière récapitulative le 31 janvier 2007. Elle demande à la cour de débouter la société FAMM de toutes ses demandes, de retenir les violations du contrat de location-gérance commises par cette société, en conséquence de la condamner à lui payer la somme de 36 588 euro pour la perte de valeur du fonds de commerce, 59 186 euro pour le remplacement du portique, 110 122 euro pour la reconstruction du quai et de l'aire de levage soit au total la somme de 205 896 euro à titre de dommages-intérêts, ordonner la compensation avec le dépôt de garantie, ordonner la mainlevée du nantissement conservatoire pris sur le fonds de commerce, condamner la société FAMM à lui payer la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 NCPC ;
Elle fait valoir:
Que la société FAMM a tout fait pour faire perdre au chantier toute valeur pour amener Monsieur Jean-Charles Morel à céder ses parts à vil prix.
Qu'en effet la société FAMM n'a pas restitué le fonds de commerce ; que l'activité du fonds étant une activité de service, le contrat de location-gérance prévoyait que le preneur conserverait pour l'exploitation du fonds les deux salariés qui étaient indispensables à l'exploitation du fonds mais qu'à la restitution du fonds les salariés qui faisaient tourner le chantier par le levage des bateaux et la mécanique avaient été congédiés ; qu'il n'y avait plus de personnel, aucune archive de l'exploitation ni aucun fichier de clientèle ; qu'ainsi le fonds était vidé de toutes ses ressources humaine et de l'activité de réparation mécanique.
Que si l'on ajoute que la société FAMM exploite un atelier de mécanique adjacent à un autre chantier de levage, le détournement de clientèle est patent.
Que le portique, indispensable à l'activité de levage, est devenu quasiment inutilisable faute d'entretien ; qu'il avait pourtant été reçu en bon état de fonctionnement, ainsi que cela résulte de l'inventaire annexé à l'acte de location-gérance, qui ne comporte aucune réserve de la part de la société FAMM, qui a par ailleurs payé régulièrement les quatre échéances du dépôt de garantie, et ainsi que cela résulte du rapport du bureau de contrôle qui a suivi la prise de possession ; qu'en revanche le mauvais état du portique lors de la restitution est établi par le dernier rapport du bureau de contrôle en date du 2 décembre 2003, ainsi que la mise en demeure de la SERPP adressée le 19 mai 2003.
Que l'aire de levage est défoncée et le quai a basculé ; que ces désordres sont confirmés par la lettre de mise en demeure de la SERPP, société concessionnaire; que ces graves détériorations, reprochées à la SARL Soleil Levant par la SERPP cinq ans après la location-gérance proviennent bien de l'exploitation de la société FAMM qui a jugé plus expédient d'utiliser une grue de 35 tonnes lui appartenant au lieu du portique ; que si la cour ne s'estimait pas convaincue, il conviendrait de désigner un expert.
La SARL FAMM conclut de manière récapitulative le 11 avril 2006. Elle demande à la cour de confirmer purement et simplement le jugement critiqué, y ajoutant, de condamner la SARL Soleil Levant à lui verser la somme de 10 000 euro pour procédure abusive, outre celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 NCPC.
Elle réplique:
Que le constat d'état des lieux établi contradictoirement le 27 février 2004 lors de la libération des lieux, indique que le portique de levage fonctionne ; qu'elle a assuré l'entretien normal de ce portique qui était exploité depuis 1978 ; que les témoignages attestent que le portique a été mis à disposition de la société FAMM dans cet état ; qu'en réalité la SARL Soleil Levant a décidé de le changer pour assurer le levage de bateaux plus lourds et tente d'en faire supporter le coût à la société FAMM.
Que Monsieur Jean-Charles Morel a indiqué lors de ce constat que l'état d'usure du quai provenait d'un dragage effectué à l'initiative de la société FAMM pour améliorer le tirant d'eau, alors qu'il est attesté par la SERPP, concessionnaire, que la société FAMM n'a jamais dragué le port ; que ces travaux de dragage auraient été réalisés à l'initiative de la SERPP; qu'elle n'a jamais utilisé de grue.
Que l'état contradictoire des lieux ne mentionne pas que le chantier naval a été laissé à l'abandon, mais seulement que les locaux étaient sales ce qui était dû à une coupure d'eau pratiquée par le gestionnaire du port à la suite d'une fuite importante d'une canalisation.
Que la clientèle était inexistante au début de la location-gérance, la SARL Soleil Levant s'étant bien gardée de fournir le bilan 1998, qu'elle n'a pas déposé au greffe ; que les bilans 1996 et 1997 déposés au greffe du Tribunal de commerce de Fréjus sont déficitaires ; qu'elle a donc dû reconstituer la clientèle ; qu'elle justifie qu'elle a constitué un chiffre d'affaires important ; qu'en ce qui concerne la reprise du personnel, elle n'avait pas l'obligation de le garder pendant toute la location-gérance, celui-ci pouvant par exemple démissionner ; que de plus contrairement aux dires de la SARL Soleil Levant, l'activité de chantier naval que la société FAMM exerçait dans l'autre bassin du port a été transférée sur le site de la société Soleil Levant ; qu'en effet la police d'assurance a été transférée sur ce site.
Que sur la prétendue collusion avec la SERPP, il y a lieu d'observer que lors de la mise en demeure adressée par la SERPP, il appartenait à la SARL Soleil Levant de lui notifier une mise en demeure de remise en état si elle estimait que les dégradations lui incombaient ; qu'en outre la SARL Soleil Levant n'ignorait pas qu'elle avait l'obligation de remettre aux normes le chantier naval puisqu'elle en avait informé la société FAMM dès le mois de septembre 2001.
Que la procédure est abusive, celle-ci ayant été entreprise par la SARL Soleil Levant pour ne pas restituer le dépôt de garantie.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2007.
Motifs de la décision
Attendu que par acte notarié du 11 mars 1999 la SARL Soleil Levant a donné en location-gérance à la société FAMM un fonds de commerce de chantier naval " stockage à sec, l'hivernage et l'entretien des bateaux et accessoires, manutention de bateaux, mise à terre et mise à l'eau des embarcations, réparations diverses, gardiennage et activités connexes ", comprenant l'enseigne, le nom commercial la clientèle et l'achalandage y attachés, ainsi que les différents objets mobiliers et le matériel servant à son exploitation; qu'à titre accessoire étaient loués les locaux où était exploité le fonds.
Qu'il était prévu au paragraphe " Charges et Conditions " que le locataire-gérant devrait exploiter le fonds en bon commerçant de façon à lui conserver la clientèle et l'achalandage qui y étaient attachés, et en respectant les clauses du contrat d'amodiation et de sous-traité ; que toutes les réparations d'entretien du mobilier commercial et du matériel servant à l'exploitation seraient à sa charge, même celles qui seraient rendues nécessaires par l'usure normale ; qu'il devrait entretenir les lieux loués en bon état de réparations locatives et d'entretien.
Qu'en outre le locataire-gérant s'engageait à continuer les contrats de travail de Monsieur Peloux, mécanicien et de Monsieur Legriguer apprenti mécanicien bateau.
Attendu qu'il n'a pas été dressé d'état contradictoire à l'entrée dans les lieux mais seulement une liste du matériel d'exploitation extérieur, annexée à l'acte de location-gérance mentionnant que les matériels étaient en cours d'utilisation et en état de fonctionnement.
Qu'il s'ensuit que la société FAMM est présumée avoir reçu les lieux et l'équipement en bon état ; que d'ailleurs elle a payé les quatre échéances du dépôt de garantie sans émettre de réserve.
Attendu que l'état contradictoire des lieux établi le 27 février 2004, lors du départ de la société FAMM relève:
- Il n'y a plus de personnel attaché à la SARL Soleil Levant, ainsi que le déclare le dirigeant de la société FAMM
- la clientèle est commune à la société FAMM, selon les déclarations de son gérant;
- la liste des travaux en cours ne peut être communiquée par la société FAMM;
- la grue roulante a été cédée par le dirigeant de la SARL Soleil Levant;
- le portique fonctionne correctement;
- le quai présente une planimétrie très irrégulière ; selon le dirigeant de la SARL Soleil Levant, le quai a été détérioré à la suite des travaux de dragage effectués par la société FAMM quand celle-ci a pris le chantier; la société FAMM conteste être à l'origine des travaux, qui résulteraient d'une décision du port pour ajouter une place de bateau de grosse taille.
Attendu que d'autre part la SARL Soleil Levant avait reçu le 19 mai 2003 une mise en demeure de la SERPP, la société concessionnaire, lui enjoignant d'effectuer des travaux de réparation et d'entretien à peine de résolution du contrat de concession, après avoir constaté notamment :
Que la pile en béton d'une partie du portique était légèrement désolidarisée et manquait d'entretien;
Qu'en bordure du quai on constatait un affaissement important de la zone et un basculement du couronnement;
Attendu que de surcroît un rapport de vérification de l'APAVE dressé le 2 décembre 2003, après un contrôle effectué le 9 juillet 2003, avait relevé que si les mécanismes du portique fonctionnaient correctement, un certain nombre de réparations étaient nécessaires pour le maintien en service de l'appareil, notamment la réfection des canalisations électriques, enrayer l'oxydation générale de la charpente, réparer ou remplacer le sélecteur défectueux du poste de commande, remettre en service l'arrêt d'urgence au poste de conduite, assurer l'entretien des mécanismes, du câble de levage etc...
Attendu cependant que la société FAMM ne justifie pas avoir effectué les réparations nécessaires à la remise en service du portique avant la fin du contrat.
Attendu qu'il est ainsi établi que lors de la restitution du fonds il n'existait plus de personnel affecté au chantier naval du bassin Nord du Port de Santa Lucia, qui ne pouvait donc plus fonctionner, qu'il n'y avait pas de fichier clientèle, celle-ci étant devenue commune avec celle de la société FAMM, qui exploitait également un autre chantier naval dans le bassin sud du port de Santa Lucia;
Attendu que même s'il ne pouvait être exigé de la société FAMM qu'elle conserve indéfiniment les deux salariés qui étaient affectés au levage des bateaux et à la mécanique lors de son entrée dans les lieux, elle devait à tout le moins laisser, lors de la restitution du fond de commerce, un chantier en état de marche ; que dès lors la perte d'exploitation est certaine pour la SARL Soleil Levant, le temps qu'elle recrute du personnel et retrouve sa clientèle;
Attendu qu'il est également établi que le quai était affaissé alors qu'aucune constatation n'avait été faite en ce sens lors de l'entrée dans les lieux ; que même s'il n'est pas prouvé que la société FAMM soit à l'origine de cet effondrement, il n'en reste pas moins qu'en tant que locataire, elle était responsable de la bonne conservation des lieux ; qu'il lui incombait de demander à l'auteur des travaux de réparer les dégradations qu'il avait causées, ou à tout le moins d'avertir son bailleur.
Attendu qu'enfin le portique, faute d'entretien, ne pouvait plus fonctionner dans des conditions réglementaires.
Attendu que la société FAMM a donc engagé sa responsabilité contractuelle ; qu'il convient d'infirmer le jugement entrepris.
Attendu sur la perte de valeur du fonds qu'il convient d'observer que la SARL Soleil Levant ne produit pas les bilans antérieurs à la location-gérance ; qu'il y a lieu néanmoins de considérer qu'un délai de plusieurs mois a été nécessaire pour la reprise de l'exploitation du chantier naval, ce qui équivaut à tout le moins à une perte de loyers.
Qu'il y a lieu d'évaluer à 20 000 euro ce chef de préjudice.
Qu'il convient d'autre part de tenir compte des travaux de réparation nécessaires à la remise en état du quai et du portique, pour lesquels des devis sont versés aux débats, étant observé toutefois qu'ils incluent des travaux de modernisation qui ne sont pas à mettre à la charge de la société FAMM.
Qu'il y a lieu dans ces conditions, et compte tenu des pièces produites, d'évaluer à 70 000 euro TTC le coût des réparations mises à la charge de la société FAMM.
Attendu que d'autre part la SARL Soleil Levant est redevable du dépôt de garantie qui s'élève à 60 979,60 euro;
Qu'il convient de compenser les deux sommes et de condamner en conséquence la société FAMM à payer à SARL Soleil Levant la somme de 29 020,40 euro.
Attendu que le caractère abusif de la résistance de la société FAMM n'est pas démontré.
Qu'il convient en revanche de condamner la société FAMM à payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 NCPC.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Infirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Fréjus le 10 octobre 2005. Statuant à nouveau : Constate que la société FAMM a engagé sa responsabilité contractuelle. Evalue à 20 000 euro le préjudice subi par la SARL Soleil Levant du chef de la perte d'exploitation, et à 70 000 euro TTC le coût des réparations mises à la charge de la société FAMM. Constate que la SARL Soleil Levant doit restituer le dépôt de garantie versé à l'entrée dans les lieux, par la société FAMM, d'un montant de 60 979,60 euro ; Ordonne la compensation entre ces deux sommes. En conséquence condamne la société FAMM à verser à la SARL Soleil Levant la somme de 29 020,40 euro avec intérêts au taux légal à compter de la décision. Ordonne la mainlevée du nantissement conservatoire pris par la société FAMM sur le fonds de commerce de la SARL Soleil Levant. Condamne la société FAMM à payer à la SARL Soleil Levant la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 NCPC. Rejette les autres demandes des parties. Condamne la société FAMM aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Saint-Ferreol & Touboul, avoués sur leur affirmation de droit.